Des idées, du dynamisme, des convictions, une vision, une fibre entrepreneuriale, une expertise financière : le nouveau président de l’USBCO (National 2) casse les codes et sait ce qu’il veut. Mais il est déjà dans l’urgence car la situation sportive est très inquiétante…
Vincent Boutillier, le nouveau président de l’US Boulogne Côte d’Opale, n’est pas très friand des réseaux sociaux. Du moins, de ce qui peut bien se raconter dessus. Encore que ses enfants sont toujours là pour lui glisser un commentaire lu ou entendu sur Facebook, comme après sa nomination, jeudi dernier, en remplacement de Reinold Delattre, où certains l’ont déjà jugé avant d’être passé à l’action ! « Je ne veux pas être pollué par ça, ce sont mes enfants qui me donnent des retours… Si je n’ai pas de conviction, il ne faut pas que j’y aille. Les commentaires sur les réseaux ? C’est la situation du club qui veut ça. »
La situation ? Elle n’est franchement pas terrible : après dix journées de championnat, l’USBCO est en queue de peloton dans sa poule (1 victoire, 3 nuls et 6 défaites). Très loin des ambitions de début de saison.
A la tête du club depuis 2018, Reinold Delattre n’aura finalement pas fait un quinquennat : le moral en berne compte tenu de la situation sportive de l’équipe fanion, il a choisi de présenter sa démission lors d’un conseil d’administration extraordinaire. Laquelle a été acceptée à l’unanimité. Ses raisons ? Le successeur de Jacques Wattez les a déjà expliquées dans les médias : « Ma décision était prise depuis plusieurs jours. J’attendais une victoire pour passer la main, mais tout ne s’est pas passé comme prévu en Corse (défaite 1-0 de l’USBCO à Furiani) (…) Il faut beaucoup d’énergie pour être à la tête d’un club, et je n’ai pas envie de mettre l’USBCO en danger. On savait que cette année pouvait être dure. On n’a jamais parlé de remonter directement en National, mais je ne m’attendais pas à être dernier de N2. Je ne trouve plus les solutions. Je ne suis plus l’homme de la situation. »
Un aveu de faiblesse qui fait dire à son jeune successeur (44 ans) que Reinold Delattre a pris une décision très courageuse : « Il a eu l’intelligence de savoir dire stop ». Présent au bureau depuis 4 ans à ses côtés, Vincent Boutillier connaît déjà les rouages du club qu’il suit vraiment depuis 7 ans, depuis que sa fille y joue. Mais le natif de Hardelot, pas très loin de Boulogne, a l’USBCO dans le sang. Il a suivi son évolution jusqu’à l’accession en Ligue 1 en 2009. Et il a vu la suite, moins glorieuse, moins chanceuse aussi, comme en 2020, lorsque la FFF a annulé les barrages d’accession en Ligue 2. Une désillusion dont ne se sont pas remis les joueurs, à en croire le nouvel homme fort, qui détaille ici ses missions, dont celle, prioritaire, de redresser la situation sportive.
« Laissez-moi un peu de temps quand même ! »
Président, vous êtes issu de la finance : pouvez-vous, en quelques mots, présenter votre activité ?
C’est vrai, je suis un produit de la finance. J’ai fait une école de commerce et j’ai toujours eu la fibre entrepreneuriale. Je bossais chez Sony, et vers 26 ou 27 ans, j’ai voulu monter ma boîte dans le commerce en ligne. J’ai été un des premiers à vendre du meuble en ligne ! Ensuite, j’ai eu une équipe de design et j’ai désigné des meubles; j’ai aussi racheté la licence Mecano, c’etait super intéressant. On a ouvert des grosses boutiques, à Paris, Bruxelles, Lille. J’ai donc eu deux sociétés, dont « achatdesign », que j’ai revendue après des levées de fonds. Puis mon conseil de l’époque recherchait un associé avec la double casquette finance – entrepreneur, et je me suis associé avec lui. On a développé des cabinets de fusion-acquisition, ça s appelle Capstone. On a une équipe de banquiers d’affaires.
