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Thierry Gomez : « La Ligue 3, c’est le sens de l’histoire »

Le président du Mans FC (National) se confie très longuement, sans tabou, et revient sur son cheval de bataille : la création d’une 3e division professionnelle. Son parcours, ses expériences, sa vision très collective du football : il dit tout !

N’attendez pas de Thierry Gomez qu’il fasse de grandes déclarations fracassantes ou qu’il cherche à faire le buzz avec une formule bien sentie. Ce n’est pas trop le style de cet homme de 60 ans, dont l’imposante silhouette laisse transparaître, de prime abord, une certaine forme d’assurance. Le président du Mans FC (depuis 2016) pourrait dérouler son CV bien garni, montrer ses diplômes (Université Paris X Nanterre et Paris Dauphine, Master en économie de gestion et maîtrise en droit et économie), ou faire la leçon. Il n’est pas comme ça.

Plutôt qu’une phrase qui claque, l’ancien président de Troyes (de 2004 à 2009) préfère les slogans. Et là, les idées ne lui ont jamais fait défaut. A l’ESTAC, c’était « Le jeu, la formation, l’accueil ». Simple. Efficace. Cela ressemble à l’une de ses devises : « Travail, jeu, discipline ». Quand il a « monté » sa boîte en 1993, SMC Groupe, spécialisée dans l’événementiel d’entreprises, avec son ami et associé Florent De Bo, fréquenté sur les bancs de l’université Paris Dauphine, il a tout de suite accolé aux trois lettres la formule « Créateur d’émotions partagées ». Une formule parfaitement adaptée à son activité et qu’il aurait tout aussi bien pu décliner dans le milieu du foot. « Au Mans, notre slogan, c’est « Tous acteurs pour réussir » coupe-t-il, comme pour rappeler qu’en marketing, il touche sa bille.

S’il a le sens de la formule et du slogan, le natif de Poissy (Yvelines), la ville où il a aussi tapé ses premiers ballons, a le goût du collectif et du partage. Le goût des autres. C’est simple : réussir en équipe est son fil conducteur. Il ne raisonne jamais pour son intérêt personnel, mais pour l’intérêt général. Un trait de caractère qui transpire chez lui. A Troyes, son ancien secrétaire général, Henri Camous, se souvient qu’il fut le premier président à offrir le sandwich et la boisson aux supporters adverses.

Ce n’est pas tout : le dirigeant, observateur et réfléchi, et amateur de… chocolat, fourmille d’idées – sans doute son côté créatif -, fait preuve à la fois de recul et d’ambition. S’il ne laisse pas trop transparaître ses émotions, celles-ci le rattrapent dès lors qu’il évoque le souvenir de ses parents, le souvenir de son papa, Alfred Gomez, qui lui a inculqué les valeurs et la passion du ballon rond. Comme quoi, on peut être une machine à diriger et rester un être humain avec ses faiblesses. En résumé, avec Thierry Gomez, il ne faut pas se fier aux apparences !

Son parcours professionnel, sa première expérience très formatrice dans le foot au Matra Racing de Jean-Luc Lagardère à la fin des années 80, ses années de présidence à Troyes et au Mans, le football pro et amateur, le National et évidemment la Ligue 3 dont il est devenu, par le biais d’une nouvelle commission, l’un des plus grands défenseurs, Thierry Gomez a, pendant près d’une heure, passé tous ces sujets en revue.

Interview

« Un club, ça doit gagner de l’argent ! »

Dans le journal Ouest France, récemment, vous avez dit « Ce ne sont pas les noms qui font une équipe » : vous êtes dans le foot depuis près de 40 ans, vous avez mis autant de temps pour le comprendre ?
(Rires) ! Il n’existe pas de modèle de réussite dans le football, ça c’est une conviction forte. On peut réussir de différentes manières et tant mieux. Après, chacun a sa philosophie. La mienne, c’est l’envie de réussir par cette capacité à créer une dynamique collective forte; ça passe forcément par le talent individuel car c’est ça qui, parfois, arrive à débloquer un match, permet de prendre les quelques points en plus et vous font aller plus haut.

