National / Régis Brouard : « L’hypersensibilité, je vis avec… »

L’entraîneur du FC Rouen parle de son métier et des dégâts qu’ils peuvent causer, jusqu’à sombrer dans la dépression. Il évoque aussi son bilan, son image, son caractère et son hypersensibilité, qui le hante depuis son enfance. Entretien avec un homme charismatique qui vit les émotions de manière décuplée, le plus souvent à l’intérieur.

Par Anthony BOYER – mail : aboyer@13heuresfoot.fr

Photos : Bernard MORVAN / FC Rouen 1899 

Avec Régis Brouard, pendant 45 minutes, on a réussi la performance de parler de tout ou presque, sauf du FC Rouen, le club qu’il a rejoint il y a un peu plus de 8 mois maintenant en remplacement de Maxime d’Ornano.
Si l’ex-entraîneur du Sporting-club de Bastia et du Red Star (entre autres) n’a pas évoqué l’actualité, ce n’est pas de sa faute, mais de la nôtre. Parce que nous souhaitions l’emmener sur un terrain différent, l’entendre sur sa personnalité, si bien sûr il était enclin à se livrer. On n’a pas été déçu !

Pudeur et trouble de la personnalité

Pour préparer cet entretien, nous avons visionné des reportages et lu des articles de presse sur lui. Histoire de se faire une meilleure idée de la personne. Et le moins que l’on puisse écrire est que nous ne nous sommes pas trompés sur le Parisien – il est né à Antony dans le Val-de-Marne – de 57 ans, dont l’image qu’il dégage est tout l’inverse de celle qu’il cache, pudeur oblige, et qu’il garde à l’intérieur.

Régis Brouard n’a pas de double personnalité. Plutôt un trouble de la personnalité. Qui peut passer d’un visage fermé à double tour, mâchoires serrées, parce que c’est cette image qu’il dégage en premier, à un sourire ravageur et charmeur à faire fondre n’importe quel coeur d’artichaut. Sauf que le coeur d’artichaut, c’est lui !

Élégance et charisme

Avec Régis Brouard, il faut gratter. Passer ce premier filtre, cette première impression. L’homme en impose. Impressionne. Il dégage une élégance et un charisme tels qu’il est très facile de lui coller une étiquette, une réputation. Tout ça sans le connaître. Après tout, c’est tellement humain.

Sauf que l’on a vite compris que si l’ancien milieu de terrain professionnel dégage cette image, c’est pour se protéger. De quoi ? De qui ? Et que s’il prend les choses très à coeur, trop à coeur, s’il est très émotif, très observateur, c’est qu’il y a une raison : « Je souffre d’hypersensibilité aigüe ». Souffrance. Sensibilité. Tout est dit. Ou presque. Il y a tant de choses à développer…

La télé, une autre thérapie

Après la victoire dans le derby face à QRM au match aller l’an passé.

Depuis quelques années, il est sur le plateau de L’Équipe du soir le dimanche. Il pourrait y faire l’acteur ou jouer un rôle, une partition. Rien de tout ça. Il est naturel. Il est lui-même. L’émission agit comme une thérapie. Comme un médicament. Il s’y sent à l’aise et y est presque comme chez lui : normal, il est dans son élément – le football -, seulement animé par le ballon, et a l’impression de mieux maîtriser les événements. Un peu comme s’il venait se soigner à la télé. Ou sur un banc de touche, puisque c’est là qu’il est le meilleur et le plus à l’aise.

Alors voilà. Le but n’était pas de tendre un piège à Régis Brouard, mais plutôt une perche. Il aurait pu ne pas la saisir. Mais il a choisi de s’y accrocher un peu. Et cela donne cet entretien où, forcément, on parle ballon rond au début, histoire de ne pas « l’agresser », avant de l’emmener en deuxième partie d’entretien sur des sables plus mouvants. Pour terminer, on précise que la consultation avec Régis Brouard, qui est sérieusement passé chez le coiffeur avant la reprise des entraînements, était gratuite : ça tombe bien, la lecture l’est aussi !

Interview : « J’aime profondément le foot ! »

Votre meilleur souvenir d’entraîneur à ce jour ?

Avec Tarkan Ser, le président du FC Rouen.

