Jamais l’entraîneur Franco-portugais, passé par Rouen, QRM, Lyon Duchère, Créteil, Saint-Etienne et Clermont, n’était resté aussi longtemps – une demi-saison – sans club ! Dans cet entretien, le Normand de 48 ans, requinqué physiquement et moralement après une période difficile où il fut proche de la dépression, évoque son caractère, ses joies, ses douleurs, son métier. Il en profite aussi pour délivrer quelques messages personnels.
Par Anthony BOYER – mail : aboyer@13heuresfoot.fr / Photos : 13HF et Philippe LE BRECH (sauf mentions)

Le hasard fait bien les choses. C’est à quelques heures d’un derby en National entre le FC Rouen et Quevilly Rouen Métropole, à Diochon, deux clubs voisins et un stade partagé qu’il a fréquentés pendant près de 20 ans, que nous avons rencontré « Manu » Da Costa, dans un café, à Sotteville-lès-Rouen, tout près de la mythique enceinte qui pue toujours autant le football : « C’est rare que je donne des interviews, lance-t-il. Mais avec toi, j’ai accepté tout de suite, parce que je te connais ! »
Levons immédiatement le voile : j’ai été salarié, deux ans durant, de 2016 à 2018, de l’entreprise US Quevilly Rouen Métropole, et donc partagé un bout de chemin avec le Rouennais âgé aujourd’hui de 48 ans. Une période parfois faste (accession de National en Ligue 2 en mai 2017 puis découverte du monde pro pour la nouvelle entité QRM) mais pas toujours simple.
Un malaise sur le banc
Le temps faisant son oeuvre, les textos sont revenus bien des années après. Grâce à 13heuresfoot ! Et puis, un texto de « Manu », début décembre, a fait tilt : « Il ne faut pas être un écorché vif comme je pouvais l’être… » Une phrase qui a suscité ma curiosité et mon envie d’interviewer le Franco-Portugais, ancien pensionnaire du centre de formation de l’AS Cannes dans les années 90, milieu offensif à Viry-Châtillon, Dieppe et au FC Rouen, où une vilaine blessure a prématurément mis un terme à sa carrière de joueur en 2001, à l’âge de 24 ans.
C’est vrai. Manu Da Costa, qui a immédiatement accepté ma requête, est cet écorché vif. « Était » si l’on se fie à son texto. Il était surtout l’entraîneur-entraînant de l’US Quevilly (2013-15) puis au début d’un projet QRM (2015-20) qu’il s’est tellement approprié et qu’il a tellement incarné, qu’il a manqué d’y laisser sa santé. Personne n’a oublié cette scène sur le banc à Diochon, le 13 avril 2019, lorsqu’en début de match – QRM affrontait Concarneau – il fut victime d’un malaise puis transporté à la clinique, avant de passer le nuit en observation.
Entre le Portugal et Rouen

Et puis, comme toutes les histoires d’amour finissent mal – en général – la séparation avec QRM est arrivée, en 2020, logiquement. Inéluctablement. La fin d’un cycle.
Brisé dans son élan de joueur, « Manu » Da Costa, qui partage aujourd’hui sa vie entre le Portugal et Rouen, s’est rapidement tourné vers la carrière d’entraîneur, avec une progression linéaire : entraîneur chez les jeunes au FC Rouen et à Oissel, entraîneur de la réserve au FC Rouen avec une accession en CFA2 en 2010 au terme d’une saison à … zéro défaite (19 victoires et 7 nuls, 90 points !), entraîneur adjoint en National au FC Rouen aux côtés Eric Garcin puis entraîneur principal pendant trois mois au printemps 2012, avant une expérience à Compiègne en CFA (N2).
En 2013, « MDC » signe à l’US Quevilly, en CFA, tout juste relégué de National, où il passe 7 saisons, dont 5 sous la bannière Quevilly Rouen Métropole. Après Lyon-Duchère, en National (2020), il entraîne l’US Créteil pendant un an et demi, toujours en National. Une expérience d’un an et demi à Saint-Etienne (Ligue 2, 2022 à décembre 2023), dans le rôle d’adjoint de Laurent Batlles, qu’il a côtoyé à la formation du BEPF en 2017-2018, et qu’il retrouvera un an plus tard pour une « pige » de quatre mois à Clermont Foot (Ligue 2), garnissent un CV où l’on trouve également une expérience en D1 au Luxembourg, à Hespérange.