Que fait-on dans un cabinet de fusion-acquisition ?
On orchestre tout. On vend des grosses boîtes, qui valorisent de 200 à 300 millions d’euros à l’achat, et on ne conseille que des boîtes de plus de 500 millions. Mon rôle est d’orchestrer toute l’opération, la stratégie de vente, l’analyse financière. On dispose d’un gros réseau qui est vraiment notre valeur ajoutée. Ensuite on mène les négociations financières, on reçoit les lettres d’offres, on fait jouer les concurrences, on ouvre et gère les audits jusqu’à obtenir une offre ferme, et là, ça devient engageant : c’est à ce moment-là que l’on travaille avec les avocats d’affaires spécialisés en fusion-acquisition, jusqu’au moment du closing.
« Je veux maîtriser au maximum l’irrationnel »
Du coup, à côté de cela, c’est beaucoup plus simple de gérer les finances d’un club de National 2…
Gérer des équipes, gérer la finance, c’est vrai que je sais faire, j’ai les codes. La seule différence, c’est que dans ma boîte, il n’y a pas d’irrationnel, sauf peut-être le marché, que je ne maîtrise pas. Dans mon métier, quand les entreprises ne vont pas bien, y’a de la cession, quand elles sont florissantes, y’a de l’acquisition. Dans un club de foot, je l’ai bien vu avec Reinold (Delattre), qui est un ami, que je connais bien, qui est un super chef d’entreprise, on est confronté à l’irrationnel : le président, malheureusement, ne peut rien contre un attaquant qui a dix occasions de but et qui ne marque pas !
Vous n’entendez tout de même pas maîtriser ce qui ne l’est pas ?
Mon rôle, ce sera de maîtriser au maximum l’irrationnel. C’est pour ça que j’ai repris le club, pour apporter un truc. Je ne suis pas là pour prendre des « purges » (sic) par la presse à chaque défaite, ça, ca me lasse vite. Le rôle du président a un peu changé et demande une énergie de dingue. Il n’y a qu’un seul patron. J’ai vu Reinold : à la fin il n’en pouvait plus. Pour moi, ce poste, c’était maintenant, par rapport à l intensité et l’énergie qu’il réclame.
Quel était précisément votre rôle pendant 4 ans aux côtés de Reinold Delattre ?
J’avais deux rôles. D’abord, superviser les finances; bon, ça a tangué un peu, on a quand même eu deux descentes dont une, en 2021, épargnée par la Covid, et avec un bateau comme Boulogne, qui est un club vraiment structuré, il faut être vigilant. Ensuite, c’était surtout au niveau des nouveaux leviers de développement, avec un rôle économique : comment le club évolue, comment on se positionne pour que demain, si ça s’accélère sportivement, on puisse être prêt. Le club est structuré, il manque juste la performance sportive. C’est vraiment dommage que l’on n’ait pas eu la chance de monter en Ligue 2 y’a 2 ans, surtout que cela s’est passé de manière injuste. Personne n’a encore jamais compris pourquoi la FFF a annulé les barrages.
« Un recrutement doit être maîtrisé par un club et non pas par une seule personne »
On a l’impression, de l’extérieur, que l’USBCO ne s’est jamais remise de cette histoire ?
Non, le club ne s’en est jamais remis, du moins sportivement. Avec Reinold, on a fait toutes les analyses. On n’a pas pu jouer notre finale d’accession en L2 contre Niort, en barrages, alors qu’on avait Randal Kolo Muani dans nos rangs, qu’on marchait sur l’eau en championnat lors de la phase retour. Les joueurs ne se sont jamais remis de ça, on l’a vu la saison suivante, on ne les a pas reconnus, ils étaient « cassés ». Nous, on pensait qu’on avait encore la bonne mayonnaise, qu’avec ces gars là on allait encore réussir, mais non. Ensuite, on a pensé que c’était un effet d’essoufflement mais on n’a pas réussi à recréer une dynamique, la faute à notre recrutement, un secteur que l’on a sous-estimé. Comme on avait « chopé » quelques « joueurs de dingue », dont Kolo Muani, ça a caché une faille du club, ça a eu un effet « écran de fumée ». Et cette faille, elle n’a pas été corrigée. Car ensuite, on a « subi » des recrutements sans bien comprendre qui on prenait. En fait, il y avait un problème de confiance parce que nous, les dirigeants, soit-disant on ne pouvait pas mesurer la qualité du joueur recruté. Or je pense qu’un recrutement doit être maitrisé par le club, et non pas par une seule personne. Et c’est clairement mon projet.