Mais l’idée, je le répète, c’est de créer une dynamique collective qui comprend aussi bien les joueurs, les partenaires, les bénévoles, les dirigeants. C’est très compliqué de faire travailler les gens ensemble, de créer un club où tout le monde va dans le même sens parce qu’un club de football, c’est vraiment des chapelles. C’est pour ça que la dimension collective est importante. Je l’ai vécu de l’intérieur, en 1986, avec le Matra Racing. On avait sans aucun doute l’une des plus belles équipe d’Europe, avec Francescoli, Littbarski, Casoni, Bossis, Olmeta, etc., Et pourtant, on a joué le maintien chaque année, donc j’avais déjà compris que les meilleurs joueurs ne faisaient pas la meilleure équipe. Et au bout de 3 ans, Jean-Luc Lagardère a tiré sa révérence : je me souviens encore de sa conférence de presse de départ, que j’avais organisée; ce fut un moment fort que je n’oublierai pas. On est passé à côté de quelque chose de formidable. Peut-être qu’on a eu raison un peu trop tôt.

« Le Matra en D1, c’était 6 ou 7 salariés ! »

Que voulez-vous dire par « avoir raison trop tôt » ?
A un moment donné, au Matra Racing, on a devancé ce qu’est devenu le sport aujourd’hui. Les loges n’existaient pas dans les stades, c’était nouveau; l’importance de l’économie autour du sport, être un acteur très important dans un territoire, ce n’était pas encore ça… Le président était souvent un notable du coin qui allait parfois à la buvette préparer les sandwichs. Les enjeux financiers et médiatiques n’étaient pas ceux d’aujourd’hui. On ne parlait pas d’entreprise comme quelque chose qui allait devenir un vrai secteur économique d’un pays mais on parlait d’association, d’esprit Coubertin.

Au Matra Racing, on était déjà dans une démarche entrepreneuriale, avec l’idée de développer un réseau d’affaires, de faire du lobbying; ça dépassait le cadre du foot. Un club de foot, aujourd’hui, est un outil beaucoup plus fort et puissant que le simple fait d’aligner onze joueurs sur une pelouse. On peut faire passer plein de messages positifs même si on n’y arrive pas bien encore. Le foot est un des derniers endroits où on peut fédérer, rassembler, quel que soit le sexe, les nationalités, les couleurs. On peut vivre ensemble, partager des moments forts, quelles que soient les origines sociales des uns et des autres.

Ce modèle dont vous parlez, c’est celui que vous essayez de reproduire au Mans ?

Il y a toujours ce débat en France : est-ce que les collectivités doivent financer ou pas un club de football ? On est toujours un peu frileux par rapport à ça. On est frileux de parler d’argent, d’entreprises. Un club de foot doit-il gagner de l’argent ? Un président doit-il parler du sportif ou pas ? Je ne sais pas si c’est un problème français, mais un club de football, aujourd’hui, est une véritable entreprise et il doit gagner de l’argent, il faut le dire haut et fort, car c’est la meilleure sécurité pour les joueurs, les supporters, les partenaires. Il faut l’expliquer, car je ne sais pas si vous avez vu, cet été, en National, 7 clubs sur 18 ont failli mourir. Finalement, 6 s’en sont sortis et Sedan a pris la balle perdue.

C’est pour ça que c’est important de trouver des modèles économiques pour ces clubs de National, parce que chacun joue un rôle très important dans son territoire en terme de communication, en terme économique, de liens social, de cohésion. Il y a plein de gens qui n’ont pas beaucoup de moyens financiers mais à qui on donne un but dans la vie, simplement parce qu’ils savent que le vendredi soir, il y a match. Il ne faut jamais oublier ça. Je dis souvent aux joueurs « N’oubliez pas que vous avez été gamin aussi, que vous aviez sans doute un poster dans votre chambre », je leur demande d’aller à la rencontre de nos supporters, de faire une photo, c’est primordial.

Votre première expérience professionnelle après vos études, au Matra Racing, ça devait être quelque chose, non ?
Quand j’arrive au Matra, c’est formidable, c’est le PSG de l’époque, avec les premiers gros transferts, avec des salaires énormes, dont celui de Maxime Bossis la première année, qui avait défrayé la chronique. Il a rejoint le club en Division 2 alors qu’il jouait en équipe de France ! Le Matra est monté en D1 puis a recruté Luis Fernandez, on partageait le Parc des Princes avec le PSG, ce qui paraît impensable aujourd’hui ! Le Matra Racing, en D1, c’était à l’époque 6 ou 7 salariés !

« Le Matra, le rêve de tout jeune étudiant »

Le stade Marie-Marvingt du Mans FC.

