René Franquemagne, le monument de Louhans-Cuiseaux !

Le club de Saône-et-Loire, longtemps une des places fortes du football professionnel, s’appuie depuis sa création, en 1970, sur un formidable ambassadeur : son secrétaire général, une cheville ouvrière de 76 ans qui traverse les époques avec passion. Interview.

Photo LCFC

C’est un homme en or. Une bible, même s’il lui arrive d’oublier les dates. Une légende de 76 ans. Dont 52 passés rien qu’au club de Cuiseaux-Louhans tout d’abord, dès 1970, puis Louhans-Cuiseaux ensuite, lorsqu’en 1989, l’ordre de ces deux petites bourgades de Saône-et-Loire, séparées de seulement 20 kilomètres, a été inversé.

Dans ce bon vieux stade de Bram, René Franquemagne, le monument du club, qui a son petit caractère, une certaine éloquence, un humour fin et le sens de la formule, qui ne manque pas de rappeler que  » les vieux Louhannais ne prononcent pas Brame mais Bran. Bran, c’est un truc de journalistes », a tout vu. Tout connu. Tout entendu.

Cette année, il entame, accrochez-vous bien, sa 53e saison au poste de secrétaire administratif.
Bien sûr qu’il faut être passionné pour tenir aussi longtemps. Et faire des concessions : « Parfois je l’ai fait au détriment, non pas de ma vie de ma famille, car j’ai trois filles qui m’adorent, qui ont une situation, mais… Simplement, je n’ai peut-être pas été le meilleur père ou le meilleur mari car j’ai fait passer ma passion du foot avant des événements familiaux ».

Il faut être ouvert d’esprit aussi, pour traverser toutes ces époques, pour suivre l’évolution d’un jeu qui n’a plus rien à voir avec celui qu’il a connu en 1970, lorsque l’industriel de Cuiseaux, Bernard Morey, avec l’appui du maire de Louhans de l’époque, Gabriel Reynaud, a réuni les deux communes pour ne faire qu’un seul club. Et quel club !

17 saisons en Division 2

Le stade de Bram. (Photo A.B.)

Car Louhans-Cuiseaux, c’est 17 saisons en Division 2 (1971-73, 1981-85, 1986-93, 1995-98, 1999-2000) et 12 en national (1993-95, 1998-99, 2000-04 et 2005-10) ! Un peu à la manière de petites villes comme Guingamp, tout le monde connaît Louhans et sa grande rue, ses arcades et ses jolies façades moyenâgeuses. Et ça, c’est grâce au foot.

52 ans de club, quelle longévité ! Mais tout n’a pas été rose pour René Franquemagne – « Je vais songer à lâcher quelques responsabilités petit à petit » – qui a d’abord vécu les grandes heures avant la période, moins glorieuse, du début des années 2010 avec trois relégations en quatre ans et un retour au niveau régional en 2014.

Aujourd’hui, le LCFC (Louhans-Cuiseaux FC, né de la fusion entre le CSLC 71 et le FC Louhannais en 2013) a retouvé le National 2, un niveau plus en rapport avec son standing. Christian Ragaigne, le président, et Frédéric Jay, le coach de N2, le savent mieux que quiconque : à Louhans, René est aussi précieux qu’incontournable !

René Franquemagne : « Ma fierté, c’est qu’un club campagnard comme le nôtre ait pu exister »

Avec l’entraîneur René Le Lamer. (Photo LHFC)

Un match de légende ?
La venue de Sochaux en 8e de finale de la coupe de France contre Lorient, dans les années 2000, vous retrouverez facilement la date, c’est l’année où Lorient l’a gagnée ! (en février 2022, Lorient était venu s’imposer 2-2 et 6-5 aux tirs au but au stade de Bram).

