Suite et fin de notre long entretien avec Albert Cartier, l’entraîneur de l’ASLN, qui s’est livré comme rarement et a passé en revue de nombreux sujets : le nul face à Cholet, son image, le championnat National, Arsène Wenger, son parcours et ce qui le préoccupe aujourd’hui : son club.

Le stade Marcel-Picot, hier soir, face à Cholet. Photo A. P.

Albert Cartier est un bavard lorsqu’il s’agit de parler de football et des deux clubs lorrains de son coeur : l’AS Nancy Lorraine et le FC Metz. C’est en partie pour cela que l’entretien qu’il nous a accordés a duré près de deux heures au sortir de la douche, après une séance d’entraînement en Foret de Haye.

Après être revenu, hier, sur le début de saison et la remise à plat à tous les étages chez les Rouges et blancs cet été, l’entraîneur évoque dans cette deuxième partie d’interview le championnat de National, sa carrière et l’impact d’Arsène Wenger dans celle-ci.

Après le match nul concédé dans les dernières secondes hier soir à Marcel-Picot face à Cholet (1-1), l’ASNL est 6e. Confirmation que l’équipe, encore perfectible, menée par le Lorrain d’adoption (il est né à Vesoul en Haute-Saône) répond de plus en plus à ses attentes dans un championnat qu’il sait homogène et qui laisse peu de place au relâchement. Cela tombe bien, ce n’est pas son genre. « Le scénario face à Cholet est frustrant mais le résultat est logique, concédait Cartier hier soir à l’issue du match. Notre première mi-temps est moyenne. On ne s’est pas suffisamment lâchés en première mi-temps, on n’a pas beaucoup utilisé les côtés et on n’a pas assez accompagné Thomas (Robinet). On tire trois ou quatre fois au but… On ne pèse pas assez offensivement, surtout à domicile. Le pire, c’est qu’on a les occasions pour mettre le deuxième but et être un peu plus à l’abri. Sur le but encaissé, on ne doit pas faire cette faute-là. Les joueurs mettent beaucoup de cœur et de générosité. Mais c’est nécessaire de jouer avec sa tête pour savoir gérer cette fin de match. Il y a un réel goût de défaite même si la série d’invincibilité (5 matches) continue tout de même. »

« Parfois j’ai un discours autoritaire avec mes joueurs »

Le public de Marcel Picot, toujours présent, même dans les moments délicats. Photo ASNL

Hormis un court passage à Bastia Borgo (2021), cela faisait dix ans que vous aviez quitté le National. Quelles similitudes et quels changements depuis dix ans ?
C’est toujours aussi compliqué de dégager un ou deux favoris. Avant c’était trois pour la montée, maintenant c’est deux. Le championnat est toujours aussi homogène. Les changements, c’est que le championnat a pris une dimension tactique et technique avec les arrivées de Cris (Le Mans) et Habib Beye (Red Star) par exemple. Il y a des anciens joueurs qui ont joué en Ligue 1 ou Ligue des Champions, donc ils amènent toute leur expertise et leurs connaissances. Il y a dix ans, la plupart des équipes « déboîtaient ». Il y avait un bon joueur dans l’équipe et le reste, ça courait et ça mettait des « pains ». Aujourd’hui c’est fini. Même les défenseurs jouent et ont des qualités techniques. Ils ont au moins une qualité forte : pied gauche, jeu de tête, vison etc. Ça reste un championnat exigeant mais plus forcément musclé.

Suffisant pour justifier un passage dans le monde professionnel à travers la Ligue 3 ?
J’ai hâte que ça arrive pour lui donner une autre dimension encore. Je pense notamment aux dix-huit joueurs sur la feuille de match. On a seize joueurs actuellement et on peut faire cinq changements. Tu n’as aucune marge, à part si tu ne prends pas de deuxième gardien, ce que je fais parfois. Il faut permettre aux entraîneurs qui sont de plus en plus compétents avec de vrais projets de jeu, de faire leur job du mieux possible. Évidemment, quand vous changez quatre à cinq joueurs par match en ayant le choix, vous allez garder de la qualité dans les matches et donc dans le championnat.

