Revenu dans son club de coeur en 2022, l’actuel coach des U17 Nationaux, ancien chouchou de Bonal, rembobine le film de sa carrière pro et évoque sa mission à la formation.
Par Augustin Thiéfaine / Photos : fcsochaux.fr
Adulé par le public du stade Bonal entre 1996 et 2009, Michaël Isabey a depuis bien des années raccroché les crampons. Joueur emblématique des Lionceaux, il a remporté la Coupe de la Ligue 2004, participé au sacre de la Coupe de France 2007 et vécu de mémorables soirées européennes à Bonal (voir le Tac au tac).
S’il a depuis 2012 et sa fin de carrière à Dijon pris quelques cheveux blancs, il est revenu dans son club de coeur, son « club de toujours », pendant l’été 2022. Un moment où il a presque découvert « Le Château », l’historique centre de formation Roland Peugeot du club doubiste.
Rencontre avec un joueur à la trajectoire atypique, passé de l’anonymat du National aux sommets de la Ligue 1. Un milieu de terrain dont le nom résonne encore 15 ans plus tard dans les esprits des supporters sochaliens comme l’une des plus belles références du football franc-comtois. Un joueur en qui ils pouvaient s’identifier, qu’ils appréciaient pour sa simplicité et son engagement sur la pelouse. Loin de la démesure et des facéties actuelles du football, il faisait déjà office d’extra-terrestre il y a 20 ans tant sa façon de penser différait de la norme. A ce jour, il est le joueur le plus capé des Lionceaux avec 454 apparitions sous le maillot jaune et bleu !
Si trois clubs ont jalonné sa carrière de joueur – Racing Besançon (BRC), FC Sochaux-Montbéliard et Dijon (DFCO) -, ce sont avec ces trois mêmes institutions qu’il s’est engagé jusqu’à aujourd’hui dans sa reconversion d’entraîneur et de formateur. Fier et fidèle a ses principes, il a un mantra : « Rendre aux clubs ce qu’ils m’ont donné ».
C’est au Château, à Seloncourt, que nous l’avons retrouvé. Un lieu historique et réputé dans le football hexagonal, qui a vu le jour en 1974 et qui a accueilli des générations de jeunes Lionceaux. C’est en fait le coeur de l’institution sochalienne. Paré de son plus beau survêtement, l’actuel entraîneur des U17 Nationaux (49 ans), titulaire du BEFF (Brevet d’entraîneur formateur de football), a accepté de se prêter en exclusivité aux jeux de l’interview et du « Tac au tac », quelles que soient les questions, pendant plus d’une heure et demie. L’ancien capitaine a déterré quelques beaux souvenirs avec le sourire (et de moins beaux aussi), décrypté le présent et son rôle de formateur mais aussi livré son point de vue sur les différentes péripéties qui ont secoué le club aux 96 printemps pendant sa dernière décennie ; de la vente par son fondateur et propriétaire originel, Peugeot, jusqu’au retour de celui qui a revêtu des airs de messie lors de l’été 2023, Jean-Claude Plessis. Rencontre avec une personnalité animée par l’amour du ballon rond et ses valeurs collectives. Un sens de l’esprit d’équipe qu’il tente d’inculquer au quotidien à ses garçons pour les élever jusqu’au monde professionnel.
Interview
« On est toujours redevable de quelque chose »
C’est dans la capitale comtoise que tout avait débuté pour Michaël Isabey, en 1996. Le jeune milieu de terrain avait alors 21 ans et portait anonymement encore le maillot du Racing Besançon (Besançon Racing Club ou BRC à cette époque), tout en suivant des études « pour préparer l’avenir », en STAPS, à l’université de Franche-Comté.
Formation de Ligue 2 au début des années 2000 (2003-2004), le BRC a surtout connu plusieurs périodes en National, une division dans laquelle le club a stagné avant de déposer le bilan en 2012. Un tremplin pour Michaël Isabey qui jouait avant cela chez les jeunes de Pontarlier. Loin du parcours traditionnel en centre de formation, le milieu de terrain s’étoffe dans l’ombre en troisième division. « On a toujours le rêve de devenir footballeur et d’en faire son métier mais plus les années passent, plus on se rend compte qu’on ne rentre pas dans les cases. Quand on passe entre les mailles du filet, on essaie de se rattacher à autre chose. Pour moi, c’était de jouer le plus haut possible dans mon club. En National, c’était déjà un super niveau. »
Sochaux, le tournant de sa carrière
Vif et clairvoyant, le jeune Isabey compense son petit gabarit par son intelligence et sa vision du jeu. Des qualités qui lui permettront d’avoir un petit coup de pouce du destin lorsque le FC Sochaux-Montbéliard, pensionnaire de seconde division, et club le plus important de Franche-Comté, viendra le chercher en 1997. Le véritable tournant de sa carrière professionnelle (à lire dans le Tac au tac).
