Son image, son pays natal, son retour et son attachement à l’ASNL, sa carrière, sa vision du foot moderne, son style… Le technicien franco-uruguayen se raconte comme jamais. Entretien à coeur ouvert avec le coach de l’actuel leader du championnat !
Par Emile Pawlik / Photos : ASNL
Avec un personnage comme Pablo Correa, forcément, on sait que l’on ne va pas s’ennuyer ! Rendez-vous est donné un jeudi après-midi d’août. Le technicien, extrêmement loquace, nous a accordés plus de deux heures et demie pour nous raconter des anecdotes toutes plus fascinantes les unes que les autres et revenir sur l’actualité récente du club.
L’homme a une mémoire impressionnante. Il se souvient des matchs ou des scores d’une saison qui se sont déroulés il y a presque 20 ans. Il se souvient de tout ! Le technicien de 57 ans se livre à cœur ouvert. Il aborde l’actualité et notamment son aventure nancéienne en National, mais aussi sa vision du football, ses douleurs, ses joies, ses souvenirs et bien sûr… l’Uruguay. Entretien.
Pablo Correa : « On veut redevenir le Nancy que l’on a connu »
Après avoir quitté Virton (D2 Belge) en 2022, à quoi ressemblaient vos journées ?
À Virton, je viens pour donner un coup de main au club, mais je n’ai pas de regret parce que c’était un truc impossible (le club était dernier à son arrivée et n’a pu éviter la relégation, Ndlr). J’en profite pour m’éloigner et voyager. Ce qui rend les choses moins douloureuses. Je suis allé voir des footballs différents. Sortir de cette lessiveuse pour apprécier le jeu et remarquer des détails que l’on ne voit pas quand on est en plein dedans. Par exemple, il y a quelques années, je suis allé voir l’Atlético Madrid sur une semaine d’entraînement : ça m’a confirmé l’idée selon laquelle l’intensité de l’entraînement détermine l’intensité en match le week-end.
Racontez-nous comment s’est fait votre retour sur le banc de Nancy (depuis le 18 novembre 2023) : était-ce une évidence pour vous ?
Dans un coin de la tête, autant quand l’équipe va mal que bien, on pense à ce qu’ils nous appellent pour donner un coup de main. Mais à ce moment-là (été 2023), je faisais ma vie en Uruguay car j’étais au chevet de ma maman à qui l’on avait diagnostiquée une maladie grave. Je me déconnecte un peu et je sors avec elle. J’étais parti au pays sans l’idée de revenir car la priorité était de l’accompagner. Mi-novembre, je reçois un appel de Nicolas Holveck (le président, décédé le 8 avril dernier à l’âge de 52 ans, Ndlr) – que Dieu le garde quelque part – qui me dit “On a besoin de toi”. Ça ne me surprend pas parce que je connais Nicolas, il sait que je saurai mettre un énorme investissement pour le club. Je ne dis pas ça pour me vanter, mais je suis le seul coach en National avec une expérience en Ligue 1. Je n’aurais pas donné suite si une autre équipe de National m’avait appelé. Je lui ai dit : “Si tu as vraiment besoin de moi, je prends l’avion et je rentre, mais ne me faites pas rentrer pour rien.” J’ai prévenu ma maman qui m’a dit d’y aller, car elle connaît l’attachement que j’ai pour la ville et l’ASNL. C’est la dernière fois que je la vois, que je peux l’embrasser et je savais qu’elle était en paix avec elle-même. Et je rentre à Nancy sans me poser de questions.
Avec les dirigeants, de quoi parlez-vous quand vous vous voyez ?
On a une première discussion chez moi avec Nicolas Holveck et Michaël Chrétien et on parle de ce qu’on peut faire pour sortir le club de la difficulté. Quels sont les éléments qui peuvent nous aider. On a juste parlé de ça, de rien d’autre.
« Pourquoi tu fais une passe en arrière ? »
Comment remobilisez-vous les joueurs lorsque vous arrivez ?
Lors de mon premier entraînement, au bout de cinq minutes, je prends à part un joueur qui vient de faire une passe en arrière et j’arrête tout. Je lui dis : “Pourquoi tu joues derrière ? Si on veut faire mal à l’adversaire, c’est devant que ça se passe.” Je dois alors m’adapter au groupe que j’ai et je dois améliorer tout de l’intérieur. Je leur dis que j’accepte le déchet, à condition d’aller vers l’avant. Finalement, ce sont des mots assez simples qui font que les joueurs se prennent au jeu. Il faut aussi savoir tirer le positif de chaque situation négative et gérer les frustrations individuelles des joueurs. D’ailleurs, si vous regardez notre victoire contre Rouen (victoire 1 à 0 le 24 novembre 2023), lors de mon premier match, on voit tout ce qu’on ne voyait pas avant. Et là, j’ai dit aux joueurs : “Voilà, vous en êtes capables et je vais vous accompagner”.
Justement, racontez-nous ce premier match contre Rouen, ce retour à Marcel-Picot ? Qu’avez-vous avez ressenti ?