Pas un problème de revenir à Nancy après être passé par Metz (2012-2015) ?
J’ai toujours dit que je reviendrais à Nancy. Ce que j’ai fait avec Metz, j’en suis fier. C’est du passé. J’ai un ami à Metz qui m’a appelé le lendemain de ma signature à Nancy pour me rappeler ce que je lui avais dit un jour. Mais je ne m’en souvenais plus vu qu’on s’appelle toutes les semaines ! Sa réponse : « Et ben tu m’avais dit que tu reviendrais à Nancy ! ». Ben voilà, j’y suis.

« Je n’étais pas encore pro que j’avais déjà envie d’être entraîneur ! »

Votre image de « militaire », à la dure et avec des valeurs, vous l’assumez ou vous la trouvez exagérée ?
Militaire, je ne sais pas. J’aime la rigueur et la discipline, après si ça, ça suffit à être militaire… Oui, des fois j’ai un discours autoritaire avec mes joueurs. C’est aussi parce que je les aime. J’ai eu la chance d’être footballeur professionnel avec zéro qualité à part le mental et un physique. Je sais que c’est difficile de faire carrière, que l’on peut passer à côté pour des détails. Je n’ai pas envie que mes joueurs, qui eux en ont (des qualités), ne puissent pas faire carrière car il leur manque la rigueur et l’exigence.

Devenir entraîneur, c’était une vocation ou un concours de circonstances ?
Je n’étais même pas footballeur professionnel que j’avais déjà envie d’être entraîneur et c’est pour cela que j’ai vite passé mes diplômes, dès 18 ans à l’INF Vichy. La rencontre avec Arsène Wenger a été le détonateur de la vocation qui sommeillait en moi. Il était Alsacien comme ma mère et rigoureux et discipliné comme mon père. L’éducation que j’avais à la maison, je la retrouvais avec cet entraîneur. Quand le PSG, l’OM et le Matra Racing m’ont demandé, j’ai rejoint Nancy en partie pour rester avec Arsène Wenger. Je me nourrissais de ces séances, je me notais les échauffements, les exercices sur un cahier en rentrant chez moi. Il avait cette exigence… Mon épouse me dit toujours « Qu’est-ce qu’il était dur avec vous ». Cette rigueur est inspirante et formatrice. Qu’est-ce que je l’ai aimé ! Qu’est-ce que je l’aime ! J’ai même fait mon mémoire de deuxième degrés (UEAF B) sur Arsène Wenger. « Entraîneur de football : profession ou destin ? » Comme lui, je pense qu’on est destiné.

Sans Arsène Wenger, seriez-vous devenu coach ?
(Longue reflexion). J’ai signé à Nancy en laissant ma femme et mes deux enfants à 900 km. Mes filles m’ont dit « On est heureux pour toi », parce qu’elles savent que je suis content de faire ce métier. Ma femme vient dix jours par mois. Je suis parti pour six mois et maintenant un an. J’ai la chance de faire ce métier. Mon père m’a dit « Tu veux être heureux dans la vie, fais deux métiers qui te plaisent : j’ai été footballeur et coach. » Je ne pouvais pas rêver mieux. Alors que je ne sais pas vous répondre, hormis que grâce à lui c’était devenu une évidence.

Est-ce qu’on devient un type de coach similaire au type de joueur que l’on était ?
En ce qui me concerne, oui. On peut tout donner et pas forcément être bon. J’ai fait des matches où j’étais nul mais j’étais cramé à la fin. J’avais juste pas les cannes. Je tombais sur des mecs plus forts que moi qui me faisaient la musique. J’étais nul mais je donnais tout. C’était impossible pour moi de tricher et de me cacher. Je veux que mes joueurs aient cet état d’esprit. A la seule différence que je ne jouais pas. Je n’avais pas de pied. Philippe Hinschberger me disait « Joue ! ». Je partais du principe qu’en jouant en une touche je n’avais qu’une chance de me tromper et qu’en deux touches j’en avais deux. Je savais ce que je devais faire et ne pas faire. Si je faisais des choses que je ne savais pas faire, j’allais mettre l’équipe en danger et moi, j’étais très attentif à ça. Mais ce n’est plus possible aujourd’hui. Le football a évolué. Aujourd’hui, je veux que mes joueurs aient cette envie et cette intensité. Mais je veux aussi qu’ils sachent jouer au ballon. La différence entre le coach et le joueur est principalement là.

