National / Stéphane Rossi (US Concarneau) : « Je ne cherche pas la lumière »

Le coach des Thoniers est une personnalité à part, qui jouit d’une belle image. Naturel, pudique et pas carriériste, il ne réseaute pas, fonctionne sans agent et a quasiment conservé les mêmes recettes qu’il utilisait sur les terrains des championnats régionaux en Corse. Entretien avec un homme hors système, qui a brisé un mythe en s’exilant loin de son île natale.

Par Anthony BOYER – mail : aboyer@13heuresfoot.fr

Photos : Philippe LE BRECH (sauf mentions spéciales)

Photo Philippe Le Brech

Stéphane Rossi l’apprendra en lisant l’article : pour préparer notre entretien en visio, nous avons pris quelques informations auprès d’une personne qui le connaît bien ! Pour en savoir plus sur le Bastiais d’une grande discrétion, à la fois dans la vie de tous les jours et dans les médias, nous aurions pu interroger Antoine Emmanuelli, son ancien président au CA Bastia, avec qui il a tout connu.

Finalement, nous avons opté pour Nicolas Gennarielli, qui fut son adjoint chez les Cabistes et aussi au Sporting-club de Bastia, qu’il avait dû quitter prématurément pour raisons familiales ! Et tout ce que nous a dit l’actuel directeur technique du Cavigal Nice, passé sur les bancs de l’Ile-Rousse (CFA2, devenu le FC Balagne) et de Porto-Vecchio (DH) au début des années 2010, s’est vérifié.

L’image d’un Rossi sympa, agréable, simple, et aussi pudique, a très vite été confirmée : « Sté, il est toujours resté le même. Il est lui-même, témoigne Gennarielli. Humainement, c’est un top mec ! Il est très cool. C’est aussi un épicurien. Il kiffe la vie, qu’il prend du bon côté. Dans le foot, il est très passionné. Il peut passer des heures à parler ballon, mais il sait aussi switcher. C’est un entraîneur qui y est arrivé par sa compétence. Il est très ouvert et fonctionne à la confiance. Il n’a pas peur de déléguer. Dans ce milieu, il dénote un peu, parce qu’il n’a jamais eu d’agent, qu’il fonctionne tout seul et qu’il n’a pas de réseau. Il est en dehors du système. Il n’est pas carriériste. Il ne se vend pas et puis il a longtemps été catalogué comme l’entraîneur corse qui ne peut pas exercer ailleurs qu’en Corse… »

Il vient de soigner un cancer de la thyroïde…

Lors d’un match amical cet été contre le SM Caen de Maxime d’Ornano. Photo Philippe Le Brech

Tous ces sujets, nous les avons évoqués avec celui qui s’est assis sur le banc de l’US Concarneau le 1er juillet 2024, dans un club professionnel fraîchement relégué de Ligue 2 en National, à… 1600 kilomètres de Bastia, sa terre !

Mais il est un autre sujet que nous n’avons pas abordé, celui de la maladie et de son cancer de la thyroïde, détecté en décembre 2024, qu’il a combattu pendant sept mois, et qu’il a vaincu.

Lundi, dans les colonnes du quotidien Ouest-France, il s’est longuement confié au journaliste Dylan Le Mée. Morceaux choisis : « En décembre, on m’a décelé une anomalie au niveau de la thyroïde (…) dès janvier, j’ai su que j’allais me faire opérer en juin. L’opération s’est mal passée. Je suis resté quelques jours en réanimation. Je n’arrivais pas à parler. Au club, seuls le médecin, le président, le directeur général et les joueurs étaient au courant (…) Après la saison, cela a été très compliqué, j’ai eu le soutien de ma famille et des gens du club. Quand je me suis réveillé, que je ne pouvais plus parler, ça m’a mis un coup car j’ai cru que je ne pourrais plus travailler (…) Dans notre métier, sans voix, l’entraîneur ne sert pas à grand-chose. Moralement, j’étais atteint (…) La chose qui m’a manqué, c’est de pouvoir parler aux joueurs qu’on avait ciblés et qu’on avait réussi à convaincre pour leur dire ce que je fais d’habitude, ma manière de voir les choses (…), maintenant, sur le terrain, je vis les moments plus intensément. Je me dis que ce n’est que du football et du jeu. Il faut que je vive différemment. J’ai toujours fonctionné pour moi. Je le dis ouvertement, j’étais égoïste. Le foot sera toujours mon métier, mais ce n’est pas ce qui fait l’essence de ma vie. »

