Saïd Ennjimi : « Les arbitres jouent leur tête à chaque match »

L’ex-arbitre international n’a pas manqué sa reconversion. Le président de la Ligue de la Nouvelle-Aquitaine (depuis janvier 2017) revient sur son parcours et livre sa pensée sur l’évolution de l’arbitrage. L’ancien maître du jeu confesse aussi ses craintes quant à l’avenir du football amateur.

6 août 2005, le FC Metz et le Mans s’affrontent pour la 2e journée de Ligue 1 sous le contrôle d’un certain Saïd Ennjimi, qui effectue ses premières foulées sur les pelouses de l’élite, juste après avoir reçu le titre de 3e meilleur arbitre de Ligue 2.

C’est le début des choses sérieuses pour celui qui deviendra arbitre international en 2008, grade qui permet d’accéder à la Ligue des Champions et aux matchs de qualification pour les sélections nationales. Une carrière très riche qui a démarré dans le quartier Pierre-de-Coubertin à Limoges, ville qui a vu naître quelques beaux noms du football français comme Loic Guillon, Sébastien Puygrenier ou plus récemment Benoît Badiashile, tout juste appelé par Didier Deschamps pour le prochain rassemblement de l’équipe de France.

Pour 13heuresfoot, le natif de Limoges (Haute-Vienne) a accepté de faire un large tour d’horizon de l’actualité liée … au sifflet bien évidemment !

« Je suis un puriste »

« J’ai démarré ma carrière en 1991, lorsque j’avais 17 ans. J’ai grandi dans un quartier où une équipe de football s’est créée. Il y avait des amis et mon frère, que je suivais à pratiquement tous les matchs. Il y avait souvent besoin d’arbitres bénévoles pour faire la touche. On m’a demandé si je pouvais devenir officiel puisque ce sont les clubs qui recrutent les arbitres afin qu’ils puissent officier dans tout le district. J’ai passé mon diplôme et puis j’ai voulu aller jusqu’au bout du raisonnement parce que ça me plaisait beaucoup. Avec beaucoup d’humilité, il m’a fallu énormément de travail. »

« On ne fait pas le point devant 24 caméras »

L’ancien arbitre, aujourd’hui âgé de 49 ans, est un aussi un homme pointilleux et rationnel. « J’ai toujours été en recherche de pouvoir faire les choses de la meilleure manière possible. Quand il y a une équipe qui perd et qui vous serre la main… C’est un moment unique que je souhaite à tous les arbitres. Les joueurs viennent vous voir après une défaite en disant « bon voilà on a perdu mais il n’y a rien pour vous ». Quand vous arrivez à ce stade, c’est que justice a été rendue. Après, arbitrer, c’est aussi une activité de précision. Parfois, j’étais en colère contre moi, comme après avoir oublié un corner, alors je vous laisse imaginer les soirées que j’ai pu passer quand je n’ai pas sifflé des pénaltys évidents, en tout cas aux yeux de tout le monde. Mais on ne fait pas le poids contre 24 caméras. J’étais le premier malheureux et je comprenais aussi le dépit des dirigeants, des joueurs, des spectateurs qui aujourd’hui exigent un rendu à 100%, ce qui est très difficile pour une activité humaine. Le joueur, qu’il s’agisse de Lewandowski ou d’un autre, il lui arrive de tirer à côté. Les erreurs sont tolérées et tolérables pour les joueurs, beaucoup moins pour l’arbitrage dont on pense que ce n’est pas une activité foot mais une activité support juste là pour réguler le système. »

« La Var ? Je préférais la glorieuse incertitude du sport. »