Un match à oublier ?
C ‘était dans le Sud de la France, je ne dirais pas où, mais ça s’est très mal passé du début à fin. je pensais que c’était un mauvais film, mais c’était bien réel. Après le match, j’ai déposé des réserves – à juste titre -, mais on m’a fait comprendre, en me montrant un « pétard », que c’était malvenu. Je ne sais si l’arme était factice ou non. Il m a dit « Pas de ça chez nous ». Mon président Jacky Duriez m’a demandé d’effacer mes réserves en me disant qu’il fallait que l’on reparte, qu’on n’était pas plus malin que les autres. C’est un moment que j’ai très mal vécu. Ne mettez pas le nom du club, sinon, je vais encore avoir des menaces de bombes comme avaient reçu Duriez aussi ! Le match aussi s’était mal passé, et Monsieur Marc Batta, qui était alors l’arbitre français numéro 1, n’avait rien vu et rien entendu. A vite oublier.

Un déplacement épique ?
Y ‘a quelques années en Coupe de France, on va à Belfort, et on oublie un garçon sur une aire d’autoroute ! Je crois que c’était Thierry Njoh Eboa.

Un arbitre qui vous a marqué ?
Gilles Veissière. Un jour, il vient arbitrer à Louhans. Je suis chargé d’accueillir les officiels et les arbitres, comme aujourd’hui du reste. On devait aller à la collation au stade, comme d’habitude, et quand je lui ai dit ça, il m’a dit « Moi non, je n’ai pas pour habitude de manger au stade, je vais à l’extérieur ». Alors je lui ai donné une adresse, à 100 mètres du stade, celle d’une pizzeria partenaire, en lui disant qu’on avait un compte et qu’il pouvait manger tranquillement. Avec lui, ça a été un peu chaud, et finalement, il est quand même venu avec nous au stade… Après, il a été parfait durant le match, là je n’ai rien à dire, en revanche, son comportement… Le lendemain, j’ai appelé Michel Girard, qui était chargé de la désignation des arbitres, en lui disant que je ne voulais plus revoir cet individu à Louhans.

Un journaliste ?
Michel Sylvain, du Journal de Saône-et-Loire.

– J’ai posé la question exprès, je savais que vous alliez le nommer… Que devient-il ?

– Il a 80 ans. Il vient encore au stade, car il fait des piges pour les journaux des équipes qui viennent de l’extérieur.

Un but marquant ?
En Division III, au stade Marcel-Michelin, à Clermont-Ferrand, il est marquant par ses conséquences : on était 1er, c’était la dernière journée de championnat de D3 et il fallait au moins un match nul pour monter en D2, sinon Clermont nous passait devant. Le stade était bondé. On est mené 1 à 0 et on égalise (but d’Alain Zemb, Ndlr), c’est le but de la délivrance ! Quelle année ? J’ai un gros défaut, j’oublie les années (1986, Ndlr) ! C’est un peu volontaire, je ne veux pas encombrer mon cerveau de chiffres et de statistiques. Quand j’ai besoin d’une date, j’appelle le journaliste Michel Sylvain !

Meilleur souvenir sportif ?
La création du club en juin 1970 quand les deux communes de Cuiseaux et de Louhans ont fusionné. J’avais 24 ans et je travaillais comme employé de banque – je suis resté 39 ans à la banque – où j’étais chargé de clientèle « entreprises ». Et à côté, je faisais le secrétariat d’une équipe de football, c’était de la rigolade, le soir, quand je rentrais ! Quand on a fait appel à moi pour ce poste, j’étais très fier. Dès ma première saison, en 70-71, on est monté en D2. Je pense que si on m’a choisi, c’est parce que j’étais un passionné, on me voyait souvent au stade, et dans une petite ville, on les remarque ceux qui sont passionnés ! Des gens ont dû dire, à mon sujet : « Pourquoi on n’irait pas le chercher ? » J’ai réfléchi, j’ai dit oui, et 52 ans après, je suis toujours là !

Pire souvenir ?
C’est à l’époque d’un certain président dont il n’est pas utile de mentionner le nom. C’était vers 2010. J’ai vécu avec cet individu mafieux mes pires moments au club. Je voulais arrêter. Il me disait : « René, il faut que vous restiez-là, vous vous occupez des relations avec les gens, moi je m’occupe du sportif ». C’était du chantage. Je suis quand même resté, contraint et forcé. Je l’ai fait pour le club. Mais j’ai dû subir des choix cornéliens, je ne m’éclatais plus, je me faisais du mal moralement et physiquement. C’est drôle, parce que lors de notre premier match de championnat en N2 cette saison à Aubagne (samedi 20 août, défaite 3-1, Ndlr), on a parlé de lui avec les dirigeants provençaux, car il est bien connu là-bas, il a sévi dans le sud et je crois que sa dernière adresse connue, c’était Les Baumettes. Je ne sais pas ce qu’il est devenu et je ne veux pas le savoir. Il a causé les pires désagréments et turpitudes au club.