Alors que Besançon dépose le bilan en 2012 et doit repartir en Régional 2, Michaël Isabey n’hésite pas et s’engage dans la reconstruction du club quelques semaines après avoir clôturé sa carrière de joueur professionnel. « J’ai toujours un peu fonctionné en étant attaché aux personnes et aux valeurs des clubs où je suis passé. Je me dis qu’on est toujours redevable de quelque chose. Quand je reviens dans le club de ma jeunesse, le club qui m’a fait rebondir et permis d’avoir une carrière professionnelle, bien-sûr que c’était important de donner un coup de main et de faire le maximum pour que le club retrouve les couleurs qui étaient les siennes. »
Il rejoue 10 matchs en DHR avec Besançon !
Un « coup de main » dans la restructuration du club afin de le refaire tourner normalement. « Avec François Bruard, on remet tout en place, de l’école de foot jusqu’à l’équipe première. C’est lui qui était encore coach à ce moment-là. Moi, j’étais plus dans un rôle de coordinateur du projet sportif. »
Pour dépanner, Michaël Isabey continue de chausser les crampons. « J’avais une licence amateur et comme le club est reparti avec peu d’effectif, j’ai joué 10 matchs. En fin de saison on est monté en Division d’Honneur (Régional 1) et la seconde année François Bruard a fait remonter l’équipe en CFA 2 (N3). A ce niveau j’ai repris les rênes de l’équipe première tout en ayant la responsabilité du projet sportif. »
Sous sa coupe, le club parvient à se stabiliser à ce niveau. « Lors de la seconde année, le club attendait mieux en terme de résultats, je reconnais que nous n’avions pas les résultats escomptés par les dirigeants et mes fonctions ont été diminuées. J’ai décidé d’arrêter au Racing. Avoir repris un dépôt de bilan c’était long et dur. » Michaël Isabey quitte donc le Doubs au terme de la saisons 2016-2017 et rejoindra la Côte-d’Or au mois d’août pour retrouver un autre club qu’il connaît bien : le DFCO.
Observateur et recruteur à Dijon
« Après Besançon, j’ai eu la chance que le DFCO me téléphone pour intégrer leur cellule de recrutement du centre de formation. C’est quelque chose que je ne connaissais pas. Je partais un peu à la découverte. Ma fonction consistait en l’observation des jeunes talents avant qu’ils ne rentrent peut-être au centre de formation. J’ai eu cette casquette pendant deux ans et je circulais beaucoup dans le secteur Franche-Comté – Alsace. J’allais un peu sur Paris aussi. »
Acteur majeur de la montée en Ligue 1 des Dijonnais au terme de la saison 2009-2010, il est rapidement écarté la saison suivante, celle qui fut donc sa dernière dans le monde pro. Pour autant, le Pontissalien d’origine n’hésite pas à retourner dans la capitale bourguignonne dans son nouveau rôle. « J’observais les matchs, les joueurs, je recrutais. C’était intéressant parce que lorsqu’on est entraîneur, on ne rentre pas dans l’environnement du joueur. On connaît un peu la famille mais on ne creuse jamais vraiment très loin. Quand on est observateur, on voit tout. On voit l’environnement du jeune, son club d’origine, l’endroit où il vit. Tout est plus concret. »
Des jeunes comme Yanis Chahid (ex-Jura Dolois, et attaquant du DFCO aujourd’hui), Saïd Saber (ex-Racing Besançon) ou encore Rayane Messi (parti à Strasbourg) ont été supervisés et recrutés à 13-14 ans par Michaël avant de voir leur formation parachevée en Côte-d’Or pour finalement fréquenter le haut-niveau hexagonal entre Ligue 2 et National par exemple. De jeunes joueurs, qui, avant cela, auront pu retrouver leur ancien recruteur quelques mois plus tard quand celui-ci fut promu à la tête des U19 Nationaux. « Je suis plus un homme de terrain. Cette proposition de reprendre les U19, c’était une super opportunité pour moi. J’avais besoin de retrouver le terrain et c’est une catégorie super à entraîner. J’ai eu la chance de recruter des joueurs de 16-17 ans et de pouvoir les entraîner ensuite en U18-U19. C’était de bonnes saisons sauf la dernière qui était la plus compliquée et où on est rétrogradé en R1. Les deux premières étaient positives, surtout celle du Covid. On était en demi-finale de la Coupe Gambardella, on devait jouer Monaco. Dans ces catégories-là, évidemment qu’il y a l’aspect compétitif où on veut bien figurer en championnat. Bien-sûr la compétition est importante si on veut performer collectivement, l’individu sera lui aussi valorisé dans ses performances. Mais on doit avant tout leur faire franchir des paliers, les faire progresser. Dans les générations que j’ai eues, il y en a quelques-uns qui y sont parvenus et quand on est formateur c’est notre objectif de les accompagner jusqu’à cela. »