Après toutes ses années sur un banc, Emmanuel Da Costa n’était jamais resté aussi longtemps – sept mois – sans travailler. Ce temps, parfois long, mais pas inutile, il l’a utilisé. Pour se recentrer sur lui-même et sur l’essentiel. Pour se ressourcer. Pour continuer à se former. Pour régler des choses sur le plan familial. Pour assouvir aussi sa soif de connaissance, comme il l’explique dans cet entretien de 45 minutes, où l’homme, qui a accepté de parler de sa réputation, de son image et de son caractère, est apparu affûté, apaisé, requinqué, ultra-combatif, mais pas marqué, même s’il a tenu, sans nous prévenir, à envoyer quelques messages personnels. Sacré Manu !
Entretien : « Je sais d’où je viens »

Manu, aujourd’hui, c’est jour de derby à Diochon où le FC Rouen accueille QRM : tu vas au match ?
Oui j’y vais !
Tu seras pour qui ?
J’y vais avec un oeil neutre. J’ai eu de grandes histoires dans les deux clubs. J’ai même perdu mon corps dans l’un des deux… J’ai perdu de l’argent au FC Rouen, où je me souviens qu’en National, pour un déplacement à Niort, j’avais mis de l’essence dans les Opel Vivaro parce que le club n’avait plus d’argent. Une fois, on avait fait une collation sur une aire de repos pour aller au Beauvais, que j’avais payée aussi. Mais le FC Rouen a une attache particulière pour moi parce que j’y ai commencé ma formation d’entraîneur. J’étais un vrai cul rouge, entre guillemets, puis Quevilly m’a tendu la main et permis de sauter la barrière comme coach. Aujourd’hui, je n’ai plus ou très peu de rapport avec les deux clubs. Je serai au match avec Richard Déziré et certainement mon oncle.
« Diochon, c’est ma vie de footballeur ! »
Ce sera ton retour à Diochon ou bien est-ce que tu y étais déjà retourné ?
Non, j’y suis déjà allé cette saison. Mais j’y vais rarement. Quand je suis allé voir QRM-Caen en début de saison (1-1), c’était la première fois que j’y retournais. Je n’y avais plus mis les pieds depuis que j’étais parti en 2020. Et je suis aussi allé voir FC Rouen contre Concarneau le mois dernier (0-0). À chaque fois, je me mets dans mon coin, je me fais discret, même si ça me fait quelque chose, parce que Diochon, c’est ma vie de footballeur, d’entraîneur, et j’y ai perdu ma jambe aussi, avec cette double fracture tibia-péroné, côté tribune Bruyères, dans la surface de réparation. J’ai fait une montée en Ligue 2 dans ce stade avec QRM, j’ai fait des campagnes de coupe de France, j’ai entraîné les jeunes du FCR, les 15 ans, les 18 ans et avec la réserve du FC Rouen, on est monté en N3 en étant invaincu toute la saison, on a fini en haut de tableau en CFA2 (N3)… Il y a eu beaucoup de belles histoires sportives et aussi de belles histoires humaines. Bien sûr, il y a des gens que je connais encore, notamment Romain Djoubri, que le FC Rouen a pris comme coordinateur sportif, Pascal Braud aussi, un mec extra avec qui j’ai bossé à La Duchère, qui est l’adjoint de Régis (Brouard, actuel entraîneur du FC Rouen), que je connais moins, et à QRM aussi, de temps en temps on s’envoie quelques petits SMS par ci-par là.
« Il ne faut pas cracher dans la soupe »
Mais il y a bien un des deux clubs qui tient une place à part, non ?
C’est dur, parce que il ne faut pas cracher dans la soupe. J’ai une certaine éducation qui fait que je suis trop respectueux… (il coupe). Mon parcours atypique fait qu’à un moment donné, je n’ai pas pensé à moi, mais au club. C’est une question difficile parce que le FC Rouen, c’est le début de ma vie. Mon papa Joachim grimpait sur les arbres pour voir les matchs à l’époque. J’ai connu les Giguel, Orts, Haise, toute cette équipe des années 80/90, avec le coach Daniel Zorzetto, il y avait aussi Richard (Déziré) bien évidemment. Ils m’ont pris sous leur aile. Et Quevilly m’a fait confiance. Ce n’était pas simple pour eux de faire confiance à un mec comme moi qui sortait de nulle part. Ils m’ont tendu la main, je leur ai rendu. C’est pour ça, il ne faut pas cracher dans la soupe. Le FCR et QRM sont deux identités qui me sont chères, tout simplement.