Vendredi dernier, avant un match amical disputé (et remporté) face à Pontivy (N3), histoire de garder le rythme – l’US Concarneau était exempte lors de la 2e journée de championnat en raison de la rétrogradation de l’AC Ajaccio, qui a déposé le bilan, et du nombre impair (17) de participants en National -, Stéphane Rossi a pris 45 minutes de son précieux temps pour répondre, avec sa courtoisie habituelle, à nos questions, axées sur sa personnalité, son histoire, son parcours. Parfois surpris, comme lorsque nous l’avons interrogé sur son papa, parfois rieur, le coach le plus âgé de National (61 ans) et aussi le plus expérimenté à cet échelon (237 matchs avant celui de ce vendredi à Bourg-en-Bresse) devant le coach d’Orléans Hervé Della Maggiore (221) et le coach du FC Rouen Régis Brouard (174 matchs en National) – ces deux derniers ont cependant plus d’expérience à l’étage supérieur, en Ligue 2 – est resté fidèle à sa réputation. Celle d’un homme tranquille, sincère, cool, pudique mais pas trop non plus.

Interview

« Je n’ai jamais eu besoin d’un agent pour trouver un club »

Photo Philippe Le Brech

On commence par une date. Si je te dis 23 octobre 2019 ?
Le jour où je me suis fait virer du Sporting !

23 mars 1964 ?
(Rires) c’est ma date de naissance !

À quoi cela te fait penser ?
À Mon âge (rires) ! Mon âge avancé ! 61 ans ! Ça passe très vite, trop vite !

Et sur ses 61 ans, combien de temps passés sur les terrains de foot ?
Depuis minot, plus de 45 ans, j’ai commencé le foot en compétition à 15 ans, en cadets !

Et ta date de naissance, ça ne te fait penser à rien d’autre ?
(Surpris, il ne sait pas quoi répondre)

Tes parents… Ton père.. Tu as une relation forte avec ton père…
Oui, oui… (gêné)

Photo US Concarneau

Tu es pudique, tu n’aimes pas trop en parler…
Mon père c’est… Il a 86 ans aujourd’hui, il a toujours compté pour moi, mais c’est normal, il m’a élevé, quand ma mère est parti très jeune. C’est quelqu’un qui a été très dur avec moi au départ, mais aujourd’hui, je retire tous les bénéfices de cette éducation, des valeurs qu’il a pu me transmettre. C’est quelqu’un qui a pris aussi la relève et a élevé aussi mes enfants, puisque moi, j’étais divorcé, j’étais pas trop disponible… Mon père c’est le patriarche. Mes deux filles sont grandes aujourd’hui, elles ont 35 et 32 ans, je suis grand-père, j’ai deux petit-fils.

« Je n’aime pas me mettre en avant »

En recherchant des articles sur toi, on en trouve bien sûr axés sur le foot, les matchs, la compet’, mais en réalité très peu sur toi, l’homme, ton caractère, ta personnalité… Tu es discret…
Oui, c’est plus de la pudeur, je n’aime pas trop me mettre en avant. Moi, je fais mon boulot, et c’est largement suffisant. Et mon boulot, les gens qui sont avec moi le voient. Je ne cherche pas la lumière, ce n’est pas la peine.

Depuis maintenant 12 ans, tu ne vis que du football…
Oui. Pendant des années, j’ai cumulé deux fonctions : celle d’entraîneur de foot et celle de chef du service des sports du département de Haute-Corse. Quand on est monté en Ligue 2 avec le CA Bastia en 2013, j’ai dû faire un choix parce que je ne pouvais plus cumuler les deux. C’est là que je me suis mis en disponibilité afin de me consacrer au foot. La dispo de 10 ans s’est terminée en 2023, et j’ai fait le choix à nouveau à ce moment-là de ne pas retourner dans l’administration.

