L’ascension d’un coach issu du monde amateur qui, s’il n’avait pas connu la réussite avec Luzenac puis Amiens, n’aurait peut-être jamais découvert le monde professionnel. Le Haut-Garonnais, bien ancré à l’AJ Auxerre, et qui a fait de la notion collective son mantra, refuse de se mettre des barrières. Après tout, il faut bien rêver !
Par Augustin Thiéfaine – Photos @AJA

Il est peut-être sous-côté, méconnu du grand public, mais il est respecté par tous les « suiveurs » du football français. Considéré comme l’un des meilleurs tacticiens tricolores en activité, il est aussi l’un de ceux qui obtiennent le plus de résultats, saison après saison. Son nom est d’ailleurs associé depuis quelques années à plusieurs clubs de l’élite (Amiens, Lorient et maintenant Auxerre).
Christophe Pélissier (59 ans) impose sa patte, son style et son état d’esprit dans le monde professionnel depuis bientôt dix ans. Pourtant, il n’est pas de ceux qui ont eu une grande carrière de joueur ni à qui on a donné les rênes d’un club quelques années après avoir rangé les crampons.
Lui, le natif de Revel, en Haute-Garonne, a gravi tous les échelons, fréquenté tous les championnats, avec rigueur et patience. Avec détermination et passion. Ses résultats parlent pour lui et rendent son parcours atypique mais l’actuel stratège de l’AJ Auxerre peut se targuer d’une liste d’opérations montées et maintiens presque toutes réussies. Une mission qu’il a de nouveau menée à bien cette saison.
Meilleur entraîneur de Ligue 2 en 2024, 3e au classement des coachs du quotidien LEquipe lundi dernier (derrière Luis Enrique du PSG et Liam Rosenior de Strasbourg), rien ne l’arrête ! Son équipe, promue en L1, trône à une confortable 10e place cette saison : elle vient d’acquérir son maintien après sa victoire à Rennes (1-0), le 6 avril dernier.
Une philosophie identique

La méthode Pélissier, qui a une vision bien à lui quant à la manière de construire un groupe, a porté ses fruits dans toutes les divisions. Finalement, seul le totem de l’Europe manque aux expériences du coach occitan.
De l’US Revel, « son » club, qu’il est allé soutenir à Castres la saison passée en 32e de finale de la coupe de France face au PSG, à l’AJ Auxerre, sa trajectoire est semblable à celle d’une comète dans la galaxie du ballon rond. De Luzenac, promu en Ligue 2 en 2014 (mais interdit de montée) à Amiens, qu’il a conduit du National à la Ligue 1, il confie les secrets de la réussite de clubs non-attendus.
Si les effectifs qu’il prend sous son aile changent et si les villes où il passe se succèdent, sa philosophie, elle, reste la même. Christophe Pélissier se replonge dans les livres de son histoire. De ses magnifique et douloureux souvenirs au sein du club ariégeois (Luzenac) jusqu’aux sommets du monde pro, il nous fait entrer dans les coulisses de sa vie d’entraîneur, nous dévoile anecdotes et secrets en exclusivité pour illustrer un parcours jalonné de réussites, de grandes joies mais aussi d’une immense peine. Une douleur jamais refermée…
Revel, Muret et l’amour de l’Occitanie

Christophe Pélissier est un enfant de Revel, en Haute Garonne, où il est né le 5 octobre 1965. Revel : son fief, sa ville, son club. Il y a débuté sa carrière de joueur en 1983 (milieu de terrain) et celle d’entraîneur en 2000.