« Avant, c’était un enfer pour gagner au stade de la Libération »
Comment fonctionniez-vous dans ce domaine et que comptez-vous changer ?
On avait quatre cellules de recrutement et une personne, Aurélien Capoue, qui avait le rôle de directeur sportif / recruteur, qui était assez « puissant » : je ne le critique pas, c’est juste que cela n’a pas fonctionné, mais je pense qu’on l’a laissé seul, sans cahier des charges, qu’on ne l’a pas mis dans une bonne situation. Vous savez, ici, à Boulogne, on n’est pas à Nice, même si on aimerait bien ! De novembre à mars, il faut des guerriers sur le terrain. Quand Boulogne cartonnait à l’époque, la pelouse était difficile à jouer, on avait une équipe peut-être moins technique, mais on avait onze guerriers. C’était un enfer pour venir gagner à la Libération, mais ça, on l’a un peu perdu. Nous, on a une pelouse synthétique magnifique, on a eu des bons joueurs, techniques, mais il manquait ce supplément d’âme, qui est hyper-présent à Lens. On n’a pas besoin d’être lensois pour partager des valeurs lensoises. Mais ici, je le répète, les dirigeants n’avaient aucun contrôle sur le recrutement : c’est pour ça qu’aujourd’hui, il faut comprendre pourquoi on recrute tel ou tel profil, l’analyser, le décortiquer, échanger avec l’entraîneur, le recruteur, se servir de la Data. C’est ça la limite du chef d’entreprise qui a sa danseuse, le club de foot : il se dit que comme il est bon dans son travail, il peut laisser faire, mais aujourd’hui, ça ne peut plus fonctionner comme ça. Il faut être un métronome dans l’organisation, il faut être des « top gun » dans la recherche de ces joueurs, avec nos moyens certes. On a la compétence sportive mais souvent, ça s’arrête là : on a des scouts qui font du bon boulot, ok, mais qui lit leurs rapports ? Je suis incapable de répondre. Il faut structurer tout ça.
Vous avez cité Lens en exemple, mais Boulogne n’est pas Lens…
J’adore l’USBCO, parce que je suis boulonnais, c’est évident, et parce qu’il y a une vraie âme. J’ai vu Joseph Oughourlian, le président du RC Lens, qui a passé un film sur son club, et j’ai eu la chair de poule. Y’a énormément d’émotion qui se dégage quand on voit l’histoire de Lens. Nous, à notre niveau, on a aussi la ferveur populaire. Eux, les valeurs, c’est la mine; nous c’est le port, le premier port de pêche en France et la première zone de transformation des produits de la mer en Europe, donc y’a quelque chose à Boulogne. On a une ambiance de dingue à la Libération quand on joue le haut de tableau. On a tout pour faire comme Lens. Vous vous rendez-compte, on a failli être le seul club de France avec deux ballons d’or ! On a eu Papin, qui est boulonnais, et Ribéry n’est pas passé loin ! On a aussi eu Ngolo-Kanté, et Kolo Muani.