Vous aviez quel rôle exactement  au Matra ?
Je m’occupais de tout ce qui ne concernait pas l’aspect financier et sportif, c’est à dire tout le reste : sécurité du stade, gestion des espaces VIP, commercialisation, développement des boutiques, opérations événementielles, relation avec les supporters, programme du match de 32 pages en couleur que l’on éditait tous les 15 jours. C’était une première étape formidable. On était une PME avec des moyens. Le Matra, c’était le rêve de tout jeune étudiant qui vient de finir ses études et qui a envie de tout exploser, et à qui on donne la possibilité de faire plein de choses.

Après l’aventure Matra, qu’avez-vous fait ?
Après, il y a eu l’Aquaboulevard de Paris, dans le domaine des sports et des loisirs. J’ai aussi travaillé 2 ans avec Dominique Rocheteau, dans une société de conseils. Agent ? On peut le dire comme ça, oui, mais je m’occupais surtout de la gestion de patrimoine, de l’assurance, de la communication. On offrait un service complet aux joueurs. Mais au bout de 2 ans, j’ai vu que ce n’était pas fait pour moi. J’ai proposé à Dominique (Rocheteau) de continuer à l’accompagner, et c’est là que j’ai créé ma première agence d’événementiel en 1993.

Un 1er avril, c’est ça ?
Oui ! C’est une belle farce, un beau clin d’oeil à la vie, car 30 ans après, l’agence est toujours là. On ne pensait jamais que ça allait tenir autant.

Vous avez créé SMC avec Florent de Bo, qui était aussi administrateur à Troyes, aujourd’hui administrateur au Mans FC…
Oui. On s’est rencontré à l’Université Paris Dauphine. En 1986, quand j’intègre le Matra Racing, je l’ai fait rentrer pour travailler avec moi et on a crée ensemble en 1993 le groupe de communication événementiel que l’on a toujours aujourd’hui.

« Construire un club, mettre en place une stratégie »

Pourquoi dîtes-vous que ce métier de conseiller n’était pas fait pour vous ?
C’est le sentiment de ne pas pouvoir créer quelque chose et de ne pas aller au bout de vos idées : quand vous dirigez un club, vous pouvez mettre en place votre stratégie, encore plus quand vous tombez dans un club comme Le Mans FC, où c’est sain, où vous pouvez mettre en place vos idées, un projet global. Vous essayez de construire pas seulement une équipe, mais un club. C’est différent que de s’occuper d’un joueur.

Revenons au Mans FC : 4 ans en National pour votre club, c’est long non ?
C’est trop, bien sûr, cela met le modèle économique en difficulté. Une réforme a été mise en place l’an passé, avec un objectif : resserrer l’élite, passer la Ligue 1 et la Ligue 2 à 18 clubs, resserrer le National 2 en le passant de 4 à 3 groupes, resserrer le National 3 en le passant de 12 à 8 groupes. Et on a oublié qu’au milieu de tout ça, il y avait le National ! On ne nous a jamais interrogé là-dessus.

La Ligue 2 a réussi à négocier 4 descentes étalées sur deux saisons. Ce qui fait qu’on est la seule division à avoir, pendant deux saisons de suite, 6 descentes sur 18, c’est à dire un tiers des clubs. C’est énorme ! C’est unique, et ça n’a dérangé personne. On nous a complètement oubliés. Vous avez vu le scénario de la saison passée ? Cette reforme aurait pu être l’occasion unique de pouvoir faire grandir le football français en créant une Ligue 3 professionnelle, comme tous les grands championnats européens. On l’aurait fait non pas pour faire plaisir à 18 présidents de clubs de National, mais pour faire grandir l’ensemble du football français.

C’est peut-être parce qu’on n’a pas une Ligue 3 forte que l’on ne gagne pas de coupe d’Europe aujourd’hui. Parce qu’une Ligue 3 forte, ça rendrait une Ligue 2 plus forte et une Ligue 1 plus forte, quand on voit le nombre de joueurs que le National leur fournit, et même en équipe de France, où plusieurs joueurs sont passés par le National. On aurait pu envoyer un message positif et fort au football en créant cette Ligue 3, en disant « Voilà, on est ensemble ». Bon, on nous a accordés, quand même, après un travail de lobbying de plusieurs années, de conserver notre statut pro, parce qu’avant, on ne l’avait que 2 ans quand on descendait de L2 en National. Avec cette réforme et ces descentes de Ligue 2, il y a de plus en plus de clubs professionnels en National. Ce qui veut dire que, dans un an, il y aura plus de clubs professionnels en National que de clubs amateurs (le ratio est de 9 et 9 aujourd’hui). Cela va dans le sens de l’histoire de créer, comme en Angleterre, comme en Allemagne, comme en Italie, comme en Espagne, une troisième division professionnelle.

