Mathieu Chabert (Dunkerque) : « La montée dont je suis le plus fier »

C’est l’entraîneur de la remontada dunkerquoise ! Grâce à un parcours exceptionnel après son arrivée sur le banc (31 points sur 36 !), l’USLD a retrouvé la Ligue 2, un an après l’avoir quittée. Le Biterrois de 44 ans est devenu le spécialiste des montées après celles vécues à Béziers (2018) et Bastia (2021). Entretien exclusif.

Photos USL Dunkerque

Lorsque Mathieu Chabert a signé le 2 mars, Dunkerque était alors 7e de National avec 9 points de retard sur Martigues et 8 sur Concarneau. Grâce à une extraordinaire série (10 victoires, 1 nul, 1 défaite soit 31 points sur 36), le club nordiste, vainqueur (3-2) au Mans lors de la dernière journée, a gagné sa place en Ligue 2, un an après l’avoir quitté.

Successeur de Romain Revelli, Mathieu Chabert, 44 ans, qui avait lui-même été écarté de son poste à Châteauroux début décembre, a transformé cette équipe de Dunkerque.

C’est sa 4e montée en six saisons après celle en Ligue 2 avec Béziers en 2018 avec déjà une série exceptionnelle (9 victoires sur les 12 derniers matchs) et les deux avec le SC Bastia, de N2 en National (2020) alors que son équipe était largement distancée par Sedan lors de son arrivée en octobre 2019 puis de National en L2 (2021).

L’ancien conseiller à Pole Emploi, au parcours atypique, est passé maître dans l’art d’emmener son groupe vers le haut lors des fin de saisons. Après avoir fêté la montée des Maritimes et commencé à rencontrer ses joueurs, Mathieu Chabert, malgré un emploi du temps très chargé, est revenu en longueur sur cette montée pour 13HeuresFoot.

C’est votre 3e montée en Ligue 2 avec trois clubs différents. Parvenez-vous à établir une hiérarchie entre elles ?
La dernière est forcément la plus belle. C’est celle en tout cas dont je suis le plus fier par rapport à ce qu’on est arrivé à mettre en place dans un laps de temps aussi court. C’est la première fois que des joueurs me pleurent dans les bras. Ça, je m’en souviendrai toute ma vie. Sur les trois montées en L2, aucune n’est pareille. Avec Bastia, c’était la fin du Covid et on est monté en regardant le match de QRM à la télé dans un salon du stade Furiani… Attention, c’était magnifique mais il manquait quelque chose. Avec Béziers, on était sur le terrain, on a regardé la fin du match Grenoble – Entente Sannois Saint-Gratien sur nos téléphones et on a explosé ensuite. C’était très fort. Celle-là, avec Dunkerque, c’était différent car on savait que si on gagnait, on ne dépendrait de personne. Tiens, je vais vous raconter ma causerie…

Allez-y…
On leur a montré une vidéo sur les réactions à la fin des équipes qui gagnaient une finale ou montaient… Il y avait La Rochelle en Coupe d’Europe de rugby, la fin du match et la montée d’Amiens en L1 en 2017 avec ce but à la 96e minute, celle de l’AC Ajaccio l’an dernier ou celles d’Annecy et Laval en L2 la saison dernière. C’était des caméras fixes sur les bancs de touche où on voyait de la tension sur les visages car la libération était proche, puis l’explosion. Les joueurs ont vu tout ça une heure avant le match. Trois heures après, c’est nous qui vivions les mêmes scènes. C’est ça qui est le plus beau émotionnellement. A Dunkerque, c’est la première fois que je fais douze causeries motivationnelles. A la fin, c’était devenu un jeu pour les joueurs. Ils disaient : « qu’est-ce que le coach nous a préparé cette fois ? » Ce qui est sûr, c’est qu’on a aussi bien rigolé. J’ai fait des causeries vidéos sur des combats de boxe, de MMA, sur des loups qui chassaient des buffles, le parcours de Benzema avec le Real Madrid en Ligue des Champions la saison dernière ou la compilation de leurs plus beaux buts. Mais j’ai déjà prévenu les joueurs : en Ligue 2, je n’aurai pas la capacité à en faire 38 comme ça.

