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Pascal Dupraz : « Je suis l’entraîneur du peuple »

Entretien à coeur ouvert avec l’ex-coach d’Evian-Thonon-Gaillard, Toulouse, Caen, Saint-Etienne et Dijon. Le Haut-Savoyard (61 ans), qui partage sa vie entre le Var et son pays natal, retrace son parcours et évoque sa santé, ses parents, ses expériences et clame son envie intacte d’entraîner.

Par Anthony BOYER / Photos 13HF et DFCO/Vincent Poyer

Photo 13heuresfoot

Pascal Dupraz nous a donné rendez-vous au Cadiero. Une brasserie dans la rue principale de La Cadière-d’Azur, près du Castellet, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Toulon. C’est là qu’il a ses habitudes. « Lolo, met nous un café s’il te plaît et un Perrier rondelle sans glaçon ». Visiblement, il est un habitué des lieux ! « On va se tutoyer, hein ?! » a-t-il déjà imposé, quelques jours plus tôt, au téléphone.

Quand il n’est pas en Haute-Savoie, dans son département natal, c’est là, dans le Var, qu’il passe son temps avec Mireille, sa deuxième épouse. Dans ce Havre de paix aux allures de village provençal, Dupraz est chez lui. Il connaît tout le monde. Et tout le monde le connaît, prend de ses nouvelles, s’enquiert de sa santé. « Alors ces hanches, pascal ? » demande un passant.

On aurait dû commencer par là. Par demander des nouvelles de son coeur. Ce que l’on fera un peu plus tard au fil d’un entretien passionné et passionnant, d’une richesse incroyable, de plus d’une heure. « J’ai le temps, je n’ai pas grand chose à faire, juste quelques courses après » réplique-t-il quand la conversation se poursuit pendant plus d’une heure ensuite, en « off » cette fois ! Pascal Dupraz aurait-il des choses à cacher ? Pas du tout ! C’est juste que toutes les questions avaient été posées et surtout préparées : on ne se présente pas devant un tel personnage comme on va acheter un croissant et un pain au chocolat, quand bien même ceux-ci viendraient de la boulangerie d’à côté ! « Ici, le pain au feu de bois, à l’ancienne, est magnifique ! À La Cadière, les gens sont tellement accueillants… Mon coeur balance entre ma Haute-Savoie natale et le Var, avec des atavismes différents. Il y a aussi le terroir : les vignes de Bandol sont sur La Cadière. Et puis je peux venir avec mes baskets pas lacées, on ne va pas me blâmer pour ça ! »

« Mes parents, je leur dois tout »

Photo DFCO/Vincent Poyer

On n’interroge pas l’ancien coach de Dijon comme on interroge le coach d’Annemasse, sa ville natale, ou de Rumilly ! Ah bon, vous ne vous souveniez pas que Pascal Dupraz avait entraîné Dijon en fin de saison 2022-23, en Ligue 2 ? C’est bizarre, nous non plus… Et pourtant, en Côte d’Or, rappelé au chevet d’une équipe lanterne rouge de son championnat à 9 journées de la fin et surtout à 7 points du maintien, il a failli réussir son pari insensé, alignant 4 victoires et 4 nuls lors de ses 8 premiers matchs, avant d’échouer sur le terrain du Havre à la dernière journée, face à un adversaire qui jouait la montée en Ligue 1 !

Si Dijon ne vient pas immédiatement à l’esprit quand on déroule son CV, c’est évidemment parce que cet ancien attaquant (Sochaux, Thonon, Brest, Mulhouse, Toulon, Gueugnon en D1 et en D2) s’est fait connaître quand le FC Gaillard, devenu ensuite Croix-de-Savoie puis Evian-Thonon-Gaillard, est passé du niveau régional à la Ligue 1 sous sa coupe ! L’instigateur du projet, de ce club clanique, régionaliste, identitaire, c’était lui.

Et puis, tout le monde garde en mémoire son exploit avec Toulouse et cette fameuse causerie d’avant-match, qui a tourné en boucle, quand il a sauvé le club de la relégation (en 2016). Il s’est aussi assis sur les bancs de Caen et de Saint-Etienne en Ligue 2. Avant de s’asseoir face à nous, sur cette « cadiero » donc (« cadiero » veut dire « chaise » en provençal). Et on l’a écouté dérouler le fil de sa vie et de sa carrière. On l’a vu parfois se livrer et souvent convoquer le souvenir de ses parents. « Je leur dois tout ».

Interview : « Je suis un chanceux »

Pascal, pourquoi vivre à La Cadière ?