« Revenir à Sochaux, une grande émotion »
« Je suis en fin de contrat à Dijon et Jean-Sébastien Mérieux (alors directeur du centre de formation sochalien) me contacte parce-qu’il recherchait un éducateur pour la pré-formation (U15). Je reviens à Sochaux durant l’été 2022 et pendant un an je me suis occupé de cette catégorie et là, c’est ma deuxième saison avec les U17 Nationaux. On ne peut pas avoir la même pédagogie en U15 qu’en U17 et U19. Il y a un discours un peu différent, une manière d’expliquer et de présenter les séances différentes mais il y a un lien. Le lien, c’est la progression du joueur. L’objectif reste le même : on veut emmener le jeune vers la catégorie au-dessus dans les meilleures dispositions physiques, techniques et mentales. »
Au centre de formation sochalien, l’un des plus réputés de France – deux joueurs de l’équipe de France actuelle y ont été formés par exemple, Ibrahima Konaté (Liverpool) et Marcus Thuram (Inter) et bien d’autres avant -, les prodiges se remarquent vite. « On les remarque rapidement. Des joueurs qui ont un plus sur le plan physique ou technique ou dans la compréhension du jeu… Ils ont quelque chose qui se dégage par rapport aux autres. A Sochaux, les caractéristiques des joueurs sont un peu plus différentes. Si je compare Dijon à Sochaux par exemple, ici il y a plus de joueurs de vitesse. Le jeu sochalien est plus basé sur les transitions, sur le jeu rapide alors que Dijon c’est plus un jeu de possession, de réflexion, cela demande des profils différents. Ce sont des écoles différentes. »
« Revenir à Sochaux c’était une grande émotion. J’ai quand même passé 12 ans ici, on a vécu des bons moments, mes enfants sont nés à Montbéliard. Il y a un certain attachement qui est naturel. Avoir un rôle au centre de formation me donne l’impression, comme je le disais pour Besançon, de revenir et rendre la monnaie de sa pièce au club. De dire »ce que vous m’avez apporté, je vais essayer de l’apporter aux jeunes qui rentrent au centre et c’est ce que je me dis pour tous les clubs dans lesquels je suis passé. La particularité de Sochaux, c’est que j’ai fait ma carrière pro ici et c’est pour ça que les liens sont plus nombreux, plus forts, plus intenses. En tant que formateur, être ici c’est du bonheur. Le cadre est magnifique, il est un peu unique. Quand vous rentrez au Château, il y a quelque chose qui se passe, il y a une atmosphère, un historique qui se dégagent. Il y a tant de grands joueurs qui ont eu de belles carrières après être passés ici. C’est du prestige. Il y a encore beaucoup à faire dans ce club. »
« Quand l’entité Peugeot a disparu, l’âme de Sochaux a disparu aussi »
S’il n’était plus lié au club pendant les années 2010, Michaël Isabey n’a pour autant pas arrêté de suivre l’actualité et les résultats sochaliens. En 2014, quand Peugeot met le club en vente, il est, comme tous les suiveurs, assez circonspect de ce tournant. « Les années Peugeot associés aux clubs ont toujours été de bonnes années. Quand ce grand groupe disparaît du panorama du club, ça fragilise l’institution et ça amène de nouvelles têtes, une nouvelle trajectoire. Pendant ces années-là c’était fou vu de l’extérieur. Parfois on ne comprenait pas vraiment ce qu’il se passait, c’était flou. »
Dans l’extra-sportif, l’ère post-Peugeot tourne souvent au malaise général et aux inquiétudes avec des dirigeants débarqué de Hong-Kong (Wing Sang Li, surnommé « Monsieur Li, président entre 2015 et 2019), » aux manières et attitudes douteuses.