Quatre montée en six ans, ce n’est plus une question de chance ou de hasard. C’est quoi le secret de Mathieu Chabert ?
Dans la vie et le sport de haut-niveau, il n’y a jamais de hasard. Le Mathieu Chabert de la montée de Béziers n’est plus le Mathieu Chabert de la montée de Dunkerque. Je n’ai pas changé. Je suis toujours le même. J’avais des facilités dans le management. C’est primordial et c’est un aspect que j’aime beaucoup.

Mais j’ai surtout beaucoup progressé tactiquement. J’ai un projet de jeu plus clair. Ce qui me fait plaisir, c’est que les joueurs ont apprécié. Le rôle et la fonction de chaque joueur étaient bien définis et étaient clairs. Les joueurs s’y sont retrouvés, ils ont eu un cadre dans lequel évoluer et ça a marché. Je suis fier bien sûr d’avoir réussi cette 4e montée en six ans avec Dunkerque. Mais ma plus grosse fierté, c’est de l’avoir réussi en proposant un jeu qui n’était pas celui que j’avais avec Béziers.

A Châteauroux, vous avez été beaucoup critiqué. Cette montée six mois après votre éviction est-elle une revanche ?
Je préfère profiter des moments que je suis en train de vivre plutôt que d’avoir de la rancœur. Ça ne sert à rien. Je n’ai de revanche à prendre sur quiconque. C’est le foot. Je trace ma route avec les gens qui ont envie de me connaître. Ceux qui n’ont pas envie, je ne m’en occupe pas. Chacun peut penser ce qu’il veut de moi, ça ne m’atteint pas. Je n’ai plus de problèmes avec ça. Avant, j’étais plus jeune. Je suis toujours un jeune entraîneur mais il m’a fallu un temps d’apprentissage pour savoir désormais me concentrer sur l’essentiel. Après, je vais vous dire une chose : si je suis monté avec Dunkerque, je suis persuadé que c’est aussi grâce à mon expérience à Châteauroux.

Expliquez-nous…
Tout simplement, j’ai beaucoup appris là-bas. Sportivement, ça a été le premier échec de ma carrière. Mais j’en ai tiré du positif. Je suis très content que Châteauroux se soit maintenu en National. Je suis content pour Maxence Flachez qui est quelqu’un que j’apprécie humainement, pour Michel Denisot, Patrick Trotignon et tous les gens de United World (le propriétaire saoudien). Après le match, j’ai reçu des messages de United World. Ils m’ont félicité pour la montée et ça m’a fait très plaisir. Je suis aussi content pour certains joueurs mais pas forcément pour tous les joueurs car certains ne sont pas des bonnes personnes… Je suis content pour tous les gens qui m’aimaient à Châteauroux. Et même pour ceux qui ne m’aimaient pas car leur club s’est maintenu.

Petit retour en arrière. Lors de votre départ de Châteauroux, vous nous aviez déjà accordé une interview exclusive dans laquelle vous expliquiez que vous ne vous voyiez pas replonger cette saison. Pourtant, le 2 mars vous arrivez à Dunkerque…
Reprenez mes propos… J’avais dit que si jamais il y avait un projet intéressant et que j’estimais qu’il ne pouvait pas se refuser, je ne m’interdisais pas de retenter le coup. Ça a été le cas à Dunkerque pour plusieurs raisons. D’abord car le terrain me manquait déjà beaucoup.