On sent une certaine rancoeur, tout de même, vis à vis de QRM…
Non. Pas de la rancoeur. Je l’ai dit, je ne veux pas cracher dans la soupe. Mais quand je lis ton article sur Michel Mallet (le président de QRM, Ndlr) cet été et qu’il ne dit pas un mot sur cette génération qui a fait National 2 – National – Ligue 2 … On n’est pas loin d’avoir le record d’invincibilité en National avec QRM (18 matchs), on a eu je ne sais combien de joueurs dans l’équipe type de National en fin de saison, on a un entraîneur nommé par ses pairs, on arrive à monter en Ligue 2 avec des bouts de ficelles et des bouts de bois, avec des joueurs à temps partiels, on fait deux fois un 8e de finale de coupe de France (à Boulogne en 2015 et contre Guingamp en 2017), ce qui n’est plus arrivé depuis… Alors ok, qu’il ne se reconnaisse pas en moi parce que je ne suis pas un communicant, parce que je n’aime pas la médiatisation, parce que je suis tout le contraire d’autres personnes, c’est une chose, malgré tout, on ne doit pas dénigrer cette génération qui a amené son club vers le monde professionnel, et beaucoup plus vite qu’il ne l’aurait pensé.

C’est vrai qu’à bien y réfléchir, on peut dire après coup que c’était un bel exploit…
Tu as vu aujourd’hui les gros projets en National 2 ? Il ne faut pas un an pour en sortir de ce championnat ! En N2, à la mi-maison, l’année du début du projet QRM (en 2015-2016), après une défaite à Mantes, la deuxième de la saison (et la dernière de la saison, Ndlr), Michel Mallet me dit « Manu il faut préparer la saison prochaine ». Dans ma tête, je me dis « Mais qu’est-ce qu’il me raconte ? On va y aller, on va finir champion ! », et on est champion, avec je ne sais combien de points d’avance. L’année d’après, en National, personne ne mise sur nous, et on monte en L2, alors quand je l’entends quelques années après parler de braquage de National… Si cette saison-là (2016-2017) ce n’est pas un braquage, c’est quoi alors ? Et en Ligue 2, on joue pendant trois mois à l’extérieur tous nos matchs (le stade Diochon était en travaux pour mise en conformité, Ndlr), sur une année où je passais le BEPF à Clairefontaine, et on loupe le barrage du maintien pour une victoire. C’est pour ça que je ne veux pas que l’on minimise tout ce que l’on a fait pendant ces trois ans exceptionnels, avec un staff amoindri mais exceptionnel. Regarde la carrière que mon staff de l’époque est en train de faire, Julien Savigny est à Caen, Benjamin Leborgne est à Rennes, Alex Pasquini est à Rennes aussi. Il ne faut pas dénigrer tout ce qu’il y a eu, toute cette épopée, que l’on aime ou pas les gens.
« Les gens oublient facilement »

Si Michel Mallet n’a pas parlé de toi dans cet entretien, c’est aussi parce que l’on n’a pas évoqué le passé, mais plutôt le présent et l’avenir…
Oui, mais respectons cette génération-là. Aujourd’hui, le manque de considération et de gratitude vis-à-bis des gens qui étaient là au début, qui ont trimé… Parce que souviens-toi, au début, la « guerre » qu’il y avait avec le FC Rouen, il a fallu tenir bon, il a fallu vivre avec tout ça, combattre tout ça. À Croix, en N2, dans un match capital, le bus n’arrive pas. Finalement on y va avec les Opel Vivaro, à la va-vite. Et la fameuse causerie de Pascal Dupraz (Angers-Toulouse), je l’ai faite avant lui, à Croix. Quand tu penses au manque de considération et de gratitude par rapport à tout ce qui a été fait, ça ne me blesse pas, mais ça m’embête. Les gens oublient facilement. Cette génération ne mérite pas ça. Il n’y a jamais eu un article, une ligne, un seul mot. Nulle part. Quand il y a des derbys FCR-QRM, pas un mot sur ça.