Photo DFCO/Vincent Poyer

Ma deuxième épouse, « Mimi », est avignonnaise, mais elle a passé son enfance à Toulon et sa vie professionnelle est à Sanary. Donc on s’est dit qu’il fallait acheter quelque chose par-ici. Au départ, La Cadière-d’Azur était juste un pied à terre. Ici tout le monde me connaît. Il y 1 500 habitants en coeur de village, et 4 500 en tout, on ne dirait pas ! Cela fait presque 10 ans qu’on est là, dans une vieille bergerie, de l’autre côté de l’autoroute.

Tu retournes souvent en Haute-Savoie ?

Oui, à Saint-Cergues Les Voirons, avec le Mont-Blanc derrière toi, le lac Léman en perspective, là-bas, c’est mon pays, mon village, ma jeunesse, je me revois ramasser les framboises que mon grand-père cultivait. J’ai des frissons rien qu’en en parlant. Je suis un chanceux. Je remercie Dieu chaque matin pour ça, et aussi pour être en vie. Malgré le fait que je fais un boulot qui a des effets pernicieux, j’ai toujours gardé les pieds sur terre, j’ai fait si peu par rapport à d’autre.

« Ce que veulent entendre les gens, c’est la vérité »

Revenons en arrière : tu as bossé à l’ONU, à Genève, quand tu es arrivé au FC Gaillard : qu’est-ce que cela t’a apporté ?

Photo DFCO/Vincent Poyer

J’ai bossé au haut-commissariat pour les réfugiés à Genève, à l’ONU. Quand j’ai commencé, en 1991, je changeais les néons qui clignotaient et les cuvettes des « chiottes » dans un bâtiment où il y a avait 1200 personnes. Je ne savais pas ce que c’était que l’ONU… Or c’est un univers incroyable, où des gens servent la cause des populations en difficulté; ça m’a touché. On m’a mis là parce que je ne savais rien faire, je ne savais pas bricoler. J’étais nul. Je n’arrivais même pas à replier mon escabeau. J’avais arrêté après le bac. La chance que j’ai eue, c’est que l’on pouvait se former, donc j’ai essayé de m’élever comme ça, parce que très vite, j’avais été pris par le foot. Je n’avais pas continué mes études parce que je commençais à toucher un peu d’argent, au grand dam de ma mère, qui ne comprenait pas que son fils de 18 ans arrête. Je n’avais qu’une seule ambition : faire plaisir à mes parents, notamment à ma maman, très érudite, qui voulait, je ne sais pas pourquoi, que je sois pilote de chasse. Mais j’ai fait footballeur, et ça l’a emmerdé ! Plus tard, elle a été contente, elle a été ma supportrice numéro 1. Quand je suis parti à 14 ans et demi au centre de formation du FC Sochaux, elle m’a dit « Je perds mon fils », et ça… C’est une blessure. Pour mon papa, c’était plus compréhensible, il avait été footballeur. C’est aussi pour ça que j’ai arrêté ma carrière de footballeur à 30 ans, quand j’étais à Gueugnon : j’aurais pu prolonger, ou aller à Bastia, mais j’ai dit non. Il fallait que je rentre à la maison.

C’était l’appel de la famille ?

Mon père avait une entreprise qui marchait bien. Dans mon esprit, j’allais prendre sa succession. Il faut savoir que mes parents avaient 19 ans et 20 ans de différence avec moi : je les considérais aussi comme des frères et soeurs. Un jour, vers l’âge de 27 ans, à la fin d’une saison sportive, j’ai revu ma maman, elle en avait 47, et pour la première fois de ma vie, j’ai pris conscience qu’elle avait vieilli, et je me suis dit, « Il va falloir que je rentre ». Parfois, chez moi, la spontanéité prend le pas sur la réflexion.

Tu répètes souvent que tu n’as pas fait d’études, pourtant, tu es érudit…

Quand tu as une maman qui te dit, « va chercher le dictionnaire, regarde comment ça c’est écrit, regarde les différent sens des mots… lis aussi les pages… prend un bouquin, soit intéressé, éveille toi »… Aux Nations Unis, c’était important pour moi de savoir ce que je faisais. Au foot, c’est pareil : plus tu te rapproches de l’expertise, moins tu t’endors et plus tu es légitime. Je sais que beaucoup pensent que je n’ai pas d’expertise au foot, mais ce sont des gens jaloux qui disent ça : c’est juste que j’ai pris le partie de ne pas en parler, parce que je pense que le commun des mortels, ce qu’il a envie de savoir, c’est la vérité, pas une soupe qu’on lui sert pour édulcorer une mauvaise performance. Quand je dis « Mon équipe n’est pas descendue du bus », c’est de ma responsabilité, parce que c’était à moi de les faire descendre du bus. Mais si je commence à dire « Nous étions bien en place ou le 3-5-2 n’a pas bien fonctionné »… Ils s’en foutent les gens de ça, à part quelques journalistes-polémistes-éditorialistes. Ce que les gens veulent, c’est la vérité. Souvent, je suis reconnu pour être l’entraîneur du peuple, et ça, ça me plaît. Et si je suis érudit, c’est grâce à ma maman. Merci maman !

