Le coach qui a permis au FC Dieppe, 8 ans après, de retrouver le National 2, s’est nourri de ses nombreuses frustrations et déceptions, mais aussi de ses multiples expériences dans les championnats amateurs, pour se façonner et affirmer sa personnalité et ses ambitions.
Par Anthony BOYER – mail : aboyer@13heuresfoot.fr
Photos : FC Dieppe / Clémence HEDIN
Djilalli Bekkar n’a jamais raconté cette histoire. Un essai, quand il avait une petite vingtaine d’années, avec la réserve du Paris Saint-Germain alors entraînée par un Antoine Kombouaré sur le point d’enfiler son nouveau costume de coach de Ligue 1.
Ce qui s’est passé ce jour-là l’a tellement marqué qu’il s’en est servi, qu’il s’en sert et qu’il s’en servira encore pour sa progression personnelle. Cet épisode en particulier, et de nombreux autres tout au long d’une carrière de joueur essentiellement menée sur les stades de N2, N3 et DH, ont fini de façonner l’entraîneur qu’il est devenu, exigeant, travailleur, passionné, mais surtout juste et droit. Il sait trop bien ce qui est bon et ce qui ne l’est pas pour le joueur, pour avoir lui-même vécu toutes les situations. Vous connaissez le dicton : « Ne fais pas à autrui… »
Djilalli Bekkar ne s’en cache pas : c’est aussi parce qu’il n’a pas pu embrasser une carrière de joueur professionnel qu’il a faim et soif d’y parvenir sur un banc avec le costume de coach pro. C’est pour cela que sa motivation, son ambition, sa rage, sont décuplées.
Deux accessions en N2 en 3 ans
À 44 ans, le natif de Sarcelles (Val d’Oise) vient de vivre une deuxième accession en National 2 en trois ans après Compiègne (en 2021/2022), cette fois à la tête du FC Dieppe, qu’il a rejoint l’été dernier, après un exercice très réussi à Saint-Lô (4e en N3 en 2024). Ces résultats lui ont donné un certain crédit en Normandie, où il a été élu meilleur entraîneur amateur en 2024 par le média « Foot Normand ». Pas de quoi pavoiser : sur le compte LinkedIn qu’il a créé, il n’a cependant pas fait mention de cette distinction. Cela viendra peut-être. Il n’éprouve pas non plus le besoin de raconter systématiquement sa vie footballistique de manière virtuelle, quand bien même le ballon est toute sa vie. Quand bien même le ballon est son obsession, et génère chez lui un mélange d’orgueil, d’ambition, de passion et d’envie de réussir.
Côté pile, côté face
Mardi, avant de se rendre au club, et après avoir déposé ses enfants à l’école, celui qui vient de fêter ses 44 ans s’est confié pendant une bonne heure. L’ancien attaquant de Sannois/Saint-Gratien, La Vitréenne, Changé, Compiègne, Le Poiré-sur-Vie, Mantes ou encore Grand Quevilly, s’est montré très loquace. Ce n’est pas toujours le cas dans la vie de tous les jours, où il peut parfois être froid, fermé à double tour, telle une porte de prison. Aurait-il une double personnalité ? « Quand on parle foot, ça pourrait durer des heures, sinon, je suis réservé de base » lance-t-il.
C’est vrai qu’il y a le Djilalli côté pile, ce garçon au sourire éclatant qui illumine son visage, et le Djilalli côté face, les mâchoires serrés, le regard sombre. « C’est peut-être une carapace… Quand j’arrive quelque part, dans un stade, je peux tracer tout droit, sans calculer personne, ou alors juste dire bonjour, mais voilà… » tente-t-il d’expliquer, avant d’ajouter : « C’est quelque chose que je ne sais pas faire dans la vie de tous les jours, je ne sais pas pourquoi. Même avec mes beaux-parents, je reste dans mon coin… J’essaie, mais je n’y arrive pas… » Parlons de ballon alors, Djilalli sera beaucoup plus ouvert !