Tu es un peu à part, dans le milieu, la com, les médias, les réseaux, ce n’est pas trop ton « truc ». On sent aussi que le Stéphane Rossi que j’ai en face de moi, il ne joue pas un rôle. Tu es toi-même…
En fait, pour le foot professionnel, j’ai gardé le même fonctionnement que j’avais dans le foot amateur, quand j’entraînais en DH (Régional 1) ou même en Division 4 à l’époque. J’ai toujours eu un certain mode de fonctionnement que j’ai conservé, parce que j’ai été élevé comme ça. Pourquoi changer ? Il faut continuer à vivre comme on a l’habitude de vivre, sinon, tu peux perdre des amis, tu ne consolides pas les liens forts que tu as pu créer avec des amis au collège par exemple et que j’ai toujours aujourd’hui, ou avec des joueurs dans mes jeunes années au Sporting-club de Bastia, quand j’ai commencé à faire de la compétition.

« Il faut donner de l’importance à la personne que tu as en face de toi »

Photo Philippe Le Brech

Tu dis que tu as conservé le même fonctionnement que quand tu entraînais en DH mais pourtant, ce n’est pas possible, il y a forcément de l’adaptation…
Je me suis adapté, bien sûr, mais ce que je veux dire, c’est que je fonctionne quand même d’une certaine manière. Je t’explique : quand j’arrive dans un club avec la responsabilité d’une équipe, ma priorité c’est de fédérer autour de moi. Et pour ça, il y a des leviers à activer, il faut aller vers les gens, il faut donner de l’importance à la personne que tu as en face de toi, faire sentir à des joueurs, par exemple, qu’ils sont importants, mais il faut une confiance mutuelle. Cette confiance-là, elle est majeure, parce que si on l’obtient, derrière, on arrive à faire passer tous les messages que l’on veut, peu importe que le joueur ait fait un bon ou un mauvais match. Et à partir de là, on peut avancer. Les footballeurs professionnels, ce sont d’abord des humains, avec tout ce que cela comporte. Ils ont leurs failles, leurs qualités, et je prends ça en compte. Après, c’est sûr que dans le travail, je suis exigeant, rigoureux, parfois je m’énerve aussi, mais toujours avec le respect de la personne que j’ai en face de moi.

Sur le banc, tu as l’air aussi de bien maîtriser tes émotions, de ne pas te laisser envahir…
Parfois il m’arrive de m’énerver mais j’ai appris une chose avec le temps, c’est que quand tu es serein, plutôt calme sur un banc de touche, tu as plus de facilités pour analyser les choses. Et quand tu t’emportes, quand tu t’énerves, tu transmets ce stress à tes joueurs, à ton banc, et ce n’est jamais bon. Parce que tu indisposes beaucoup de gens, et cela peut se retourner contre toi. Je ne dis pas que je ne le fais jamais, mais il faut vraiment que cela soit quelque chose de grossier pour que je puisse sortir de mes gongs. Je ne tolère pas, non pas l’injustice, c’est un mot trop fort, mais les mauvais comportements. Il y a des personnes dans le football qui m’ont déçu par leur comportement. C’est vrai que tout le monde veut gagner, que notre métier est soumis à l’obligation de résultats, on le sait, c’est comme ça. Gagner, OK, mais pas par n’importe quel moyen. Il faut respecter le travail des autres, se respecter les uns les autres. Il faut de l’humilité, et sur ce plan-là, quelques personnes, coachs, présidents, directeurs sportifs, m’ont déçu. Moi aussi j’ai la pression du résultat. Ce n’est pas que cela peut me rendre différent, mais cela peut engendrer chez moi un comportement différent sur le moment. Là, je peux sortir de mes gongs. C’est un peu un regret que j’ai par rapport au milieu du foot.

