Steven Paulle : « Avant un match, je me mettais des coups ! »

A 36 ans, l’ancien défenseur central de Dijon (L2, L1) est de retour dans sa ville et dans son club de toujours, à l’AS Cannes, où il est éducateur chez les jeunes. Il évoque sa carrière, sa nouvelle vie et son expérience en Indonésie, où il se mettait en transe avant de jouer.

Photo Kevin Mesa / AS Cannes

Dix ans. Loin des palmiers. Loin des paillettes. Loin de La Croisette et de la rue d’Antibes. Loin du palais des Festivals. Loin des plages du midi et du kiosque numéro 19, où il aimait bien traîner plus jeune. Loin de l’hôtel Belle Plage, que ses parents ont vendu. Loin du soleil.

Dix ans d’exil. Loin de Cannes. Loin de chez lui.

Pour Steven Paulle, l’enfant du stade Coubertin à La Bocca, il a fallu quitter sa ville natale pour grandir, s’épanouir et vivre à fond sa carrière de footballeur professionnel. Loin des Dragons avec lesquels il a effectué ses débuts en National en 2006, lancé par Michel Troin, au milieu d’une pléïade de « noms » venus porter le maillot rouge et blanc avec l’ambition de retrouver la Ligue 2.

La Ligue 2, l’AS Cannes ne l’a jamais revue (ça dure depuis 2001), contrairement à Steven, parti découvrir le niveau supérieur en 2010, appelé par le mentor Patrice Carteron, son ancien coach à Cannes La Bocca.

Travail mental et psychologique

Sous le maillot de l’AS Cannes, en National, à la fin des années 2000.

Le grand défenseur (1,87m et 82kg) sort alors de quatre saisons pleines en National, où il a finalement réussi à se faire sa place, non sans mal. Steven a aussi joué au club du Suquet dans sa jeunesse, à Cannes, où il est un peu le chouchou du public qui ne lui a pourtant rien épargné, notamment à ses débuts à Coubertin, où il n’était pas forcément jugé à sa propre valeur. Comme s’il devait en faire toujours plus que ses coéquipiers. Comme s’il était sans cesse épié. Sans doute parce qu’il était … cannois.

A cette époque, on aurait dit « Steven jouera en Ligue 1 un jour », pas sûr qu’on l’aurait cru. Et pourtant, c’est ce qu’il s’est passé ! A force de sérieux, de travail mental et psychologique.

Dès sa première saison à Dijon, en Ligue 2, en 2010-2011 (34 maths disputés), le DFCO gagne son billet pour l’élite, pour la première fois de l’histoire du club (il connaîtra une deuxième accession en 2016) ! Steven dispute ensuite 22 matchs en Ligue 1. La consécration. Et pourtant, il n’en garde pas un souvenir immense. Le grand blond, rentré chez lui depuis 2 ans et demi, éducateur à l’AS Cannes (il s’occupe des U18.U20), vous raconte tout ça !

« J’ai toujours joué comme si c’était mon dernier match »

Steven, tout n’a pas été simple, mais tu es arrivé à jouer en Ligue 1, quatorze mois seulement après ton départ de Cannes et du National en 2010…
Mais oui, c’est fou, je le sais ! Honnêtement, à mes débuts, à Cannes, je n’avais déjà pas forcément le niveau pour jouer en National, mais j’y suis arrivé parce que je m’étais fixé un objectif et c’était celui-là. Je n’en avais pas d’autre. Je voulais jouer en équipe première à Cannes, peu importe le niveau où était le club.

Photo Kevin Mesa / AS Cannes

Qu’est-ce qui a fait la différence ?
Je me suis donné les moyens d’y arriver. Là où j’ai été meilleur que certains à ce moment-là, à Cannes, c’est au niveau mental. Je ne lâchais pas. On pouvait faire appel à moi, mentalement, je ne lâchais rien, même quand j’avais des coups de mou. Et quand je suis parti de Cannes, où j’avais réussi à faire mon trou après des débuts difficiles, je ne voulais même pas aller en Ligue 2, j’étais bien là où j’étais. Et puis, la première année avec Dijon se passe très bien. Mais la saison d’après, en Ligue 1, il a fallu re-batailler.
C’est comme si, durant toute ta carrière, il a toujours fallu batailler… Quand je me retourne, je me dis « Je suis allé en Ligue 1 », ok, mais je sais très bien que je le dois à mon mental. Je me suis accroché, je me suis donné les moyens, alors que techniquement et footballistiquement, je n’avais pas forcément le niveau. A Cannes, je me suis contenté de jouer dans un certain registre, parce qu’on me disait que j’étais un boucher, que je « rentrais dedans », alors je me complaisais là-dedans, même à Dijon au début. Pourtant, j’ai vu à l’entraînement, au fur et à mesure de ma carrière, que j’étais capable de mettre des supers bons ballons, de jouer. Alors, je me suis dit « il faut que j’arrête de jouer que là-dessus, j’ai d’autres qualités ». J’ai appris ça sur le tard.