Interview
« Quand il y a une difficulté, j’ai envie de la surmonter »
Djilalli, commençons par cette anecdote, avec la réserve du PSG…
J’avais 19 ans, je jouais à Sarcelles, dans mon club, et je vais faire un essai au PSG, avec la réserve, entraînée par Antoine Kombouaré. Cela m’a marqué, parce que personne ne m’a adressé la parole. Le match, on joue avec la réserve, donc, contre les Parisiens qui préparaient la coupe Gambardella. Les quatre ou cinq joueurs comme moi, venus faire un essai, on avait été boycottés. Je faisais des appels, je ne recevais jamais le ballon… et à la fin du match, Kombouaré avait réuni tout le monde, il avait bien vu ce qui s’était passé. Il a dit aux joueurs de la réserve « J’espère, pour tous ceux qui sont en fin de contrat, que vous allez vivre ce que vous venez de faire vivre à ceux qui sont venus jouer »… Il avait vu que cela avait été dur pour nous, les joueurs à l’essai. Et il m’avait reconvoqué à un autre essai. C’est pour ça que, dans le foot, j’essaie de mettre les gens le plus possible à l’aise. Mais c’est quelque chose que je ne sais pas faire dans la vie de tous les jours.
« J’arrive à voir le joueur égoïste »
On sent que cette épisode t’a marqué…
Oui. C’était la première fois que j’effectuais un essai. J’ai vécu et grandi au club de l’AAS Sarcelles avec toutes ces pépites qui partaient dans des clubs pros, je pense à Philippe Cristanval par exemple, qui est né en 78 (Djilalli est né en 1981), j’étais là avant qu’il ne parte à Monaco… Je rêvais que cela puisse m’arriver. Là, je vais au PSG, le grand club à l’époque avec le Racing et le Red Star, et puis il arrive ça… Antoine Kombouaré n’avait pas encore fait la carrière de coach qu’il a eue ensuite, et ce qu’il a dit, ce qui s’est passé, forcément, ce sont des choses qui ont été impactantes et qui m’ont façonnées. Je n’ai jamais oublié. Il a vu que des joueurs nous boycottaient. On a joué avec des joueurs du PSG qui allaient quitter le club et au lieu de nous mettre à l’aise, ils ont fait tout l’inverse, ils ne nous ont pas calculés. C’était ça le message… Ils ne voulaient pas que l’on signe au PSG. Bon, c’est peut-être ça aussi qui a renforcé ma rage du PSG (rires), non, non ! Aujourd’hui, c’est le genre de comportement que je décèle tout de suite. J’arrive à voir le joueur égoïste. Parce que moi, j’étais un joueur très collectif, et pourtant j’étais attaquant. J’allais vers l’autre l’autre, je donnais le ballon à l’autre s’il était en meilleure position, je faisais l’effort pour l’autre… C’est pour ça que je fais très peu de mise à l’essai aujourd’hui. D’ailleurs, quand je contacte un joueur, je ne lui dis pas « Viens faire un essai », mais « viens faire une séance d’entraînement », pour ressentir l’ambiance, pour voir le club. Ce n’est pas du tout comme une détection.
Justement, tu étais un attaquant plutôt comment ?
J’étais un attaquant buteur, généreux, et comme j’étais généreux, eh bien des coachs aimaient bien m’utiliser dans les couloirs, pour travailler, pour défendre, sauf que moi, ce n’était pas mes postes. Là où j’étais le plus efficace, c’était dans la surface. Alors je n’hésitais pas à leur demander « Coach, mais pourquoi vous me mettez sur le côté ? Je suis capable de jouer dans l’axe et de marquer des buts… » C’est aussi quelque chose qui m’a marqué. Le joueur, il faut qu’il soit bien.
« J’y arriverai coûte que coûte »
Tu as beaucoup fréquenté les championnats amateurs quand tu étais joueur : que t’a t-il manqué pour être pro ?