« J’ai longtemps joué à Revel en Division d’Honneur (R1) et après je suis parti à Muret en National et j’ai fini « ma carrière » à l’extérieur (de la Haute-Garonne), à Carcassonne (Aude). Puis je suis revenu jouer pour ma ville, avec plein d’amis. La première année, j’étais à la fois entraîneur et joueur à Revel. J’aidais le coach en place, Gérard Fournier. Un homme emblématique malheureusement décédé cette année. L’année suivante, le président m’a proposé de prendre l’équipe. Ce n’était pas évident. Ce n’étaient que des joueurs avec lesquels j’avais joués, des jeunes aussi, mais je me suis pris au jeu. On a réussi à monter en CFA2 (National 3). »
Revel : « Pendant six ans, on monte, on descend »

« Réussir une montée dès ma première année (2000/2001), c’est déjà une belle réussite. En sachant qu’en fin de saison précédente, on avait remporté la Coupe du Midi, que le club n’avait pas gagnée depuis 50 ans ! Pendant six ans, on monte et on descend. Je fais deux montées et deux descentes avec Revel. C’était difficile pour une petite ville de 8 000 habitants d’aller à ce niveau-là et de se maintenir. »
Mais un coup de téléphone l’oblige à faire une première fois ses valises. Il ne part pas bien loin, à un peu plus de 60 km, à Muret, dans la périphérie sud de Toulouse. Un club dont il a aussi porté le maillot quelques années plus tôt.
« Au bout de ces six ans à Revel, le club de Muret, où Éric Carrière (ancien coéquipier) avait repris les rênes, me sollicite pour que je vienne entraîner. Ils venaient de redescendre de National en DH. J’accepte. »
Alors que les bons résultats s’enchaînent (il quitte Muret avec un bilan de 12 victoires, 7 nuls et 7 défaites), il est de nouveau sollicité. Cette fois, c’est un appel de « l’extérieur ». De l’Arriège. « Au mois de mars, un joueur qui était avec moi à Revel et qui était devenu directeur sportif de Luzenac, m’appelle pour me proposer un challenge assez important : prendre la tête de l’équipe d’un village de 600 habitants avec le défi de le stabiliser. Luzenac, à l’époque, c’est un club qui fait le yoyo entre CFA2 et CFA. »
La saga Luzenac : Pélissier « le magicien », acte I

C’est le début d’une longue histoire avec le club du coeur des Pyrénées, à quelques kilomètres de la frontière andorrane. « Lorsque j’arrive, ils sont en CFA. On se maintient la première saison (12e) et la seconde, en 2008-2009, on finit champion des quatre groupes confondus. On monte sportivement en National mais le club ne veut pas y aller parce que les moyens ne suivent pas. Le président donne quand même son feu vert pour vivre ce rêve, cette première saison en National (2009-2010). En face, c’était Troyes, Reims, Paris FC, Evian-Thonon-Gaillard, Gueugnon, Créteil, Amiens, Cannes… plein de grosses cylindrées. On y va en se disant qu’on va faire l’ascenseur car il y a quatre descentes au printemps. On se lance avec cette mentalité de vivre le moment, parce qu’on savait que financièrement, ce n’était pas tenable pour nous. »
En fin de saison, contre toute attente, le club est dans le ventre mou du championnat, maintenu ! Mieux que ça, il s’installe en National pour cinq saisons. « En fait, on termine 10e en 2009 avec un maintien assez facilement acquis. » Ce sera le cas encore pendant trois ans (12e, 15e puis à nouveau 12e). « La quatrième saison, on était un peu en fin de cycle. C’est dur. Faire tenir un club d’une commune de 600 habitants à ce niveau, c’est vraiment pas facile. Je suis déjà approché par Amiens à cette époque, qui venait de descendre de Ligue 2. Pour moi, c’est un tremplin parce que c’est un club professionnel mais il y a un refus des instances. Je n’avais pas encore le BEPF (Brevet d’entraîneur professionnel français). »
Un homme vient changer la donne. Jérôme Ducros. Le nouveau président de Luzenac ne le sait pas encore, mais il va bouleverser la vie de ce « club de village », que personne ne savait placer sur la carte. « Il débarque avec Fabien Barthez dans ses valises, qui, lui, deviendra directeur général. J’ai le souvenir d’un repas tous les trois en fin de saison, juste avant, avec un thème : mon départ ou non ? Ils voulaient préparer la saison suivante et m’ont dit : « Nous, on te propose un challenge. Tu signes pour 3 ans et au bout on monte en Ligue 2. » Je les ai regardé un peu interloqué et je leur ai dit : « Mais vous rêvez, vous êtes fous ! Monter en Ligue 2 avec Luzenac alors qu’on n’a même pas le budget pour être en National. » Le nouveau président apporte quelques moyens supplémentaires et la magie opère dès sa première année. »
Luzenac, quelle histoire !