Photo DFCO/Vincent Poyer

Ce métier d’entraîneur, cette passion de manager, ça vient d’où ?
J’ai passé le BE1, sur les conseils de ma mère, et aussi un diplôme d’analyste-programmeur. Je n’avais pas envie d’être entraîneur. J’ai passé mon premier degré avant la fin de ma carrière de joueur. En fait, c’est mon père qui m’éveille. L’entraîneur du FC Gaillard de l’époque, Jacky Veggia, qui a été un des coéquipiers de mon papa au foot, veut que je joue dans son équipe. Mon père a percuté, parce que lui, il savait ce que c’était que l’ONU à Genève, où le chef de l’administration était aussi le vice-président du FC Gaillard. Voilà comme tout est parti ! Les dirigeant du club m’ont dit, « Tu joues pour nous et on te fait rentrer aux Nations Unis », alors que je ne savais pas ce que c’était. Je savais juste le salaire. Un magnifique salaire. Je suis rentré dans une organisation internationale le 1er septembre 1991, et là, ils m’ont dit, « Ton épouse rentrera dans un an », et ils ont respecté leur parole. J’ai joué tout d’abord, en PH, mais je m’emmerdais un peu, et puis quand « Jacky » a décidé d’arrêter, ils m’ont demandé d’entraîner. J’ai dit « OK » mais on ne va pas s’entraîner qu’une seule fois par semaine, on va essayer de faire un « vrai » club. Dès l’instant où j’ai pris l’entraînement du FCG, j’ai pondu un projet sportif, qui a été celui que j’ai véhiculé jusqu’à la fin de l’ETG (Evian-Thonon-Gaillard). J’ai fait 20 ans aux Nations Unis, dont 3 ans en disponibilité.

« Mes parents ont été mes premiers managers, mes inspirateurs »

On peut donc dire que c’est ton papa qui est au départ de tout…

Tu connais le décolletage ? C’est un secteur de l’industrie et dans 40 km2 autour de ma région, il y avait 80 % de la production mondiale de la micro-mécanique dans ce domaine. C’est un atavisme chez nous. Mon père vendait des métaux pour les décolleteurs. Il avait cette boîte florissante et un jour, il m’a dit « Si tu viens avec moi, il va falloir que tu bosses, il n’y aura pas de foot, pas de week-end, rien. Par contre, il m’a dit, « à l’ONU, c’est très bien… Tu pourras élever tes enfants, tu auras tes week-ends, tu pourras faire du sport, c’est toi qui voit ». Mes parents… Parfois je donne des conférences sur le management, et j’explique que si j’aime manager, c’est parce que mes parents ont été mes premiers managers, ils m’ont donné ce goût, à ma soeur et à moi. Ils m’ont fait comprendre qu’en travaillant, on pouvait accéder à des rêves plus grands que soi, parce que l’ETG, c’est plus grand que moi, même si j’ai dit à l’époque que je voulais être l’instigateur d’un nouveau club professionnel en Haute-Savoie, puisque Thonon et Annecy l’avaient déjà été dans les années 80. Mais jamais un seul instant je n’imaginais que l’on pourrait aller jusqu’en Ligue 1 avec l’ETG. Je pensais juste que l’on pourrait faire National puis Ligue 2, ce qui était déjà énorme. On ne construit jamais rien sans les autres. Moi je suis l’initiateur, je le revendique, et ça, personne ne peut me l’enlever. Personne n’y avait pensé avant moi. Beaucoup ont emboîté le pas. Moi, je me dis : « On a un million de Savoyards sur les deux départements (Savoie et Haute-Savoie), on a une grosse densité de population, sans compte la Suisse voisine, on peut susciter des vocations, ce n’est antagoniste avec le ski ».

Tes parents, tu penses à eux chaque jour ?