La finale de la coupe de France avec Quevilly mais… (il réfléchit), j’en ai tellement d’autres. Elle reste quand même un moment particulier parce qu’on était un club amateur, même si on s’entraînait comme des professionnels, ou des semi-professionnels. En fait, ce sont les scénarios des matchs qui ont fait que le parcours a été exceptionnel.

Pire souvenir d’entraîneur à ce jour ?
Les défaites. (il répète) Ce sont les défaites. Elles me font du mal.

Plus les défaites qu’un limogeage ?
J’ai hésité à répondre un limogeage. La défaite fait partie de notre boulot, mais vous me direz, les limogeages aussi… Le limogeage est quelque chose que l’on ne maîtrise pas, on n’en connaît pas toujours les raisons, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Une défaite, ça reste un match. Le limogeage, c’est douloureux. Pour moi, ça l’a été, surtout à certains endroits. Bien sûr, la plupart du temps, ce sont les résultats qui entraînent ça, ou d’autres raisons que je ne souhaite pas développer ici. De toute façon, aujourd’hui, même si un entraîneur a des résultats, il peut se faire virer. C’est pour ça que je ne veux pas donner plus d’importance à un limogeage que cela.

En général, un limogeage, l’entraîneur le voit venir, non ?
On peut sentir les choses, oui, soit parce qu’il y n’a pas de résultats, soit parce que les relations sont difficiles, et c’est là qu’il y a une non-écoute de nos raisons, de nos explications. La discussion se ferme. C’est pour ça que la défaite est toujours plus douloureuse. Parce qu’on met quelque chose en place, on a la sensation de tout bien faire, de maîtriser un match, et puis il y a un poteau sortant pour vous, et puis vous perdez ce match…

« Je n’ai pas assez profité des bons moments »

Le club où la saison vous avez pris le plus de plaisir sur un banc à ce jour ?

À Bastia, quand on finit 4e (saison 2022-23), quand on joue la montée. Cela a été un plaisir douloureux. Le Sporting est un club particulier, ce n’est pas facile là-bas, et ce plaisir a été décuplé à chaque victoire, à chaque satisfaction. Sportivement, humainement, cela a été incroyable. Il y a eu des scénarios de matchs incroyables aussi, qui ont procuré un kiffe énorme. Après, j’ai dirigé plus de 500 matchs, alors des souvenirs, j’en ai beaucoup. Là, ce sont les plus récents. J’ai aussi les souvenirs de matchs maîtrisés, où c’est un pied pas possible, comme avec Quevilly par exemple, lors du match contre l’OM de Didier Deschamps, ou contre Rennes en demi-finale, quand on marque à la dernière minute… Ce sont des scénarios fous. On se demande pourquoi on est là et ce qui va se passer. On est dans l’irrationnel. Mais ces moments de joie, d’extase, sont rares, et inexplicables. En fait, il faut les vivre. Malgré mon âge, mon vécu, mon expérience, j’aurais dû en profiter encore plus. Je me rends compte que je n’ai pas assez profité de ces moments-là. Je n’ai pas assez pris conscience de leur valeur.

Vous avez été très marquée par la fin de l’aventure avec Bastia : est-ce que la page est tournée ?

En fait, quand vous rentrez dans ce club, vous savez que vous allez l’aimer, mais vous savez aussi qu’à un moment, vous allez vous séparer. OK, comme dans tous les clubs… Bastia, cela a été très-très douloureux. J’ai traîné ça longtemps. On ne reste pas indifférent au Sporting, c’est impossible. En fait, il fait partie intégrante de ma vie et de mes souvenirs. Quand on est passé par Bastia, on est marqué à vie. Aujourd’hui, c’est terminé, mais il y a une trace indélébile dans mon coeur, dans mon esprit. J’étais prévenu, mais je ne pensais pas à ce point… Attention, encore une fois, je n’oublie pas Quevilly, c’était particulier, c’était un club amateur, j’y suis resté 4 ans, j’ai gardé de bonnes relations… J’ai adoré le Red Star aussi, j’y avais été joueur, on est monté en Ligue 2. J’ai adoré ces clubs populaires, ce côté passionnel, souvent très excessif, cela m’amenait à me dépasser.