Je sais bien que j’étais puant avec les journalistes, notamment ceux du quotidien Paris Normandie, c’est la réalité, et je sais bien qu’ils n’ont pas envie de m’interroger par rapport à ce qui s’est passé (Manu Da Costa s’en était pris à un journaliste local), qu’ils ne peuvent pas me « blairer », et je le regrette, parce que j’ai pris les balles. J’ai protégé des gens qui aujourd’hui n’ont même pas une petite pensée ou un mot pour tout ce qui a été fait. On a été dans la régularité avec QRM. Michel Mallet voulait avoir une équipe qui joue au foot. C’était un critère. Et quand je vois l’équipe de QRM depuis quelque temps… Ce ne sont plus les mêmes critères. Et la masse salariale, on en parle ? Et la structuration du club, on en parle ? C’est important que les gens, mon ancien staff et mes anciens joueurs, aient un peu de reconnaissance, pour ce qu’ils ont fait, même en Ligue 2, même si on est descendu pour 3 points.
Tu en veux à Michel Mallet ?
Pas du tout. Je l’aime beaucoup. Malgré son fonctionnement, il te laisse travailler, et bien sûr, tu dois lui rendre des comptes. C’est normal. C’est sans doute le président avec lequel j’ai aimé le plus travailler. Mais voilà, que l’on n’ait pas eu cette reconnaissance… Peut-être qu’il aime les gens plus médiatique, je ne sais pas. Je détestais ça, je fermais tout. Je n’étais pas à l’aise là-dedans. Et si je cadenasse autant mon vestiaire, c’est parce que je sais que si je laisse ça aux joueurs, ils prennent ça (il mime en même temps). À QRM, j’ai reçu des joueurs le dimanche soir à 23h chez moi pour les remettre en selle. Je l’ai fait. Pour les mecs. Pour le club. Quand il n’y a pas de reconnaissance, ça fait mal.
« J’aurais pu tomber en dépression »

Pour la première fois depuis 2013, le FCR Rouen a repris sportivement le leadership : selon toi, est-ce que tu penses que cela signifiera la fin du projet QRM si Rouen monte en Ligue 2 ?
Je pense qu’à partir du moment où ils ont loupé la fusion, et cela plusieurs fois (en 2017 et en 2024), mais je pense surtout à la première fois, parce que j’étais en plein dedans, c’est devenu complexe et difficile. Aujourd’hui, à partir du moment où le FC Rouen reprend sa place, il sera difficile pour QRM d’exister à côté. Mais je ne suis pas dans les discussions politiques. Néanmoins, je ne vois pas comment QRM peut continuer à vivre à côté du FC Rouen si ce dernier va au bout cette saison.
Parlons de ta carrière de coach : où en es-tu ? t’es-tu remis sur le marché ?
Je n’étais pas en recherche très active jusqu’à aujourd’hui, parce que j’avais des choses à régler aussi de mon côté, dans ma vie privée, et le fait de ne pas être en club m ‘a permis de gérer cela, et aussi de faire des choses que l’on n’a pas forcément le temps de faire quand on est coach, comme se former à l’anglais. Je consacre plusieurs heures par jour à faire ça.
So let’s follow the conversation in English…
(Rires !) Je ne le fais pas pour rien. C’est parce que j’ai des objectifs en vue, je ne fais pas ça au hasard, même si ça me plaît de parler plusieurs langues. Et puis je suis aussi en plein dans la périodisation tactique : c’est une méthodologie différente de tout ce que l’on t’apprend dans ton cursus français. Je ne dis pas qu’elle est meilleure mais je suis toujours dans l’analyse et le perfectionnement de ce que je mets en place, de mes entraînements. J’aime avoir les tenants et les aboutissants.
Cette formation m’interpellait depuis plusieurs années et là, j’ai pu sauter le pas et la commencer, en présentielle, avec des semaines à Porto. C’est un cursus portugais avec l’université, ils sont précurseurs de cette méthodologie-là, que José Mourinho puis plein d’autres coachs portugais ont suivi. Je vais prendre ce qu’il y a à prendre, tout en gardant mon identité. Et puis, j’ai profité de cette période sans club pour prendre un peu soin de moi. Cela faisait plusieurs années que, physiquement, je sentais que cela devenait compliqué. J’ai fait un malaise à QRM, j’étais dans une machine à laver, ce n’est pas anodin.
Mais cette période actuelle, elle n’est pas voulue, parce que j’aurais préféré être en club, mais le fait de ne pas exercer, cela m’a laissé du temps pour tout ça, pour aller voir des gens aussi, discuter, parce que j’en avais besoin pour me recentrer sur moi-même, pour reprendre de l’énergie. Et puis, quand on n’est pas bien, on n’a pas envie de faire du sport, on a juste envie de rester sur son canapé. C’est pour cela que je me suis forcé à rester dynamique, parce que j’aurais pu vite tomber en dépression.