Photo DFCO/Vincent Poyer

Je crois beaucoup aux signes. Je pense que je communique souvent avec mes parents, qui me guident encore, même si j’essaie d’être la meilleure copie possible d’eux, mais je ne serai qu’une version. Ils étaient trop formidables. Je ne leur arrive pas à la cheville mais ils peuvent compter sur moi pour véhiculer les valeurs qu’ils m’ont inculquées. Je pense à eux tous les jours. Je n’ai pas besoin d’aller au cimetière. Quand j’ai perdu ma mère, elle avait 59 ans et j’ai dit à mon père la chose suivante : « Je pense que quand tu vas mourir je ne vais pas souffrir autant… C’est dur de dire ça à son père, et je ne sais pas pourquoi je lui ai dit ça… Je l’ai regretté. Quand mon père est décédé, j’ai eu la même souffrance, pire même… Parce que je me suis senti orphelin. Mais mon père ne m’en a pas voulu d’avoir dit ça. Il n’avait pas la capacité d’en vouloir à ses enfants. Mes parents étaient formidables. Ma mère, waouh… On n’avait pas de rond, hein, je les ai vus commencer le travail, ils n’avaient pas une thune. Je suis dans l’appartement que mes parents louent. Ma mère dit à mon père « Comment on va faire pour payer le loyer ce mois-ci », elle ne sait pas que je l’entends… On est en 1969 ou 1970… Et ils se sont défoncés. Les réunions de famille avec eux, pour prendre les grandes décisions, on était quatre, avec ma soeur, qui a 11 mois de plus que moi. Ce modèle, je l’ai reproduit ensuite avec mes enfants, mes deux épouses, mon père quand il était encore en vie. Comme lorsque que j’étais bien dans ce rôle de directeur sportif à l’ETG, et que l’on s’est demandé s’il fallait que j’entraîne… Le PDG du groupe Danone, Franck Riboud, m’appelle, (Pablo) Correa vient de perdre plusieurs matchs d’affilée, et il me demande de reprendre l’équipe. Derrière, c’est réunion de famille. J’ai vu mon père, quand il avait 52 ou 53 ans, redresser des boîtes en difficulté, parce que c’était sa mission : tu vois, c’est drôle la corrélation. Réunion de famille une fois avec lui, un soir : il nous demande, à ma soeur et à moi, d’être là. Il dit : « J’en ai marre d’avoir un seul patron au-dessus de moi, je veux monter ma boîte, c’est 10 millions de francs ». Ma mère se demande où on va les trouver. Il dit qu’il a trouvé l’argent, qu’on va les emprunter. Ma mère lui dit « fonce », « Suis tes inspirations » ! Et il dit « banco », « on y va ». Voilà. J’essaie de faire pareil avec mes gamins, mais c’est difficile, parce que les générations ont changé. Mes inspirateurs, ce sont mes parents. Donc je pense chaque jour à eux.

« Je me sens plus en danger quand je n’entraîne pas »

Parlons de ta santé. Ces hanches, comment ça va ?

Les hanches, c’est l’usure, la vieillesse.

Et le coeur ?

J’ai eu un premier infarctus à 38 ans. J’ai moins 35 % de la fonction cardiaque depuis ce jour. Quand tu as ça, tu en veux à la terre entière… J’essaie de ne pas y penser, mais ma pathologie me rappelle à l’ordre. Je suis suivi. Tous les trois mois, je vois mon cardio à Toulon, je vois aussi mon rythmologue, parce que je vis avec un défibrillateur.

Est-ce un frein aujourd’hui dans l’éventualité que tu retrouves un banc ?

Non. C’est bizarre, je me sens plus en danger quand je ne fais rien, parce que, dans ces moments-là, je suis plus à l’écoute de mon coeur. Quand j’entraîne, je fais moins attention, je m’entretiens juste, et comme je suis heureux dans mon métier et que j’aime ce que je fais, je me pose moins de questions.

Être sur un banc, ce n’est donc pas dangereux pour toi ?
Non, je n’ai pas de stress, je n’ai pas la pression, c’est un exutoire. Je stresse quand je ne trouve pas de club. Je suis épanoui quand je suis sur un banc. J’ai la pression quand j’ai des soucis de santé, quand mon pronostic vital est engagé. Ma chance, c’est que je suis traité. J’ai intégré que la mort était partie intégrante de la vie. Je préfère mourir sur un rectangle vert qu’à l’EHPAD. Mais ça va… Cette année, c’est la première fois depuis 32 ou 33 ans, hormis la période entre Toulouse et Caen, que je n’entraîne pas. C’est de ma faute. On m’a catalogué comme pompier de service. Alors que ce que j’ai fait avec l’ETG, encore une fois, c’est significatif, mais c’est comme ça. Et ça ne me rend pas malade ne pas entraîner.