Prend-on du plaisir à défendre sans faire de passe et en dégageant en une touche ?
J’ai pris du plaisir à défendre sur un terrain. Par contre, je ne me suis jamais amusé. Nuance.

Albert Cartier du tac au tac

Le meilleur joueur avec lequel vous avez joué ?
Robert Pirès.

Le meilleur joueur que vous avez entraîné ?
Intrinsèquement à l’instant ou je l’ai coaché : Diafra Sacko à Metz.

Meilleur souvenir de joueur ?
Ma sélection en équipe de France.

Meilleur souvenir de coach ?
La remontée de National en Ligue 1 avec le FC Metz. Surtout le passage L2 – L1.

Pire souvenir de joueur ?
La descente en Ligue 2 avec l’ASNL avec mon coach, Arsène Wenger. Ça a été un traumatisme. Sept ans encore j’y pensais encore. Ça a traîné des années.

Pire souvenir de coach ?
Je pourrais vous parler de la descente avec l’ASNL de l’an dernier mais je n’ai officié qu’une moitié de saison. Je vais dire la descente avec Eupen (Belgique, 2010-2011)… Enfin, descente entre guillemets. Le président me vire à deux journées de la fin pour ne pas me payer les primes de maintien. Il nous reste deux matches à jouer contre le dernier et l’avant dernier et un point à prendre. Il me vire pensant que ça ira. Et bien non… Au-delà de la descente, c’est le fait de m’enlever un défi, un projet que j’avais envie de réussir. Uniquement pour des raisons financières…

Une anecdote de vestiaire jamais racontée ?
L’altercation entre Sylvain Kastendeuch et Eric Black à la fin d’un match à domicile avec Metz contre Nice. On doit le gagner largement car on rate deux pénos et on fait finalement 1-1. Il y a une énorme altercation à la fin du matin entre l’attaquant et le défenseur qui étaient deux amis pourtant. Ils étaient si calmes d’habitude. Sauf que là, c’était deux compétiteurs qui voulaient gagner. C’est fou comme la compétition vous envoie loin des fois. La frustration de ne pas gagner les a fait sortir d’eux mêmes. Ce ne sont pas deux mecs qui ne s’aiment pas, c’est des mecs qui s’aiment mais compétiteurs.

Un coach qui vous a marqué ?
Arsène Wenger.

Un modèle de coach ?
A votre avis ? Arsène Wenger.

L’équipe où vous avez pris le plus de plaisir à entraîner ?
Le FC Metz lors de la double-montée. Ce qui m’impressionnait le plus, c’était cette faim. Plus on leur en donnait, plus tu leur demandais, plus ils en voulaient.

Après une défaite, que faites-vous ?
(Longue hésitation…)

Et après une victoire ?
J’essaie d’avoir la même attitude dans la victoire comme la défaite. C’est pas de monter sur la table après une victoire – je parle pour les joueurs – et faire la gueule et parler à personne après une défaite. C’est ça être professionnel. Ça vient avec le temps. Au début, on est plus dans les extrêmes.

Saint-Symphorien ou Marcel-Picot ?
(Longue hésitation…) Finalement, j’ai fait la boucle. J’ai commencé à Nancy en tant que joueur, puis à Metz. J’ai commencé à entraîner à Metz en tant qu’adjoint, je suis revenu pour être coach principal. Et je suis à Nancy aujourd’hui. Mon père m’a toujours dit, « Gamin, faut toujours pouvoir repasser là où t’es passé. » C’était une manière de me dire qu’il fallait toujours laisser une bonne image.

Texte : Alexandre Plumey / Mail : contact@13heuresfoot.fr / Twitter : @Alex_Plums

Photos : AS Nancy Lorraine