Mon gabarit peut-être, je suis grand mais fin. Un peu de réussite aussi : avec La Vitréenne, on finit 2e en CFA, on rate la montée en National de peu; avec Sannois, on monte en National, mais je pars… Peut-être que j’aurais dû rester, même dans un rôle secondaire, puisque c’est ce que le club me proposait. Donc il y a aussi des questions de choix. Une année, j’aurais pu aller au Red Star mais je suis allé à Compiègne, en CFA… Je n’ai pas de regret. Je dis souvent à mes joueurs « Donnez le maximum, pour ne pas avoir de regret ». J’avais dit la même chose un jour à Yoann Salmier, que j’ai entraîné chez les petits à Saint-Brice, et qui joue aujourd’hui à Clermont (L2). Il était en difficulté chez les pros, en Ligue 1, il ne jouait pas toujours en équipe une, il a bien fait de s’accrocher ! Je pense qu’il m’a aussi manqué quelqu’un qui croit en moi. Qui me donne une chance. J’ai joué six mois avec Pierre Deblock (ex-Sedan, Auxerre, Bastia, Laval), quand il était en fin de carrière, à La Vitréenne : à ce moment-là, j’étais un peu en tension avec le coach, et Pierre avait discuté avec lui, il me disait de faire profil bas, et que pour le coach, je ne pesais peut-être pas assez dans le jeu. C’est vrai que je ne payais pas de mine mais je marquais des buts sur le terrain. En fait, le fait que je sois un joueur de surface, à la Inzaghi ou Trézeguet, toutes proportions gardées, ça m’a peut-être freiné.
C’est peut-être parce que tu n’as pas été joueur pro que tu as envie de devenir coach pro, non ? Es-tu animé par ce sentiment de revanche ?
Complètement. J’y arriverai coûte que coûte. Si ce n’est pas par la porte, ce sera par la fenêtre, et si ce n’est pas par la fenêtre, ça sera par le grenier (rires). Mon rêve, ce serait d’entraîner au stade Vélodrome, mais bien sûr, ce n’est qu’un rêve ! Je me souviens, avec des amis, on n’avait même pas 20 ans, on se fixait des challenges, on se disait « à la coupe du Monde 2010, on sera coach ! » Si je ne arrive pas à être joueur professionnel, il faut que je sois coach professionnel. Et si je n’y arrive pas, il faudra que ce soit mes enfants (rires). Mais on ira sur le terrain quoi qu’il arrive (rires) !
« J’ai appris à faire la part des choses »
C’est quoi qui te guide ?
La passion. C’est vraiment ça. Mais j’ai appris à m’en détacher, à faire la part des choses, grâce aussi au travail que j’ai fait avec un ami psychologue, François Basset, avec qui j’ai joué à La Vitréenne. En fait, entraîner en pro, c’est une motivation plus qu’une obsession. Je veux repousser mes limites. Si ça doit être en N2, ça sera en N2, si demain c’est en National, à Dieppe ou ailleurs, ce sera là. Je prends les choses comme elles viennent. Je me fixe des paliers. Je me dis, « C’est bien, mais voyons si on ne peut pas faire plus ». J’ai le même discours avec mes joueurs. Simplement, je sais que j’ai le mental et la capacité pour aller au haut niveau. Comme on ne m’a pas donné ma chance en tant que joueur, peut-être qu’en tant qu’entraîneur, on me la donnera. J’apprends à me faire connaître aussi, ce n’est pas évident, parce que je suis quelqu’un de discret. Mais je vois bien qu’il faut communiquer. J’espère que quelqu’un verra que j’ai faim, que j’ai des capacités, et que l’on me donnera ma chance. L’idée de créer un compte LinkedIn, c’est Christophe Pélissier (coach de l’AJ Auxerre) qui me l’a donnée; il met des petits mots de temps temps, ça m’a inspiré. J’essaie de regarder ce qui se fait, mais j’essaie de rester celui que je suis. Mon élection au titre de « meilleur entraîneur amateur en Normandie » par Foot-Normand ? Je ne l’ai pas encore relayée. Pourtant, je sais que c’est important de le faire. Il faut bien se vendre un peu !