Le club où la saison où vous avez pris le moins de plaisir sur le banc ?
À Niort…. À Clermont, c’est pas que cela a été difficile, mais… Les analyses et les critiques étaient, je pense, exagérées, parce que les objectifs que l’on m’avait fixés en Auvergne, c’était de commencer à faire des ventes au sein du club, et quand on regarde bien, pendant mes années à Clermont, il y a eu beaucoup de ventes, parce que beaucoup de joueurs sont sortis. Et à Niort aussi, mais on n’en a jamais parlé. On m’a beaucoup jugé, et à juste titre, sur ce que l’on avait produit sur le terrain et qui n’était pas très reluisant, pas très beau. Il ne s’est rien dégagé de particulier. C’était platonique. Et puis il n’y a rien qui vous pousse à vous sublimer à Niort, il n’y a pas ce côté passionnel, même si le club a une histoire, car il a connu la Division 1. Il y a plus de spectateurs que de supporters. Il manquait quelque chose, et c’est peut-être une des raisons pour lesquelles les Chamois Niortais en sont là aujourd’hui. Malheureusement, et je dis bien malheureusement, cela ne me réjouis pas du tout de les voir dans cette position.

« Mon rêve, c’est de monter de Ligue 2 en Ligue 1 avec un club »

On a déjà parlé plusieurs fois de Quevilly depuis le début de l’entretien : vous n’en avez pas marre d’être constamment associé à ce parcours en coupe avec le club normand ? Ça vous gêne, ça vous blesse, ça vous flatte ?

Ça me blesse. Quand j’ai commencé à Rodez (en 2003), un club très particulier pour moi également, parce que c’est là que j’ai débuté ma carrière d’entraîneur, en CFA2 (National 3), le club était au bord du dépôt de bilan, on est monté en CFA (National 2) et la saison suivante, on a failli monter en National. Ensuite, je suis parti à Nîmes en National, pendant deux saisons et demi (2005-2007) : à l’époque, aucun entraîneur n’avait cette longévité là-bas. On avait joué le haut de tableau mais loupé de peu l’accession en Ligue 2 (6e et 5e). Les saisons étaient loin d’être catastrophiques.

Après il y a eu mon départ à Quevilly (2008) et, ce que l’on oublie aussi, c’est que, en dehors de la finale de la coupe de France (2012), il y a eu aussi une demi-finale (2010), une montée en National (2011) et un maintien en National (2012). À Clermont (2012-14) et à Niort (2014-16), j’ai découvert le niveau professionnel (L2), et là on peut me raconter ce que l’on veut, il y a des joueurs qui ont été vendus, donc il y a eu du travail de fait, mais ça, jamais on ne l’a dit. Je suis allé au Red Star (2017-19), on est monté de National en Ligue 2. Donc à l’arrivée, j’ai connu toutes les montées, dans toutes les divisions, avec des clubs différents. Le seul truc qui me manque, c’est de monter de Ligue 2 en Ligue 1 avec un club. C’est mon rêve. Seulement voilà, on s’arrête toujours à la finale de la coupe de France. Mais mon travail a été fait, et dans des clubs différents, dans des contextes et des environnements différents. Je trouve ça facile, réducteur. Bien sûr, la coupe, c’est parlant. Mais j’ai le droit aussi de parler de tout ce qui s’est fait avant et après Quevilly, même si je n’ai pas fait que j’ai des choses bien non plus, je pense à la façon de jouer à Niort, où ça n’a pas plu, où ça n’a pas fonctionné; je pense à Clermont également, où ce n’était pas toujours fameux non plus. Mais à Clermont, entre ce que l’on pouvait produire sur le terrain et les objectifs que me fixait la direction… Claude Michy, le président, un homme merveilleux, avec qui je me suis bien entendu, me disait : « Régis, il faut que le club reste professionnel et que l’on vende des joueurs chaque saison ». Mana Dembélé, Yannis Salibur, Romain Saïss, et d’autres, il y a eu des ventes, comme avec Yoann Barbet aussi à Niort. Effectivement les performances n’étaient pas bonnes à Clermont non plus. Mais on m’avait demandé de faire un certain travail, certes critiquable parfois, mais je considère que l’ai accompli. Alors ne s’arrêter qu’à la coupe de France, c’est moyen.