Onze ans plus tard, c’est encore une énigme. Un haut-fait du football français. La montée du LAP (Luzenac Ariège Pyrénées) en Ligue 2 devait être l’une des plus belles histoires à narrer dans le grand atlas du football français. Mais il y a eu un couac.
Avant cela, Christophe Pélissier revient sur l’aspect sportif d’une saison historique. « Elle est incroyable, cette saison ! J’ai le souvenir de l’un de nos premiers matchs, on reçoit Strasbourg, l’un des gros favoris, on gagne 4 à 1. La première journée, on gagne à Orléans (1-0), on sent d’emblée qu’on est costauds : c’est eux qui viennent chez nous ensuite à la dernière journée, et qui nous privent du titre de champion (3-3) ! En préparation, on avait affronté le Téfécé, on rivalisait, on sentait qu’il y avait une force collective qui se dégageait. Les joueurs que l’on a fait venir rentrent bien dans le moule, dans la dynamique qui était en place. Tout ça, ça se ressent d’entrée en championnat. Bref, on caracole dans le trio de tête toute la saison. C’était une aventure exceptionnelle ! Même nous, on n’y croyait pas. On gagne le dernier match avant la trêve hivernale à Carquefou et on est champions d’automne. On en rigolait, on se disait « L’année prochaine on va aller en Ligue 2 ! ». En fait, la vérité, c’est que nous, le staff, ce qu’on regarde à chaque fois, c’est le nombre de points d’avance qu’on a sur le premier relégable. C’est le réflexe du maintien. Malgré tout, on s’est pris au jeu. À sept matchs de la fin, on reçoit Boulogne et on gagne 1 à 0. Dès la fin du mois de mars, on est assurés de monter. »
« On se sentait indestructibles »
Rien ne pouvait arriver. « Il y avait une telle harmonie au sein du groupe, avec le staff… On se sentait indestructibles. On ne se rendait même pas compte de ce qu’on était en train de vivre, de ce qu’on était en train de réaliser. Il y a eu beaucoup de matchs où on gagnait à la 90e ou 91e minute. Il y a eu pas mal de signes. En fait, on sentait que ce groupe là était prêt à tout. À sept journées de la fin, on va à Fréjus qui devait avoir 5 ou 6 points de retard sur nous. Là-bas, il y a Mathieu Scarpelli et compagnie en attaque. C’est un match très difficile, on est mené 1 à 0, on égalise à la 89e et on marque le but de la victoire à la 93e. On sentait que c’était écrit. Il y a beaucoup de joueurs qui se sont révélés avant de partir en pro. En attaque, il y avait Khalid Boutaïb, Ande Dona Ndoh et aussi Anthony Derouard qui venait du Mans en L2. On avait aussi au milieu Nicolas Dieuze qui avaient plus de 300 matchs en Ligue 1 au compteur, Quentin Westberg dans les buts (aujourd’hui au Toronto FC en MLS). Ils ont tous fait leur petite carrière. Jérôme Hergault, lui, m’avait ensuite suivi à Amiens et à Lorient. Beaucoup de joueurs ont profité de cette expérience pour se révéler. »
Interdiction de montée : « On ne nous veut pas ! »

Malheureusement, la suite, ce sont des semaines, des mois d’une angoissante attente. Dos au mur malgré leurs procédures, Luzenac est interdit de monter administrativement. Pire encore, le club se fait crucifier. « Cette saison, c’est aussi un ascenseur émotionnel incroyablement dur. Quand on a cette réussite sportive et quand on sait ce qui nous attend… C’est une énorme cicatrice. On sent que c’est le pot de terre contre le pot de fer. On ne nous veut pas ! Peut-être que tout n’a pas été super bien préparé par le club, que ce n’était pas « staffé » comme les autres clubs pros, certes, mais la LFP n’a absolument rien fait pour nous aider. C’est un sentiment de gâchis. On nous enlève quelque chose qu’on a gagné. La cicatrice a du mal à se refermer. C’est s’entraîner sans savoir ce qu’il allait en être. C’est voir le tribunal administratif nous donner raison. C’est voir le début du championnat suivant sans nous… Après, on n’existe même plus. On n’est carrément plus dans les championnats finaux. Et ce fameux 10 ou 11 septembre 2014, on nous dit que c’est terminé, qu’il n’y a plus de club… On se quitte tous sur un parking. C’est dur, c’est très dur après tout ce qu’on a vécu. »