« J’ai repris de l’énergie »
Cette dépression n’est pas arrivée, mais tu l’as frôlée…
(Il marque un silence) C’est pour ça que j’avais besoin de voir des gens. Entre ce que je vivais dans ma vie privée et ce que je vivais dans ma vie professionnelle, j’avais besoin d’évacuer tout ça, j’aurais dû le faire avant, mais aujourd’hui, je suis bien, j’avance. Je marche, j’essaie de courir de temps en temps même si j’ai beaucoup de mal parce que je suis « cassé » physiquement, à cause de mes plaques, ça me tire, ça me fait mal, surtout quand il y a des changements de météo, même si j’essaie de me faire violence. J’arrive à un âge où il faut faire attention. Je suis vigilant.
Du coup, tu es à nouveau sur le marché ?
Aujourd’hui, oui, ça y est, je suis prêt. Il y a le mercato ou la saison prochaine, on verra. J’ai repris de l’énergie.

Number 1 ou number 2 ?
Le number 2, j’ai envie de répondre que cela ne serait possible qu’avec Laurent (Batlles). Parce qu’au delà de l’amitié que l’on a l’un pour l’autre, c’est une personne géniale. Il peut m’appeler à 3 heures du matin s’il a besoin de moi, j’y vais. On se connaissait bien avant de travailler ensemble et le temps que l’on a travaillé ensemble m’a permis de voir qu’il avait de vraies valeurs. C’est quelqu’un d’exceptionnel, qui dénote un peu dans le milieu, entre sa philosophie du foot qui m’allait bien et ses valeurs humaines, je me suis éclaté, donc évidemment, s’il refait appel à moi, dans l’éventualité où il retrouve un projet, j’irai. Cela fait un petit moment que l’on ne s’est pas parlé, j’espère juste qu’il n’y a pas des gens qui essaient de casser cette amitié-là… Pour moi, il est et il restera un vrai ami.
La piste étrangère t’intéresse ? Et le N2 ?
Pour l’étranger, oui. Pour le N2, il ne faut jamais dire jamais, regarde Mathieu Chabert, qui est à Cannes : c’est sûr qu’un club comme ça, ça fait réfléchir. Le métier est compliqué, il y a beaucoup de coachs sur le marché. J’ai envie de te dire : j’essaierai surtout de trouver un environnement dans lequel m’épanouir. Quand une personne est épanouie, elle fait du bon travail en général.
« Adjoint, ce n’est pas juste mettre des coupelles »

Cela n’a pas été le cas dans les derniers clubs où tu es passé ?
J’ai le don de choisir des projets compliqués (rires) ! Mais je suis plus fort aujourd’hui, et mieux armé que je ne l’étais à l’époque. Le Luxembourg, c’est dommage. Avec Hesperange, on partait de très loin, on avait fait de belles choses, on aurait pu, si on avait continuer ensemble, concurrencer Differdange qui sur-dominait le championnat, on est la meilleure attaque, on a des bons contenus, comme j’ai toujours aimé, des choses se mettaient en place, mais le club n’était pas dans la sérénité. On a tous été amené à partir. À Clermont, sincèrement, je n’ai rien fait, bien sûr, j’exagère, mais je suis arrivé tard : quand Laurent (Batlles) est nommé, il m’appelle mais il fallait que je me libère du Luxembourg, cela a duré jusqu’en février.
En attendant, Laurent a fonctionné avec un staff en place, et quand j’arrive en février, et c’est d’ailleurs sa qualité, il a gardé le même fonctionnement. Moi, je me suis juste greffé au staff, dans un rôle d’observateur, de médiateur, j’essayais de mettre en place une nouvelle dynamique, de mettre de la bonne humeur, de chambrer, pour revoir des sourires, tu me connais… C’est Yann Cavezza, qui est parti avec Habib Beye à Rennes, qui mettait en place les séances, et Laurent ne voulait pas court-circuiter tout ça, c’est normal. J’avais tout de même un regard, un avis, j’étais entendu.

Ce rôle de numéro 2, ça te convenait ?