Le président de Louhans qui vous a marqué ?
Il y en a deux. Ce sont deux personnages marquants de l’histoire du club. Il y a le fondateur en 1970, Bernard Morey, un grand monsieur, un grand résistant, un grand chef d’entreprise, un grand visionnaire. Il a fait de ce club corporatif un club professionnel. Il a donné la possibilité à plein de joueurs d’être salarié dans son entreprise et de s’entraîner avec l’équipe, tout en leur proposant un plan de carrière pour certains qui sont devenus cadres dans son entreprise. J’ai vécu des moments inoubliables avec lui. Il sentait les coups. Il a quand même fait venir au club Hugo Bargas, international argentin ! Avec Bernard Morey, rien n’était impossible ! L’autre président, c’est le shérif, Jacky Duriez, que je connaissais car je l’avais comme client à la banque. Il a aujourd’hui 95 ans, il a toujours bon pied bon œil, et à chaque fois que je vais à la Fédération, le président Noël le Graët me demande « Le shérif, il va bien ?! » Il vient aux matchs, et au club house, il reste une heure ou une heure et quart devant un mange debout à parler et à commenter, ça en dit long sur qui il est. Ce surnom, le shérif, ce sont les autres présidents de clubs qui l’ont trouvé ! Ça lui va bien car c’est un battant, un rentre-dedans, un justicier, un défenseur de la veuve et de l’orphelin. Ses copains de l’époque, c’était Gervais Martel, Noël Le Graët, Loulou Nicollin, Carlo Molinari, des hommes comme lui, au franc-parler. Alors quand la bande des cinq mousquetaires partaient en guerre à la Ligue, c’était quelque chose !

Le joueur historique ?
Sans hésitation Hugo Bargas (81 à 84), pour sa classe, sa simplicité, sa faculté d’adaptation; pour venir dans un club comme le notre, il fallait être humble, surtout avec la carrière qu’il a eue ! On a eu son frère (82 à 85), un grand monsieur aussi, très agréable, très poli. Il y a eu aussi Christophe Robert, que je n’oublie pas, mais pour d’autres raisons : il a parfaitement joué son rôle quand on lui a redonné sa chance après l’affaire que vous savez (OM-Valenciennes).

Le coach historique ?
René Le Lamer, qui a entraîné le club de 1985 à 1994, pendant 9 ans. Un très grand professionnel, élevé à la méthode nantaise. Je citerais aussi Alain Michel, qui avait pris sa succession, on le surnommait « Le professeur ».

Un adversaire qui vous a marqué ?
Sochaux. C’est contre eux que l’on a fait le record d’affluence au stade, avec 9500 personnes; ils nous avait « marchés » dessus. On pensait qu’on allait créer l ‘exploit. Aujourd’hui, on a un arrêté officiel d’ouverture au public de 9700 spectateurs mais on ne le refera plus jamais, sauf à recevoir PSG en 32e de coupe de France, et encore, pas sûr que ca se fasse chez nous, vu les mesures de sécurité imposées. A mon avis, ce record restera.

Le plus grand rival ?
Gueugnon, avec qui on s’est tiré la bourre quand nous avions l’un et l’autre les moyens de le faire, en Division 2. Nous avec Morey et plus tard Bigard, eux avec les forges. Même si c’est à 100 km, c’etait un vrai derby à l’époque, pas comme aujourd’hui, où cette notion a disparu car les joueurs ne sont pas concernés par l’entité, par l’histoire du club. Gueugnon, c’était l’adversaire avec lequel on avait des comptes à régler : les journaux faisaient monter la mayonnaise et puis tout allait bien quoi !