Contrairement à ce que j’avais vécu entre Bastia et Châteauroux, cette période a été plus longue, du 6 décembre au 1er mars. J’avais bien digéré, j’avais bien profité, je m’étais bien ressourcé. Je commençais à tourner en rond. J’avais cette sensation de manque et quand on a ce manque-là, ça créé une envie. J’ai eu Edwin (Pindi, le président) au téléphone et entre nous, ça a matché de suite.

C’est important de sentir qu’il y a des dirigeants qui vous veulent et que moi j’avais envie d’y aller. Entre nous, c’était gagnant-gagnant. Moi, je n’avais rien à perdre. Et sincèrement, j’avais quand même une idée derrière la tête car on veut toujours faire le maximum…

Ça veut dire que vous pensiez pouvoir revenir sur le haut de tableau malgré vos 9 points de retard ?
J’avais joué Dunkerque avec Châteauroux. J’avais trouvé que c’était une équipe très cohérente, bien structurée, avec un effectif de qualité. Je pensais que si on enclenchait une série, il pouvait y avoir une belle surprise. Mais la priorité réelle quand je suis arrivé était déjà d’assurer le maintien rapidement. On a débuté cette série et c’est parti !

Vous êtes rentré dans le cerveau de vos joueurs en leur disant « On va monter » dès votre arrivée. Certains ont avoué qu’il s’étaient dits « il est fou »…
Oui, c’est comme ça que ça s’est passé. Je leur ai dit : « La priorité, c’est de gagner rapidement trois matchs. Ensuite si on gagne ces trois matchs rapidement, je suis persuadé qu’on peut faire une série et gagner les 12 matchs. Et si on gagne les 12 matchs on va monter… ». Quand j’arrive, on est 7e avec 31 points en 22 matchs. Ça veut dire qu’en 12 matchs, on a doublé ce capital en prenant également 31 matchs. C’est juste exceptionnel.

L’acte fondateur, c’est cette victoire (3-2) contre Villefranche avec deux buts inscrits lors du temps additionnel le 17 mars pour votre 3e match avec l’USLD ?
On venait de gagner contre Châteauroux et Saint-Brieuc. Le club n’avait jamais remporté trois victoires de suite. Mais ce match contre Villefranche est effectivement fondateur pour plein de choses. Il valide notre projet de jeu, il valide le fait que cette équipe est mentalement capable de retourner des situations très très mal embarquées et il valide mon discours auprès des joueurs.

Que leur avez-vous dit à la mi-temps alors que vous étiez menés 2-0 ?
Ils pensaient que j’allais les pourrir. Mais je leur ai dit : « Bon les gars, qui a le plus d’occasions ? » Les joueurs me regardent et me répondent : « C’est nous, coach ». Je leur répond : « On est d’accord ». Je leur demande ensuite : « Depuis que vous jouez au foot, même en poussins ou pupilles, avez-vous déjà remonté deux buts et gagné 3-2 ? ». Tous me répondent « oui ».

Et là, j’enchaine par une dernière question : « Selon vous, combien de temps il faut pour marquer un but en moyenne, que ce soit en phase de récupération, en attaque placée ou en transition ? » Ils me regardent tous, ils ne comprennent pas trop… Je leur dit alors : « Il faut 30 secondes en moyenne. Il reste 45 minutes, potentiellement on peut donc marquer 90 buts. Ce n’est pas 3 buts qui vont nous faire peur…»

Visiblement, vos mots ont fait mouche…
Les mecs s’attendaient à ce que je les pourrisse et je leur tiens ce discours. Il fallait juste que ce soit nous qui marquions le 3e but du match. A partir du moment où on arrivait à le marquer, cela pouvait faire basculer le match. Freddy Mbemba marque vers la 55e minute et ça bascule. Sur le moment, je ne me dis pas que c’est un match fondateur. Mais avec le recul, je m’en suis rendu compte. Car derrière, on gagne notre 4e et 5e victoires de suite à Sedan et face au Red Star. Mais pour moi, il y a un autre match qui a compté dans notre parcours.