Dans un monde où la nuance et l’interprétation de chacun laisse de plus en plus de place au binaire, il était impossible de ne pas évoquer la VAR, mère de tous débats sur l’arbitrage et source de conflits sur et en dehors du terrain. Un dispositif qui ne fait pas le bonheur des puristes de football et de sport.
« Je ne suis pas fan de la VAR, elle portait des espoirs de 100% de réussite, du moins c’est comme ça qu’elle a été vendue. Je pense que l’aspect économique a pris le pas sur le sportif. Et à partir de là… Moi je suis un puriste. Vouloir mécaniser le sportif, ce n’est pas la meilleure méthode. Je pense que tout est fait pour améliorer la pertinence des décisions arbitrales et que, malheureusement, il y aura toujours des erreurs et la VAR rend fou, encore plus qu’hier. Avant, les gens se disaient « bon ce n’est qu’un homme, il s’est trompé, ça arrive », maintenant avec la vidéo, quand l’erreur est commise et qu’elle n’est pas corrigée, les gens ont tendance à croire que c’est volontaire ; c’est ça pour moi le mauvais côté de la vidéo. En toutes circonstances, les arbitres se trompent toujours de bonne foi. Surtout qu’avec le professionnalisme, qui est monté encore un cran au-dessus, les arbitres jouent leur tête à chaque match. Donc si demain ils sont rétrogradés en Ligue 2, ils passent de 10 ou 12 000 euros à 5000 euros par mois. Je ne pense pas que les arbitres se trompent volontairement. Par contre, à partir du moment où ceux qui sont derrière les écrans ne sont que des hommes aussi, il arrive que l’interprétation ne soit pas la bonne. Ce que je veux dire, c’est que l’erreur perdurera, qu’on améliore le système de vidéo ou pas. C’est pour ça que j’aurais préféré qu’on s’en tienne à la glorieuse incertitude du sport. Dans l’imaginaire des gens, c’est « on a la vidéo donc normalement il ne peut plus y avoir d’erreurs », mais il faut accepter que ce n’est pas possible. C’est plus difficile pour les joueurs, dirigeants et les spectateurs. Par contre, c’est vrai que les arbitres pourraient faire un peu plus d’effort en termes de communication, de proximité. »

L’expérimentation du micro lors de PSG-Brest

A propos d’efforts de communication et de proximité, l’utilisation de micros a été testée le week-end dernier lors de la rencontre de la 7e journée de Ligue 1 entre le PSG et Brest. Une bonne idée pour le président de la Ligue de la Nouvelle-Aquitaine.

« Cette expérience va peut-être améliorer les rapports. Si vous arrivez à être proche des joueurs et leur donner confiance, ce qui n’est pas simple, vous vous évitez les ennuis car les joueurs sont parfaitement conscients que vous pouvez vous tromper. Je pense qu’il faut vivre avec son temps. Aujourd’hui, avec l’ultra médiatisation, les diffuseurs, les spectateurs en veulent toujours un peu plus. Le deuxième aspect, c’est de pouvoir faire prendre conscience aux arbitres comme aux joueurs que les gens écoutent, ça va apaiser les relations. Mais avec beaucoup de sincérité, tout ce que j’ai vécu moi, il n’y avait pas de problèmes particuliers, c’étaient des rapports d’hommes qui étaient forts et avec tout l’enjeu et la pression qui existe, je ne m’attendais pas à ce qu’on me dise « Bonjour Mr Ennjimi, comment allez-vous ? Vous avez bien dormi, est ce que le petit déj, était bon ? ». Ce que je veux dire par là c’est que les propos parfois étaient un peu durs mais jamais d’insultes, auquel cas ce serait une expulsion immédiate. Il faut dire les choses telles qu’elles sont et il ne faut pas que les gens s’attendent à entendre des insultes, ça n’existe pas. Ce qui existe aujourd’hui, c’est plutôt « vous verrez à la vidéo que vous vous êtes trompés », c’est plus une forme de pression qu’une forme d’insulte. A mon époque, on avait déjà évolué, il y a le vouvoiement de rigueur, parfois un tutoiement partait mais ce n’était jamais méchant et quand on voit les propos de Presnel Kimpembe (face à Brest la semaine dernière), c’est tous les jours, à tous les matchs. Certains joueurs font plus attention que d’autres mais je ne vois pas ce qu’il y a de problématique à dire « Ne me touche pas frère ». Ce n’est pas parce qu’il dit « frère » que c’est une insulte, certainement pas et d’ailleurs de vous à moi, il n’est pas autorisé aux arbitres de toucher les joueurs aussi. Dans ce cas, ce qui est dur et ça m’est déjà arrivé, c’est que quand je touchais un joueur et qu’il me répondait par « ne me touche pas » ou « ne me touchez pas », à part acquiescer et accepter, je ne vois pas ce que j’aurais pu faire d’autre. En gros, je touche un joueur, il me repousse et je lui mets un carton ? ça n’existe pas, ce n’est pas possible. Sur cette action, Monsieur Pignard (arbitre de PSG-Brest) a joué la proximité en espérant apaiser un peu Presnel Kimpembe. Malheureusement parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Là ça n’a pas marché. Ça n’a pas marché pour moi non plus des dizaines de fois et ce serait dramatique de sanctionner un joueur qui nous repousse. Le carton, on le met quand un joueur vous bouscule volontairement. »

« Au niveau amateur, ce n’est pas de la mise en scène »