On a obtenu de garder le statut pro, mais en même temps, on nous a dit « On ne vous aide plus » : aujourd’hui, en N3, un club est aidé, en N2, un club touche environ 45 000 euros, en Ligue 2 entre 3 et 4 millions d’euros et en Ligue 1 entre 13 à 40 millions en fonction de votre classement, et en National, en 4e année pro, comme Le Mans FC, vous touchez zéro. On vous met une licence club pour conserver votre statut pro, et en principe, la création d’une licence club entraîne des droits et aussi des devoirs, sauf que là, le Red Star, Orléans, Le Mans FC, on reçoit zéro, c’est une aberration folle. Alors oui, 4 ans en National pour Le Mans, par rapport à nos infrastructures, à l’attente, à l’histoire du club, nos supporters, c’est trop, et c’est un échec que j’assume, qui est de ma responsabilité.

« Le foot n’est pas une entreprise classique »

Souvent les présidents ne sont pas patients…
En fait, c’est l’environnement qui n’est pas patient, pas le président. On ne comprend pas que le football n’est pas une entreprise classique; il y a plein de paramètres extérieurs qui font que sa gestion économique est très différente. Il y a des codes. On a une stratégie, mais parfois on peut se tromper, parce que tout est basé sur l’humain, et il n’y a rien de plus fragile que l’humain. Parfois dans le puzzle, les pièces ne s’imbriquent pas, ça ne matche pas.

En 2009, après 5 ans de présidence à Troyes, vous êtes parti sur une descente en National : vous avez attendu 10 ans avec Le Mans pour connaître cet échelon ?
Non, non, mon départ de Troyes n’était pas lié à la descente !

C’était ironique…
En fait, je suis parti pour d’autres raisons mais je garde de Troyes un très bon souvenir. D’ailleurs, je vais vous faire un confidence : quand j’ai repris Le Mans en 2016, certaines personnes à Troyes ont essayé de me faire revenir, à un an près… A Troyes, il y a quelque chose que je n’ai pas mesuré à l’époque : j’ai repris un club en très grandes difficultés financières, au bord du dépôt de bilan. Notre arrivée s’est faite tardivement, en juillet, on n’avait pas d’équipementier, les premières semaines ont vraiment été compliquées, on a perdu nos premières rencontres, on était mal classés. Je faisais tous les déplacements avec mon père à cette époque là. Le premier déclic, ce fut un match à Niort, un club qui m’a souvent suivi, c’est marrant… Troyes était mort pour certains et 8 mois après, on découvrait la Ligue 1 et ensuite on s’est maintenu derrière. C’était un super groupe avec des supers mecs comme Benjamin Nivet, Carl Tourenne. Une très belle expérience.

« On devrait avoir une vision générale »

Avec les présidents de National et le président de la FFF, Philippe Diallo, le mois dernier.

Récemment, les présidents de National se sont unis et réunis pour rencontrer le président de la FFF et évoquer le sujet de la Ligue 3…
Nous, présidents de clubs, on a un rythme de fou; tous les week-ends, vous remettez votre travail à zéro, vous ne pouvez pas vous cacher. Il y a ce rythme effréné qui fait que, souvent, vous perdez votre lucidité et vous ne raisonnez plus pour le football, mais pour votre club, parce que c’est tellement dur. C’est aussi la difficulté de faire grandir ce football. Logiquement, on devrait d’abord avoir une vision générale pour faire grandir le football, afin de faire grandir nos clubs, mais on est tellement dans ce rythme, avec une pression des partenaires, des supporters, des médias, qui n’ont qu’une chose en tête, « gagner », qu’on en oublie l’essentiel. On met les wagons d’abord et la locomotive derrière, au lieu de faire l’inverse. C’est très compliqué d’expliquer ça. Alors, la première chose que l’on a essayé de faire en National, dans ce championnat hybride, c’est de se parler entre nous, entre les clubs professionnels et les clubs « fédéraux », je préfère les appeler comme ça plutôt que de parler de clubs amateurs. On s’est dit « Ok, on va essayer de faire évoluer ce championnat, mais ensemble ». On n’y arrivera pas si chacun essaie de défendre son bout de gras de son côté.