Entraîner en National ou N2 ? Oui, mais pas n’importe où

Photo DFCO/Vincent Poyer

Es-tu allé voir des matchs à Toulon ou Hyères cette saison ?
Oui. Je suis notamment allé voir deux matchs cette saison à Bon Rencontre, en N2 : ça m’a fait quelque chose, parce qu’à mon époque, on jouait à Mayol, que l’on partageait avec le rugby, et on s’entraînait à Bon Rencontre. Ce n’est pas normal que ce club-là, pour la 14e ou 15e ville de France (la 12e), ne soit pas chez les pros. Parfois, j’aimerais m’investir, mais je ne peux pas m’inviter à une table. J’ai quand même un savoir-faire, je pourrais aider, mais bon, c’est comme ça…

Est-ce que tu pourrais entraîner en National ou N2 ?
Ouep… Mais ça dépend où. Ici oui. Mais avec le pouvoir sportif. Je n’irais pas… Tu vois… J’ai rencontré le président de Toulon, je le respecte parce qu’il met son argent, mais voilà…

As-tu un regard aujourd’hui sur Thonon Evian Grand Genève, le club qui tente de faire renaître l’ETG de ses cendres ?

Oui, mais dans leur appellation, ils ont enlevé le nom du club fondateur, celui qui a généré les résultats, le FC Gaillard, mais bon, même si je suis quelqu’un de régionaliste, même si l’histoire a voulu qu’à un moment donné, le canton de Genève fasse partie de la Savoie, et bien Genève, ce n’est pas vraiment… Là, on est allé draguer sur le terrain du Servette. Attention, je ne leur veux pas de mal. Je n’ai pas d’amertume. Je suis capable de zapper. Ce ne sont pas les mêmes personnes. J’ai rencontré Bryan (Bergougnoux), leur entraîneur, lors d’un recyclage du BEPF. C’est un garçon très sympa. J’ai vu qu’il n’était pas reconduit. Ils vont remonter.

« La montée de Saint-Etienne m’enlève un poids »

Saint-Etienne vient de remonter, deux ans après ton échec là-bas : tu le vois comme un signe ?

Non, parce que Saint-Etienne retrouve sa place. C’est un grand club. Je suis très heureux de ça, parce que ça m’enlève un poids. J’ai fait de mon mieux, j’ai marqué 20 points en 20 matchs, alors que mon prédécesseur (Claude Puel) n’en a marqué que 12 points en 18 matchs. Quand je dis ça, je me fais défoncer…

Tu as entraîné à Dijon il y a un peu plus d’un an, personne ne s’en souvient vraiment …
J’ai fait neuf matchs. J’arrive un mardi, le club est sur six défaites consécutives, le premier match, c’est le samedi. Et je fais huit matchs sans perdre. Et je meurs à rien… Mais bon…

On dirait que ta carrière s’est arrêtée…
(Il coupe) A Sainté… A la fin du match retour contre Auxerre, en barrage, je me fais gazer par un CRS, je pense qu’il l’a fait exprès. J’ai mis une heure à retrouver l’usage de la vue. Un traumatisme. Je pensais que nous allions y arriver. C’était sûr…

Meilleur souvenir d’entraîneur ?

C’est de savoir mes enfants, mon père et mon épouse dans les tribunes du Stade de France au milieu des 35 000 Savoyards qui sont montés pour la finale de coupe de France (en 2013, contre Bordeaux, défaite 3-2). C’est une fierté. Je le place avant le maintien du Téfécé.

Meilleur souvenir sportif de joueur ?

Même si je suis un peu blessé, c’est mes périodes à Toulon, pour l’ambiance qui régnait dans le vestiaire, pour la qualité de l’équipe. J’ai passé des bons moments aussi lors de mes 4 saisons à Brest. En fait, chaque instant passé où l’élément central est le ballon, c’est un bon souvenir pour moi, quoi qu’il arrive.

Es-tu toujours en contact avec des anciens Toulonnais ?
Oui, Luigi (Alfano), qui est un type merveilleux, Jean-Louis (Bérenguier), je le vois de temps à autre, et j’ai un profond respect pour Bernard Pardo : lui, c’est l’instigateur de ma venue à Toulon. On s’était côtoyé à Brest. Je l’ai de temps en temps au téléphone, mais pas assez souvent. Il m’arrive de m’arrêter à Gardanne, où il réside, quand je remonte en Haute-Savoie. Toulon, c’est un esprit.

« Etre complètement abruti, ça m’est arrivé »

Tu as pris plus de cartons rouges comme joueur ou entraîneur ?