Le football est fait de rencontre : celle avec Patrice Carteron a beaucoup compté…
Avec Patrice Carteron, ça a marché oui, y’avait plus de communication avec lui, il me faisait plus confiance même si y a eu aussi des moments où il ne me faisait pas jouer. Avec lui, c’était une nouvelle méthode de coaching, basée sur la relation avec les joueurs.

Avec les supporters de Dijon aussi, ça a marché : on t’a vu poser avec eux, en tribunes, derrière une bâche à ton effigie.
Déjà, à Cannes, j’accordais beaucoup d’importance dans ma relation avec les supporters. J’avais des potes qui étaient supporters, ils me disaient sans cesse, « Il faut venir nous voir, même si vous avez perdu ».

C’est important cette relation, on est encore dans la communication là, et ça, je l’ai vite compris. Quand je suis arrivé à Dijon, un supporter est venu me voir à la fin d’un match et m’a dit, « Bien joué, la prochaine fois on se boit une bière », j’ai dit « ok ok », du coup ça s’est fait et on a sympathisé. Et après, j’ai eu de bonnes relations avec les supporters de Dijon, certains sont devenus des amis et sont même venus quand Cannes a reçu Dijon en Coupe de France la saison passée.

En 2020, dix ans après ton départ, retour à la case départ, à Cannes…
Je suis revenu pendant la Covid, mais je ne voulais pas rentrer, je voulais rester en Indonésie, où je jouais depuis janvier 2017 (Makassar puis Jakarta). J’étais super bien en Asie, mais la Covid est arrivée, je suis rentré en France, on ne savait pas combien de temps allait durer la situation, j’ai continué de m’entraîner, et c’est là que je me suis dit « Si je peux aider l’AS Cannes… » J’ai postulé, j’ai fait 4 matches en National 3, et le championnat s’est arrêté en mars 2020. »

Tu disais pourtant ne pas vouloir partir de Jakarta …
Mais je me suis blessé, j’ai eu une déchirure de l’adducteur, j’ai été écarté deux mois. J’ai essayé de revenir, sauf que la saison allait recommencer, et on ne savait pas comment ma blessure allait évoluer. Je leur ai demandé d’attendre, mais ils ont pris quelqu’un , ils m’ont enlevé de la liste et au bout de quelques temps, alors que je m’entraînais quand même avec eux, on a trouvé un accord pour que je puisse partir.

Parles-nous de ton expérience en Indonésie ?
J’y suis resté 3 ans. Quand je suis arrivé, je me suis dit « ça va être galère », c’est pauvre, mais les gens son tellement gentils, tellement adorables, tellement ouverts d’esprit. J’ai vécu tellement de situations… Les stades sont pleins à craquer. En fait, je regrette de ne pas y être allé avant. J’ai passé deux saisons à Makassar, et quand je suis parti… Le jour de mon dernier match, c’était dur… J’ai tout fait pour renégocier mais le club voulait absolument un attaquant, alors qu’on avait terminé 2e, qu’on avait fait une super-saison. J’ai eu un gros coup de blues dans ma voiture, je savais que c’était fini, que je ne revivrais plus jamais ce que j’avais vécu là. Je m’en souviendrai toute ma vie. J’ai senti qu’une grosse page s’était tournée. C’était dur. Mais je me suis régalé, j’ai kiffé chaque minute que je jouais.

Photo Kevin Mesa / AS Cannes

Ta nouvelle vie d’éducateur à l’AS Cannes ?
Quand je suis revenu au club, en 2020, un ami coach, Taoufik Harris, m’a demandé de lui donner un coup de main, une fois par semaine, avec les U14, ça me plaisait, même si ce n’était pas beaucoup. L’année suivante, en 2021-22, le club m’a confié les U17, et cette année, j’ai les U20/U18, on joue en Régional, c’est la réserve des U19 nationaux, entraînés par Ludovic Pollet. Je prends beaucoup de plaisir à faire éducateur, mais je ne sais pas où ça va m’amener. J’aime me remettre en question, avoir des problèmes, trouver des solutions tactiquement sur le terrain. J’aime la vie sociale avec les joueurs. Mon épouse Mathilde et mes amis ne voient pas forcément là-dedans, mais pour l’instant, j’ai envie de continuer. D’avancer. Y’a encore un an, parler devant un groupe, cela n’était pas possible. Je prends sur moi. Je me surprends aussi : j’essaie d’aller chercher cette sensation comme quand j’étais sur le terrain, pour me mettre dans le match comme mes joueurs. J’ai beaucoup appris avec les stagiaires que j’ai côtoyés en formation. Les échanges me font avancer. Je demande souvent d’avis extérieurs, je pioche à gauche à droite pour m’améliorer, après, je l’analyse à ma façon, je fais comme je l’entends.