« J’ai toujours été un peu organisateur »
En préparant l’interview, on a découvert que tu étais fan de l’OM… Surprenant pour quelqu’un qui est né à Sarcelles, et qui y a grandi jusqu’à ses 21 ans…
J’ai commencé à regarder les matchs de l’OM à la fin des années 80, quand le PSG n’existait pas à l’époque. C’est vrai que j’aime bien chambrer les Parisiens avec ça… Quand j’étais petit, je me souviens que l’on parlait surtout du Matra Racing. Avec l’OM, cela a été le coup de foudre. La finale à Bari, en 1991, on a pleuré… Mais je n’ai jamais été anti-parisien. Et puisque l’on parlait d’Antoine Kombouaré tout à l’heure, j’ai encore en mémoire le but qu’il marque en coupe d’Europe, son fameux coup de tête, contre le Real Madrid : dans ces moments-là, on est pour le football français.
Quand as-tu su que tu voulais devenir coach ?
Très tôt. À 17 ans, j’entraînais des gamins à Sarcelles. J’ai toujours été un peu « organisateur », tu vois, c’est moi qui composait les équipes quand on faisait des matchs. J’ai toujours eu ce truc en moi de diriger, de coacher. Et puis il y a une personne, Eric-Luc Odry, au club de Sarcelles, formateur au District du Val d’Oise, qui m’a orienté vers les diplômes. C’est comme ça que j’ai passé mon initiateur 1 et 2, ensuite mon Brevet d’État en 2007, j’avais 26 ans, je n’avais même pas commencé à entraîner en seniors. Sauf qu’ensuite, cela a mis 8 ans avant de pouvoir passer le DES qui permet d’entraîner jusqu’en N2, j’ai postulé 8 fois ! Ça m’a freiné dans mon évolution mais je ne me plains pas. J’espère que ça ira plus vite pour le BEPF (rires). C’est le dernier sésame. Je pourrai me présenter la saison prochaine. C’est l’objectif.
« J’étais un vrai baroudeur ! »
C’est à Saint-Brice que tu as fait tes armes de coach en seniors ?
Oui. L’opportunité s’est présentée en 2010, je sortais d’une dernière expérience de joueur à Mantes-la-Jolie mais ça ne me convenait plus. J’avais 30 ans, je voulais me diriger vers l’entraînement. Je suis resté entraîneur pendant deux ans, on est monté en DSR (Régional 2), puis je devenu manager et enfin directeur sportif. En tout, j’ ai passé 9 ans à Saint-Brice, de 2010 à 2019. Tout ce que je faisais à côté, adjoint de Thierry Bocquet à Poissy, éducateur en jeunes au FC Rouen, c’était en parallèle de mes fonctions à Saint-Brice. Quand j’ai repris pour le plaisir une licence de joueur en 2014 à Grand Quevilly, à côté de Rouen, où j’ai joué 2 ans, le matin j’allais aux entraînements à Poissy, ensuite j’allais à Saint-Brice l’après-midi et quand il y avait entraînement, le soir, j’allais à « Grand Q ». J’étais un vrai baroudeur ! Et en plus, je jouais aussi en équipe de foot entreprises avec le Nike FC ! Tu sais, c’est dur, il faut trouver sa place, son équilibre. Même si je n’étais pas pro, je vivais du foot. Je suis un mordu de ballon : avec moi, c’est du matin au soir. Et puis, dans mon parcours, j’ai eu des opportunités, ça c’est toujours passé comme ça. Je n’avais pas prévu d’aller à Poissy par exemple, ni au FC Rouen, c’est juste que, à chaque fois, il y a eu des amis qui ont fait que… À Rouen, j’y suis resté de 2014 à 2018. C’est Chérif Cheikh, le coach des U16, que je connaissais de la région parisienne, qui me présente à Thomas Leyssales, responsable de la formation du FCR à l’époque (et qui vient de remporter le titre de champion de France U17 avec PSG), pour coacher la génération des 2002 en U14. Même là, au FC Dieppe, je n’avais pas prévu de venir, c’est juste que l’ancien coach, Guillaume Gonel, est parti. En fait, je prends les choses comme elles se présentent.