Un souvenir d’un match où tu as pété un plomb ?
Je n’ai pas forcément pété les plombs mais juste dit les choses comme je le ressentais, et pas forcément de manière courtoise, c’était la saison dernière, contre Sochaux, à l’aller et au retour. Il y a eu une altercation parce que, en face de nous, je pense que les personnes n’ont pas pris le bon chemin pour gagner ce match, voilà, donc à un moment donné, il faut respecter les personnes que l’on a en face, quelque soit le statut, quelques soient les obligations de résultats que l’on peut avoir.

‘J’ai signé à Concarneau sans agent »

Photo Philippe Le Brech

Tu fonctionnes toujours sans agent ?
Oui, c’est vrai. J’ai signé à Concarneau sans agent. Je n’ai jamais eu besoin d’un agent pour trouver un club. Je n’ai toujours pas le réseau. Il y a des gens qui me connaissent et puis, ce qu’il faut dire aussi, c’est que j’ai quand même passé une trentaine d’années en Corse en tant qu’entraîneur. Forcément, là-bas, je n’avais pas besoin de grand-monde, mais après, quand je suis parti, oui, peut-être que j’aurais eu besoin d’un agent, mais cela s’est fait comme ça, par le bouche à oreille quand j’ai signé à Cholet par l’intermédiaire d’Anthony Martin, qui est de là-bas, qui était le gardien que j’avais au Sporting-club de Bastia à l’époque : il m’a appelé et m’a dit, « Ecoute, Cholet cherche un entraîneur, je vous mets en relation ». Pour Bourges, en National 2, pareil, je reçois un appel de quelqu’un que j’avais croisé sur les terrains, qui me dit que le club change d’entraîneur, il me demande si je veux aller là-bas, je me dis « pourquoi pas ? », le niveau m’importe peu, N2, National, ça ne me dérange pas. Et voilà. À Concarneau aussi, Philippe Leclerc (responsable du recrutement, ex-Caen, Angers), m’a appelé, il avait pris des informations sur moi par la bande, sur mon travail, ma manière de fonctionner, et ça s’est fait comme ça.

« J’aurais dû partir de Corse plus tôt »

Qu’est-ce qu’il t’a manqué pour entraîner plus souvent en Ligue 2 par exemple (une seule saison, en 2013-2014, avec le CA Bastia) ?
J’aurais dû partir de Corse plus tôt. C’est un des freins parce qu’on m’a catalogué comme un entraîneur ne pouvant entraîner qu’en Corse, n’ayant des résultats qu’en Corse, et ça, c’est un facteur limitant. Je pense que c’est juste ça. Après, sa notoriété, sa crédibilité, on la fait, non pas en changeant de clubs tous les jours, mais au travers des résultats que tu peux avoir dans tes clubs respectifs. À chaque fois que l’on m’a demandé d’atteindre un objectif, je l’ai atteint, même au Sporting quand je me suis fait virer.

« Il a toujours fallu que j’aille chercher les choses »

Photo Philippe Le Brech

Tu as aussi souvent pris en mains des équipes où il fallait reconstruire…
Oui. Au Sporting, quand le club est tombé de Ligue 1 en National 3, on m’a demandé de reconstruire parce qu’il n’y avait plus rien, j’ai construit, avec mon petit réseau, j’ai fait venir des joueurs, on a monté une équipe, la première année, on a fini 2e en National 3 (derrière Endoume), on est parti trois ou quatre matchs après les autres, c’était trop difficile, mais la deuxième année, on est monté en N2, et quand je me fais virer la troisième année, on avait disputé 9 matchs de championnat, on en avait gagné 7. Mais je pense que ce n’est pas sur les résultats sportifs que je me suis fait virer, il y a d’autres choses, d’autres raisons, mais je ne les connais pas.