Sa voix en tremble encore onze ans plus tard. « Certains joueurs et membres du staff ont rebondi, moi le premier. Mais ce moment-là, il est très difficile à vivre. J’ai eu, après, la chance de vivre d’autres bonheurs et d’autres succès, mais en tant qu’amoureux du sport, on a enlevé quelque chose à l’âme de notre discipline. La réussite du terrain a été retirée par des instances. Ça gâche l’innocence et la naïveté du sportif qu’on est, et du sport qu’on aime. La Ligue aurait été grandie d’aider un petit club à vivre son rêve professionnel. Certains autres clubs qui sont montés ensuite, comme Bourg-en-Bresse je crois, ont dit ‘’heureusement que Luzenac était passé par là’’, et eux, ils ont été aidés. On nous a dit qu’il n’y avait pas de stade aux normes pour nous, dans notre région. Quelque temps, Rodez monte de National en Ligue 2 et peut jouer au Stadium de Toulouse pendant qu’ils faisaient les travaux dans leur stade… C’est comme ça. C’est une plaie qui sera toujours béante. »
La folie amiénoise : Pélissier « le magicien », Acte II
Ainsi, l’entraîneur qui, quelques semaines plus tôt guidait son équipe sur le chemin d’un immense exploit, pleure-t-il désormais le destin funèbre de ses couleurs, la disparition du Luzenac AP. Sur le plan personnel, il passe par la case chômage et décide d’obtenir son diplôme professionnel. « C’est ce qui me « maintient » un peu. J’ai un objectif, donc je m’y consacre. Assez tôt, j’ai quelques contacts, dont Amiens, en National, et ça se fait à la trêve alors que c’était prévu pour l’année suivante. On est au mois de décembre 2014 et le président Bernard Joannin m’appelle pour me proposer de prendre l’équipe tout de suite pour un an et demi. Je débarque le 29 décembre à l’Amiens SC avec le but de faire remonter le club en Ligue 2 dans ce laps de temps. Amiens venait de perdre son statut pro et il fallait absolument le retrouver. Deux ans et demi plus tard, on était en Ligue 1. »
Amiens (2017-2018) : une saison historique

À Amiens, Christophe Pélissier accomplit encore un exploit retentissant : en 36 mois, il obtient deux montées consécutives. « On se dit qu’on a une bonne étoile au-dessus de la tête quand on voit le scénario de la montée en L1. Comme je le dis souvent aux joueurs, la réussite, ça se provoque. Ça prouve que le groupe avait bien travaillé et gardé le cap. Il y a surtout un changement de stature. Quand on monte de National en Ligue 2 (en 2016), on était dans les favoris du championnat. Par contre, quand on monte l’année suivante en Ligue 1 alors qu’on est promus, là on n’est pas du tout attendus. C’est une montée surprise. »
La montée en Ligue 1 du club picard reste aujourd’hui encore iconique. Nous sommes le 19 mai 2017, 38e journée de Ligue 2, Reims reçoit Amiens au stade Auguste-Delaune. Après 90 minutes de jeu, le score est de 1-1. Thomas Monconduit frappe le coup franc de la dernière action du match. Le ballon traîne dans la surface. Oualid El Hajjam le dévie de la tête et trouve le pied droit d’Emmanuel Bourgaud qui le propulse dans le petit filet gauche. Un but extraordinaire. Un but historique ! Même les supporters rémois applaudissent. Les Amiénois et leur entraîneur se jettent au poteau de corner. La folie s’empare du parcage visiteur. Au micro de BeIN Sports, le tacticien confiait alors avoir dit à ses joueurs que « lors des dernières journées, il se passait toujours des choses irrationnelles. On l’a fait. C’est fabuleux. »
« Il faut monter avec ses clubs quand on n’a pas été pro »