Lequel ?
Contre Le Puy lors de la 31e journée. C’est celui qui vient après notre défaite à Martigues (1-0), qui arrivait après sept victoires consécutives. Le Puy, c’est certainement notre plus mauvais match, on n’a pas beaucoup d’occasions. Mais on le gagne 1-0 à la 75e minute. Ce match est très important car beaucoup de personnes pensaient qu’à partir du moment où on allait subir notre première défaite, on aurait du mal à s’en remettre et à rebondir. Mais cette victoire 1-0, elle nous a relancé. Elle nous a permis de remettre un coup et de finir comme on a fini. Personnellement, elle m’a rassuré sur la capacité de réaction du groupe. J’avais fait 7 matchs, 7 victoires avant Martigues. Je ne connaissais pas l’attitude de mes joueurs dans la défaite.

Lors de votre arrivée, vous avez effectué un choix fort en titularisant dans les buts Arnaud Balijon, presque 40 ans, à la place de Sullivan Péan ?
On sait que pour faire une saison exceptionnelle comme ça et réussir à monter, le gardien doit être une pièce maîtresse.

On ne peut pas monter si notre gardien ne nous gagne pas de points. Arnaud, il nous gagne les trois points contre le Red Star (1-0) et il a souvent été décisif.

Oui, c’était un choix fort. Mais il n’était pas évident. J’arrive le 1er mars. Le jeudi, je dirige mon premier entraînement. La première chose que je dis à Sullivan, qui était juste irréprochable jusque-là, c’est qu’il n’allait pas jouer le lendemain. Quand on est entraîneur, ce sont des moments qu’on n’aime pas trop sur le plan humain. Car on sait qu’on va faire du mal à un de ses joueurs.

Mais les faits vous ont donné raison…
Aujourd’hui, je suis content d’avoir effectué ce choix car ça a marché. Mais ce qui me rend encore plus content, c’est de voir Sullivan, qui a mis du temps à comprendre ma décision et c’est normal, partir en courant et célébrer avec ses coéquipiers nos buts lors des derniers matchs. Quand on réussit à emmener tout le monde, même des joueurs à qui on a fait beaucoup de mal sportivement, c’est ça la plus belle réussite d’un entraîneur.

Après cette montée, on imagine que vous allez continuer avec Dunkerque ?
J’avais une clause d’un an, elle est donc activée. Donc pour l’instant, oui je continue. Mais il faudra aussi que si le futur repreneur arrive, il veuille bien travailler avec moi. J’apprécie beaucoup la manière de travailler d’Edwin Pindi et de Jocelyn Blanchard. Quand on sent la confiance de ses dirigeants, c’est important.

On entend beaucoup parler des problèmes financiers de Dunkerque, de plaintes. Avez-vous des craintes ?
Moi, je profite de l’instant présent et je me projette pour préparer la saison en L2. Le reste n’est pas de mon ressort. Je n’ai pas fondamentalement de craintes pour la suite. C’est juste mon avis, mais déjà avec la manne des droits TV en L2, cela permettra au club de faire les choses de manière cohérente.

Votre derrière expérience en L2 a été écourtée avec un limogeage au SC Bastia en septembre 2021, cinq mois après votre montée. Y a-t-il chez vous une volonté de montrer ce que vous êtes capable de réaliser à ce niveau ?
Ma carrière, je l’ai toujours construite étape par étape. Je pense avoir prouvé ce que je sais faire dans le championnat National avec ces trois montées. Donc oui bien sûr, j’ai beaucoup de détermination et de motivation pour prouver ce que je sais faire à un niveau dessus. Parce que je pense que je le mérite, c’est tout.. Je mérite d’avoir cette opportunité de travailler sereinement en L2.

Texte : Laurent Pruneta / Mail : lpruneta@13heuresfoot.fr et contact@13heuresfoot.fr / Twitter : @PrunetaLaurent et @13heuresfoot

Photos : USL Dunkerque

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