À Cholet, quand je suis arrivé la première fois en décembre, il fallait maintenir le club, il y a eu la Covid, mais on était dans les clous. La deuxième année, on a tout reconstruit, en changeant 80 % de l’effectif, à la trêve, on n’était pas mal, dans les trois premiers, après, il y a eu des paramètres, comment dire, non maîtrisables… mais on a toujours été dans la première partie de championnat. À Bourges, quand je suis arrivé, la situation était délicate, on m’a demandé de maintenir le club en N2, on s’en est sorti. Et à Concarneau, dans un club qui descendait de Ligue 2, on m’a demandé de rebâtir, de reconstruire, avec des moyens limités pour le niveau National, et on a fini 8es. Et cette année, c’est pareil, il faut continuer à bâtir et surtout se maintenir pour aller dans la nouvelle Ligue 3 professionnelle. J’espère qu’un jour, de dépasserai les objectifs que l’on m’a demandés. En fait, j’ai été catalogué comme ça aussi. On ne m’a jamais donné une équipe déjà bâtie, déjà construite, en me disant « Voilà, avec cette équipe-là, tu vas entraîner en Ligue 2 ou en National ». Non. Moi, il a toujours fallu que j’aille chercher les choses tout le temps.

Photo US Concarneau

As-tu souffert de cette étiquette ?
Je n’en ai pas trop souffert parce que pendant longtemps je n’ai pas ressenti le besoin de partir (de Corse), j’étais bien chez moi, j’entraînais chez moi, à un bon niveau, voire à un très bon niveau. Ce que l’on a réalisé avec Antoine (Emmanuelli) et d’autres au CA Bastia, ce n’était pas banal, c’est quand même un exploit mémorable, un miracle même, d’arriver à monter en Ligue 2 avec un club de Bastia intra-muros, à côté du Sporting qui accapare toute l’attention des médias, des supporters, et de manière légitime, c’est bien normal. Les gens n’ont pas pris conscience de ce qui s’est passé à cette époque là.

Des regrets par rapport à l’époque CAB en Ligue 2 ?
Le CA Bastia en Ligue 2, ou même en National, c’était une opportunité monumentale pour les jeunes corses et pour le football sur l’île de développer le centre de formation du Sporting et de mettre en place des passerelles entre les deux clubs, en travaillant en bonne intelligence, main dans la main, et pas les uns contre les autres. Pour le CA Bastia, ce n’était pas seulement le fait de rester en Ligue 2, parce que même en National, avec un Sporting qui était en Ligue 1 à ce moment-là, cela aurait été viable. Cela aurait permis aux deux clubs de bénéficier de pas mal de compétences. C’est ça le regret. On n’a pas su convaincre les gens que c’était comme ça qu’il fallait avancer pour le bien du football corse.

Tu avais déjà eu des propositions pour entraîner sur le continent avant d’aller à Cholet en 2019 ?
Quelques-unes, mais comme je n’ai pas d’agent, tout était informel. Il n’y a pas eu de discussion. Je me souviens avoir vu mon nom dans la presse parisienne pour Créteil à l’époque, qui était en National.

« Il fallait que je parte, j’en avais besoin… »

Photo Philippe Le Brech

Cholet, c’était quand même le grand saut ! Qu’est-ce qui t’a pris d’aller aussi loin ? On t’aurait plutôt imaginé dans la partie « sud » de la France …
C’était un moment où j’en avais besoin. J’étais content de partir de chez moi, parce que j’ai souffert pendant quelque temps après mon éviction du Sporting-club de Bastia, en octobre 2019. Cette éviction, je pensais que c’était injuste. J’avais ce sentiment-là. Je voulais oublier tout ça, passer à autre chose. Je voulais partir pour montrer aussi que j’étais capable d’entraîner à un niveau supérieur, parce que quand je suis viré de Bastia, le club est en National 2. Là, à Cholet, je pars en National. J’avais eu d’autres contacts, tout de suite, après Bastia : j’avais discuté avec Béziers aussi, qui était en National, et Cannes, en National 3, m’avait sollicité, mais à ce moment-là, je voulais prendre un peu de recul. J’en ai profité pour partir avec mon épouse, voir des matchs en Italie, pendant un mois, et après j’ai rebondi en décembre.