Après cet exploit retentissant, le coach devient « Pélissier le magicien ». Un surnom qui, aujourd’hui, le fait sourire. « Oui, car il n’y a rien de magique. Il y a une façon de voir les choses, de travailler, qui ne m’a jamais quitté. Je crois que c’est ce qui a fait cette réussite, que cela soit à Luzenac, Amiens, Lorient ou Auxerre aujourd’hui. J’ai une certaine idée de la manière à adopter pour faire fonctionner un groupe, ce qui, pour moi, est important. Le fait de réussir ces choses-là à un tout autre niveau en DH, en CFA 2 est commun, mais là, c’est en professionnel. J’ai fait trois ans en Ligue 2 avec trois montées et deux titres de champion. C’est une histoire pas banale pour un entraîneur amateur. Je dois être le seul entraîneur de Ligue 1 à avoir grimpé depuis la DH jusqu’à l’élite. En fait, gravir les échelons un à un, c’est ce qui m’a permis d’entraîner à ce niveau là. Je pense que quand on est un entraîneur qui n’a jamais été un joueur professionnel, comme moi, pour avoir des clubs de ce niveau, il faut le valider sportivement. J’ai entraîné en National parce que je suis monté en National avec mon club. Pareil pour la Ligue 2, puis la Ligue 1. D’ailleurs, tout le monde ne me parle que des montées, mais avec Amiens, certes on monte, mais se maintenir deux ans d’affilée ensuite en L1, ça a la même saveur que des promotions. C’était pas simple en termes de budget… Avec Lorient, c’est pareil. Finalement, la seule descente que j’ai connue, c’était avec Auxerre. J’arrive fin octobre 2022, mais il y avait quatre descentes cette saison-là… »
L’état de grâce à Auxerre : Pélissier « le magicien », Acte III

Avant de rejoindre Auxerre, il succède d’abord à Mickaël Landreau chez les Merlus en 2019. Une saison stoppée prématurément à cause de la situation sanitaire. Il obtient son premier titre de champion de deuxième division. « Quand j’entraînais Lorient en Ligue 2, on était attendus aussi, on était le gros club. Il faut avoir la démarche que cela soit dans le projet de jeu, dans la façon de construire son effectif aussi. Le changement de stature intervient là. Je change un petit peu d’univers, ça se ressent dans la façon d’appréhender les événements. Quand on est le petit, c’est facile de se placer en outsider, là, c’est plus difficile de se placer en favori. Le travail est un peu différent. Pouvoir réussir avec Lorient, c’est une étape supplémentaire qui a été franchie. C’est comparable aussi à cette même réussite avec Auxerre la saison dernière, en parvenant à remonter immédiatement. »
Nommé meilleur entraîneur de l’année 2024, Christophe Pélissier s’impose comme un acteur incontournable du football actuel. « C’est une fierté, c’est une récompense donnée par les pairs, ce sont eux qui votent. La fierté, c’est aussi d’être arrivé à remonter un an après une descente. Souvent, une relégation, ça traumatise un club. Là, ça redonne un élan positif incroyable à l’équipe. Ça n’a pas été évident au départ. J’avais des cadres qui ne voulaient pas rester, il fallait arriver à maintenir tout le monde, remettre les joueurs dans un projet de jeu. Je crois que c’est une saison où l’on met 72 buts (Ndlr : l’AJA est la meilleure attaque de L2 avec 72 buts devant Angers, 56 buts). On a aussi la deuxième meilleure défense du championnat (36 buts encaissés derrière Saint-Étienne, 31). Le stade est à guichets-fermés sept ou huit fois dans la saison, ce qui est rare en deuxième division. Il y a une communion avec le public incroyable, que cela soit à domicile ou à l’extérieur. Ça prouve que les supporters se retrouvaient dans l’identité de cette équipe. Une équipe, qui, à la fois ne lâchait rien, avait une identité dans le jeu et des joueurs de talents concernés par le projet de jeu. »
Si Christophe Pélissier est récompensé sur le plan personnel, Gauthier Hein et Gaëtan Perrin le sont aussi en étant nommés meilleurs joueurs du championnat pour le premier et meilleur passeur (10) pour le second. Ils figurent tous deux dans l’équipe de l’année avec le défenseur central brésilien Jubal et l’arrière droit Paul Joly dans le onze de l’année. 74 points sont totalisés dans l’escarcelle icaunaise en fin de saison. Un an après sa descente l’AJA revient en Ligue 1 avec la manière.