Voir l’AS Cannes en National 3, ça ne te fait pas mal au cœur ?
Si, un peu, quand tu vois ce stade, avec pas beaucoup de public… Je vais voir les matchs, du moins j’essaie. Mais on n’a pas le choix, il faut être derrière le club pour qu’il remonte au plus vite. Mon premier souvenir de Coubertin, c’est Cannes – Fenerbahçe en coupe d’Europe de l’UEFA (1994-1995), j’avais 8 ans, mais que c’est loin ! Même mes matchs, quand je jouais en National, me paraissent loin, c’était y a 12 ans ! Des pages ont été écrites et se sont tournées depuis !

Et Dijon, tu y retournes ?
Assez souvent, oui. La dernière fois que je suis allé voir un match, j’étais en tribune avec les supporters. Je vais essayer d’y retourner, j’aimerais bien voir le nouveau centre de formation. Et puis je suis toujours en contact avec le président, j’ai de bonnes relations avec le club. J’essaie de ne pas louper leur match à la télé.

Steven Paulle du tac au tac
« J’aurais bien aimé être journaliste sportif »

Kevin Mesa / AS Cannes

Le joueur le plus connu de ton répertoire ?
Eric Bauthéac.

Le joueur le plus fort avec lequel tu as joué ?
Gaël Kakuta.

Le plus fort que tu as affronté ?
Olivier Giroud.

Un coéquipier ?
Cédric Varrault.

Le stade qui t’a procuré la plus grande émotion ?
Lens.

Le joueur avec qui tu t’entendais le mieux sur le terrain ?
Chaher Zarour.

Un modèle de défenseur ?
J’aimais bien Maldini et le Ramos de l’époque Real Madrid, mais je n’ai jamais vraiment eu de modèle.

Meilleur souvenir sportif ?
La montée en L1 avec Dijon en 2011.

Le pire souvenir sportif ?
La descente en L2, la saison suivante.

Fin de saison 2015-2016, Olivier Dall’ Oglio lui remet son cadeau d’adieu pour son départ du DFCO, après une deuxième accession en L1. Photo Vincent Poyer – DFCO

Un match référence ?
Il n’y en a pas un en particulier. De tout façon, après un match, je sais si j ai été bon ou mauvais. J’ai découvert quelque chose, qui s’appelle le flow, c’est un état que l’on a sur le terrain : quand tu vois les choses avant, que tu es dans le bon tempo, que tu réussis tout ce que tu fais. J’ai appris, en discutant avec une coache mentale, à garder ce flow le plus longtemps possible pendant un match. Si tu « enfonces » ton attaquant dès le premier duel, 90 % de ton match est réussi en général, et ça, tu le sens des le début du match si t’as le flow, si t’as les jambes. J’ai compris en vieillissant qu’il fallait que je sois agressif dès le début du match et qu il fallait beaucoup parler. Le fait d’en rajouter, d’en faire des tonnes, de faire du cinéma, ça me mettait bien, j’avais besoin de me transcender. C’est venu à Dijon, car à Cannes, j’étais introverti. Quand je ne jouais pas trop à Dijon, il a fallu que j’aille chercher autre chose, que j’aille puiser dans mon énergie et dans mon mental, c’est ce qui fait que, du coup, tous les matchs, je les jouais un peu comme si c’était mon dernier. J’avais besoin de ça, de jouer tout à fond.

Ton pire match ?
En Ligue 1 à Caen, avec Dijon, je n’avais pas été bon, ça m’avait mis une claque. Sur un corner, j’étais bien, concentré sur mon marquage, et un coéquipier me dit « change », malheureusement, l’adversaire que j’ai pris au marquage marque, et là, j’ai sombré mentalement. Mais j’ai appris après que ce n’était pas grave, qu’il fallait relever la tête, qu il fallait passer à autre chose.

As-tu des rituels ?
Oui, des tocs même ! Le caleçon, le Red bull à la maison avant de partir, au point de faire une crise si je n’en avais pas, j’allais aux toilettes passer un moment avant les matchs, et aussi je me « rentrais dedans », je me mettais des coups, jusqu’à ce qu’un de mes coéquipiers, en Indonésie, me propose de me mettre des coups. Je lui ai dit « bonne idée », et du coup il me frappait, pas trop fort, avant les matchs. C’était un rôle aussi un peu que je me donnais.

Un geste technique ?
Le tacle, ou le retourné.

Combien de cartons rouges ?
Je crois que je n’en ai pas pris de direct, sinon, deux jaunes d’affilée, j ai dû quatre ou cinq fois.