Ça vous agace que l’on vous parle encore de la coupe aujourd’hui…
Non… Cela fait pratiquement 13 ans et en plus, je suis là, à Rouen, à côté de Quevilly, et les gens m’en parlent forcément, c’est normal. Comme tous ces clubs qui ont fait des exploits en coupe, Les Herbiers, Calais… C’est bien de continuer à en parler, ce n’est pas du hasard, les gens ont énormément travaillé dans ces clubs là, c’est sympa, je le fais toujours avec beaucoup de plaisir.

« Je ne remercierai jamais assez le club de Rodez »

Quand avez-vous su que vous vouliez devenir entraîneur ?

Avec le journaliste Philippe Doucet.

Quand j’étais joueur. J’ai souvent été capitaine. J’avais cette curiosité de vouloir savoir « pourquoi », « comment »… J’ai connu une vingtaine de coachs, je leur posais des questions, parfois j’avais des réponses, parfois non, mais il y avait toujours un intérêt de ma part. J’avais toujours une part de réflexion, d’interrogation, « pourquoi on fait ceci, pourquoi on fait cela ? », j’aspirais à ça, mais quand vous êtes joueur, vous savez qu’il y a un monde avant d’aspirer à devenir entraîneur et quelque part, j’ai eu la chance de connaître une personne, Thierry Nesson, qui m’a donné l’opportunité de lancer ma carrière à Rodez, un club que je connaissais, quand je terminais ma carrière de joueur à Cannes. Cela a été une opportunité incroyable pour moi. Tout est parti de là. Je ne remercierai jamais assez le club de Rodez et tous ces gens-là à l’époque. J’ai toujours la curiosité et l’intérêt de ce métier mais vous ne vous imaginez pas toutes les difficultés qu’il comporte… (rires). On les découvre au fil du temps !

Vous étiez un bon joueur de Division 2 : que vous a-t-il manqué pour vous installer en Division 1 ?

Sûrement un peu de talent et de niveau. Je pense aussi que je n’ai pas toujours fait les bons choix. Quand je retrace ma carrière, j’ai fait un mauvais choix en quittant Montpellier (D1). Il me restait une année de contrat et ils allaient lancer une jeune génération. Gérard Gili, le coach, m’avait dit de ne pas partir, qu’il allait me donner l’opportunité à un moment donné de jouer, et malheureusement, je ne l’ai pas écouté. En fait, je n’écoutais que mes conseils. Il y a eu un manque de lucidité de ma part. Est-ce que j’étais trop impatient ? J’aimais fondamentalement le foot, et je voulais jouer. J’étais frustré de ne pas trop jouer lors de ma première année, mais en même temps, il faut reconnaître que j’avais des manques. Maintenant, parfois, on fait des mauvais choix. C’en est un. Montpellier a toujours été très correct avec moi. Mais j’étais têtu, orgueilleux, j’avais ces défauts de la jeunesse, et aujourd’hui, je m’en sers, je le conseille, après voilà, c’est comme ça, je ne regrette rien.

« Le premier responsable de ma carrière, c’est moi »

Y avait-il de l’impatience ?
Oui, et j’étais râleur. Je me souviens très bien que Gili me disait d’être patient, que ça allait venir, mais je n’ai rien écouté. Alicarte, Rouvière, Carotti ont joué. Je ne dis pas que j’aurais joué, mais peut-être que j’aurais au moins eu l’opportunité de jouer. Et puis, parfois, dans une carrière, il y a des moments qu’il ne faut pas louper, des occasions qu’il faut saisir : Montpellier m’a offert l’occasion de jouer un quart-de-finale retour de Coupe d’Europe des coupes, à La Mosson contre Manchester United, titulaire au milieu à la place de Vincent Guérin suspendu… Mais cette occasion, je ne l’ai pas saisie. J’avais joué dix minutes ou un quart-d’heure au match aller à Old Trafford, et là, au match retour, je dois avouer que j’ai fait une prestation quelconque. Encore une fois, je ne me cherche pas d’excuse, le premier responsable, c’est moi. Je n’ai pas fait le nécessaire ni ce qu’il aurait fallu faire.

Vous servez-vous de cette expérience aujourd’hui avec vos joueurs ?