Pendant ce temps, « le club joue en Ligue 2 et on se dit qu’il peut retrouver le haut niveau. Peut-être que l’entité Peugeot, puisqu’elle n’est plus présente, n’a pas permis le retour du club en Ligue 1. Mais quand Peugeot a disparu, l’âme de Sochaux a disparu aussi. »
Et si c’était ça la pièce manquante ? Ce petit rouage qui manquait tant au FCSM, souvent candidat à la montée en début de saison mais victime de trous d’air, de pannes hivernale ou de coups de bambou en fin de calendrier. Un calvaire psychologique pour les supporters saison après saison.
« Au centre, on n’a rien senti venir »
Mais le calme et la pseudo-tranquillité sochalienne, qui n’avaient plus rien de tel depuis presque 10 ans et les multiples rebondissements sportifs et extra-sportifs, sont à nouveau largement tourmentés. Au mois de juin 2023, il manque 22 millions d’euros. La gestion de Samuel Laurent (alors directeur sportif) et sa politique de salaires très élevés sont en cause. Les actionnaires chinois (Nenking) et le président, Frankie Yau, ne peuvent combler le déficit. Le groupe rencontre lui aussi des difficultés de trésorerie. Le 28 juin 2023, la DNCG rétrograde le club doubiste en National. Un moindre mal. Malgré tout, la sanction passe mal. Si les finances ne sont pas rapidement assainies, cela peut finir en dépôt de bilan. C’est le début de l’intersaison la plus éprouvante que le club aux 96 printemps aujourd’hui ait connu. En disant adieu à la Ligue 2 après y avoir figuré en haut de tableau depuis plusieurs saisons, les supporters passent des espoirs d’un retour au Ligue 1 à un quasi-deuil. Le club vend à tour de bras et dans l’urgence, presque tous ses joueurs professionnels sans arriver à combler le trou dans son budget. Le centre de formation ferme ses portes. Le premier club professionnel de France est au centre du réacteur médiatique et la vie s’est presque arrêtée à Montbéliard. L’avenir des Lionceaux semble alors plus que flou.
« Ça a été un traumatisme. Il y avait de l’incompréhension. Comment a t-on pu en arriver là ? Du jour au lendemain, comment un club comme celui-là pourrait presque disparaître ? En interne, la fracture a été difficile. Le matin on devait s’entraîner, à 16h on nous a dit « vous partez ». Bien-sûr qu’il y a eu des erreurs et que les clignotants devaient être rouges. Bien-sûr qu’on en veut aussi aux personnes qui gèrent le club et qui ont peut-être vu la tempête arriver sans faire le nécessaire. Je me dis aussi que quand on est dans cette machine à laver, on peut se dire qu’avec des résultats, ça peut repartir. Nous n’avons pas la connaissance des dirigeants ni tous les éléments. C’est compliqué d’avoir une vraie opinion. On n’était tellement pas préparés à ça que l’incompréhension dominait plus qu’autre chose. Nous, on avait la promesse d’un nouveau centre de formation, donc il n’y avait, à nos yeux, pas de feu rouge. On pouvait se projeter vers l’avenir. C’était structuré et on voyait que des moyens étaient mis pour l’équipe première. On n’a rien senti venir. »
« Sochaux vivra ! »
Pendant ce temps, les supporters se mobilisent. Le 8 juillet, ils sont 400 à défiler dans les rues de Montbéliard. Le 14, ils sont 3 000 à se rassembler au stade Bonal avec un slogan : « Sochaux vivra ! ». Le 22 juillet 2023, les Sociochaux rentrent dans la danse avec un projet d’actionnariat populaire et réunira au total 11 000 socios et plus de 750 000 euros qui rentrent dans le capital du club. « Pendant ce temps, on se dit qu’il faut être patient, que pour un club comme celui-là, il peut peut-être y avoir des solutions. Dans cette patience, plus les jours avancent, plus l’inquiétude grandit. On passe par toutes les étapes, l’espoir, le désespoir. C’est un ascenseur émotionnel. Quand Romain Peugeot (arrière petit-fils de Jean-Pierre Peugeot, le fondateur du club) annonce un plan d’investissement, il y a un espoir. Quand deux jours après celui-ci est refusé, on se dit que c’est fini, que c’est mort. »