Donc il faut expliquer, montrer les incohérences de ce championnat, et il y en a beaucoup. Tenez, par exemple, pour jouer en National, les clubs doivent payer un droit d’engagement. En Ligue 1, ils paient environ 58 000 euros, en L2 c’est 18 000 euros, et nous, les clubs pros du National, c’est 50 000 euros ! Donc on paie plus qu’en Ligue 2 et quasiment autant qu’en Ligue 1. On voit bien l’aberration. Les clubs fédéraux, eux, paient zéro. Il y a plein de choses comme ça… Mais ce qui est fou, c’est que plus on l’explique, plus on a l’impression que les gens qui sont « à l’intérieur » ne savent pas !

Les instances sont-elles conscientes de cela ?
On peut légitimement se poser la question. En tout cas, ce qui a été appréciable lors de cette réunion, c’est que la Fédération Française de Football nous a aidés à nous réunir au siège de la FFF. Le président Philippe Diallo a passé plus d’une heure avec nous. On a échangé, on lui a exposé tout ça; on attend un retour de sa part courant octobre, c est le timing que l’on s est donné. On espère organiser une prochaine réunion rapidement avec d’autres clubs pros de L2 et L1 aussi, pour essayer d’expliquer et montrer que la création d’une Ligue 3 pro sera bénéfique à l’ensemble du foot professionnel, Ligue 1 y compris.

« Quand il y a de l’argent, on se déchire »

L’ouverture de l’attribution des droits TV, qui risquent de baisser, le retrait de Canal +, ne sont pas des bons signaux pour vous…
C’est le discours de dire aujourd’hui « Voilà, ce sera plus facile de mettre la Ligue 3 sur la table si on obtient le milliard ». Or, par expérience, je sais que dans les deux cas de figure, ce sera pareil : c’est à dire que, s’il y a moins d’argent, ce sera compliqué, et s’il y a plus d’argent, ça sera compliqué aussi parce que les clubs voudront garder leur argent pour eux. C’est comme un héritage : quand il n’a pas d’argent, vous passez un bon moment parce que vous voyez plein de gens que vous n’avez pas vu depuis longtemps, et quand il y a de l’argent, on se déchire. Je ne sais pas si, en cas de milliard d’euros de droits TV, il faut se rassurer ou pas. J’ai vécu de l’intérieur Media Pro : on dépassait le milliard d’euros, on a mis quasiment un an et demi pour décider de sa répartition, ce n’est pas logique, et en plus, à une semaine de la reprise du championnat ! Et ensuite, tout a capoté.

La période Covid, avec les conséquences que cela a eu sur votre club et sur Orléans (rétrogradation en National), est-elle digérée ?
Oui, oui. Il faut continuer à avancer. Bien sûr, j’ai eu des bons et des moins bons moments… Le plus difficile pour moi, en fait, c’est de ne plus aller voir les matchs le week-end avec mon papa, ça c’est compliqué et difficile. Donc la Covid, on l’a tous vécue, on a survécu, et on avance. C’est une vraie responsabilité d’avoir à gérer un club de la dimension et de l’importance du Mans FC. On ne peut pas constamment regarder en arrière.

Le vrai combat, c’est cette création de Ligue 3, avec l’idée de dire « Développons d’abord le football pour développer ensuite nos clubs et les rendre plus forts ». Essayons d’avoir une vision et une projection à 3, à 5 ans : ce serait une vraie force pour l’ensemble du foot français que d’avoir un jour une conférence de presse avec le président de la FFF et le président de la Ligue qui présentent la nouvelle organisation du foot français, la L1, la L2, la L3, et derrière un vrai championnat de France amateur (N2) avec trois groupes et un tournoi final pour décerner un titre de champion de France amateurs comme cela se faisait avant. Créer cette L3, ça ferait comme un plateau d’artistes, avec 54 clubs pros, ce qui veut dire qu’il y aurait un maillage fort, qui représenterait l’ensemble du territoire, ce serait quelque chose de valorisant. On pourrait aussi recréer une coupe de la Ligue professionnelle avec un premier tour régional qui intéresserait davantage les médias.