Photo DFCO/Vincent Poyer

Entraîneur ! Mais attention, j’avais des antécédents ! J’ai fait fort ! J’avais 37 ou 38 ans, je jouais en réserve avec le FC Gaillard, et j’ai traité l’arbitre de « Guy Georges », de « Fourniret », et j’ai répété ça à la commission de discipline. J’avais dû prendre six mois, donc être complètement abruti, ça m’est arrivé. Et ça m’a servi. Je suis moins épidermique. Je suis comme tout un chacun, je ne supporte pas l’injustice. Mais mes comportements étaient injustes.

La saison où tu as pris le plus de plaisir sur le banc ?
Avec le FC Gaillard, on est resté invaincu pendant près de 5 ans à domicile. La division dont on a mis le plus de temps à s’extirper, c’était la Division d’Honneur, après, on a grimpé assez vite, avec de longues séries d’invincibilité à domicile. La période à Toulouse aussi.

La saison où tu en as pris le moins ?

(catégorique) La dernière saison à l’ETG. Vraiment. On n’avait pas d’argent. Je suis un des seuls à assumer sa responsabilité dans l’affaissement du club. Ce sont ceux qui ont fait qui ont défait. J’ai commis une erreur avec le président délégué (Patrick Trotignon), un usurpateur. J’ai eu du mal à me défaire de l’aspect sentimental.

« Le danger du foot, c’est l’individualisme »

Un match parfait ?
Oui, le 3 à 0 à Sochaux, avec l’ETG, à la dernière journée, parce que tout ce que j’avais initié durant la semaine qui précédait le match s’est produit.

Inversement, le pire match ?

L’année de la descente, avec l’ETG, on joue contre Reims à domicile, on perd, et ça sent la fin… Le deuxième, c’est le barrage retour contre Auxerre, pour le maintien en Ligue 1, avec Saint-Etienne. On doit gagner par trois buts d’écart à Auxerre à l’aller… Par excès d’individualisme, on ne marque qu’un seul but (1-1). Et au retour à domicile idem, on avait des joueurs qui ne jouaient que pour leur gueule, ce sont les dangers du foot moderne. Quand tu ne perçois ton sport, un sport collectif, qu’au travers de ta performance individuelle, c’est un danger. C’est ça le danger du foot, un sport éminemment individuel dans un sport collectif, où la « stat » personnelle est plus importante que le résultat; le problème, c’est que ça se répercute chez les amateurs. Ce n’est pas le meilleur signal que le football donne.

Le stade qui t’a fait vibrer ?
Le Parc des Princes. Il est conçu pour le foot, je parle de l’écrin, de l’esthétique, après, quand tu vas jouer à Marseille, c’est impressionnant. J’ai aussi aimé, même s’il était inesthétique, le parc des sports d’Annecy plein. Si nos politiques nous avaient aidé à construire un stade dans le centre du département, je pense que l’ETG serait encore professionnel.

Le meilleur joueur entraîné ?
Ben Yedder et Poulsen. Y’a match.

« J’ai menti dans ma vie… »

Photo DFCO/Vincent Poyer

Le joueur le plus connu de ton répertoire ?
Je dois avoir Giroud, parce qu’à un moment donné, quand il jouait à Grenoble, il m’intéressait, mais il a dû changer depuis ! Je ne sais pas, j’ai Kallenberg, Poulsen, Braithwaite, Leroy… Leroy, quel joueur ! J’ai Caçapa… Quand Claudio Caçapa vient chez nous à la trêve, à l’ETG, mes dirigeants me disent : « mais tu es fou », et il arrive, il stabilise la défense, et on monte en Ligue 1. J’ai pas mal de numéros mais j’ai surtout les numéros de mes trois amis. Ils ne sont pas dans le foot.

Des amis dans le foot ?
Thierry Taberner, qui a joué à Martigues et Auxerre, dont le papa a été champion de France avec Monaco, il a terminé sa carrière dans mon club, à Gaillard, et Pierre Espanol aussi, qui a été entraîneur aux Girondins de Bordeaux.

Le coach le plus connu de ton répertoire ?

Je dois avoir Mourinho… Il a dû changer depuis l’époque où il avait dit un truc sympa sur moi !

Un président marquant ?
Sadran (Toulouse).

Un président qui ne t’a pas marqué ?

(Il réfléchit) Pickeu, à Caen, un président par défaut (rires).

Un coéquipier perdu de vue et que tu aimerais bien revoir ?