Le 17 août le calvaire prend fin. « A partir du moment où Jean-Claude Plessis – président du club lors des titres de 2004 en coupe de la Ligue et de 2007 en coupe de France -, les nouveaux investisseurs et les collectivités décident de faire revivre le club en travaillant pour un projet viable en National en incluant le centre et en préservant nos emplois, on y croit. Voir arriver une personne qui connaît le club, qui en est amoureux, qui emmène des gens avec lui, qui convainc des investisseurs locaux, ça lance un engouement général. Quelque part on n’a pas changé grand-chose dans le fonctionnement malgré ce coup d’arrêt. Il y avait une alchimie générale. Collectivités, investisseurs, Sociochaux, supporters, les salariés du club… ça a permis de propulser l’ensemble. Avec des bases plus saines, un ancrage régional, on peut construire sur le long terme. Sochaux est un club légendaire et a besoin de ça. Il ne peut pas construire avec un projet éphémère. »
Le centre de formation, clé de voûte de l’institution
« Aujourd’hui, on sent bien que le club est encore fragile, qu’il se structure et qu’il a des ambitions et c’est important. Les moyens sont aussi mis pour pérenniser le centre et que celui-ci reste une valeur importante pour l’équipe première et peut-être pour vendre des joueurs formés au club. On sent vraiment qu’il y a des fondations qui sont posées, qui sont rétablies et qui sont assez saines dans le développement d’un club. Il faut préserver le centre avant tout. Si on regarde dans l’effectif actuel il y a des joueurs, qui, comme Martin Lecolier ou Salomon Loubao sont sortis du centre et ont été propulsé en équipe première. Martin est un exemple. Au départ il était là et il bossait. En travaillant il a été récompensé. On voit qu’on forme encore des joueurs capables d’apporter à l’équipe première. On en a encore et on en aura toujours, génération après génération. »
Bernard Genghini, Joël Bats, Yannick Stopyra, Stéphane Paille, Franck Sauzée, Camel Meriem, Benoît Pedretti, Jérémy Menez, Jérémy Mathieu, Marvin Martin et plus récemment les internationaux français Konaté et Thuram sont sortis au fil des des décennies du fameux centre pour alimenter les plus grands clubs européens et garnir les rang de l’équipe de France et d’autres sélections internationales (Rassoul N’Diaye, Joseph Lopy, Omar Daf ou encore El-Hadji Diouf, notamment, pour le Sénégal, Danijel Ljuboja pour la Serbie, Ryad Boudebouz et Liassine Cadamuro pour l’Algérie, Mevlut Erding pour la Turquie, Cédric Bakambu pour la RD Congo ou encore Jérôme Onguéné et Jeando Fuchs pour le Cameroun).
Sans compter les Frau, Monsoreau, Butin, Quercia, Prévôt ou Virginius qui ont marqué le club et intégré les Bleuets chez les Espoirs. Bref, la renommée de la formation sochalienne n’est ni à faire, ni à prouver et cette valeur c’est ce que les formateurs souhaitent avant tout préserver.
« La complexité de notre position est que l’équipe première est en National et qu’on forme des bons joueurs… ils ne restent pas forcément (dernièrement Doumbouya à Nice, Vaz et Issanga à Marseille). On serait en Ligue 2 ou en Ligue 1 il y aurait cette passerelle qui permettrait de les conserver, mais actuellement il y a un décalage. On garde quand même des bons joueurs formés au club, mais il y a un côté frustrant à les former et les accompagner avant de les voir partir. On a l’impression de jouer notre rôle de formateur, d’avoir un apport et de travailler pour le joueur et le club sans qu’eux ne le rendent au club. C’est différent. Ce ne sont plus les mêmes mentalités, environnements et demandes extérieures. Avant, il y avait moins d’argent, moins de demandes des clubs étrangers et les joueurs avaient tendance à signer dans leurs clubs formateurs. Aujourd’hui c’est moins le cas. Je me souviens que quand je jouais, quand un jeune arrivait dans un vestiaire pro, il y avait un certain respect. Il y avait une hiérarchie. Aujourd’hui elle est de moins en moins présente. Le jeune qui a de la valeur, il se sent fort. Alors, il se sent au même niveau que des pros qui sont là depuis plusieurs années. C’est ce qui fait aussi que parfois ils ne restent pas. »
« Dans notre génération, il y avait une certaine fidélité »
Lutter contre les grosses cylindrées qui viennent toquer à la porte est compliqué. « Il y a des Martin, des Solomon, qui font un autre choix de carrière, qui adhèrent au projet porté par le club. Parfois c’est plus compliqué. Le joueur peut être d’accord mais son environnement non. Parfois c’est l’inverse. Nous on espère que certains de nos bons potentiels accepteront nos propositions de jouer en équipe première et faire remonter l’équipe mais on n’est jamais sur de rien. On serait en L2, il y aurait sans doute plus de joueurs qui resteraient. Il y a des réflexions c’est normal. »