« La tâche me stimule »
Dans ton parcours de coach, ce qui frappe, c’est cette « liberté » de décider du moment de partir d’un club, on pense à Saint-Lô ou Compiègne par exemple…
Je suis un homme de challenge. J’aime construire, laisser une trace. Quand il y a une difficulté, j’ai envie de la surmonter. Pour moi, rien n’est impossible. Quand je regarde mon parcours, jusqu’ici, je suis arrivé dans des clubs qui n’arrivaient pas à passer un cap. Au Saint-Brice FC, pareil : le club avait toujours joué en district, le coach a changé de casquette, j’ai pris la suite, on est monté en DH, ce sont toujours des histoires comme ça … À Saint-Lô, ils jouaient le maintien, je leur ai dit qu’on avait de bons jeunes, qu’on pouvait peut-être monter, et à l’arrivée, on fait une très belle saison; à Poissy, le club stagnait, et avec Thierry Bocquet, on est monté en CFA (saison 2014/2015). J’aime me fixer des challenges. Même avec mon grand frère, Farid, on était toujours en train de se « chercher » quand on jouait en bas de la maison : « Tu vas voir, je vais te marquer… » La tâche me stimule. À Dieppe, personne n’a jamais amené le club en National, et depuis que je suis là, on ne me parle que de l’épopée, quand ils ont failli monter (en 2003/2004, le FC Dieppe avait fini à un point de l’US Roye, promue en National). J’ai envie d’être celui qui va emmener Dieppe en National.
Tu dirais que tu es un coach plutôt comment…
Je suis audacieux, ambitieux dans ce que j’aime proposer. Je n’aime pas subir. J’aime provoquer les choses sur le terrain. J’étais comme ça joueur. Un peu moins dans la vie.
« Il faut beaucoup s’adapter »
As-tu des modèles de coach ?
Non, même si je regarde, forcément, ce qui se fait, notamment Bielsa et Klopp, parce que c’est le jeu que j’aime, un mélange de possession, de verticalité, de jeu rapide. Je m’inspire de ce que fait Bielsa défensivement, dans le « press » tout terrain. Tous les deux, ils ont ce feu intérieur, cela me ressemble beaucoup. Je me suis surtout construit par rapport au coach que j’ai eus, je pense à Oswald Tanchot, un coach rigoureux, passionné, que j’ai eu à La Vitréenne. Je pense à mes coachs en Ile de France, qui ne sont pas connus, comme celui que j’ai eu en juniors à Sarcelles, et qui invitait quelques joueurs « cadres » à manger avant les matchs pour leur dire ce qu’il attendait de nous et donner les directives…
Avec le FC Dieppe, tu es passé du 3-4-3 au 3-5-2 : c’est quoi, ton système de jeu préférentiel ?
J’ai une préférence pour un système à deux joueurs devant. Je ne sais pas si cela vient de ma sensibilité d’attaquant ou pas… J’ai beaucoup évolué en 4-4-2 à plat, en losange, en 4-3-1-2, en 3-4-3 ou en 3-5-2. Je n’ai jamais été un grand fan du 4-3-3, parce que je le trouve stéréotypé dans l’animation, trop basé sur les percussions individuelles. Or moi, j’aime bien la proximité, les connections entre les joueurs. Avec le coordinateur sportif Vincent Guiard, on avait essayé l’été dernier de construire une équipe hybride, capable de jouer en 3-4-3, mais ensuite on a trouvé notre équilibre en évoluant en 3-5-2.