Un promu aux dents longues

« Notre année 2025 est une réussite. Dans le sprint final, on a 12 points d’avance sur le barragiste, en tant que promu, on aurait signé les yeux fermés en septembre. » L’effectif est composé de beaucoup de jeunes joueurs, sans grands noms. Un effectif huilée par une force collective à toute épreuve qui a notamment réussi à battre l’Olympique de Marseille à l’aller (3-1) et au retour (3-0) en inscrivant trois buts à chaque fois, une formation qui a tenu en échec le champion : le PSG, dans son antre de l’Abbé-Deschamps (0-0). Un effectif jeune, inexpérimenté dans lequel se révèle au plus haut niveau Gaëtan Perrin (8 buts et 8 passes décisives), Hamed Junior Traoré (10 buts en 24 matchs) et le jeune Kévin Danois (20 ans), entre autres. « Mon rôle c’est de faire croire aux joueurs qu’on peut le faire, que certes, on va affronter des clubs mieux armés que nous, mais qu’ici, on a une identité et que leurs qualités individuelles vont ressurgir. Je pense par exemple à des joueurs comme Kévin Danois, qui sort du centre de formation et vit ses premiers matchs en pro. Il devient un élément moteur de l’équipe. Je pense à Clément Akpa (défenseur central) qui était prêté en National il y a deux ans et qui est devenu international ivoirien. Il y a plein de joueurs comme ça, Paul Joly, Lassine Sinayoko, Gaëtan Perrin, qui arrivent à maturité, qui sont depuis longtemps ici et à qui on a fait confiance. On récupère aussi des jeunes joueurs qui viennent de l’étranger et qu’il faut relancer. C’est dur en début de saison, mais c’est aussi excitant de se demander comment ce jeune groupe, sans expérience significative en Ligue 1, est capable de performer. »
Alors que deux tiers du championnat sont déjà passés, l’AJA montre un solide de bilan de 10 victoires, 8 matchs nuls et 10 défaites. « On a une première partie de saison qui est faite de hauts et de bas. Ce groupe est capable, et on le prépare pour ça, de jouer des matchs les yeux dans les yeux avec nos adversaires. Nos deux victoires contre l’OM sont significatives de ce que l’on veut faire. C’est deux victoires nettes, c’est quelque chose dont les joueurs se souviendront toujours. Par contre, battre Marseille ne signifie pas qu’on a forcément un maintien acquis en fin de saison. Il faut prendre des points partout. » Le « cerveau » de l’AJA n’a plus qu’un an de contrat avec le club bourguignon. Le débat pour son avenir est ouvert. « Auxerre, c’est un club avec un engouement populaire incroyable. Il y a une volonté de franchir les étapes et de retrouver une certaine stabilité en Ligue 1. Ce n’est jamais évident quand on a un budget comme le nôtre. Je me retrouve tout à fait dans cet objectif-là. À la fin de la saison, il me restera un an de contrat, je ne sais pas quelle sera la volonté des dirigeants à propos d’un renouvellement. Ça fera trois ans, on parle souvent d’une fin de cycle à ce moment-là. On verra ce qu’il adviendra. »
« Quand ça va bien, je suis encore plus exigeant »

Pour arriver à ce niveau, le tacticien s’est appuyé sur un mantra qu’il a développé, sur son approche personnelle du sport et son expérience au fil des années. « J’estime que pour avoir une équipe performante, la notion collective est primordiale. Quand un collectif tourne bien, les individualités ressortent. Jamais le contraire. Il y a toujours des joueurs de talent qui sont capables de faire la différence, qui, quand on arrive à les intégrer et quand ils se fondent dans le collectif, permettent de gagner des matchs et de gagner des titres. »
