National 3 : l’AS Cannes sur la voie royale ?

La reconstruction est en marche dans la capitale mondiale des Festivals ! Avec 12 points d’avance sur le 2e, les joueurs de Jean-Noël Cabezas n’ont jamais été en aussi bonne posture pour monter en N2, niveau quitté en 2014 après un dépôt de bilan. Avant de viser plus haut ?

Le 11 cannois au coup d’envoi samedi dernier.

Vous en connaissez beaucoup, vous, des clubs qui font 700 à 800 spectateurs pour un match de National 3 ? Vous en connaissez beaucoup des clubs qui, à onze journées de la fin de la saison, célèbrent une victoire – la 11e en 13 rencontres* – un peu comme on célèbre une accession ? Des clubs de ce niveau là qui fonctionnent en SAS (société par actions simplifiées) et où les joueurs ne font que du foot, exactement comme en National ? Qui suscitent autant d’intérêts de la part de repreneurs (la présidente, Anny Courtade, aurait reçu une quarantaine de projets de reprise) ?

Bien sûr que non. Car en National 3, l’AS Cannes dépareille. Est unique. C’est que le club de La Croisette n’est pas n’importe quel club ! Cannes, c’est un passé immense : deux participations à la coupe d’Europe de l’UEFA (1991, 1994), dix ans de présence en première division à la fin des années 80 jusqu’à la fin des années 90, deux coupes Gambardella (dont la dernière, en 1995, avec une pléiade de futurs pros), une coupe de France et, surtout, le meilleur centre de formation français, qui a sorti d’immenses joueurs…

Ce passé si lointain, on le ressent bien sûr dans ce stade Coubertin qui a vu passer tant de grands joueurs, sur les murs des couloirs où sont placardées les photos des différentes épopées, tel un petit musée à ciel ouvert – voir le site museeascannesfootball.fr -, et même dans le staff, où François Lemasson, l’entraîneur des gardiens, demeure le témoin privilégié des années 90, quand il gardait les cages des Rouge et blanc en Division 2 tout d’abord (1992-93), en Division 1 ensuite (1993 à 1997).

La déclaration qui met le feu

L’entraîneur, Jean-Noël Cabezas.

Mais Cannes, c’est aussi une longue, très longue descente aux enfers. 1998 : relégation en Division 2. 2001 : relégation en National. 2002 : l’équipe manque le coche en s’inclinant face à Valence à Coubertin dans le match de la montée, à la dernière journée.

Puis elle stagnera neuf ans de suite à cet échelon ! 2011 : rétrogradation administrative en CFA (N2). 2014 : dépôt de bilan et direction la Division d’Honneur Régionale (R2), quelques semaines seulement après une superbe campagne de coupe de France (1/4 de finale, battu par Guingamp) et des qualifications historiques face à Saint-Etienne (L1), Montpellier (L1) et aussi Troyes (L2).

Depuis près de 10 ans maintenant, le club floqué de l’emblème du dragon se reconstruit. Tente de retrouver un niveau plus en rapport avec son histoire, son palmarès et ses structures : le stade Coubertin, même amputé de deux tribunes, ressemble plus à un stade de Ligue 2 que de National 3…

Une minute de silence a été observée avant le match face à Rousset en hommage à Charly Loubet.

La remontée ne va sans doute pas aussi vite que certains le voudraient, mais les années Covid n’ont pas aidé et, surtout, le club tour à tour repris par Johan Micoud puis Anny Courtade (83 ans) est aussi tombé sur une sacrée adversité, à l’image de Furiani la saison passée.

Et la présence du Gazelec Ajaccio cette saison, qui avait bâti une équipe pour monter avant d’être placé en liquidation judiciaire le mois dernier, n’augurait rien de bon pour les joueurs de Jean-Noël Cabezas, attendus partout, notamment sur l’Ile de Beauté. Surtout après les déclarations du coach, au sortir d’une défaite 2 à 1 au Gazelec, chez nos amis de FootAmateur, en novembre dernier : « Il s’est passé là-bas (au Gazelec Ajaccio) des choses qui ne doivent pas se passer, ça ne reste que du football, on est tous des compétiteurs, on n’aime pas perdre, mais il ne faut pas que ça aille trop loin. Aujourd’hui, je suis entraîneur, et aussi protecteur de mes joueurs. Je n’aime pas quand ils se font… (il coupe) Mais j’assume ce que j’ai dit. »

Madar, héros ou bourreau ?