Numéro 2 à Clermont comme je l’ai vécu, non, mais numéro 2 comme à « Sainté », oui. À Saint-Etienne, Laurent me faisait confiance. Il me laissait exister, notamment dans les séances que je proposais, on était en phase là-dessus, tout en restant à ma place. Je pouvais ne pas être d’accord avec lui, c’est normal, mais nous avions des discussions en tête à tête. J’étais vraiment dans mon rôle d’adjoint. J’avais connu ça au début de ma carrière avec Eric Garcin au FC Rouen, en National. Mon rôle était d’un un facilitateur au quotidien. Quand il y a eu des moments de turbulences à « Sainté », et comme j’ai du caractère, un peu beaucoup même, certains voulaient que j’intervienne un peu plus. Mais je m’interdisais cela. Je ne voulais pas mettre d’interférence entre Laurent et ce qu’il véhiculait, et moi.
Lors d’un de nos premiers matchs amicaux, contre Thonon Evian GG, sur un de nos terrains d’entraînements, il y a un duel, et je crie « gagne, gagne » et là, Laurent me recadre, « Manu »… Voilà, il fallait que je m’adapte aussi à lui et à la situation. C’est normal. Le rôle d’adjoint, ce n’est pas juste mettre les coupelles. C’est faire réfléchir ton numéro 1. Avoir des débats avec lui s’il le faut, avec intelligence et discrétion. En fait, tu as tous les avantages du numéro 1, sans les inconvénients. Je ne discutais ni avec les médias, de toute façon j’étais réticent à l’idée d’aller devant la presse, ni avec les dirigeants. Moins on parle d’un adjoint, mieux c’est. Je n’avais pas besoin de ça. La seule chose qui pouvait me manquer, ce sont les causeries, et tu sais que j’aime ça ! Mais je prenais du plaisir à travailler.
« Entraîner Saint-Etienne, c’est exceptionnel ! »
Entraîner Saint-Etienne, c’est comment ?
C’est exceptionnel. Mais ça te pompe une énergie incroyable. Quand tu vas faire tes courses, les gens te disent : « Il faut gagner ce week-end, hein ! » ou alors « vous êtes nuls ! ». Ils parlent comme ça, ils sont cashs, sans filtre. Je vivais à Saint-Galmier, dans un village très calme, mais tout le monde me reconnaissait quand même, beaucoup plus qu’à Rouen, t’imagines ! À « Sainté », on n’avait pas le droit à l’erreur. Cela pouvait être magique quand tout allait bien, comme la 2e partie de notre première saison, quand on marchait sur l’eau, et la deuxième année, c’était les montagnes russes. Quand on perd 4 ou 5 matchs d’affilée, c’est l’enfer, mais il faut accepter ça, parce que c’est un gros club, populaire. Je comprends aujourd’hui les entraîneurs qui passent dans ce type de club et qui disent qu’ils ne peuvent pas y rester 10 ans, cela pompe tellement d’énergie !
Tu estimes que tu es dans le dur en ce moment dans ta carrière ?
Si tu me parles en termes de proposition de poste, oui, mais si tu me parles de la façon dont je vois les choses, la façon dont je peux entraîner, la façon de manager, non.

Pourquoi ça n’a pas marché à Créteil ?
Il n y avait plus l’identité portugaise. Il y a avait deux présidents, deux directeurs sportifs. Le président Lopez était en train de vendre. Il y avait un environnement qui n’était pas simple, et malgré tout, je fais la saison complète. Un jour, on fait un match le vendredi, je reviens le lundi, j’avais donné le week-end après un succès contre Boulogne, et il y avait quatre nouveaux joueurs dans le vestiaire, je n’étais pas au courant. Qui peut accepter ça ? Mais je suis resté… Est-ce que j’aurais dû partir ? Tout le monde dit oui, mon agent, mes amis, en tous les cas, je peux me regarder dans un miroir. Si je n’avais pensé qu’à moi et ma carrière, à mon CV, à ma cote, à mon image, je serais parti. J’avais démissionné, mais cela a été refusé, comme à La Duchère d’ailleurs à l’époque. Mais quand tu as des Alexis Araujo ou des Riffi Mandanda qui te demandent de rester, eh bien tu affrontes les difficultés.