L’US Concarneau 2025/26. Photo Philippe Le Brech

J’ai vu que dans ta carrière de coach, tu avais entraîné (au CAB Gallia Lucciana) un certain… Benoît Tavenot. C’est drôle non ? Il est aujourd’hui à la tête du Sporting-club de Bastia, en Ligue 2…
C’est vrai. C’était au CABGL (Bastia Gallia Lucciania) Et je vais te raconter une anecdote, Benoît s’en souvient. On va jouer en CFA2 à Cagnes-sur-Mer, à côté de Nice. Benoît, qui est originaire de Solaro, en Corse, arrivait de Strasbourg, je crois qu’il était encore étudiant. À Cagnes, il y avait du lourd, je me souviens qu’il y avait Di Costanzo (ex-Rennes, Nice, Reggiana), ils avaient une équipe largement plus forte que la nôtre. Je mets en place un système de jeu un peu particulier avec Benoît au marquage individuel de Di Constanzo. C’était l’une des premières fois où j’étais arrivé à avoir des images de l’adversaire ! On m’avait donné une cassette et j’avais regardé au magnétoscope le match précédent de Cagnes. Et très vite, je vois que Benoît n’est pas dans le coup, il perd un ballon, le mec marque… Bref, il est à côté de ses pompes. Je le sors au bout de 20 minutes. Et finalement on a gagné 2 à 1. J’ai ce souvenir-là (rires).

Tu es toujours en contact avec lui ?
Je l’ai de temps en temps, mais là ça fait un moment que je ne l’ai pas eu. Après, si j’ai besoin de quelque chose, je peux l’appeler, et l’inverse aussi bien entendu, il sait très bien qu’il peut m’appeler. J’ai passé le recyclage du BEPF il y a deux ans quand il était dans sa session BEPF.

Ça ne te fait pas « bizarre » de le voir à la tête du Sporting ?
Non, parce qu’il s’est engagé dans cette voie-là (de coach) très tôt aussi, il a eu des équipes de jeunes au club, il a eu la réserve, il est parti avec Frédéric Antonetti comme adjoint (à Metz et Strasbourg), il était déjà adjoint au Sporting avant (de Frédéric Hantz et de François Ciccolini), mais c’est vrai que c’est particulier de l’avoir eu comme joueur.

Penses-tu être un meilleur entraîneur aujourd’hui qu’il y a 25 ans ?
Je pense que oui, j’ai beaucoup plus de recul, d’analyse, et je dirais même de compétences. On progresse tout le temps, on apprend. Il faut toujours s’ouvrir, ne pas s’enfermer, re pas rester sur ses acquis, afin d’évoluer.

« Je ne suis pas un entraîneur défensif »

Photo Philippe Le Brech

Joueur, tu étais un plutôt créatif, un numéro 10, technique, mais coach, tu aimes bien que tes équipes soient plutôt bonnes défensivement…
Eeeeeeh…. Je dirais … oui et non ! Oui, parce que le socle, la base d’une équipe, c’est la solidité, afin qu’elle puisse exprimer ensuite ses qualités et ses forces offensives. Mais j’aime bien qu’elles soient organisées, qu’on puisse aussi avoir parfois la maîtrise : quand je bâtis un projet de jeu, j’appelle ça un projet de jeu réaliste. Je m’inscris dans cette philosophie-là, et non pas dans une philosophie de possession, de transition ou d’équipe ultra-défensive. Un projet de jeu réaliste, cela veut dire être capable de travailler sur des blocs médians ou bas quand il faut et être capable d’avoir la maîtrise du jeu et la possession par un jeu de position quand l’adversaire vous laisse la possibilité d’avoir le ballon.
Après, en fonction des individualités que l’on peut avoir, ça peut changer : la saison passée, par exemple, même si on a terminé 8e et que l’on a souffert à une certaine période, on a fini avec la 2e meilleure attaque du championnat (48 buts marqués, comme Le Mans, derrière Nancy et ses 54 buts) et quasiment l’une des plus mauvaises défenses. Il faut être équilibré, et ça, c’est difficile à trouver. Quand on est équilibré, souvent, c’est au détriment de l’aspect offensif. Quand on marque des buts aussi, c’est au détriment de l’aspect offensif, etc. etc. Si tu trouves cet équilibre, tu peux faire en sorte de terminer dans le haut du tableau. Mais je ne suis pas un entraîneur défensif !