Et en amateur ? Le travail d’arbitre est vraiment le même ? « Au niveau amateur, nous n’avons pas trop le choix. Il n’y a pas la vidéo. Il nous arrive d’avoir des sujets un peu délirants où des spectateurs prennent des vidéos et font une mini VAR, mais c’est très anecdotique. Après malheureusement et de tous temps, le football amateur s’est toujours identifié au foot pro donc quand vous voyez les joueurs entourer les arbitres, ça se reproduit sur les terrains amateurs. Quand vous avez des comportements agressifs, les joueurs amateurs reproduisent aussi. Il y a une similitude, une envie de ressembler aux grands. Et pendant que nous, en élite, on était totalement protégés et que ça ne restait que du bluff, qu’entourer l’arbitre était une tactique, au niveau amateur ce n’est pas de la mise en scène et il arrive que cela se termine parfois en bagarre. Il y a une vraie déconnexion entre la réalité du sport pro (avec tous les enjeux, toutes les tactiques comme tomber dans la surface, entourer l’arbitre) et le sport amateur où les conséquences ne sont pas les mêmes pour les arbitres. Ils prennent cher. »

« Le foot amateur est pleine mutation »

Si le football est le sport le plus populaire et le plus médiatisé, il y en a toujours pour les professionnels et rien ou quasiment rien pour les amateurs. « Premièrement, le foot amateur est en pleine mutation et on manque cruellement d’infrastructures et de moyens. Ensuite, on manque terriblement d’arbitres et au moment où je vous parle il n’y a que 12 000 arbitres qui sont recensés au niveau national alors qu’on était à 17 000 l’année dernière à la même époque. L’érosion continue. Dans notre Ligue, on fait ce qu’on peut et continuera de le faire mais ça devient extrêmement difficile de motiver des arbitres qui ne gagnent pas grand-chose pour se faire secouer trop souvent sur les terrains. On doit continuer à se battre pour donner envie, recruter, etc. Le troisième sujet important, c’est la mutation du bénévolat. On a aujourd’hui de plus en plus de contraintes administratives et gérer un club devient quasiment un métier. Les bénévoles sont au taquet du lundi au dimanche, ils font ce qu’ils peuvent. Aujourd’hui, il y a tellement de complications, de responsabilités qui pèsent sur les dirigeants que ça devient très difficile de les motiver. Il y en a beaucoup qui jettent l’éponge parce qu’ils n’en peuvent plus et ceux qu’on a encore et qui restent fidèles aux postes, ce sont ceux qui ont un certain âge et qui ont déjà tout donné. Voilà les 3 sujets principaux qui nécessitent de tenir le coup pour maintenir le niveau du football amateur en France, sinon ce ne sera pas simple. »

L’arrêt de sa carrière : « la petite mort »

Comme tous les sportifs de haut-niveau, il a fallu un jour mettre un terme à sa carrière. C’était en 2017 pour Saïd Ennjimi. « Avant la fin de ma carrière, je me suis dit qu’il fallait que je réfléchisse à une forme de reconversion pour bien vivre ce qu’on appelle dans le milieu sportif « la petite mort ». Quand votre vie est organisée et orchestrée autour du foot, que vous allez vous entraîner régulièrement, c’est votre vie. Il faut accepter que ça s’arrête. C’est dur ensuite de gérer ça. Quand j’ai fait mon dernier match à Rennes, que j’ai lâché ma petite larme, le lendemain, de ne plus aller m’entraîner, de ne plus recevoir de mails, d’appels… C’était dur. Donc je me suis dit que la bonne façon de faire était de s’intégrer dans un contexte d’élu au niveau territorial, plus précisément dans ma région natale et donc dans l’ex-Ligue du Centre-Ouest qui est maintenant la Ligue de la Nouvelle Aquitaine, après une grande fusion. Ça m’a permis de faire autre chose, en pensant un peu moins à l’arbitrage mais toujours dans le contexte du foot. Ce qu’il y a de bien, c’est que j’ai été élu en janvier 2017 et que j’ai arrêté ma carrière en juin 2017. Dans la foulée, j’ai pu vivre de l’intérieur ce que je regardais de l’extérieur avec tous les soucis d’arbitrages amateurs, la gestion des salariés, le contexte politique, etc. Cela m’a permis de vite passer à autre chose et j’ai bien vécu ma fin de carrière dans l’arbitrage. Je n’ai pas de regret, je suis très content de ce que j’ai pu faire même si ça aurait pu être meilleur mais je vis aujourd’hui sans regret et je suis très heureux de mon parcours, de le raconter avec passion. Je voulais aussi essayer de faire des choses, évidemment »

Texte : Melvin Brun / Mail : mbrun@13heuresfoot.fr / Twitter : @Melv1br1