Une approche qui fonctionne. Sur le plan purement sportif, Christophe Pelissier, c’est : trois montées en Ligue 1 (Amiens en 2017, Lorient en 2020 et Auxerre en 2024), deux titres de champion de Ligue 2, deux ascensions de National en Ligue 2 (avec Luzenac et Amiens). « J’essaie d’être un peu à l’inverse de ce qui se fait sur un terrain et de ce qui se dit à l’extérieur. Quand ça va bien, j’essaie d’être encore plus exigeant. Je dis souvent que les louanges sont les meilleurs somnifères. Quand on fait des bonnes choses, on a tendance à en faire un peu moins ensuite, donc je suis très vigilant là-dessus. Au contraire, dans des mauvaises périodes, et on en a connu, il faut arriver à maintenir la cohésion et la confiance aux joueurs. Il faut arriver à positiver, à travailler (Ndlr : l’AJA a vécu une période de onze matchs sans victoires entre décembre et février, et a été éliminée de Coupe de France par Dunkerque). Les joueurs le savent : la communication se fait toujours entre quatre yeux. Quand ça va bien, je le dis, mais quand ça ne va pas, je le dis aussi. Je ne laisse pas passer certaines choses. »
L’Europe, c’est pour quand ?
Il ne manque qu’une case à cocher, à toucher pour Christophe Pélissier. La seule chose qui manque à sa carrière d’entraîneur, c’est la ferveur des soirées européennes. Pour un entraîneur parti d’en bas, des championnats régionaux, cette ascension serait un modèle. « Vu mon parcours, je pense que si je veux entraîner un gros club, un club qui joue l’Europe, il faudra que je réussisse à en amener un à ce niveau-là. Comme je l’ai fait jusqu’à maintenant. Au départ, Je n’avais pas de plan de carrière, tout s’est un peu fait par hasard. Certains me disent que je suis sous côté, mais j’ai commencé en Division d’Honneur (R1). Quand on me dit, vingt ans après, tu vas entraîner six ans en Ligue 1, je ne peux même pas dire que j’en aurais rêvé. C’est quelque chose auquel je n’avais même pas pensé ! Quoiqu’il arrive, ma carrière d’entraîneur a été réussie. Je ne me mets pas non plus de barrière : si un club vient me chercher, pourquoi pas ? Mais je me dis aussi que vu mon parcours, le mieux, c’est d’amener un club à ce niveau surtout. »
Christophe Pélissier, du tac au tac

Meilleur souvenir ?
La montée en Ligue 1 avec Amiens.
Pire souvenir ?
Il y en a deux. La relégation en Ligue 2 avec l’AJ Auxerre après le match contre Lens et le jour où l’histoire de Luzenac s’arrête.
Un président marquant ?
Ils ont chacun leurs spécificités même si Jérôme Ducros (Luzenac) était un sacré personnage.
La saison où vous avez pris le plus de plaisir ?
On prend souvent du plaisir quand il y a de la réussite. J’ai eu la chance d’en avoir beaucoup. Je pense que la saison dernière avec Auxerre en Ligue 2 était vraiment très belle. On était dominateurs, on marquait beaucoup de buts.
Un modèle de coach ?
J’ai beaucoup aimé ce que faisait Jürgen Klopp à Liverpool. En ce moment, j’aime bien ce que fait Gasperini avec l’Atalanta Bergame. Tous m’inspirent, tout le monde a des idées et pas que dans le monde professionnel !
Choisissez un stade : Le Moustoir, l’Abbé-Deschamps, la Licorne ou Paul-Fédou…
Je crois que le stade Paul-Fédou de Luzenac n’a pas marqué que moi. C’était un terrain atypique, légèrement en pente de droite à gauche. Après, le stade Geoffroy-Guichard (Saint-Etienne) m’a toujours marqué. J’y vais depuis tout petit. J’y ai vu de nombreux matchs. C’est un stade avec une ambiance énorme.