À Saint-Lô, on avait commencé avec un 4-4-2 losange qui s’est finalement transformé en 3-4-3 toute l’année. Il faut dire aussi qu’à notre niveau, on a ce luxe de pouvoir choisir les joueurs. Le 3-5-2 et le 3-4-3 sont des systèmes bien équilibrés, ça permet de bien mettre de la pression, de jouer en bloc haut, d’avancer, on a du monde derrière pour sortir les ballons, on a des sécurités défensives, on a du monde à l’intérieur, de la présence devant le but. Après il faut trouver des profils qui ont du cardio’ pour jouer dans les couloirs. Et puis on récupère aujourd’hui des anciens ailiers, recyclés pistons/latéraux, capables de prendre tout le couloir. J’ai des convictions, mais je pense qu’il faut beaucoup s’adapter. Je me soucie de mettre le joueur dans les meilleures conditions.
Au FC Dieppe, en début de saison, avec la défense à 5, j’entendais les gens dire « C’est quoi ce système défensif ? », parce qu’ici, les gens sont … Je les appelle des « spectateurs exigeants » ! Je leur ai répondu, « Laissez-nous le temps », parce que le plus difficile, c’est le domaine offensif. Laissez-nous nous mettre en place. Je suis un entraîneur offensif à la base. Je crois que le record de buts marqués au club, c’est 68 buts (67 en réalité), l’année de la montée en CFA avec Sébastien Cuvier (saison 2012-2013). On n’a pas été très loin de le battre finalement (60) ! On a fait une saison remarquable en tout point. On a gagné 10 fois à l’extérieur, c’est énorme.
« C’est bien, mais ça peut être mieux ! »
On dit que tu aimes avoir des joueurs qui te correspondent…
(Sourire) Quand je jouais, j’ai rencontré des tas de coéquipiers qui avaient un talent incroyable, mais qui ne bossaient pas. Ils étaient fainéants. J’ai toujours eu du mal avec ça. Comme j’ai souvent été capitaine dans mes équipes, je les haranguais, je les poussais à l’effort, à être dans la cohésion. Moi, j’ai besoin de joueurs qui ont cette détermination. Dans mon recrutement, c’est fondamental, parce que je suis tellement passionné, que le moindre détail est important. Je dis souvent aux joueurs, « C’est bien, mais ça peut être mieux ». Quand on sort de 7 ou 8 victoires d’affilée avec Dieppe cette saison, malgré la victoire, je tire la gueule, et les joueurs me disent « Mais vous n’êtes pas content, coach ? », je leur réponds « Non, parce que si on peut faire plus, on doit faire plus, et à la fin, quand le championnat sera terminé, là, je pourrai être content ». J’arrive humblement à leur transmettre ça. Le meilleur exemple, c’est le match contre Charleville chez nous fin avril, on le perd mais on monte quand même en National 2 ! On n’avait plus perdu depuis 15 ou 16 matchs je crois (16 en réalité). Bien sûr, au départ, ce qui prédomine chez moi, c’est la joie, et je vois des joueurs qui ne sont pas contents… Là, je me dis que j’ai réussi à les impacter, à les emmener dans cette dynamique qui consiste à dire « Il faut gagner, il faut travailler ». Je suis comme ça pour tout, même dans la vie !
« J’ai tellement grandi dans la frustration… »
Accéder en National 2 sur une défaite à domicile, ça doit faire bizarre, non ?
Franchement, j’ai vécu tellement de sentiments contraires dans mon parcours que j’apprends à profiter de ces moments-là, parce que je sais que c’est dur. En 2017, avec Saint-Brice, on joue la finale de la Coupe de Paris, l’équivalent de la Coupe de Normandie, et le même jour, il y a un match en retard de notre championnat, entre le Red Star et Saint-Denis. Il fallait que Saint-Denis gagne pour que l’on monte en DH (Régional 1). J’avais envoyé quelqu’un au match. On gagne la coupe avec Saint-Brice mais je sais dans le même temps qu’on ne va pas monter parce que le Red Star a gagné… J’étais heureux mais… Les joueurs me demandaient le résultat, je leur disais de profiter de cette victoire en coupe. C’est une sensation, un sentiment difficile. Tout le monde attendait cette montée pour Saint-Brice. J’ai tellement grandi dans la frustration que j’apprends aujourd’hui à prendre du plaisir dans la victoire. Donc malgré cette défaite contre Charleville, j’étais heureux du dénouement.