A contrario, il y a des joueurs formés au club qui ont l’amour du maillot. Boris Moltenis et Mathieu Peybernes sont de cette catégorie-là. Les deux défenseurs font partie de l’équipe première. Moltenis, qui a joué ses premiers matchs professionnels à Bonal en Ligue 2 fait même partie des Sociochaux, est revenu lors du mercato hivernal 2023/2024 de Pologne alors que Peybernes (qui jouait au club, en Ligue 1, au début des années 2010), lui est revenu pendant l’été. « C’est important. Il faut saluer ces joueurs qui montrent une mentalité comme celle-ci. Ils sont formés ici mais ils font surtout tout ce qu’ils peuvent pour le club. Ils ont l’amour de ce maillot. De tout temps, il y a toujours eu des garçons attachés au club, parfois même sans qu’ils ne soient formés ici. Lors du départ de Jean-Claude Plessis, il y avait Stéphane Dalmat qui n’a joué que deux ou trois ans ici. Pour autant, il s’est attaché au club. Ça veut dire que même des grands joueurs s’attachent. Cela montre qu’il y a vraiment quelque chose d’engagé et de profond qui se crée quand on arrive à Sochaux. Dans notre génération il y avait une certaine fidélité. Des Omar Daf, Teddy Richert sont restés des années et ont tout connus ici. C’est une valeur ajoutée pour le centre. Un Moltenis ou un Peybernes, ce sont des moteurs, des exemples des valeurs de ce club. Ce sont eux qui peuvent transmettre ces vertus, c’est aussi leur rôle, comme nous l’avons fait auparavant. »
Il y a aussi l’exemple de Dimitri Liénard. Natif de la région, formé au club, il n’avait, avant l’hiver 2023, jamais porté le maillot jaune et bleu en professionnel et a fait une carrière plus que réussie à Strasbourg en Ligue 1. A 36 ans, il a enfin revêtu le maillot des Lionceaux, en National. « Je crois que cela a toujours été dans un coin de sa tête de porter ce maillot. Il est du coin. De le faire en fin de carrière c’est magnifique et lui aussi a envie de tout donner. Kevin Hoggas dans une autre mesure aussi. Tous les joueurs qui ont un certain amour et engagement envers le club sont des valeurs ajoutées. »
Michaël Isabey du tac au tac
« Les émotions sont le sel du sport »
Meilleur souvenir sportif ?
Je dirais la Coupe de la Ligue 2004. 2004 c’était une super année. En 2003 on était allé en finale et on avait perdu contre Monaco (4-1) et d’avoir réussi à aller au bout un an après, ça reste un super souvenir (Sochaux bat Nantes : 1-1, 5 tab à 4). On avait une force collective.
Pire souvenir ?
C’est de ne pas avoir joué la finale de la Coupe de France en 2007. De ne pas avoir été sur la feuille de match à cause de différents avec l’entraîneur de l’époque, Alain Perrin. J’ai fait tous les tours d’avant et je n’ai pas joué la finale. Ça laisse un sentiment d’inachevé, c’était un moment très difficile. Aujourd’hui encore, je ne sais pas comment j’ai fait pour dépasser cette déception. Sur l’instant, ça avait déjà pris quelques minutes pour revenir dans la tribune et après encore plus. Au départ il y a la déception de ne pas pouvoir partager la joie des partenaires. Mais d’avoir le soutien des supporters au retour, ça remet un petit peu de baume au coeur même si ça ne soigne pas la blessure. Dans un second temps c’est aussi une fierté. On a encore gagné un titre pour le club et j’ai pu y participer à tous les tours précédents. Je me disais que Laurent Blanc avait été champion du monde sans jouer la finale, alors Isabey, il peut gagner la finale de la coupe de France sans l’avoir jouée !
Le coéquipier qui vous a le plus marqué ?
Il y en a quelques-uns. C’est surtout Mickaël Pagis, Jérôme Leroy et Stéphane Dalmat. Ils étaient talentueux, pour eux on avait l’impression que le foot était facile. Jouer à côté d’eux aider beaucoup à rendre le foot facile.
L’entraîneur qui vous a le plus marqué ?
On a toujours eu de très bons entraîneurs au club. La chance qu’on a eue dans cette génération 2000-2007, c’est d’avoir eu en continuité Jean Fernandez et Guy Lacombe. C’est une chance parce que Jean Fernandez c’était la rigueur et le travail, beaucoup de travail. Guy Lacombe, c’était l’aspect technico-tactique et cela permettait de produire du jeu et d’être fort sur le terrain. En fait c’était la rigueur et le travail puis comment bien jouer.
Un modèle de joueur ?