Pour l’heure, c’est l’AS Cannes qui assume plutôt très bien son statut de favori du championnat, surtout depuis le retrait du Gazelec, qui aurait sans doute été l’équipe poil à gratter de la poule. C’est simple, leader avec 12 points d’avance sur le 2e, l’équipe azuréenne n’a pas été à pareille fête depuis… Depuis quand déjà ? Depuis ses deux précédentes accessions, de DHR en DH avec Manu Nogueira aux manettes, en 2015, puis de DH en CFA2 (N3) avec Mickaël Marsiglia, en 2017. Et encore, elle a perdu du temps : en 2016, première en DH à l’issue de la saison, elle avait gagné le droit de monter après un dernier succès 3 à 0 face à Ardziv avant de finalement perdre ce match sur tapis vert, le coach Mickaël Madar ayant fait rentrer un joueur suspendu (Charles Lyah Bi Irie, à la 70e minute). Madar, qui quelques jours avant ce match, s’était vu informer de sa non-reconduction à la tête de l’équipe. Tirez-en les conclusions que vous voulez… Toujours est-il que c’est le voisin du RC Grasse, 2e de DH, qui a profité de l’aubaine pour monter en CFA2 !

Des adversaires en surrégime ?

Après le succès face à Rousset, samedi.

A Cannes, la reconstruction est en marche, mais elle est un peu plus longue que prévu. Mais depuis samedi et son difficile succès face à Rousset (2-1), les Rouge et blanc sont sur la voie royale avec 12 points d’avance, un écart colossal que l’on ne trouve dans aucune autre poule de National 3 !

A onze journée de la fin, les Dragons ont quatre jokers mais assurent ne pas compter le nombre de victoires encore nécessaires pour retrouver le National 2 quitté voilà déjà 9 ans. « Il faut rester humble, sinon on le paie cash, tempère Jean-Noël Cabezas, arrivé au club début janvier 2020 pour remplacer Ludovic Pollet, avec pour mission d’assurer un maintien mal embarqué en N3; Sincèrement, on résonne match par match, et là, on se concentre sur le prochain (à Carnoux, samedi), c’est la vérité. C’est compliqué de se projeter plus loin. On vient juste d’entamer la phase retour, même si on a de l’avance, c’est bien, mais les joueurs le savent, on ne doit pas relâcher l’engagement, la bonne agressivité et l’intensité à l’entraînement. Il faut continuer à faire les efforts. Et c’est mon rôle de leur dire, de les prévenir. On a bien vu, face à Rousset que, après avoir marqué d’entrée (au bout de 21 secondes !), on s’est relâché, et c’est devenu compliqué. Et puis, je me suis aperçu d’une chose : à chaque fois que l’on a visionné un adversaire en vidéo, eh bien, une fois face à nous, ce n’était pas du tout conforme à ce que l’on avait vu. En fait, à chaque fois, nos adversaires sont un peu en surrégime. Mais c’est comme ça, ils veulent tous essayer de battre l’AS Cannes, et c’est normal ».

Redonner une identité

Le gardien Lucas Mocio.

Peu de gens le savent, mais celui que l’on surnomme aussi bien « Jeannot », « Nono » ou même « Cabezou », en est déjà à son troisième bail à Cannes ! Le premier remonte au milieu des années 80 : alors qu’il n’a que 17 ans, Jean-Noël Cabezas évolue déjà en seniors à Vallauris, à 25 minutes de Cannes-La-Bocca : il s’entraîne la journée avec le centre de formation de l’AS Cannes, et le soir avec son club.

Un peu plus tard, en 1994, alors que Cannes est remonté en Division 1, il est de retour après avoir joué à Annecy (D2), terminé meilleur buteur de D3  avec Vallauris, disputé deux saisons à Alès en Division 2 et aussi brillé sous les couleurs toulonnaises (20 buts en 20 matchs de National en 1993-1994).

Mais il n’est que très rarement utilisé par Safet Susic : « Avec Vallauris, on est monté de DH en D4 puis de D4 en D3, on avait beaucoup d’anciens joueurs pros de l’OGC Nice, et aussi Hervé Renard. Quand je suis revenu à Cannes en Division 1, je ne jouais pas trop et franchement… De ne pas jouer… Je ne n’aimais pas trop ça et j ai demandé à repartir à Toulon. »

Evidemment, Cabezas espère que sa troisième expérience dans la cité des Festivals sera marquée du sceau de l’accession en National 2. « C’est la présidente, Anny Courtade, qui m’a contacté par l’intermédiaire de Jo Flachi. J’avais eu des propositions en National 2, et d’autres en N3, mais venir à Cannes, ça me tenait à coeur. »

A Cannes, il entend aussi redonner une identité à son équipe, et pour cela, il n’hésitera pas à lancer des jeunes cannois ou enrôler quelques « locaux » ou « régionaux », à l’instar de l’expérimenté Lorenzo Vinci (Grasse, Bastia B, Nice B), du jeune buteur Stanislas Kielt ou encore d’Enzo Peirano. « Si on avait plus de Cannois en équipe fanion, ça donnerait une plus grande identité au club ».