Et puis cette saison-là, il y avait six descentes… Kevin Farade n’a jamais mis autant de buts qu’avec moi à Créteil, et cela lui a permis d’aller à Annecy en Ligue 2, pourtant au début, cela a été difficile, il y a donc eu des bonnes choses. Cela n’a pas fonctionné parce qu’il y avait trop d’éléments extérieurs qui ne permettaient pas de tendre vers l’excellence. Il y a eu d’autres entraîneurs, dont Stéphane Le Mignan qui est en Ligue 1 avec Metz aujourd’hui, Karim (Mokeddem), donc si c’était juste un problème de staff, cela se saurait, il y a eu Thierry Froger aussi, Richard (Déziré), Philippe Hinscherberger aussi, qui a mieux réussi, mais il n’y avait que la famille Lopez. D’ailleurs, cette famille est extraordinaire. Je suis resté aussi pour elle, parce que j’ai un profond respect pour les Lopez.
« Je me suis fait tout seul »

Est-ce que le Manu Da Costa d’aujourd’hui est le même qu’il y a 10 ans ?
Je vais te raconter une anecdote. Lundi et mardi, j’étais avec Karim Mokeddem, avec l’UNECATEF (le syndicat des entraîneurs professionnels de football), qui organisait la MasterClass. Il y avait aussi Oswald Tanchot, Michaël Ciani, Philippe Hinschberger, Richard (Déziré) et d’autres… On devait se mettre en situation, un entraîneur avec un président, et Karim jouait le rôle du président. Il me pose les questions, et Karim me dit « Je te connais comme coach, t’es sanguin, t’es ceci, t’es cela, et là t’es tout le contraire, t’es serein, apaisant, une force tranquille. » J’ai souri. Parce que, évidemment, les gens me perçoivent comme quelqu’un d’impulsif, et ça me touche. Michaël Ciani, qui ne me connaît pas comme coach, dit à propos de moi « Il est calme, posé ». Voilà. Donc j’évolue. Cette image m’a fait beaucoup de mal. Elle n’est pas bonne, par rapport à tout cela, je le sais, mais je ne me suis jamais fait aider, jamais fait accompagner. J’aurais peut-être dû prendre quelqu’un, un conseiller, je ne sais pas, mais je me suis fait tout seul.
Et il y a un élément important que tu oublies, c’est que nul n’est prophète en son pays. Ce que je veux dire par là, c’est que j’étais ici, à Rouen, avec mes qualités et mes défauts, avec mon éducation, le respect de mes employeurs. Je suis toujours allé au front pour eux. J’ai toujours pris les balles pour eux, ce ne sont pas mes employeurs qui les prenaient. Je défendais ma maison, mon morceau de pain. Parfois, je défendais l’indéfendable. C’était cause perdue. Tu ne peux pas argumenter sur tout ce que les gens peuvent penser, dire ou écrire, et parfois c’étaient des choses fausses, qui me faisaient sortir de mes gongs, mais au lieu d’apporter une explication, une réponse, de manière calme et posée, je partais au quart de tour. Et ça, ça m’a fait beaucoup de mal. Je l’ai mal géré. C’est sans doute le seul regret que j’ai. Mais je suis entier, c’est comme ça, c’est mon éducation, c’est mon caractère, je ne sais pas faire semblant. Je n’étais pas un bon communicant, et c’est ce qui me porte préjudice aujourd’hui, parce que si j’avais été meilleur dans ce domaine, peut-être que mon image serait meilleure aussi.
Parfois, sur le banc, tu étais chaud…
Un jour, quand j’étais à QRM, alors que je mangeais une crêpe avec mon gamin, qui devait avoir 5 ou 6 ans, à Rouen, quartier Saint-Sever, des supporters du FC Rouen m’ont traité de tous les noms, de traitre, de… Et tout ça devant mon gamin. Donc là je suis zen, puis à un moment donné, je me lève, et c’est le patron de l’établissement qui m’a dit de laisser tomber, sinon… J’étais prêt à me battre. Devant mon fils. Tu imagines. Ce jour-là, je suis rentré chez moi en me disant que c’était fini à QRM… Joueur, j’étais comme ça déjà. Quand on m’asticotait, je trouvais l’énergie pour être dans le duel, j’avais un jeu de provocation, et plus on m’instaurait un contexte de duel, plus l’adrénaline montait chez moi. Quand j’étais jeune, j’avais cette grinta que je peux avoir en tant que coach. J’ai la haine de perdre. Je l’avais déjà quand j’étais joueur.