Parle-nous de la jeunesse de ton effectif à Dieppe ?
On tournait cette saison autour des 23 ans de moyenne d’âge. C’est très jeune. J’ai une âme de formateur mais j’aime aussi que mes équipes courent. Même si je supporte l’OM, je vais citer Luis Enrique, qui aime que ses joueurs fassent les efforts, soient dynamiques. Je suis dans cet esprit. J’ai eu des équipes plus expérimentées, mais c’est une autre approche. Quand on a construit l’équipe la saison passée, je ne voulais pas d’une équipe mixte, parce que pour moi, c’est toujours délicat, avec d’un côté ceux qui vont mettre beaucoup d’énergie et de l’autre ceux qui vont plutôt être dans la gestion. Je pense qu’il faut aller dans une direction ou dans une autre. Et comme on ne pouvait pas avoir une équipe à 100 % expérimentée, comme l’avait Dieppe la saison dernière par exemple, et aussi parce que l’expérience, ça coûte plus cher, eh bien on a pris le parti de rajeunir énormément.
Le FC Dieppe a survolé sa poule de N3 mais le début de saison avait été moyen… C’est quoi le déclic ?
Mais le début n’est pas si mauvais que ça, juste moyen (1 victoire, 3 nuls et 2 défaites après 6 journées). Quand je suis arrivé, la situation au club n’était pas idéale non plus, parce que je suis choisi pour prendre l’équipe de N3 alors qu’au club, un éducateur voulait le poste, donc il y a un peu de tension, des conflits en interne, qui amenaient un peu d’instabilité. Et puis on est éliminé en coupe de France (1-0 à Neufchâtel, au 3e tour, le 15 septembre) et dans la foulée on perd à Drancy en championnat (3-2, journée 5). J’avais même dit à ce moment-là au président que, si le problème c’était moi… Parce que je suis quelqu’un de direct. Et c’est vrai qu’à Dieppe, quand je suis arrivé, il y avait des joueurs qui étaient dans le confort, j’ai beaucoup secoué le cocotier. Forcément, quand tu ne gagnes pas, c’est la faute du coach. J’entendais dire que j’étais trop dur, trop exigeant, trop ceci, trop cela… Oui, c’est souvent ce qui ressort, mais au final, les joueurs adhèrent, parce que si, avec moi, cela passe par le travail, cela passe aussi par l’honnêteté. Moi, je voyais quand même le travail que l’on fournissait. Derrière, après Drancy, on égalise dans le temps additionnel contre Sannois, à la maison (1-1, journée 6). Et là, le club me prolonge… C’est un signe de confiance. Cela a consolidé mon discours. Les choses se mettaient en place, mais il manquait cette conviction, et là, ça validait le projet. Parce qu’un projet sur un an, ce n’est pas l’idéal. Du coup, les joueurs, du moins ceux qui n’avaient pas cette conviction, se sont dit « le coach, il est là, il ne va pas bouger », et derrière, on a cartonné. On a gagné 3 à 0 à Pays de Cassel, et on a décollé (16 matchs sans défaite, 14 victoires et 2 nuls).
« Dieppe, c’est une terre de foot ! »
Du coup, avec cette accession en National 2, tu as redonné goût au foot à ton président, Patrick Coquelet, qui avait pourtant annoncé son départ dans un premier temps ?
Quand j’ai eu mon entretien avec lui avant de venir, j’ai vu qu’il était déçu parce qu’il voulait finir son mandat avec son ancien coach, Guillaume Bonel. Il m’explique qu’il veut un coach une saison pour jouer le maintien. Immédiatement, je lui dis que le club doit jouer la montée, parce qu’avec la ferveur qu’il y a ici… Dieppe, c’est une place forte en Normandie après Caen, Le Havre, Rouen, QRM et Avranches. On ne peut pas ne pas avoir d’ambition. Finalement, il me dit banco. Quant à sa décision d’arrêter en fin de saison, je lui ai dit de garder 5% de réflexion au cas où on monte, de ne pas me laisser…Et en janvier, il a commencé à dire qu’il allait être obligé de rester si on montait. En mars, il a dit qu’il continuait. Là, il est reparti pour 4 ans, avec une transition, qui est déjà effective, puisqu’il a annoncé que, dans 2 ans, il céderait sa place à Stéphane Novick.