Alors, avec les joueurs, parfois ils entendent mais ils n’écoutent pas, ou bien ils écoutent mais ils n’entendent pas (rires). Ce n’est pas la même chose… Il y a une nuance. Bien sûr que je me sers de ça, que je les préviens, que je leur explique, que je leur raconte des anecdotes même si je n’aime pas trop parler de moi, mais il y a des moments clés dans une carrière de joueur. Je donne des mauvais ou des bons exemples de joueurs moyens au départ qui ont fait une carrière excellente, et vice versa, des joueurs au talent incroyable qui n’ont pas eu la carrière qu’ils auraient pu avoir. Les joueurs ont besoin d’exemples, je pense que c’est parlant pour eux, même si parfois, ils ne connaissent pas les joueurs dont on parle. Ils écoutent l’histoire. Quand vous parlez à un joueur, il ne prendra pas 100 % de ce que vous lui avez dit, mais même s’il ne prend que 10 %, cela aura toujours sa petite importance, il aura trouvé quelque chose, après, cela fait partie de mon métier, savoir trouver les bons moments pour lui parler.

Un entraîneur marquant ?

Mon premier entraîneur, qui m’a fait débuter à l’âge de 17 ans en Division 3 à Rodez, c’est Michel Poisson. Je lui serai reconnaissant à vie. Il est venu me chercher à Auxerre. J’étais dans ma construction de personne, j’étais un jeune homme. Il m’a permis de faire ma carrière. Son relationnel avec les joueurs… Il a eu une réel importance pour moi. Après, j’ai appris des uns et des autres, j’ai adoré, Jean-Louis Gasset, il y a eu aussi des entraîneurs plus distants comme Alain Michel, je vous dis, j’en ai connu une vingtaine… Il y a des choses que je ne comprenais pas mais maintenant que je suis entraîneur, je comprends la position qu’ils pouvaient avoir, vis à vis de moi. Avec le recul, et même si parfois j’étais en colère, j’ai juste envie de leur dire merci, même si cela a été plus difficile avec certains.

« Ma tête fonctionne tout le temps »

Après Nîmes, au début de votre carrière d’entraîneur, j’ai lu que vous aviez fait une dépression…
Mmm…

C’est arrivé après Nîmes, c’est bien ça ?

J’en ai fait plusieurs (rires) ! Il faut faire attention avec le mot « dépression ». Je souffre d’hypersensibilité aigüe », ce n’est pas une maladie. La perception des choses peut être très violente pour moi, encore plus en en fonction de la manière dont elles se présentent. Il y a deux licenciements qui m’ont fait beaucoup de mal et je pense que, oui, j’étais dans une dépression, il a fallu que je me fasse aider. Malheureusement, parfois, j’ai refusé, parce qu’on a l’impression que l’on peut s’en sortir seul, qu’on a les outils pour, et comme j’étais persuadé que j’allais m’en sortir seul, j’ai refusé l’aide. Je considérais que si j’étais dans cette position, dans cet état, c’est parce que c’était moi qui m’y étais mis. Les gens ne se rendent pas toujours compte de ce que l’on peut traverser après. Je n’aime pas trop en parler…

Cela a été des moments très compliqués. Il y a eu une grosse remise en questions, à la fois sur soi et sur mon métier. Vous vous en posez, des questions… Sur vous, sur ce que vous savez, sur ce que vous ne savez pas, sur ce que vous savez déjà… Dans ces moments-là, on se demande si on sait déjà tout sur nous-mêmes. Comme je souffre d’hypersensibilité, ma tête fonctionne tout le temps, et ça devient infernal… Quand vous vous faites virer, il peut y avoir des raisons légitimes, ok, mais si c’est pour des raisons qui n’en sont pas, pour des raisons de personnes, pour des raisons politiques, pour des raisons de comportement, je me pose la question : pourquoi ? Franchement, on morfle. J’ai vécu des moments très difficiles. J’ai eu cette discussion récemment avec un ami qui est dans le monde du foot pro, quelqu’un que j’aime beaucoup, or je ne le savais pas, il m’a avoué qu’il était tombé en dépression pendant 6 mois alors que c’est quelqu’un de costaud, avec une grande expérience de joueur et d’entraîneur. On s’est mis à parler de ça. Il m’a dit qu’il s’était fait aider, sinon il n’aurait pas pu s’en sortir.