Cela permettrait aussi à l’ensemble des clubs d’avoir une deuxième chance, après la coupe de France, de vivre une finale au Stade de France, parce que l’on vit aussi pour ça, et nous, présidents, on ne communique pas assez là-dessus. On a toujours cette image d’hommes d’argent : non ! On est aussi dans le foot parce que l’on est passionné de football. J’ai envie de vivre une finale au SDF avec mon club, mes joueurs, mes dirigeants, mes bénévoles, mes partenaires, mes salariés, ma ville, ma région. Une finale, c’est quelque chose de formidable. Tout le monde critiquait la coupe de la Ligue, notamment les grands clubs, sauf quand ils arrivaient en finale. Il y a plein de choses à faire pour faire grandir notre football. Dans un an et demi, il y a des élections : j’espère que ce seront des élections de projets, sans tabou, avec cette capacité de dire « Que veut-on faire de notre football dans 5 ans ou dans 10 ans ? » et non pas une élection d’arrangements particuliers. »

Votre papa, Alfred, c’est lui qui vous a mis le pied à l’étrier…
Ah ben oui ! Il a joué à l’Arago d’Orléans, à Quevilly, à Poissy. Mon histoire dit que, un quart-d’heure après ma naissance, mon papa m’emmenait dans un stade pour voir un match ! J’ai des origines espagnoles, par mes deux parents, ma mère de Barcelone, mon père de Madrid, et ça a fait un beau mariage, qui n’aurait pas pu avoir lieu en Espagne, où un Madrilène et un Catalan n’aurait pas pu se marier ! Ils se sont rencontrés à Orléans. Leur déportation et leur arrivée en France pour fuir le régime de Franco a rendu leur rencontre possible, c’est pour ça que j’ai une relation particulière avec Orléans et son président Philippe Boutron, avec ce combat qu’on a mené ensemble en 2000.

Malheureusement, aujourd’hui, je n’ai plus mes parents. C’est pour ça aussi que le match de vendredi dernier à Sochaux a été particulier pour moi car mon père a travaillé pendant plus de 30 ans chez Peugeot et fut recruteur du FC Sochaux-Montbéliard pendant 15 ou 20 ans. C’était un des meilleurs recruteurs de jeunes en France. Il allait chercher les meilleurs joueurs parisiens; à l’époque, Sochaux se « battait » avec Auxerre et Nantes ! Sochaux a été un des premiers clubs à mettre en place un centre de formation. Les Franck Silvestre, Gilles Rousset, Khirat, c’est mon père qui les a fait venir. J’ai vécu ma jeunesse dans l’arrière boutique du FC Sochaux. C’est pour ça que, de retrouver et revoir Jean-Claude Plessis, que je connaissais depuis longtemps, et qui a pu sauver le FCSM avce Pierre Wantier, fut quelque chose de particulier aussi par rapport à mon père.

Thierry Gomez, du tac au tac

« Le coeur de l’entreprise, c’est le sportif »

Aux côtés du maire du Mans, Stéphane Le Foll, et de l’entraîneur Richard Déziré.

Meilleur souvenir sportif de président ?
La montée avec Le Mans FC en Ligue 2 en barrage au Gazelec Ajaccio.

Pire souvenir de président ?
La réunion avec Richard Déziré pour lui annoncer son départ.

Un modèle de président ?
Non.

Un président que vous aimez bien ?
Plusieurs oui. Actuellement, on essaie de développer une relation entre les présidents de clubs de National, et il y a plusieurs présidents avec lesquels j’échange beaucoup. J’ai une histoire particulière avec Philippe Boutron, le président de l’US Orléans, parce qu’on a tous les deux vécu une des grandes injustices sportives, une rétrogradation pendant la Covid, puisqu’on a été le seul sport, la seule fédération, a procédé à des descentes lors de la première année de la Covid. On a partagé ces moments-là avec Orléans, et ça nous a rapprochés.

Des vrais amis dans le foot ?
J’espère ! Les vrais amis, ce sont surtout les amis d’enfance, les copains d’école, que l’on connaît depuis 40 ans ! Après, dans le foot, j’ai vraiment des bons amis avec qui je peux échanger librement, oui.