« Le respect, l’humilité, et j’ai l’impression que ça se perd un peu »

Photo Philippe Le Brech

Est-ce que tu as l’impression d’être un coach à part, différent, dans ce milieu du foot ?
(Rires) Je vais te dire ce que je t’ai déjà dit : en fonction des personnes que j’ai en face de moi, peut-être. Il y a des entraîneurs aujourd’hui avec qui j’aime bien échanger, discuter, voilà. Mais c’est vrai qu’il y en a de moins en moins. Dernièrement, j’ai joué contre Villefranche en championnat (0-0, journée 1), j’avais déjà eu l’occasion de croiser leur coach, Fabien Pujo, en 2014, quand, justement, il y a eu cette accession avec le CA Bastia, j’étais parti au recyclage à Clairefontaine, et Fabien était là-bas à ce moment-là, on avait sympathisé à cette époque, mais c’est très vieux comme souvenir. Là, on a pu échanger avant le match. Après, il y a des coachs qui ne parlent pas, d’autres qui n’ont pas envie de parler, ou qui ont peut-être la pression avant le match, après, je respecte tout le monde. Mais par rapport à cette nouvelle génération d’entraîneurs qui arrivent, il y a un autre état d’esprit qui s’installe. Il y a des jeunes entraîneurs qui… je vais faire attention à ce que je vais dire parce que je ne veux froisser personne… qui ont les dents longues, et c’est ça la différence avec les entraîneurs de ma génération. C’est un constat. Nous, on était là, on était content d’être là, on était ouvert. Voilà. On était en National par miracle, parce que qui aurait dit que le CA Bastia monterait en National, puis en Ligue 2 ? Aujourd’hui, ce sont de jeunes entraîneurs à qui on donne les clés d’une équipe professionnelle parce que la majorité des clubs sont pros en National, et ils sont propulsés sur le devant de la scène comme ça, et ils veulent aller encore plus loin. Ils sont très ambitieux. C’est bien. Mais l’ambition, c’est une chose, mais après, il y a d’autres choses, comme la relation que l’on peut avoir avec les confrères, le respect, l’humilité, et j’ai l’impression que ça se perd un peu.

La Ligue 3, les coachs sont concertés ou pas du tout ?
(Il hoche la tête en signe de non) J’en parle avec mon président (Jacques Piriou), d’ailleurs il m’a donné comme objectif d’être en Ligue 3, mais à part ça, non, parce que c’est toujours un peu flou. On n’a pas trop d’informations. Moi, je sais juste deux choses sur la Ligue 3 : c’est qu’il y aura des play-off, et le statut professionnel.

« Le National s’est bonifié et professionnalisé »

Stéphane Rossi, au début des années 2000, à la tête du CA Bastia Gallia Lucciana. Photo DR

Tu le trouves comment le National aujourd’hui par rapport à celui que tu as connu avec le CA Bastia en 2012/2013 par exemple ?
Les clubs sont beaucoup plus structurés et les installations, hormis deux ou trois clubs, sont celles de clubs qui ont connu la Ligue 1 ou la Ligue 2, dignes du niveau supérieur. Les joueurs ont aussi pour certains joué à des niveaux au-dessus. Je trouve qu’au fil des saisons, le championnat se bonifie. Avec des entraîneurs, comme je l’ai dit, qui ont envie d’aller encore plus haut, et donc forcément, qui amènent autre chose, notamment dans leur vision du football. Forcément, parfois ça marche, parfois non, mais c’est totalement différent de ce que j’ai connu en 2012. En fait, ça s’est professionnalisé.