Il a été mon entraîneur à Toulon, il était adjoint, et il fut un joueur prestigieux, c’est Delio Onnis. J’ai eu l’immense plaisir de lui parler il y a quelques mois au téléphone, alors qu’il était en Argentine. On a un groupe WhatsApp avec les anciens Toulonnais et à un moment, dans la conversation, Delio dit « Ce numéro, là, c’est Pascal Dupraz ? », puis il écrit « Pascal, est-ce que tu peux m’appeler  » ? Qu’est-ce que j’étais content ! Je ne l’ai pas revu depuis Toulon. J’aimerais revoir aussi « Chaussette » (Jean-Pierre Chaussin), ça va se faire bientôt.

Une devise ?

Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse. Et aussi, une autre phrase, que je tiens de ma mère, qui disait : « Pascal, moins tu mentiras dans ta vie, plus tu te souviendras de ce que tu as dit », or j’ai menti dans ma vie. Je m’en suis rendu compte, car je ne me suis plus souvenu des justificatifs que j’avais donnés !

Tu était un joueur plutôt…

Talentueux.

Tu es un coach plutôt…

Consensuel.

Le métier d’entraîneur c’est …

Exceptionnel.

Le milieu du foot, c’est…

Exceptionnel.

Une idole de jeunesse ?

Johan Cruyff et Jean-Claude Killy.

Un homme politique ?

Mon père, mais il n’a pas fait carrière (rires).

Tes passions en dehors du foot ?

Photo 13heuresfoot

Les trotters. Je suis ami avec la famille d’Eric Raffin qui est l’un des meilleurs drivers français. Je suis allé en Vendée chez eux l’été dernier et j’ai eu l’immense plaisir de monter sur les sulkys et de sortir les chevaux. Je suis passionné par le PMU à partir du moment où ce sont des trotteurs, je fais mon petit quinté.

Des manies au foot ?

J’ai toujours une pince à billet et un jeton dans ma poche, c’est un de mes amis qui bossent chez Vuitton qui me l’a offert, je le garde comme porte-bonheur, et je ne passe jamais sous un échafaudage.

Une appli mobile ?

WhatsApp, sans doute, mais des fois y’a des conversations privées, ça me gonfle…

Dernier livre lu ?

C’est sur la fin de vie, un livre de Thomas Misrachi, Le dernier soir. Lis-le, ça t’interroge, ça fout les poils.

Un film ?

Sur la route de Madison.

Un CD ?

Je suis un fan de Johnny, ou alors un CD d’Eddy Mitchell !

Evian, Thonon ou Gaillard ?

Gaillard !

« Il me manque tout, je n’ai aucun titre ! »

Ce qui manque à ton palmarès ?

(Rires) Il me manque tout, je n’ai aucun titre, sauf des titres de champion de France de CFA2, CFA, National ou Ligue 2, même si c’était « Caso » le coach en Ligue 2, moi, j’étais directeur sportif, mais ça compte !

As-tu peur d’être oublié par le milieu du foot ?

Non.

Des coachs dont tu te sens proche ?

Photo DFCO/Vincent Poyer

Alex Ferguson. C’est le number one, un mythe pour moi. Je ne l’ai pas rencontré. C’est un regret. Je n’ai pas osé. Ce que j’aimais sous son ère, c’est que d’abord, il a été controversé avant d’être adulé, et il avait cet art de faire jouer des jeunes joueurs formés au club avec quelques stars. Quand je regardais MU, j’avais l’impression que quand il défendait, le terrain rétrécissait, et que quand ils attaquaient, le terrain s’agrandissait tellement ils créaient l’espace. C’est ça, le vrai foot, pour moi. J’aime bien quand ça va vite, quand il y a des occasions, des émotions. Je m’en fiche, moi, que mes défenseurs centraux soient les recordmen des passes. Par contre, le numéro 10 qui prend des risques à 30 mètres des cages, ça m’intéresse.

Le foot, un exutoire ?

Non, non, je suis bien dans mes pompes. Le foot, c’est une passion. Mon père, c’était mon idole. Il a joué en Ligue des champions avec le Servette de Genève contre le Dukla de Prague (en 1961/62). C’était un beau joueur, avec une double détente. Je l’ai vu jouer et j’ai même fait des tournois de sixte avec lui (rires). (Il nous montre l’écran de son téléphone, avec ses parents en photo) Voilà, ce sont mes parents. J’ai dit à mes enfants, « Ne m’en voulez pas, c’est parce qu’ils sont décédés », je suis en paix avec moi-même. Je sais qu’on peut mettre deux photos, mais je ne sais pas le faire.

Pourquoi dit-on gaz (gaze), Bontaz (Bontaze) et pas Dupraze (on ne prononce pas le Z de « Dupra ») ?

