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Rachid Youcef : « Aubervilliers, c’est une vraie famille ! »

Enfant de la ville et du club où il a joué pendant 13 ans, de la DH au CFA (R1 au N2), Rachid Youcef (42 ans) est l’entraîneur d’Aubervilliers (National 3) depuis 2014. Après avoir éliminé Quevilly Rouen (L2), il affronte le club réunionnais du Tampon dimanche au 8e tour de la Coupe de France. Rencontre.

Photo Philippe Le Brech

Depuis lundi matin, le club d’Aubervilliers (National 3) est à la Réunion où il affrontera la Tamponnaise dimanche au 8e tour de la Coupe de France.

Longtemps en National 2 (2010 à 2016) et même en National (1993 à 1997), ce club de la Seine-Saint-Denis a toujours fait partie des places fortes du football francilien depuis les années 80.

La ville est une terre de passion, le stade Karman un petit chaudron prêt à vibrer comme on l’a vu lors de l’élimination de Quevilly Rouen Métropole au 7e tour de la Coupe de France (1-1, 4-1 Tab).

Contrairement à d’autres clubs, Auber mise sur la stabilité en interne autour de la famille Belkebla, Karim, Youssef et Kamel. Le comique Booder est là, presque à tous les matchs, selon son planning. Il est très proche de Rachid Youcef, 42 ans, ancien joueur de l’équipe et entraîneur depuis 2014. Une longévité rare. Interview découverte

Treize ans en équipe première d’Aubervilliers, entraîneur depuis 2014… Votre nom est étroitement attaché au club et à la ville. Comment expliquez-vous une telle fidélité ?
Déjà, Aubervilliers, c’est ma ville de résidence. J’y suis très attaché. J’ai joué en jeunes à l’Esperance Paris 19e et au Paris FC puis à l’ES Colombienne en seniors. Mais je suis revenu à Aubervilliers. J’ai trouvé au club des valeurs qui me correspondaient : la loyauté, la solidarité, la fidélité et une ambiance familiale. C’est aussi un club dirigé par des footballeurs à tous les postes. Cela devient de plus en plus rare. Karim (Belkebla), notre manager a joué à « Auber » puis a longtemps été l’entraîneur; Youssef, le directeur administratif, pareil. Toufik (Belkhous), le président délégué aux jeunes est aussi un ancien joueur. Moi, j’entraîne l’équipe première avec des adjoints qui ont aussi joué à « Auber » : Kamel Belkebla et Ousmane Sidibé. Il y aussi Nassim Dulorme chez les jeunes et Farid Messani avec la réserve. Ici, il y a une politique de promotion interne. On joue et on devient éducateur. On peut se projeter. Bientôt ce sera le tour de Nouha Camara, notre capitaine en National 3. Il habite à Aubervilliers, il travaille pour la ville. La suite logique, c’est qu’il prenne des responsabilités au club quand il arrêtera de jouer.

Quand avez-vous décidé de devenir entraîneur ?
C’est Youssef Belkebla qui est venu me voir un jour quand j’avais 25-26 ans. Il avait décelé chez moi le profil pour devenir entraineur. Moi j’étais à un âge où je pensais encore à jouer, où j’avais encore des ambitions. Mais Youssef avait un coup d’avance. Il m’a dit : « investis toi avec les jeunes, passes des diplômes. » J’ai continué à jouer et quand Abdel (Mourine) a décidé d’arrêter, le club m’a dit que j’allais lui succéder. J’étais encore joueur donc la dernière année, je suis resté à ma place. Je suis resté loyal avec Abdel. C’est ce que j’évoquais. Au club, il y a toujours eu une grande loyauté entre nous. Aubervilliers, c’est une vraie famille.

Vous avez d’ailleurs longtemps joué avec votre frère Aissa…
C’est une chance magnifique de pouvoir jouer avec son frère. Les liens du sang font que sur le terrain, tu te trouves plus facilement. C’est difficile à expliquer. Mais tous les deux, on pouvait jouer les yeux fermés. Souvent, j’étais à la passe et lui à la finition. Je lui en ai fait des diagonales (sourire)… Aissa a le sens du but. Il attirait l’œil.