Un côté formateur

Communion avec les supporters.

C’est que le coach ne cache pas son âme de formateur. A Clermont Foot, le club où il a terminé sa carrière de joueur sur une accession de National en Ligue 2 (en 2002), et où il a passé 17 saisons, il a encadré le centre de formation, les U19 Nationaux et l’équipe réserve. Il a aussi été entraîneur des attaquants et entraîneur adjoint en Ligue 2 : « J’ai occupé pas mal de postes à Clermont, et c’est vrai que j’ai vu passer beaucoup de bons joueurs, dont certains n’ont pas eu la chance de passer pro, je pense à mon capitaine Cédric Goncalves, et j’en ai récupéré d’autres, avec une bonne mentalité, c’est essentiel. Ici, à Cannes, je suis responsable des deux équipes seniors (l’équipe réserve, entraînée par Daniel Buti, évolue en Régional 2), et je garde aussi un oeil sur les U19 Nationaux, où Laurent Piombo fait du bon travail. L’AS Cannes, avant, c’était la formation. Et j’espère qu’elle va reprendre, pour aider l’équipe une. On essaie de valoriser ce travail. »

Les voyants sont donc au vert… à ceci près que l’on ne sait toujours pas si le club sera vendu ou non. Car à Coubertin, le dossier de la reprise revient comme un feuilleton. Voilà près d’un an, il devait être racheté par l’Américain Dan Friedkin, un milliardaire déjà propriétaire de l’AS Roma. Pour l’heure, autour d’Anny Courtade, l’équipe dirigeante oeuvre pour mettre le club sur les bons rails avant, éventuellement, l’arrivée d’un nouvel actionnaire. Et cela n’empêche pas le staff de travailler, d’avancer, sans se poser la question de son avenir : « Vendu, pas vendu ? On entend des bruits, répond Cabezas. Vous savez, on n’est pas trop au courant, on en parle entre nous mais bon, nous, on fait notre job, et puis dans ce métier, on sait quand on signe, moi j’ai signé c’était un mois de décembre, puis on voit si on reste, et puis on continue. Regardez cette année, ça a été la valse des coachs, alors… »

Jean-Noël Cabezas, du tac au tac

« Je suis un entraîneur exigeant »

Meilleur souvenir sportif  ?
Joueur, avec Toulon, en coupe, on avait éliminé Bordeaux et Zidane, et entraîneur, on avait éliminé Marseille avec Andrézieux.

Pire souvenir sportif ?
Le décès de Clément Pinault (joueur de Clermont, en 2009). Terrible.

Première fois dans un grand stade ?
C’était à Marseille. J’allais voir tous les matchs au Vélodrome, et j’allais même aux entraînements quand j’étais jeune.

Pourquoi avez-vous choisi d’être avant-centre ?
Au départ, j’étais numéro 10, en jeunes, et en seniors, à Vallauris, y’a eu un attaquant, Bernard Grax, qui s’est blessé, et j’ai joué à son poste.

Vous êtes né à Martigues mais vous n’y avez jamais joué…
Martigues, j y suis juste né et j’ai toujours vécu à Marseille, où j’ai commencé au quartier de La Barasse, à Saint Marcel et à l’US Rouet, un bon club de jeunes, avant de venir à Vallauris, grâce à Jo Flachi, qui était lui aussi à l’US Rouet. Je n’étais pas encore senior et je jouais en DH. J’ai fini meilleur buteur en D3, et ça a lancé ma carrière.

Un geste technique préféré ?
Ce n’est pas un geste technique, c’est un style de jeu; moi j’aimais bien, couper les trajectoires, j’étais à la finition, j’aimais être à l’affût, être là au bon endroit au bon moment.

Qualités et défauts sur un terrain ?
J’avais mauvais caractère avec mes partenaires parfois, j’étais exigeant avec eux, y’avait pas mal d’accrochages. Mais j’étais un combattant.

Jean-Noël Cabezas et Derek Decamps.

Le club où vous avez pris le plus de plaisir ?
J’ai connu beaucoup de montées, de DH jusqu’en Ligue 1, avec Troyes. A Vallauris, c’était vraiment le niveau amateur, mais avec des ex-pros comme René Bocchi, Pedro Ascery, Georges Barelli, Christian Cappadona, plein d’anciens niçois, on avait une belle équipe, ça jouait vraiment bien au ballon, mais je garde vraiment un bon souvenir de Toulon.

Entraîneur, le club où vous avez pris le plus de plaisir ?
A Clermont j’étais plus formateur, j’avais une double casquette, et après, quand je touchais le haut niveau, la Ligue 2, il fallait gagner des matchs, c’était différent, mais de faire les deux, ça m’a beaucoup apporté en termes d’exigence notamment. Quand je suis arrivé à Clermont, en National, le club était amateur, il s’est professionnalisé au fil du temps.