Parce que ça dépend de la vallée ! Si tu dis « Avoriaze » (au lieu d’ « Avoria »), on voit que tu n’es pas de chez nous, idem pour « Chamonixe » (« Chamoni »).

On t’a déjà appellé monsieur « Dupraze » ?

Ouep, mais ça m’énerve. Je dis aux gens, « On ne prononce pas le Z ». Si t’es de chez moi, tu dis « Dupra », qui vient des prés.

« Je suis un citoyen du monde »

Tu te sens Savoyard ou Savoisien ?

Savoisien et Savoyard. Haut-Savoyard, ça ce sont les Français qui ont appelé ça comme ça, mais je suis un citoyen du monde, j’aime tout le monde, je revendique juste le fait d’être Savoisien. Si un jour mon pays retrouve son indépendance, j’en serai le premier ravi, et nos amis français seront les bienvenus. Napoléon, c’est votre idole, mais pour nous, c’est un fossoyeur, il a tué nos forces vives, on a été le dernier pays colonisé. Mais je n’en veux pas à l’État Français. Je ne suis pas sectaire. Tu viens de Nice ? Vous étiez avec nous, n’oublie pas.

En préparant cet entretien, on a pensé à de nombreux adjectifs qualificatifs pour te décrire : les voici et dis-nous quand tu n’es pas d’accord :

Vas-y, c’est marrant !

Glacial, chaleureux, charismatique…

(Il coupe), Glacial, ce n’est pas ça !

Déconcertant…

Oui !

Cassant …

Oh oui !

Attachant…

Je dirais « attachiant » (rires)

Erudit, émouvant, sensible, gueulard…

Gueulard parfois !

Fédérateur, orateur, séducteur…

Séducteur ? Alors ça voudrait dire que je triche.

Oui mais tu as dit que tu avais déjà menti…

Donc c’est que je dois l’être alors !

Bâtisseur, paranoïaque…

Alors paranoïaque… Plus j’avance, plus ça me quitte : de côtoyer des journalistes lorsque je n’avais pas de boulot, d’aller sur des plateaux télés, ça m’a fait prendre conscience que c’était un vrai métier, que quand le mec dit de ton match que c’était pourri, c’est qu’il l’a étudié. Il ne dit pas ça parce qu’il a une dent contre toi. Donc je suis moins parano que je ne l’ai été, oui.

Authentique, clivant, fascinant, impressionnant…

Impressionnant, fascinant, je ne crois pas…

Maintenant que tu es en face de moi, c’est vrai, beaucoup moins (rires). on continue : tempétueux…

Tempétueux, non.

« Plus j’avance, plus j’ai accès à plein de choses »

Drôle, ironique, comédien…

Tu sais que je viens de tourner une télé-réalité, j’ai coaché une équipe de foot de la région parisienne, dans un championnat du dimanche, et qui n’avait pas gagné un match de l’année, et je les ai maintenus, en vrai ! Un truc de fou ! Et ça sort en septembre. Le producteur m’a dit, « ça va être un bijou » ! Ce qui me plaît dans la vie, c’est que plus j’avance, plus j’ai accès à plein de choses. Jamais je n’aurais imaginé travailler aux Nations Unis, puis jamais je n’aurais imaginé entraîner en pro, puis jamais je n’aurais imaginé aller sur des plateaux télés ou des émissions radio, écrire un bouquin, jamais je n’aurais imaginé tourner dans une télé-réalité… Aujourd’hui, je donne des conférences axées sur le très haut management, le management de crise, j’en fais une dizaine par an. A la fin, les gens se lèvent. Après Toulouse, j’aurais pu en faire deux par jour !

On continue : charmeur, pudique, intimidant, émouvant, nerveux…

Nerveux non, tu peux demander à ma femme.

Démagogue…

Dans les conférences de presse, c’est parce que je joue. c’est du jeu.

Respectueux…

Ah oui, je suis respectueux de ma hiérarchie.

Ta personnalité selon toi ?

Je suis généreux. Bienveillant.

Défauts ?

Rancunier. Mais ce n’est pas une rancune tenace. Avec l’ETG, ma rancune est partie, parce que je ne pense jamais à ces gens-là.

Pascal, y-a-til une question que j’aurais pu te poser et que je ne t’ai pas posée ?

Non, comme ça, je n’en vois pas…

Pascal, quelle question voudrais-tu me poser ?

Est-ce que tu penses sincèrement que tu es plus passionné que moi du football ?

 

Texte : Anthony BOYER / Twitter : @BOYERANTHONY06 / mail : aboyer@13heuresfoot.fr

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