Honnêtement ? Rien ! Parce que je venais de rentrer d’un voyage usant psychologiquement et physiquement. Vous laissez la moitié de votre vie là-bas, très loin, en Uruguay, ça vous fatigue énormément. J’avais encore dans un coin de la tête ma maman. J’étais lié à l’équipe, mais ma tête est occupée à autre chose. Même si j’avais été accueilli avec des feux d’artifice, je ne l’aurais pas remarqué. Ce n’est pas pour être méchant avec le public, qui nous a aidés et nous aide encore énormément, mais ce soir-là c’était particulier à cause de ça.
« Je n’ai jamais pensé une seconde que l’on pouvait monter »
Ensuite, il y a des événements très tristes qui s’enchaînent pour vous personnellement, mais aussi pour tout un club (décès de sa maman puis décès de Nicolas Holveck) ? Comment vit-on ces moments-là en pleine saison ?
On peut utiliser des phrases comme “La vie continue”, mais ce n’est pas vrai. Il y a toute une remise en question. Une partie de vous-même qui revient à la surface. Il y a un ce côté injuste, incompréhensible… On se demande pourquoi… Et il y a l’autre côté, où je suis coach même si pour moi on ne peut pas détacher l’homme de l’entraîneur. À Sochaux (après le décès de Nicolas Holveck), je n’avais pas de mots pour mes joueurs. On dit que le show doit continuer, mais je fais semblant. Le foot vient en deuxième partie, mais c’est à l’image de la société : quand on montre nos émotions, c’est mal. Si ça ne dépendait que de moi, je me serais arrêté, mais je dois respecter les propriétaires du club et le club.
La saison passée, juste avant le match contre Le Mans, à quatre journées de la fin, il y a eu un vent d’optimisme avec des espoirs de montée. Mais ils ont été douchés par une défaite lourde (3-6) : avec le recul, comment analysez-vous cette défaite et auriez-vous tout fait pareil, si c’était à refaire ?
Exactement pareil. Il n’y a pas une seule seconde où j’ai pensé que l’on pouvait monter avec ce groupe-là. Les gens vont dire “quel manque d’ambition !”, mais je pense que pour être un bon entraîneur, il faut connaître la valeur de son groupe. Le match peut finir à 6-6 car Le Mans a été très efficace et a bien su nous contrer. Ce qui nous empêche de monter, c’est d’avoir joué un tiers de championnat en étant 17e, même si je n’aime pas parler du travail d’un collègue. Il aurait vraiment fallu un miracle pour monter.
« Je suis anarchiste sur le terrain et dans le jeu »
Vous l’avez annoncé tôt, vous vouliez donner un autre visage à Nancy en changeant de système. Pourquoi ce choix et depuis quand aviez-vous cette idée ?
Je déteste m’enfermer dans un système. L’adaptation à la compétition fait partie de ça. Je veux que mes joueurs soient capables d’assimiler plusieurs systèmes. Je suis anarchiste sur le terrain et dans le système de jeu. Quand vous êtes condamnés à jouer dans le même style, vous rendez service à l’adversaire. Je savais déjà, dès le début de la saison, que le groupe était déséquilibré. Très vite, j’ai aussi compris que c’était un groupe encore traumatisé par la descente (en mai 2023) de National en National 2 (avant que le club ne soit repêché).
Durant l’inter-saison, vous vous séparez de cadres importants. Ces décisions fortes ont-elles été difficiles à prendre ?
Il y a différentes raisons que je ne vais pas évoquer. Mais il y a des raisons physiques, footballistiques, tactiques, des raisons de renouvellement et de fraîcheur aussi. On saura en mai si l’on a fait les bons choix. Avec Michaël (Chrétien, le directeur sportif), Laurent (Moracchini, cellule de recrutement) et Adrian (Sarkisian, son adjoint), on a joué des montées et on sait comment faire. On ne voulait pas perdre de temps. Il faudra cacher le manque dans les automatismes par d’autres choses pour arriver au meilleur résultat.
“Ça me fait plaisir de voir les joueur rigoler ensemble »
Que pensez-vous du recrutement ?
C’est dur à dire si tôt dans la saison. Je suis très content de la manière dont vit le groupe. On sait qu’une bonne année est liée à des choses qui naissent dans le vestiaire. La crainte était que la mayonnaise ne prenne pas. On a fait beaucoup de travail sur la cohésion, sur le physique. Même avec la communication qu’on a avec les joueurs, on ne peut pas faire en sorte que tout le monde s’entende. Ça me fait plaisir de voir les joueurs rigoler ensemble. On a dit à toutes nos recrues : “On veut redevenir le Nancy que l’on a connu”. S’ils accrochaient au projet, on y allait et on savait que c’était le bon choix.
Le début de saison est bon (entretien réalisé avant la journée 3) et on a le sentiment que le management va être important tant les joueurs sont nombreux à postuler à certains postes. Est-ce un luxe ou une difficulté ?