Le club où vous auriez rêvé de jouer ?
Mes origines espagnoles font que j aime bien le Barça.

Que vous a-t-il manqué pour jouer plus haut qu’en Division 2 ?
Quand je suis venu à Cannes, le club était en Ligue 1, mais j’ai très peu joué, je n’ai pas eu vraiment ma chance, c’est pour ça que je ne supportais pas cette situation, je préférais jouer en L2, il m a manqué aussi de la patience.

Le joueur adverse qui vous a le plus impressionné ?
Zidane. Et aussi, Patrick Vieira, par sa maturité, si jeune, je l’ai côtoyé à Cannes.

Un coéquipier marquant ?
Didier Rabat à Toulon.

Un joueur avec lequel vous aviez le meilleur feeling sur le terrain ?
Sladan Dukic à Troyes.

Un coéquipier perdu de vue que vous aimeriez revoir ?
Y’en a beaucoup, mais un seul… Désiré Périatambée.

Decamps et Cabezas.

Un coach perdu de vue que vous aimeriez revoir ?
Alain Perrin, il me disait « tu seras entraîneur », il sentait que j’avais la fibre. Et aussi Luigi Alfano, il avait un franc parler que j’aimais beaucoup, il m’a beaucoup aidé à Toulon.

Un président marquant ?
Alain Dalan, mon premier président à Clermont, il avait repris le club dans les années 90 et était reparti de zéro, un homme de paroles. Avec lui, on se serrait la main, et on savait que le contrat était validé. C’était un peu à l’ancienne mais bon, voilà… Avec lui, on a fait la montée de National en Ligue 2, et il m’a fait monter chez les pros pour m’occuper des attaquants.

Le stade Coubertin, en coupe de France, la saison passée.

Le joueur le plus connu de ton répertoire ?
Romain Saïss, je suis allé le chercher à Valence, quand j’étais à Clermont; il m’a fait confiance, on lui a fait changer de poste, et là… Il est demi finaliste de la coupe du Monde, c ‘est beau. Il n’oublie pas d’où il vient.

Une devise ?
Je n’ai pas vraiment de devise. Je dis souvent « On ne lâche pas ! » Ou alors, « le soleil brille toujours » ! Il faut savoir faire le dos rond pour ensuite avoir le soleil !

Un chiffre ?
Le 9.

Un plat ?
La paella avec une bonne bière.

Un modèle de coach ?
Guardiola, parce qu’il innove, avec la façon qu’il a de faire entrer les défenseurs à l’intérieur, d’apporter le surnombre, c’est celui que je regarde le plus. Arsène Wenger aussi, il est complet et visionnaire. Il va au-delà du rôle d’entraîneur et j’aime bien ce qu’il fait.

Le stade Coubertin, en coupe de France, la saison passée.

Terminez la phrase en un mot : vous êtes un entraîneur plutôt …
exigeant.

Un modèle de joueur ?
Van Basten.

Complétez la phrase  : l’AS Cannes est un club plutôt…
Sain.
Le métier d’entraîneur est plutôt …
Compliqué.

Le milieu du foot est …
En pro, à cause de l’argent, c’est compliqué au niveau des mentalités, sinon, en amateur, ce que je n’aime pas, c’est quand on dépasse les règles.

Anny Courtade, la présidente.

Un jour, entraîneur à … Martigues ?
Je vais vous faire une confidence : j’ai failli entraîner Martigues, c’était juste après mon départ de Clermont, en 2017, j’avais signé mon contrat, mais je l’ai déchiré : le recrutement n’était pas celui que je voulais; c’était à l’époque de Baptiste Giabiconi, ça sentait mauvais, j’ai préféré ne pas y aller.

Un mot pour terminer ?
Oui. Pour mon staff. Je veux leur rendre hommage et souligner leur travail. Derek (Decamps), l’adjoint, Rosette (Germano, préparation physique), François (Lemasson, entraîneur des gardiens) et aussi Patrice (Guinard, intendant) et Anthony (Samoud, osthéo). Nous sommes un staff solidaire. Qui s’entend bien. On n’est pas toujours d’accord, on a nos caractères, c’est normal, mais on se dit les choses.

Un mot pour ma présidente Anny Courtade aussi, pour tout ce qu’elle nous a permis de mettre en place : on s’entraîne le matin, les joueurs sont placés dans des conditions optimales, on a eu le recrutement que l’on souhaitait. On a vraiment une grande sérénité de travail et cela se ressent dans les résultats. Si ça rajoute de la pression ? Oui, mais c’est une bonne pression !

Texte : Anthony BOYER / Mail : aboyer@13heuresfoot.fr / Twitter : @BOYERANTHONY06

Photos : AS Cannes / Kevin Mesa

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