C’est un sujet délicat, qu’il faut prendre avec beaucoup de sérieux, parce que ça fait des dégâts humains et aussi des dégâts professionnels : combien d’entraîneurs ont complètement disparu parce qu’ils sont tombés en dépression ? Alors que la raison, ce n’était pas parce qu’ils étaient des mauvais entraîneurs, non. On n’y prête pas toujours attention. Après, j’entends les gens qui disent « Oui, mais c’est leur métier, ils l’ont bien voulu », ok, d’accord, mais … voilà.

« Parfois, il aurait peut-être fallu que je réfléchisse un peu plus ! »

En préparant cet entretien, on s’est aperçu que vous avez toujours trouvé des clubs … pas trop de temps mort, pas trop le temps de réfléchir justement…

C’est vrai… Mais parfois il aurait peut-être fallu que je réfléchisse un petit peu plus. J’ai toujours eu la chance d’avoir des opportunités. J’ai toujours travaillé, je n’ai pas eu peur non plus d’aller m’enterrer au Luxembourg, parce que je voulais quitter un peu la France pour des raisons personnelles. J’y suis allé par passion du foot. Je me suis retrouvé parfois dans des matchs devant 25 spectateurs ! Je me disais « mais qu’est-ce que tu fous là ? ». C’était la période du Covid, j’ai passé deux ans tout seul, la visibilité du championnat n’était pas très intéressante, le football là-bas était en train de se développer…

On peut aussi parler de ce club, le RC Luxembourg, où quand je suis arrivé, il fallait se maintenir, et au bout de 2 ans, on s’est qualifié pour les barrages de l’Europa League. J’ai le droit aussi d’en parler, alors que c’était un club quelconque, mais c’est l’amour du foot qui m’a fait aller là-bas. J’ai aussi passé 7 mois en Belgique à Tubize, en D2, il fallait sauver le club, on l’a fait, on m’a proposé de rester, j’ai refusé. C’est souvent l’appel du foot qui a été le plus fort. De toute façon ma fille le dit : « Avec mon père, y’a toujours un match de foot à la télé, même s’il n’y a pas de son, il y a l’image ! » Parce que j’aime profondément le foot.

« Avec moi, les gens s’arrêtent à la première image »

Parlons de votre image : vous en imposez, visage fermé, à fleur de peau : c’est une carapace ? Et cette hypersensibilité, d’où ça vient ? Tout cela est lié, non ?

C’est la vérité. Avec moi, les gens s’arrêtent à la première image. Ce qui m’a toujours intéressé, c’est l’avis des gens qui me connaissent au quotidien, comme ceux avec lesquels je travaille. L’hypersensibilité, c’est arrivé en enfance : petit, j’avais souvent de longues discussions avec ma maman, pendant des heures, elle me demandait souvent « Comment tu sens les choses ? » ou « Pourquoi tu vois les choses comme ça ? », et je lui expliquais… J’avais aussi une perception des endroits, des gens, d’une situation où je pouvais me trouver. Je pouvais analyser ces situations. Ce sont les symptômes de l’hypersensibilité et j’ai grandi avec ça, malheureusement ou heureusement, ça je ne sais pas, je n’ai pas la réponse, mais cela m’a poursuivi. Parfois ça m’a servi, mais ça m’a souvent desservi, parce que, justement, voilà… Visage fermé, tête de con, méprisant… Mais je suis loin de tout ça. Est-ce que c’est inconscient de ma part de me mettre dans cette position pour me protéger ? Sûrement. Je suis parfois blessé de ce que je peux entendre, de ce que l’on peut me dire, mais c’est de ma faute, j’en suis le premier responsable, par rapport à l’image que je renvoie, mais j’ai grandi avec ça, j’ai évolué avec ça, j’ai reculé avec ça, j’ai progressé avec ça, et ça m’a amené à de grandes souffrances.