Alain Giresse. Il avait la même taille que moi (rires). A l’époque j’adorais Bordeaux et lui, il était marquant, il était en équipe de France, je l’aimais bien. Je me disais que j’aimerais bien être à sa place. Bon, pour moi, il n’y a pas eu l’équipe de France (rires).
Un joueur perdu de vue que vous aimeriez revoir ?
Il y en a plein que j’aimerais revoir, Jimmy Algerino, Lionel Potillon, Olivier Thomas, Stéphane Pichot. Tout ceux avec qui j’ai eu une complicité, j’aimerais les revoir et on ne se voit pas assez.
Un entraîneur perdu de vue que vous aimeriez revoir ?
J’ai revu dernièrement Jean Fernandez au départ de Monsieur Plessis donc c’était un plaisir. Guy Lacombe, je l’ai revu dernièrement aussi. J’aimerais bien revoir Faruk Hadzibegic. C’est lui qui m’a lancé dans le monde professionnel et c’était quelqu’un qui était très proche de ses joueurs.
Le match qui vous a le plus stressé ?
J’avais toujours un peu de stress avant les matchs mais une fois que j’étais sur le terrain j’avais la tête dans le jeu, dans le projet tactique. Il n’y a donc pas forcément un match spécial.
Un public qui vous a impressionné ?
Le public sochalien ! Encore aujourd’hui il m’impressionne. On a le plus beau public. J’aime leur proximité. J’aime leur patience. Ils ne veulent pas forcément du beau jeu mais ils veulent un peu d’euphorie, des sensations. Ils veulent vivre pleinement la rencontre avec une équipe qui se lâche. Tant qu’il y a ces ingrédients, le public sera derrière l’équipe. Quand il n’y a pas d’euphorie et de sensations… c’est autre chose. J’ai dit Sochaux parce que c’est un super public. J’ai l’impression qu’il y a plus d’ambiance aujourd’hui qu’à mon époque. Peut-être que je pense cela parce qu’aujourd’hui je suis dans la tribune et qu’en étant sur le terrain c’est différent mais ça fout toujours autant les poils ! En France il y a aussi Bollaert. Quand les Lensois chantent Les Corons, on avait toujours les poils qui se hérissaient.
Votre but qui vous a le plus marqué ?
Mon but à Martigues, en Ligue 1, la première année (1997-1998). Je découvrais le monde professionnel. En l’espace d’un an, je passe de National en Ligue 1. On gagne 2-1 en plus. C’est un but sur un centre en retrait, je mets une frappe qui n’est pas très belle mais qui est bien placée, au sol.
Un geste technique préféré ?
Le crochet, crochet-court intérieur ou extérieur. Ça fait toujours la différence sur un terrain. Il fallait que je sois vif sur les premiers mètres et le crochet c’est le dribble qui peut amener quelque chose pour moi. Quand on s’écarte de l’adversaire, on peut frapper, faire une passe ou centrer et c’est un geste qui met de l’action.
Un coéquipier avec qui vous pouviez jouer les yeux fermés ?
Je dirais Mickaël Pagis et Benoît Pedretti. On avait tellement nos cheminements de jeux que quand j’avais le ballon je savais qu’il était sur ma gauche, en diagonale, je n’avais pas besoin de regarder. « Mika », je savais qu’il était dans l’axe et que je pouvais jouer avec de la verticalité. On quadrille le terrain, si chacun est à son poste, on a à peine à tourner la tête pour avoir la prise d’informations.
Le joueur le plus écouté dans le vestiaire ?
Teddy Richert. A Dijon Grégory Malicki. C’est souvent les gardiens, parce qu’ils ont une grosse voix (rires). Ce sont surtout des leaders naturels. Ils sont des exemples parce qu’ils sont travailleurs, ils sont dans la performance. Ils sont écoutés. A ces époques-là, on n’avait pas besoin de se parler, il y avait une prise de conscience collective. On savait.
Un joueur qui mettait toujours l’ambiance dans le vestiaire ?
Au début il y avait (El-Hadji) Diouf (1998-1999) ! Il y avait Sébastien Dallet aussi. Dans les années Fernandez-Lacombe, il y avait William Quevedo. Il en faut bien un dans chaque groupe !
Votre premier entraînement chez les professionnels ?