Vous êtes un président plutôt…
Grâce à mon père, le foot est une partie de moi, je suis sur les terrains depuis l’âge de 5 ans, et quasiment chaque week-end, et ils ne se passe pas une journée sans football, sans un appel pour Le Mans FC par exemple, c’est une partie importante de ma vie, après, c’est aussi pour moi compte tenu de mes responsabilités, de gérer un club professionnel, où il y a une grosse attente, c’est aussi quelque chose qu’il faut faire avec sérieux, une vraie volonté de gérer tous les paramètres, et aujourd’hui ce n’est pas simple. J’ai conscience de cela. Et encore plus dans notre championnat qui est déséquilibré, injuste et pas reconnu à sa juste valeur. On va essayer de faire bouger ça.

On dit que vous êtes un président proche des problèmes du club et qui aime toucher à tout ?
J’ai un parcours particulier, je suis sur les terrains depuis tout petit, j’ai joué au foot, j’ai des activités à côté du foot, dans le marketing et l’événementiel notamment dans le monde sportif. J’ai eu le bonheur de vivre ma première grande expérience entrepreneuriale dans le football en 1986 avec le Matra Racing de Paris, et l’aventure de Jean-Luc Lagardère, et en dehors de ça, je n’aime pas quand on veut séparer les choses; le coeur de l’entreprise, c’est le sportif, donc si vous ne vous y intéressez pas, cela veut dire que vous ne vous intéressez pas à ce qui est l’élément moteur de votre stratégie et du métier dans lequel vous êtes, donc je m’intéresse aussi bien au sportif qu’au financier, au marketing, au commercial ou à la communication; c’est ce que l’on accepte d’un PDG dans n’importe quelle entreprise et que l’on n’accepte pas, parfois, dans le football. Ceux qui disent qu’ils ne s’intéressent pas au domaine sportif sont, parfois, ceux qui s’y intéressent le plus (rires) ! Il ne sert à rien de se cacher : on dirige une entreprise de spectacle dans le domaine sportif, donc je ne comprends pas qu’on ne s’intéresse pas à ce domaine.

Le Mans FC, un club plutôt…
C’est une pépite qui dort encore et qui a un fort potentiel. On va tout faire pour la réveiller un peu plus !

Le pire match du Mans sous votre présidence ?
Il y en a eu quelques-uns (rires) ! En National 3, lors de ma première années, je crois qu’on avait enchaîné une troisième défaite consécutive à Bourges, et on avait eu une explication dans le vestiaire. Un non-match. Le match perdu à l’AC Ajaccio aussi en Ligue 2, c’est là que j’ai pris la décision de me séparer de Richard (Déziré). J’ai senti que le groupe n’y était plus.

NDLR : le 21 février 2020, Le Mans FC s’était incliné 2-0 sur le terrain de l’AC Ajaccio; à l’issue de cette 16e défaite de la saison (en 26 matchs), Richard Déziré fut remercié ; Stéphane Pichot dirigea le premier match contre Guingamp (victoire é-1) puis Réginald Ray le second à Chambly (match nul 2-2) avant l’arrêt des championnats après la 28e journée pour cause de Covid-19. 19e et avant-dernier, à égalité de points avec le barragiste Niort mais devancé au goal-average, Le Mans FC fut rétrogradé en National.

Le meilleur match sous votre présidence ?
Le match retour au Gazelec Ajaccio en barrage d’accession pour la Ligue 2, je ne sais pas si c’est le meilleur, mais c’est un match particulier… Sinon, le plus beau, c’est en National 2, à Saint-Pryvé-Saint-Hilaire, et la plus belle mi-temps, c’est la première à GOAL FC, il y a trois semaines. En revanche, il faut oublier la deuxième mi-temps.

Votre plus grosse prime de président ?
Il n’y en a jamais eue (rires) ! Il y a une dimension de gestion qui est importante dans le football : on ne peut pas se permettre de mettre en danger les salariés, les partenaires qui nous font confiance, les bénévoles pour qui le club est important, et les gens ne se rendent pas compte de tout ça. Je passe beaucoup de temps à expliquer ce qu’est la gestion d’un club de football et je n’ai pas envie un jour d’aller dans un vestiaire pour dire aux joueurs « voilà, je ne peux pas vous payer ce mois-ci » ou bien « je dois baisser vos salaires », non. Ce serait quelque chose de compliqué à vivre pour moi. En principe, quand je promets quelque chose, il est hors de question de ne pas tenir mes engagements.