Cette ferveur autour du FC Dieppe, ce monde au stade, c’est rare en N3…
Il y a toujours eu du monde à Dieppe ! Je me souviens être allé voir en spectateur un match Dieppe – Alençon en N3 il y a 3 ans, et il y avait plus de 1000 personnes… Franchement, ici, c’est une terre de foot. Le FC Dieppe rassemble. J’ai vu des gens faire la queue sur 40 ou 50 mètres pour entrer au stade ! En N3, à part le FC Rouen à l’époque, je n’avais jamais vu ça en Normandie. Cela faisait 8 ans que le club attendait cette montée en N2. En coupe de France, Dieppe a fait 4500 spectateurs contre Laval l’an passé. On est top 4 en Normandie au niveau des affluences, après Caen, Le Havre et le FC Rouen. En N2, on serait juste derrière Bordeaux, Saint-Malo et Chambly.
Pour terminer, une question que nous posons généralement en premier : tes débuts au foot ?
J’ai commencé comme beaucoup, au quartier, en bas de la maison, à Sarcelles. Il y avait un terrain, je descendais avec mon grand frère faire des « goal à goal », et puis il y avait les matchs de quartiers et inter-quartiers. Je me suis inscrit très tôt au club de l’AA Sarcelles, où j’ai fait toutes mes classes, j’ai joué dans toutes les catégories. J’y suis resté jusqu’à mes 21 ans. Quand j’avais 18 ans, je me souviens que beaucoup de joueurs seniors étaient partis et le club avait propulsé les juniors, dont moi, pour évoluer en seniors. Là, j’ai fait de belles saisons, j’ai marqué des buts et ça attiré l’attention de Sannois/Saint-Gratien, qui évoluait en CFA, et qui m’a recruté. Avec Sannois, on est monté en National avec Didier Caignard (en 2002/2003). Pendant les vacances, un ami m’appelle et me dit qu’en Bretagne, La Vitréenne (DH) cherche un attaquant. Je me suis dit « Pourquoi pas ? ». J’ai fait un match d’essai, et le coach, Oswald Tanchot, qui démarrait sa carrière, me recrute. On est monté en CFA2 puis en CFA. On a failli monter en National une saison. Ensuite, je suis allé au Poiré sur-Vie (CFA2), on avait affronté le PSG en 16e de finale de la Coupe de France (1-3, le 2 février 2008 à la Beaujoire, à Nantes) ! Après, j’ai joué à Changé (CFA2) avec le coach Laurent Tomczyk, et Oswald Tanchot m’a rappelé à La Vitréenne, où je suis retourné, en CFA. On a failli monter en National. Là, j’arrivais à 29 ans, je voulais rentrer en région parisienne. Je réfléchissais déjà à l’après carrière. En parallèle, j’avais obtenu ma licence STAPS. C’est là que je signe à l’AFC Compiègne comme joueur, avant d’y retourner plus tard comme entraîneur, après des expériences chez les jeunes au FC Rouen donc, et en seniors comme adjoint de Thierry Bocquet, à Poissy, en 2015 : on était monté en CFA. En parallèle de tout ça, de 2010 à 2019, j’avais mes fonctions au club de Saint-Brice, qui a bien grandi au fil des années, passant de PH en DH. Mais au bout d’un moment, je ne pouvais plus tout concilier. Après Compiègne (2019-2023), je suis parti à Saint-Lô un an et me voilà à Dieppe !
- Texte : Anthony BOYER / X @BOYERANTHONY06 / mail : aboyer@13heuresfoot.fr
- Photos : FC Dieppe / Clémence Hedin
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