« Je n’ai jamais cherché à savoir si l’herbe était plus verte ailleurs »

Photo Philippe Le Brech

Contrairement à vous, il a tenté de quitter Aubervilliers pour jouer plus haut ?
Oui, en 2006, on était en DH (ex-R1) avec « Auber » et il est parti à Levallois alors en CFA (ex-N2) qui était entrainé par Pierre Mbappé (l’oncle de Kylian). Le premier match de la saison, c’était à Vesoul. On était parti là-bas le voir jouer avec Toufik (Belkous). Premier match en CFA et premier but ! On était vraiment content pour lui. Mais il n’est resté que trois mois à Levallois. Il est revenu avec nous en DH à Aubervilliers. L’ambiance lui manquait. C’est là qu’on voit que ce club est unique. Moi aussi j’avais eu des possibilités, à Noisy-le-Sec et UJ Alfortville en National. J’aurais pu ne faire que du foot alors qu’à l’époque, je bossais comme surveillant. Mais atteindre ces niveaux, le National, le CFA, je voulais y arriver avec mon club. On a longtemps galéré en DH mais on a fini par monter en CFA2 (2009), où on avait une équipe extraordinaire avec Stéphane Boulila, Steve Marlet, puis tout de suite en CFA (2010). Moi, j’étais tellement bien ici que je n’ai jamais cherché à aller voir si l’herbe était plus verte ailleurs.

Vous souvenez-vous comment un journaliste du Parisien vous avait surnommé à l’époque ?
Bien sûr (sourire) ! Le Roberto Carlos de la DH ! J’ai aussi eu droit plus tard au Juninho du CFA. Tout a commencé lors d’un match de DH contre la réserve du Paris FC, entraînée par Nordine Kourichi. J’étais remplaçant, on est mené 1-0, je rentre et je mets un coup-franc en lucarne. J’avais un bon pied gauche et j’exploitais cette qualité sur les coups de pied arrêtés. Certaines saisons, j’en ai mis 6 ou 7. Cela m’a permis d’être connu et reconnu dans la région parisienne. J’avais ma petite réputation. Ce qui fait plaisir, c’est d’avoir laissé une trace dans la mémoire des gens. Quand je croise certains entraineurs, comme Robert Mendy ou Philippe Lemaître, ils m’en reparlent encore.

Robert Mendy n’a en effet pas dû oublier le match Aubervilliers – Mantes de la dernière journée de CFA le 28 mai 2011…
Mantes, c’était des potes. Mais nous, on s’était écroulé en fin de saison. Ce match, c’était comme une finale de maintien. Le perdant risquait de descendre. On gagne 2-1 et je marque un doublé, deux coups-francs… On s’est maintenu. Un grand souvenir.

« A Auber, on laisse le temps aux entraîneurs d’apprendre. On leur fait confiance »

A 33 ans, vous avez donc arrêté de jouer pour entraîner l’équipe ?
J’avais zéro expérience, pas encore les diplômes mais on m’a confié une équipe de CFA pour succéder à Abdel (Mourine) qui lui aussi avait arrêté tôt sa carrière de joueur en 2005 pour devenir entraîneur de l’équipe. Il est resté 9 ans. Moi aussi, c’est ma 9e saison à ce poste. A Aubervilliers, on laisse le temps aux entraîneurs d’apprendre, de progresser et on leur fait confiance sur la durée. C’est rare quand on voit ce qui se passe ailleurs. Mais ça aussi, ça symbolise bien l’esprit d’Auber. Enfant du club, habitant de la ville et maintenant entraîneur… Je suis peut-être un modèle de réussite. Mais c’est grâce au club. Peu de clubs ont cette politique. Je savais que j’étais attendu au tournant, que je pouvais être critiqué ou que certains pensaient qu’on m’avait mis à ce poste par copinage. Mais tout ça ne me faisait pas peur.