Plus grosse erreur de président ?
Gérer un club, c’est accepter des erreurs qui parfois sont des mauvais choix mais pas forcément liés aux personnes parce que, dans le foot, il faut aussi arriver au bon moment, être la bonne personne au bon moment, et parfois, j’ai peut-être pris des gens qui n’étaient pas la bonne personne au bon moment. Ce qui ne veut pas dire que ces gens n’étaient pas compétents.

Votre plus grosse satisfaction de président ?
C’est d’avoir permis au Mans FC de redevenir professionnel en 3 ans.

Thierry Gomez, du temps de sa présidence à Troyes. Photo DR

Plus grosse crise à gérer ?
A Troyes, en Ligue 2, quand on était en très grande difficulté, lors de ma dernière saison.

Votre négociation la plus difficile ?
Les plus difficiles sont souvent les plus belles, parce qu’elles sont longues, et se terminent souvent par des échanges. J’en ai eu des belles, que l’on n’a pas réussi à conclure : avec le gardien de but Anthony Martin (Cholet), cela ne s’est pas fait, mais il s’est créé quelque chose avec lui, comme aussi avec Robert Maah, qui n’est pas venu chez nous, mais on est toujours en contact.

Votre plus grosse colère de président ?
Je dis les choses mais j’essaie toujours de comprendre le pourquoi du comment, je ne suis pas certain que la colère soit bonne conseillère, et dans le foot, il y a tellement d’éléments, de paramètres, c’est tellement un domaine où il n’y a pas de vérité, mais des convictions fortes, que je suis à la fois acteur et très observateur de ce qui se passe. C’est formidable de voir que, parfois, il y a des clubs en grande difficulté en interne et qui ont des résultats, et inversement, d’autres clubs où on a l’impression que tous les voyants sont au vert mais qui n’y arrivent pas. Il faut essayer de comprendre quel est l’élément important pour réussir : ça peut être quelque chose de positif comme de négatif, mais il faut à un moment donné quelque chose qui rassemble les joueurs.

Le joueur emblématique du Mans FC ?
Je n’aime pas nommer un joueur, parce que notre projet est basé sur notre dimension collective. J’adore le groupe, la vie de groupe, l’état d’esprit d’équipe, l’ambiance, comme avec le groupe de National 2, avec lequel on a vécu des moments forts, je pense à un déplacement à La Réunion en coupe de France, à un autre match de coupe de France contre Lille qui nous avait permis de remplir le stade, ce qui n’avait pas été réalisé depuis longtemps au Mans, et ça nous avait permis aussi d’envoyer un message pour dire que Le Mans FC était toujours là et vivant.

Match de légende ?
France-Allemagne en coupe du Monde 1982.

Pas la finale OM-Milan 1993 ?
Non, pourtant j’y étais. Mais mon premier souvenir fort, c’est ce match de 1982, et mon premier souvenir de joueur, c’est Johan Cruyff : ma grande déception, c’est que les Pays-Bas n’aient jamais été champions du Monde. Ils le méritaient la consécration par la qualité du football pratiqué.

Un club de coeur, autre que Troyes et Le Mans ?
C’est le club de mon enfance, l’AS Poissy… Bon, depuis peu de temps, ça a changé, maintenant, c’est le FC Poissy.

Une date importante ?
C ‘est le 6 mars 1996, la naissance de ma fille.

Le stade l’Aube ou le stade Marvingt ?
Le stade Marie-Marvingt est un super stade qui mérite beaucoup mieux que le National, avec des espaces « entreprises » qui correspondent au haut niveau; il est fait pour la Ligue 1. C’est un stade fermé aussi. A Troyes, il est ouvert sur les angles.

Une devise ?
« Tous acteur pour réussir ». La devise du Mans FC. J’aime bien cette phrase, sa dimension collective, de groupe. Gagner tous ensemble, ça me paraît important même si c’est compliqué. J’aime bien dire aussi que la chance sourit davantage à ceux qui osent entreprendre.

Le National ?
En pleine évolution. Le championnat le plus délaissé, oublié, des championnats nationaux.

Le Mans FC ?
Un club avec des rencontres humaines exceptionnelles, hyper-sain, où il fait bon travailler et où l’on peut mettre en place un vrai projet sportif qui part de l’école de foot jusqu’aux professionnels, en passant par les féminines et le futsal. Un club que l’on essaie de développer.

Texte : Anthony BOYER / aboyer@13heuresfoot.fr / Twitter : @BOYERANTHONY06

Photos : Le Mans FC

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