« On va prendre un préparateur mental »
J’ai lu également que vous comptiez vous pencher sur l’aspect mental des joueurs…
Oui, on va prendre un préparateur mental, ce sera un geste fort. On doit l’officialiser sous peu. On l’avait déjà fait quand le club était en Ligue 2. Je reprends simplement ce qui a déjà fonctionné. Je me suis aperçu que notre équipe n’a jamais perdu avec plus d’un but d’écart et qu’elle encaisse des buts soit au début soit à la fin… Et elle n’a pas encore gagné à domicile. Y’a un vrai sujet de gestion des émotions, là. Les joueurs sont ultra-engagés, je ne peux rien leur reprocher sur ce plan-là, mais quand je vois certains avec les jambes en coton… On est impuissant dans les tribunes donc je cherche le détail. Un préparateur mental, ça ne peut pas être négatif de toute façon.
Qu’est-ce qu’il a de si particulier, votre club ?
Cette identité. Boulogne n’est pas une ville très riche même si elle située au centre de Côte d’Opale, entre Le Touquet et Calais, où l’on sent une ferveur grandissante, qui tire vers le haut, avec l’arrivée de capitaux belges. J’ai commencé à connaître le club de l’intérieur en suivant ma fille, le samedi, et j’ai vu qu’il n’était pas juste un club de foot. J’ai vu de l’insertion sociale, des éducateurs qui jouent un rôle énorme auprès des gamins. L’USBCO, ce n’est pas seulement une équipe fanion qui joue le samedi, c’est aussi 40 éducateurs, du don de soi, de l’insertion sociale… Quand on regarde le parcours de Franck Ribéry…
« J’aimerais rencontrer Franck Ribéry et avoir un vrai échange avec lui »
Ribéry, justement, vous n’avez pas dans l’idée de le concerner au club ?
Son père vient à tous les matchs, même en National 2. Quand Franck Ribéry est parti de Boulogne (en 2002), je ne crois pas que la fin se soit passée comme il l’aurait souhaité. J’aimerais bien le rencontrer et avoir un vrai échange. J’ai envie de reconstruire une histoire à Boulogne. J’insiste sur le mot histoire : il ne s’agit pas de recréer un club, car le club, il existe déjà, avec plein de belles choses que les présidents précédents ont effectuées. Mais qui mieux que Franck Ribéry peut représenter cette histoire ?
Revenons à un sujet plus terre à terre : l’actualité sportive. Savez-vous depuis quand Boulogne n’a plus joué en National 3 ?
Non mais je vois à votre sourire que vous le savez…
Depuis la saison 1990-1991, le club était alors en Division 4 (l’équivalent du N3) et accédait en Division 3 (N2), c’était peu avant la création du National…
On me demande souvent quelle est la place de Boulogne sur l’échiquier français. Quand on regarde les projets, les budgets, raisonnablement, c’est plutôt la future Ligue 3, si elle se construit. Je vous avoue que, cette saison, je suis très étonné de la qualité des équipes en National 2. Le club lui aussi s’est fait surprendre par rapport à ça, je pense.
« J’aurais préféré ne pas être dans l’urgence »
Aujourd’hui, l’urgence, c’est de gagner des matchs…
Oui, c’est « Comment gagner le samedi ? », c’est ma seule question actuellement. On va changer des choses pour stopper cette spirale négative. J’aurais préféré ne pas être dans l’urgence, car je risque d’être jugé sur mes actions en deuxième partie de saison, or on sait tous que le retour sur investissement sera limité, c’est comme ça, mais je suis obligé de préparer le club pour la suite, c’est mon rôle. Je ne perds pas de vue le fait que l’on doit s’ouvrir, car c’est bien boulonnais ça, de vouloir travailler entre soi. Mais ce n’est plus possible. Si on veut être compétitifs, il faut des moyens, il faut taper dans une économie un peu plus « successful » que le simple boulonnais, même si l’un n’empêche pas l’autre, car on a besoin de nos partenaires locaux, qui font vivre le club.
Le mot de la fin ?
J’ai envie de dire « Laissez-moi un tout petit peu de temps quand même » ! Si on perd encore, je ne veux pas que l’on dise, « Tu vois, Boutillier, il n’y arrive pas. » Je ne veux pas que les résultats, positifs ou négatifs, influent ma feuille de route. Même s’ils sont positifs, il faut poursuivre dans notre optique de recréer cette histoire.