Combien de vrais amis dans le foot ?
Très peu. J’ai beaucoup de potes dans le foot, mais de vrais amis, très peu. Dans le foot, on se croise. Après, ça matche un peu plus avec certains qu’avec d’autres, comme avec Florent Ogier, mon témoin de mariage, ou Cédric Varrault.

Premier match avec Cannes en National ?
C’était à Romorantin, ou à Yzeure, je ne suis pas sûr, en 2005, et je me suis dit ce jour-là que je ne bougerais plus, que je ne sortirais plus de l’équipe. J’avais fait un bon match. Mais j’avais remplacé le titulaire du poste, plus jeune que moi, c’était Jacques Salze, il était très fort, il est ensuite parti à Clermont.

NDLR : après vérification, c’était à … Châtellerault, le 18 mars 2006, victoire 1 à 0 de l’AS Cannes ! « Mais oui, bien sûr Anto ! Bien joué le journaliste ! »

Un coach qui t’a marqué ?
Patrice Carteron et Olivier Dall’ Oglio aussi, même s’il ne me faisait pas forcément jouer, mais j’appréciais ses séances.

Le coach dont tu ne gardes pas un bon souvenir ?
Il est décédé, c’était Stéphane Paille.

Le club où tu as failli signer ?
Quand j’étais à Dijon en Ligue 1, Patrice Carteron me dit que je vais peut-être avoir moins de temps de jeu en 2e partie de saison, et veut m’envoyer à Southampton en Premiership (D2 anglaise), j’avais dit non. Je lui avais dit que je voulais m’imposer à Dijon.

Une ville ?
Cannes.

Un plat, une boisson ?
La San Pellegrino ou le Coca zéro. Le Nasi goreng, c’est du riz frit avec des morceaux de poulets, des crevettes et une omelette dessus.

Une appli mobile ?
TikTok.

Ton film culte ?
Les affranchis.

Ta plus grande fierté ?
Mes enfants, Alexandre et William, ils ont 6 et 7 ans.

Kevin Mesa / AS Cannes

Tu n’as joué qu’une saison en Ligue 1 : qu’est ce qu’il t’a manqué pour durer à ce niveau ?
Déjà, si on s’était maintenu avec Dijon, cela aurait changé la donné. On a vraiment été à deux doigts de rester en Ligue 1. Après, je ne sais pas si j’avais vraiment le niveau de la Ligue 1, peut-être pas forcément, mais je m’étais mis trop de pression, celle de bien faire de réussir.

Je jouais, non pas avec la peur au ventre, mais avec une pression négative, que j’ai ensuite appris à transformer en pression positive. C’était peut-être aussi un problème de confiance.

A Cannes ça allait, parce que je jouais, mais on était en National, à Dijon aussi, en Ligue 2, mais après, quand on est monté en Ligue 1, il y a eu beaucoup de recrues qui sont arrivées, je n’étais pas dans les plans, je devais me battre, l’année est passée très vite. Ce n’est pas forcément une saison que j’ai apprécié, même si j’ai joué dans des grands stades.

Qualités et défauts ?
Je suis un peu introverti, dans ma bulle, réservé, pas forcément sociable de prime abord. Ce n’est pas moi qui vais prendre la parole par exemple. Je suis très sensible dans le sens ou je vais faire mes choix par rapport à l’affect. On en revient à ce que je disais : si tu n’as pas la confiance du coach, il faut être très fort mentalement. Sinon, je suis très gentil dans la vie.

Tu étais un joueur plutôt…
Athlétique.

Un chiffre ?
Toujours le 25, parce que j’ai été le 25e à être pris au centre de formation à Cannes.

Une anecdote de vestiaire que tu n’as jamais racontée ?
Une bagarre entre un joueur et un entraîneur, dans les vestiaires. Le joueur l’attendait, parce que le coach ne le faisait pas jouer. Y’a eu des insultes. Je ne dirais pas où c’était mais ce n’était pas à Cannes et c’était en France, oui !

Ton coéquipier le plus professionnel ?
Sebastian Ribas, l’attaquant de Dijon, qui nous a portés l’année de la montée de L2 en L1 (23 buts en 38 matchs !).

Une couleur ?
Rouge.

Souvenir de vacances ?
A Bali, où je passais souvent des week-ends, dès que j’avais deux jours off. Quand j’étais à Makassar, où j’ai mes meilleurs souvenirs, et à Jakarta, j’y allais souvent.

Si tu n’avais pas été dans le foot…
Je n’avais pas de plan B, juste le plan A, le foot ! J’aurais aimé faire ce que toi tu fais… Journaliste sportif.

Texte : Anthony BOYER / Mail : aboyer@13heuresfoot.fr / Twitter : @BOYERANTHONY06

Photo de couverture : Kevin Mesa / AS Cannes

Photos : Kevin Mesa / AS Cannes (sauf mentions spéciales)