« Plus tu te caches, plus on t’oublie »
Beaucoup de coachs sont sur les réseaux sociaux : ce n’est pas ton cas…
C’est ma façon de me protéger. C’est capital, primordial. Dans ma famille, on m’a toujours répété le dicton suivant : « Pour vivre heureux, vivons caché ». Sauf que dans le métier que je fais, plus tu te caches, plus on t’oublie. C’est pour ça que je me demande si je ne vais pas m’y mettre plus. J’ai un compte LinkedIn, je ne publie pas, mais il va falloir que je le fasse.

Au milieu et à la fin des années 2010, tu étais un coach à la mode, en vogue, qui avait la cote : n’as-tu pas cru, à ce moment, que ça y est, tu « étais arrivé », n’as-tu pas eu la tête qui a tourné ?
Pas du tout. A la fin de la saison de Ligue 2 avec QRM, je suis encore sous contrat, et Pierre Dreossi, le directeur sportif du Paris FC, appelle mon agent. Je dois aller au Paris FC. Mais je n’ai pas fait ce que d’autres ont fait par exemple avec QRM, c’est-à-dire aller au bras de fer avec mes dirigeants pour pouvoir partir, parce que c’est mon éducation, et j’ai du respect. Dieu sait que je me suis disputé avec mon agent par rapport à ça, parce qu’il voulait que je force mon départ, mais je n’ai jamais appelé Michel Mallet, mon président, pour dire « Je veux absolument aller au Paris FC ». Si je devais partir, il fallait que les parties se mettent d’accord, et là, je partais. Mais si je m’étais « vu arriver », alors je serais parti, j’aurais forcé la chose. Je suis un homme de projet, un homme dans un club, qui peut s’installer, comme à QRM, où j’avais la confiance de mes dirigeants. Si j’avais pensé à moi, j’aurais fait des choix différents, j’aurais pensé à ma carrière. Peut-être que je serais allé au Paris FC et que j’aurais eu un destin à la Fabien Mercadal à un moment donné, on ne sait pas ce qui se serait passé. Peut-être aussi que cela n’aurait pas fonctionné. Je sais d’où je viens. Je sais que mon chemin a été compliqué. Je sais tout ce que j’ai dû endurer pour atteindre le monde pro en tant qu’entraîneur. Rigueur, travail et humilité, c’est la base de mon quotidien, c’est ce qui m’anime, dès que je me lève le matin.
On sent chez toi malgré tout cette envie d’y arriver, de prouver…
Mais si tu n’as pas cette envie de prouver des choses, dans ce métier-là, alors tu n’avances pas. Oui j’ai envie de prouver, mais pas pour les yeux des gens, pour moi-même. Je n’ai pas besoin que l’on me dise que je suis le plus beau et le plus fort. D’abord, on ne me le dit pas (rires) et on ne me l’a jamais dit, même si j’ai connu des belles choses. Ce qui m’intéresse, c’est de continuer à avancer. C’est pour ça que je fais de la périodisation tactique, que j’apprends l’anglais, que je m’ouvre à beaucoup de choses, que je reste curieux. J’ai envie de continuer à être ce que je suis, avec mes qualités, sans me dénigrer, en diminuant mes défauts.
C’est quoi qui te plaît par-dessus tout dans ce métier ?
Le jeu. Le terrain. Animer les séances. C’est mon truc. C’est une branche de mon métier qui m’éclate (large sourire), préparer les séances, faire progresser individuellement, collectivement, aller chercher des joueurs méconnus qui font carrière après, j’aime ça. Être un accélérateur de carrière, ça me plaît. Au Luxembourg, quand j’arrive, c’est la débandade. Dans les matchs de préparation, on ne prend que des volées, et premier match de championnat, on gagne 4 à 0, et c’est parti ! C’est ça qui me fait vibrer.
Tu es un entraîneur plutôt comment ?
Humain, travailleur et exigeant, casse-couilles (rires) et honnête.
Et dans la vie de tous les jours, tu es comment ?
Je souhaite aujourd’hui que l’on dise que je suis une belle personne, avec des valeurs de respect et d’honnêteté, et que j’ai de l’humour, que je suis fun. Je travaille au quotidien pour ça, encore plus depuis quelques mois.
Tu es proche de Richard Déziré, tu le vois au match ce soir : je lui cours après depuis deux ans pour un entretien, il refuse pour le moment …
Je vais lui en reparler, je vais t’aider pour ça !
- Texte : Anthony BOYER / X @BOYERANTHONY06 / mail : aboyer@13heuresfoot.fr
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