Le club que vous rêveriez d’entraîner ?
En tant qu’Occitan il y a le Téfécé (Toulouse) ! Mais Saint-Etienne a une place importante, c’est vrai. Je suis allé à la finale à Glasgow, j’avais 11 ans.
Une devise ?
J’en change souvent ! Mais je crois que « seul, on va vite, ensemble, on va plus loin » me caractérise bien.
Une manie, un toc, un rituel, avant les matchs ?
Je ne sors jamais à l’échauffement et je fais les cent pas dans le vestiaire. J’anticipe la rencontre à venir. C’est le moment que j’aime le moins lors d’un jour de match.
Un style de jeu préférentiel ?
J’ai utilisé tous les systèmes. On était à trois derrière avec Luzenac. Un 4-2-3-1 ou un 4-4-2 classique avec Amiens et Lorient et Auxerre. Le système, c’est le papier, mais je crois que c’est l’animation qui est le plus le point le plus important. Il y a beaucoup de systèmes hybrides aujourd’hui. Les animations sur les sorties de ballon sont primordiales.
Votre plus gros défaut ?
Je suis rancunier. Je donne souvent ma confiance et je n’aime pas qu’on la trahisse.
Un match référence ?
J’en ai beaucoup ! J’ai le souvenir d’un match avec Lorient, on reçoit Saint-Etienne et on est mené 2-0 au bout d’un quart d’heure et on gagne 6-2. Cette année aussi, en gagnant au Vélodrome avec Auxerre et en marquant trois fois en une mi-temps face à ce Marseille-là… On a été performants. En fait, c’est un sentiment où tout marche comme sur des roulettes.
Un joueur adverse qui vous a marqué ?
Mbappé m’a subjugué, je l’ai joué quand il était avec Monaco puis avec Paris. J’ai vu son évolution. Il y a tant d’autres joueurs aussi… Je crois qu’en Ligue 1, on minimise trop la qualité des joueurs. J’ai découvert Désiré Doué à Rennes en commentant un match pour Prime Video quand j’étais au chômage. Il m’avait tapé dans l’œil. Il jouait son premier match avec Rennes, au Vélodrome, il avait une qualité, une maturité… il m’avait ébloui.
Joueur de légende ?
Zinédine Zidane. C’est mon joueur et mon coach préféré.

Un match de légende ?
Je vais en dire deux. Un positif et un négatif. Le négatif, c’est France-Allemagne de 1982. Le positif, c’est France-Brésil de 1998. C’est la revanche de 1982.
Vous êtes un entraîneur plutôt…
Proactif. J’aime mes équipes quand elles s’activent dans la récupération du ballon, dans l’utilisation. Quand tout le monde est impliqué dans le projet.
Luzenac était un club plutôt…
Familial.
Auxerre est un club plutôt…
Familial et professionnel.
Le football, en un mot ?
Amour. Je m’infuse beaucoup de matchs depuis tout petit. Je regarde les autres championnats, les autres divisions. Quand on est entraîneur, il faut être curieux. Il y a de très bonnes choses à piocher dans le monde amateur. Quand je n’entraînais pas, j’allais voir des matchs. Il n’y a pas que le très haut niveau qui m’intéresse.
À ce sujet, vous êtes allé voir Revel lors de la réception du PSG l’an passé…
C’était la Coupe de France, c’est ma ville. On jouait à Nice en coupe le vendredi soir, et le lendemain quand on est rentré à Auxerre, j’ai pris la voiture et j’ai fait les 14 heures de route aller-retour. Il y avait 12 000 spectateurs à Castres, c’était fabuleux. Je me devais d’y être, c’est tout et je ne le regrette pas… même s’il y a eu 9-0.
Votre plus grand rêve d’entraîneur ?
Remporter la Coupe de France. C’est l’histoire du football français. Je suis ou j’ai été à la tête de clubs qui ont un vécu avec cette compétition et je n’ai malheureusement jamais eu de parcours et de réussite dans cette épreuve.
- Texte : Augustin Thiéfaine / Photos : @AJA
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