Lors de votre deuxième saison comme entraîneur, le club est relégué en CFA 2 en 2015-2016 . Comment l’avez-vous vécu ?
Ça a été très dur à vivre sur le coup. Heureusement que mes dirigeants m’ont aidé à me relever. Karim (Belkebla) connaît tous les rouages. Il a toujours été d’une aide précieuse pour moi. J’ai bien conscience que si c’était un autre club qu’Auber, j’aurais eu de grandes chances de sauter. Mais ici, on m’a accompagné, soutenu et accordé une deuxième chance. Je le répète : « Auber », c’est une grande famille. Je serai toujours reconnaissant envers mes dirigeants. Avec le recul, cette saison de folie a été finalement enrichissante.

Vous avez aussi mis du temps à obtenir vos diplômes. Que s’est-il passé ?
C’est la grande hypocrisie des diplômes… Oui, j’ai perdu beaucoup de temps, plus de 4 ans. On m’a mis des bâtons dans les roues. Le club a dû prendre des prête-noms, je n’avais plus le droit de m’exprimer officiellement dans la presse sinon on risquait des amendes. C’était compliqué. Mais une fois de plus, j’ai été soutenu et accompagné par mon club. Quand j’ai enfin eu mon DES en 2020, ça a été un soulagement. Bien sûr, depuis 2014, j’ai beaucoup progressé. Je me sens plus serein.

« Après un match, j’ai du mal à dormir »

Avec le staff, Kamel Belkebla et Ousmane Sidibé. Photo Philippe Le Brech.

A vos débuts, vous avez souvent été épinglé par les arbitres…
J’ai été beaucoup sanctionné en effet. Le problème, c’est qu’il y a souvent un peu de folklore… Certains viennent ou arbitrent Aubervilliers avec des à-priori. Mais bon, avec le temps, j’ai appris à prendre du recul. Je gère mieux mes émotions. Mon approche avec les arbitres et les adversaires est différente. Quand on engrange de l’expérience, on gagne en sérénité. Maintenant, je prends moins les choses à coeur. Mais la défaite reste toujours aussi compliquée à accepter. Après un match, j’ai du mal à dormir.

Est-ce facile d’entraîner chez soi ?
Aubervilliers est une vraie ville de foot. Et en ayant vécu ici aussi longtemps, on a beaucoup de potes, de voisins… Tout le monde a son avis sur le match du week-end, la composition. Tu es obligé de te mettre une pression intérieure, d’élever ton niveau d’exigence. Il faut être encore plus exemplaire. Tu sais que tu n’as pas le droit à l’erreur, encore moins qu’un autre. Selon moi, c’est plus dur de durer dans un club où on est installé que si on est de passage. Chaque saison il faut prouver, se remettre en question pour prouver que si tu es à ce poste-là, ce n’est pas seulement parce que tu es un enfant du club et de la ville. On dure aussi parce qu’on a certaines compétences et une envie d’être toujours compétitif.

« Je suis content de voir un Kapit Djoco briller en National »

Depuis lundi, les joueurs et le staff sont à Aubervilliers où ils affronteront dimanche la Tamponnaise au 8e tour de la coupe de France. Photo DR

C’est votre 7e saison en National 3 sans parvenir à remonter. Le temps ne vous paraît pas long ?
On n’a jamais été très loin. J’espère que cette saison, où j’ai un bon mélange d’anciens qui ont connu le niveau supérieur (Kerboriou, Nomenjanahary, Etshimi), d’anciens du club et de bons jeunes, sera enfin la bonne. J’ai un bon groupe. Après, par rapport à nos premières années en CFA, on a des moyens beaucoup plus réduits. On doit souvent faire des paris. Je suis content de voir aujourd’hui un Kapit Djoco briller en National. Quand je l’ai récupéré à Aubervilliers, il pesait 90 kg, il avait arrêté le foot et était dégouté. Il avait la tête ailleurs. Mais il avait besoin d’un environnement familial comme Auber pour se remettre sur pied. J’ai aussi l’exemple de Hakim Naïm, qu’on vient de rencontrer à Montrouge. Chez nous, il a marqué beaucoup de buts mais il n’a jamais plus retrouvé la même efficacité dans les autres clubs où il est ensuite passé. A Auber, on sait y faire pour donner de la confiance aux joueurs. C’est pour ça que beaucoup de joueurs reviennent chez nous.