J’arrivais de Besançon, je me suis garé à Bonal, je ne savais pas trop où aller… J’étais arrivé trois heures avant et je me suis mis dans la tribune des Forges tout seul pendant une heure. Je regardais la pelouse, une galette et je me suis dis »t’es là quoi. Tu vas vivre ton rêve. » Je savais que j’avais une chance inouïe. A l’entrainement j’étais déjà impressionné par la qualité de la pelouse et je regardais les joueurs… Je n’osais pas bouger. J’étais assis dans le vestiaire et j’étais hyper intimidé, comme un gosse.
Les soirées européennes ?
C’était le graal. Et encore nous on jouait la Coupe UEFA mais j’imagine même pas la Ligue des Champions, c’est une autre dimension. Mais dans une vie de footballeur quand on peut toucher aux différents échelons… j’ai touché à la Ligue 1 et à l’UEFA, d’autres la C1 et l’équipe de France c’est encore des steps bien plus haut. Avoir vécu ça à Sochaux, c’est historique. C’est des atmosphères différentes. On rentre dans un rythme différent, des sensations différentes.
Dortmund ou l’Inter ?
Tout le monde dirait Dortmund mais moi je dirais l’Inter. Tout le monde dirait Dortmund parce-qu’on a gagné et qu’on est passé mais je veux parler de l’Inter parce que je pense qu’on méritait de gagner. Et puis, se retrouver face aux grands joueurs, Vieri, Recoba… c’est impressionnant. C’est comme toutes les découvertes. Le premier entraînement, le vestiaire pro, Bonal… là c’est un match de coupe d’Europe, vous avez Vieri en face de vous il chausse du 48 et fait 3m10. On rivalise comme on peut.
Votre rêve de carrière aujourd’hui ?
C’est de vivre des émotions à travers un championnat. De jouer les premiers rôles, de vivre des phases finales si on est avec des jeunes. De jouer un titre ou une finale de Coupe en Gambardella. Aujourd’hui je parle des jeunes parce-que c’est le présent. Je ne me projette pas dans le lointain. Les émotions sont le sel du sport.
Le plus grand accomplissement dans votre carrière ?
C’est la longévité. Quand j’ai commencé à 22 ans, que j’ai signé pro, je me suis dit que j’aimerais jouer quelques années. Finalement j’ai joué pendant 15 ans.
En deux mots, que représente le football pour vous ?
Un lieu de rencontre, d’égalité, de solidarité, de partage, de tolérance et de respect. Ça fait plus que deux mots mais c’est ma définition du foot.
Une devise ?
Comtois, rends-toi ! Nenni, ma foi !
Un match de légende ?
France-Brésil 1986 au Mexique. Je trouvais ce match fabuleux. A chaque but je courais dehors et je faisais l’avion. Je ne sais pas pourquoi mais ce match m’est toujours resté dans la tête. Socratès pour le Brésil, Platini pour la France et j’avais 11 ans. C’est le foot qui marque.
Des passions à côté du foot ?
J’avais plein d’idées de passion. J’avais l’idée d’aller au golf mais j’ai pas le temps. J’avais l’idée de me mettre à de nouvelles pratiques, style le padel, mais c’est pareil. J’aimerais bien vivre. Avoir un peu de temps pour faire ces passions qui m’ont trotté dans la tête… mais je n’ai pas de passion concrètes. La seule passion que j’ai c’est de pouvoir profiter de ma famille et de mes enfants et d’avoir le temps de faire des choses avec eux. Ce que je n’ai pas eu tout le temps de faire lorsque j’étais joueur.
Complétez les phrases : Sochaux est un club…
Formateur et historique.
Vous étiez un joueur plutôt…
Partenaire.
Vous êtes un coach plutôt…
Collectif. Le collectif est important. A travers le collectif il y a toujours la facette individuelle qui va se dégager mais le foot c’est un sport collectif. C’est l’essence du foot. Le collectif doit rester supérieur à l’individu. Sans l’équipe derrière, le joueur ne peut pas gagner tout seul.
Quitter Sochaux a t-il été la chose la plus difficile ?
Ce n’est pas moi qui ait pris la décision mais bien sûr c’était un crève coeur. Quelque part je me voyais continuer là, avoir un rôle ici. C’est pour ça qu’aujourd’hui, la chance que j’ai, c’est d’être revenu quelques années plus tard. Dans un premier temps, ça avait été dur à accepter, j’avais 34 ans, j’étais en fin de carrière et le club avait d’autres dessins. Je me sentais encore capable de jouer et c’est pour ça que j’ai signé à Dijon avec qui j’ai participé à la montée en Ligue 1. Sochaux, c’était comme un infini, on se dit que ça ne s’arrêtera pas mais mon contrat a quand même pris fin un jour.
Texte : Augustin THIEFAINE
Photos : fcsochaux.fr
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