Un mot sur la situation du foot de haut niveau en Corse aujourd’hui ?
Déjà, de voir l’AC Ajaccio disparaître des compétitions nationales, ça me fait mal. Parce que c’est le football corse dans sa globalité qui est touché. L’ACA, ce n’est pas simplement l’équipe première, c’est un centre de formation reconnu, qui travaille bien, c’est la possibilité pour des jeunes joueurs de continuer leur cursus de formation, et susciter chez eux des vocations et pas seulement celles de devenir un joueur professionnel, cela peut être aussi de devenir éducateur, entraîneur, et tout ça, cela va manquer à un moment donné. Aujourd’hui, on résonne dans l’instant présent : oui c’est une catastrophe économique, c’est l’ACA qui disparaît, mais il faut regarder sur le long terme. Peut-être qu’il y a des garçons qui auraient dû être professionnels et qui vont travailler dans un autre secteur, d’autres qui auraient pu être éducateur ou entraîneur et qui feront eux aussi autre chose.

En fait, ça dérègle tout, pas seulement l’économie autour de l’ACA. C’est ça qui me fait mal. Des gens se retrouvent au chômage (180 salariés, ndlr). Il y a des familles touchées. Pour rebondir, c’est compliqué. J’ai connu ça au Sporting en 2017, quand je suis arrivé, le club était dans la même situation que l’ACA aujourd’hui, il y avait des garçons qui avaient signé des contrats pros de 3 ans, qui se sont retrouvés sans rien, certains ne jouent plus au football aujourd’hui. Tout ça, ce sont des choses qui ne sont pas palpables, mais qui vont arriver. L’impact sera négatif, ça c’est sûr. Cela a été le cas au Gazelec Ajaccio aussi. C’est sûr que cela fait mal au football ajaccien aussi, il y avait à un moment donné deux clubs en Ligue 1 et en Ligue 2, des derbys, aujourd’hui, il ne reste que le Gazelec en National 3. C’est dommage.

Photo Philippe Le Brech

Tu as regardé la vidéo de Romain Molina sur Johan Cavalli (directeur sportif de l’AC Ajaccio) ?
Oui.

Si un truc comme ça t’arrivait, si on dévoilait tes contrats au grand jour, tu réagirais comment ?
Franchement, à la place de Johan, je n’aurais même pas répondu. De toute façon, tous ces renseignements, son contrat, parce qu’il (Molina) a sorti son contrat, avec ses clauses, tout ça, ça vient de l’intérieur. Peut-être que moi, j’aurais cherché à régler mes comptes à l’intérieur.

Je ne suis pas là pour défendre Johan, mais qu’est-ce qu’il a fait de mal ? Il a un contrat, il ne l’a pas volé. Quand il a été signé, tout le monde était d’accord. Après, ce n’est pas ça qui a tué l’ACA.

« On a investi la Bretagne ! »

La vie à Concarneau, c’est comment ?
C’est top ! Il y a la mer, déjà, même si elle est un peu froide, mais quel plaisir de la voir tous les jours, surtout quand on est habitué comme moi à la voir depuis toujours. Après, les paysages ressemblent beaucoup à la Corse, avec une végétation ici, en bord de mer, que l’on retrouve en Corse mais à 300 ou 400 mètres. La ville est tranquille, aux alentours il y a Quimper, Lorient, et pour le foot, on peut aller voir des matchs pas loin, à Brest où il y a Greg Lorenzi, à Lorient où il y a Olivier Pantaloni et Yannick Cahuzac, en fait, il y a beaucoup de Corses, on a investi la Bretagne (rires) ! Je suis allé à Lorient dernièrement contre Osasuna en amical, Greg Lorenzi m’a invité contre Paris en 8e de finale de Ligue des Champions l’an passé. Quand je peux, j’essaie d’aller voir des matchs, le haut niveau, c’est toujours intéressant, mais on a tous nos obligations.

Tu fumes toujours un petit cigare le soir ?
Oui (rires) Oui, ça c’est mon plaisir. J’ai ma cave à cigares que j’ai transportée ici !

Avec un petit verre de whisky ?
Oui, mais pas tous les soirs le whisky (rires) !

Championnat National 2025/26 (journée 3) – vendredi 22 août : FBBP 01 – US Concarneau, à 19h30. Match télévisé et commenter sur la chaîne Youtube du #NationalFFF :  https://www.youtube.com/Championnat_National_Officiel

  • Texte : Anthony Boyer / X @BOYERANTHONY06 / mail : aboyer@13heuresfoot.fr
  • Photos : Philippe Le Brech
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