Un contrat difficile à faire signer ?
Pas forcément difficile, mais un contrat pour lequel il y a eu beaucoup de discussion, c’est celui de Christophe Robert, parce qu’il était médiatisé. Il a été marquant car c’était une époque sensible mais là encore on a vu la grandeur d’âme du Shérif qui a dit « Mais pourquoi on ne le remet pas en le selle ? Il a payé sa dette, ce n’est pas un paria ».

Un autre secrétaire général ?
Max Marty, qui a longtemps été directeur administratif à Tours. J’ai beaucoup d’affinités et de respect pour cet homme que j’aime beaucoup, dans sa façon de fonctionner, et avec ses compétences. Il est à Grenoble maintenant.

L’équipe « dream team » de Louhans-Cuiseaux ?
C’est en Division 2, au début des années 80, avec un milieu de terrain hors-pair avec Alain Ollier, Malek Chikhi, Daniel Jacquinot, et aussi Ugo Bargas bien sûr, et Alain Zemb, etc. Une équipe de rêve !

Une fierté ?
Elle est global. C’est la fierté qu’un club comme le nôtre ait pu exister, vivre et même marquer le football pendant aussi longtemps, avec nos moyens modestes, au fin fond de la campagne. Je le vois bien quand on se déplace en voyage, les gens connaissent Louhans ! On a marqué notre région. Je suis fier de faire partie de ce club et d’en être une de ses chevilles ouvrières.

Le public qui vous a marqué ?
Celui de l’Olympique Lyonnais, la saison où on a joué contre eux en Division 2, on avait gagné chez eux. Voir que les supporters, ça pouvait être ça, on a été impressionné par le monde dans ce stade et l’ambiance, on était comme dans un rêve, ça changeait de notre stade campagnard.

Le public de Louhans ?
Il est extraordinaire ! On a un noyau de 700 à 800 personnes qui nous a toujours suivis, même quand on est tombé en DH (Régional 1) en 2014. La saison passée, on a fait 1047 spectateurs de moyenne en National 2. On a eu des match à 1600 personnes, contre la réserve de l’OL, dans une ville de 6500 habitants, c’est pas mal. Cette fidélité, malgré les générations qui sont passées, est une grande fierté. A Louhans, les gens transmettent leur passion pour le club de père en fils. C’est un public aussi bon enfant, fair-play. C’est le public rêvé. Je peux vous dire que dans les années de D2, quand Lyon, Marseille ou d’autres, venaient chez nous, ils n’étaient pas à l’aise du tout dans notre petit stade, devant 6000 ou 8000 personnes !

La place de Louhans-Cuiseaux aujourd’hui dans le foot ?
Je pense que c’est là où on est, en National 2; ça fait mal de le dire, mais il est complètement utopique de penser qu’un club comme le nôtre puisse de nouveau avoir sa place en Ligue 2, économiquement ce n’est pas envisageable, d’autant qu’avec les obligations en matière de sécurité et d’équipements, nous ne serions pas prêts. Je suis malheureux de le dire mais quand on voit les équipes qui vont remplir la future Ligue 3, en 2024, on n’a plus notre place. Se maintenir en National 2 et être encore là dans deux ans quand il n’y aura plus que trois groupes de 16 serait déjà une belle performance. Je sais que je vais décevoir des gens en disant cela mais je veux être honnête avec moi-même : c’est juste mon ressenti.

Textes : Anthony BOYER / Mail : aboyer@13heuresfoot.fr

Twitter : @BOYERANTHONY06

La fiche technique du match de légende

Clermont – Cuiseaux-Louhans 1-1 (le 10 mai 1986)
Stade Marcel-Michelin, à Clermont-Ferrand. Bon terrain. Recette : 213 351 Francs. 10 686 spectateurs. Arbitre : M. Dezayas.
Buts. – Clermont : Bielicki (49′); – Cuiseaux-Louhans : Zemb (54′)
CLERMONT : Ricart – Fabry, Trefont, Camian, Collado – Bielicki, Chiesa, Grumelion – Cabrai, Affaire, Rodriguez (Gedrzezack 58′). Entr : Vernay
CUISEAUX-LOUHANS : Mattielo – Corian, Moretto, David, Badajoz – JL Jacquinot, D. Jacquinot, Stankovic – Hamimi, Zemb, Tournay. Entraineur ; Le Lamer.