On parlait de limogeage : cela a été une grande souffrance, parce que l’amour et l’affection que j’avais donnés aux gens qui travaillaient avec moi, je ne sais pas s’ils l’ont senti ou compris, a été plus que développé pour moi, alors imaginez le retour de bâton… C’est comme la dépression, beaucoup de gens souffrent d’hypersensibilité, et l’on ne s’y intéresse pas spécialement. Tout le monde pense qu’on va s’en sortir, ok, effectivement, on s’en sort, mais on passe par des moments de solitude très-très longs, parce qu’on est obligé de s’isoler pour recharger la batterie. Parce qu’après être descendu bas, il faut remonter. Parce qu’on passe par des phases qu’on ne comprend pas. Je pense pouvoir m’améliorer avec l’âge et l’expérience même si, alors que j’ai presque 60 balais, il m’arrive de pleurer devant un film à la télé ou en écoutant une chanson, devant une émotion ou une situation particulière, devant un enfant. Je peux me laisser envahir par l’émotion, ça me fait craquer. Même mon épouse est parfois surprise de me voir touché comme ça, alors que chez d’autres, peut-être que cela peur sembler banal, classique. Tous ces concepts de l’hypersensibilité ne sont pas simples à gérer, mais on vit avec.

Vous prenez les choses plus à coeur qu’une autre personne, c’est ça ?
Souvent ça m’arrive de dire aux joueurs que les mots ont leur importance. « L’importance des mots »… Pour moi, c’est comme une chanson, c’est comme une musique, ils résonnent dans la tête, dans l’esprit.

« La pudeur fait partie de mon éducation »

La dernière fois que vous avez pleuré ?

C’est devant une vidéo d’une jeune fille qui chantait une chanson incroyable d’Edith Piaf, ça m’a transporté. Je suis resté immobile. I-mmo-bile ! J’ai senti une larme venir sur moi. Je me suis demandé ce qui m’arrivait, ce que je faisais, j’étais seul… Ça m’arrive souvent.

Vous êtes pudique ?
Très pudique.

Vous auriez pu pleurer en public plein de fois, vous ne l’avez pas fait…
On me le reproche souvent… C’est comme après les matchs, je rentre tout de suite aux vestiaires, je ne reste pas sur le terrain, parce que si je peux me faire le plus discret possible, m’effacer, je le fais. Je sais bien que certains vont dire « Mais si tu es pudique, alors pourquoi tu fais des émissions de télé ? », ok, mais pour moi, mais ça n’a absolument rien à voir. La pudeur fait partie de mon éducation. En fait, tout se regroupe quelque part avec l’hypersensibilité.

Vous vous regardez à la télé, pour faire votre autocritique ?
(Il hoche de la tête en faisant non). Parfois ça m’est arrivé, bien sûr, quand je suis tombé sur l’émission qui repassait, j’ai regardé cinq minutes, puis j’ai éteint. Mon épouse me dit les choses, voilà, c’est suffisant (rires) !

« D’écouter les autres, ça m’a fait beaucoup de bien »

Vous ne prenez pas de cours pour la télé ?
Non, aucun (rires) ! Mais ça aussi, c’est un exercice pas facile, parce que j’ai toujours pris ça comme un exercice. J’ai appris beaucoup de choses aussi, sur ce milieu de la télé, sur le monde des journalistes, des chroniqueurs, et ça me sert dans ma vie de tous les jours. Sur le plateau, je fais des analyses, je donne un avis, ok, mais il y a aussi l’avis des autres, et au lieu de m’arrêter au mien, parce que j’ai eu ce défaut de n’écouter que moi, eh bien d’écouter les autres, d’avoir aussi leur avis différents, ça m’a fait beaucoup de bien. Je m’en sers comme thérapie, antibiotique, comme médicament. C’est une des raisons aussi pour lesquelles je le fais, et puis ce n’est pas désagréable, on fait de belles rencontres.

Régis Brouard a joué à : Auxerre (centre de formation), Rodez (D3, D2), Montpellier (D1), Bourges (D2), Niort (D2), Red Star (D2), Caen (D2), Nîmes (D2) et Cannes (National).

Régis Brouard a entraîné à : Rodez (CFA2 puis CFA),  Nîmes (National), Quevilly (CFA puis National), Clermont (Ligue 2), Niort (L2), Tubize (D2, Belgique), Red Star (National puis Ligue 2), RC Luxembourg (D1), Sporting club de Bastia (Ligue 2). Au FC Rouen (National) depuis novembre 2024.

  • Texte : Anthony Boyer / X @BOYERANTHONY06 / mail : aboyer@13heuresfoot.fr
  • Photos : Bernard Morvan
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