Le 29 octobre dernier, Aubervilliers a réussi un exploit en éliminant QRM (L2) au 7e tour de la Coupe de France…
Par le passé, Auber a souvent joué contre des équipes pros en Coupe, Montpellier, Lille, Le Mans, le PSG… Mais c’est la première fois qu’on arrive à passer contre un club pro. Le noyau dur de l’équipe est originaire de la ville, ça amène encore plus d’engouement. Contre Quevilly Rouen, il y avait beaucoup d’anciens qui sont revenus. C’était beau de voir qu’on a réussi à les rendre fier. Tout était réuni, l’organisation chez nous, le scénario du match, l’émotion de la qualification : ça donne envie de revivre de tels moments. On sent que la ville est prête à bouillir. Je sais que beaucoup de gens aimeraient nous voir retrouver le National 2 pour avoir d’autres affiches.

Comment se présente ce match dimanche à La Tamponnaise à la Réunion ?
On a réussi à gagner samedi chez la réserve du Paris FC (4-3) après avoir été menés trois fois au score ! C’était un match que je craignais juste avant le voyage à la Réunion. Ils ont su mettre le dernier coup de collier à la fin pour arracher une victoire méritée à mon goût. Je vais enfin pouvoir me consacrer à 100% à ce match de coupe face à la Tamponnaise. On sent l’engouement des Réunionnais pour ce match, ça les intéresse vraiment. Ils se disent qu’on est une équipe de N3 donc ils sont en confiance. J’ai déjà prévenu les joueurs. On ne part pas au club Med et moi je ne suis pas un moniteur de colo : il va falloir avoir un minimum de discipline. Ça sera un match difficile. Mais il peut nous ouvrir les portes d’une belle affiche en 32e de finale.

Rachid Youcef, du tac au tac – Le joueur

Lors de la saison 2004-2005 avec Auber ! Le reconnaissez-vous ? Photo Philippe Le Brech

Première fois dans un stade ?
A 8 ans, je prends ma première licence à L’Espérance Paris 19e. Donc le Stade Ladoumègue, Paris 19e.

Meilleur souvenir de joueur ?
Le maintien en CFA à la dernière journée, Auber-Mantes. On gagne 2-1, je marque 2 coups francs.

Pire souvenir de joueur ?
Le 32e de finale de coupe de France PSG – Auber au Parc des Princes (10 janvier 2010). On perd 5-0 et je sors à la 25e…

Le geste technique préféré ?
Le coup franc direct bien sûr.

Qualités et défauts sur un terrain ?
Compétiteur mais irrégulier dans mes performances

Saison 2010-2011. Photo Philippe Le Brech

Le plus beau but ?
Paris FC – Auber en DH à l’époque. Je rentre à la 90e je mets un coup franc de 30 mètres pleine lucarne à la 93e minute qui nous donne la victoire.

Le joueur le plus fort affronté ?
Christophe Jallet.

Le joueur le plus fort avec qui vous avez joué ?
Stéphane Boulila et Steve Marlet.

L’ entraîneur qui vous a marqué ?
Armand Bouzaglou a la Colombienne, bon pédagogue et gaucher comme moi.

Un joueur préféré ?
Diego Maradona

Un stade mythique ?
Stade du 5 juillet à Alger

Rachid Youcef – L’entraîneur

Meilleur souvenir ?
La victoire contre Quevilly Rouen devant notre public il y a trois semaines.

Pire souvenir ?
La descente en N3 en 2015.

Le meilleur joueur entraîné ?
Kapit Djoco et Lalaina Nomenjanahary

Un modèle d’entraîneur ?
Zidane et Klopp.

Votre style de jeu préférentiel ?
Transition offensive rapide.

Activités pratiquées en dehors du foot ?
Encore du foot… (sourires).

Textes : Laurent Pruneta / Mail : lpruneta@13heuresfoot.fr / Twitter : @PrunetaLaurent

Photos de couverture : Philippe Le Brech

Photos : Philippe Le Brech