Le groupe qu’on a aujourd’hui, c’est celui que l’on a voulu. On veut faire réagir les éléments par la concurrence au sein de l’équipe. On voulait doubler les postes et avoir de la concurrence pour tout le monde. Je préfère vivre avec ce sentiment d’injustice qui est de laisser des joueurs en dehors du groupe, même s’ils auraient pu tenir leur place, que de faire un groupe par défaut.
« Le jeu appartient aux joueurs »
Vous faites confiance à des joueurs des échelons inférieurs. Avec le recrutement de Brandon Bokangu et surtout l’éclosion de Cheikh Touré et Walid Bouabdeli, comment appréhendez-vous ce passage au niveau supérieur pour eux ?
Il faut leur faire confiance d’abord. Dans ce championnat, il y a beaucoup de joueurs qui n’ont pas été au bon endroit au bon moment. Des joueurs victimes du conditionnement du football français. Je prends l’image de l’entonnoir : lorsqu’il déborde pour le haut-niveau, les joueurs tombent dans un autre entonnoir, celui des divisions inférieures. Si vous regardez bien, ce n’est pas le cas que de Nancy. L’élément déterminant de cette adaptation, c’est le joueur lui-même, en fait. Nous sommes des accompagnateurs et nous leur apportons des choses, selon moi. Car finalement, le jeu appartient au joueur, et j’espère que cela reste comme ça.
Pablo Correa, du tac au tac
« L’entraîneur, c’est un meneur ! »
Pablo Correa, le joueur, l’attaquant : “Je n’aimais pas courir”
Votre geste technique préféré ?
La volée, car on la travaillait beaucoup à l’époque avec beaucoup de travail sur le dernier geste. J’aimais bien adapter mon corps, bien me positionner. Si vous me demandez un but là comme ça, je dirais Van Basten en finale de l’Euro 88 car c’est une volée différente dans un angle impossible. Même si ça paraît facile, c’est très difficile et généralement c’est très-très spectaculaire.
Vidéo : le but légendaire de Marco Van Basten à l’Euro 88
Vos qualités sur un terrain ?
J’étais assez vif et rapide dans les petits espaces. A la base, j’étais milieu de terrain, mais il fallait trop courir et je n’aimais pas ça donc je suis passé devant.
Vos défauts ?
J’avais du mal à courir. Je pensais que j’étais l’attaquant qui devait juste recevoir les ballons de la part des coéquipiers qui, eux, faisaient le travail pour nous. J’ai quand même compris très vite qu’il fallait aider l’équipe à récupérer le ballon, mais je ne voulais quand même pas trop m’éloigner du but ! J’étais souvent en position de hors-jeu donc je mettais l’équipe en difficulté parce que je ne me replaçais pas assez vite.
Citez-nous deux ou trois coéquipiers marquants ?
Carlos Aguilera, qui a joué à Cagliari, un attaquant de petite taille, technique. A Nancy, Tony Cascarino était un coéquipier modèle. C’était vraiment l’attaquant irlandais qui savait jouer avec ses défauts et qui se donnait à 100%, qui allait chercher le ballon haut sur le terrain. Par contre, il demandait toujours un congés le jour de la Saint-Patrick parce qu’on sait ce que ça représente pour eux.
Est-ce qu’il y a un club dans lequel vous avez failli signer ?
Oui, dans un club de Bundesliga à l’issue de ma troisième année à l’ASNL (1997-1998). Je finis meilleur buteur du club, on monte et on est champions de Ligue 2. J’ai une très belle offre, mais mes enfants étaient tellement bien à Nancy avec leurs copains… Avec ma femme, on a refusé. On n’a pas fait le choix de l’argent.
Complétez en deux mots : Vous étiez un joueur plutôt…
Casse-bonbons (rires) !
Pablo Correa, l’entraîneur : “Schalke, le plus beau moment de notre histoire !”
Quand et pourquoi devenez-vous entraîneur ?
A la fin de ma carrière de joueur, le jour de la photo officielle, je vais voir Jacques Rousselot (l’ex-président) et je lui dis que je ne veux plus jouer. Il me demande ce que je veux faire et je lui dis que je ne veux pas entraîner les jeunes parce que ce sont des “petits cons”. Je ne voulais pas les jeunes parce qu’il faut leur apprendre beaucoup de choses, je n’aimais pas ce rôle d’éducateur. Je suis devenu entraîneur parce que l’âge vous indique qu’à un moment, il faut passer de l’autre côté de la ligne. L’entraîneur, c’est un meneur, on est dans le contact direct avec le joueur et c’est la première liaison avec le terrain. Vous n’imaginez pas la frustration quand vous voyez votre équipe en détresse, mais on apprend à vivre avec cette frustration.
Votre meilleur moment de coach, même si on se doute un peu de la réponse ?
Je suis sûr que vous pensez à la coupe de la Ligue (en 2006), mais pour moi c’est notre victoire contre Schalke 04 en tour préliminaire de l’Europa League (saison 2006/07). Au moment de notre victoire en Coupe, je savais qu’on allait tirer un plus grand club que le nôtre. On arrive à Schalke et on ne le savait pas encore, mais on vivait le plus beau moment de notre histoire. En plus, on vit cette période avec plus de la moitié de notre effectif qui vient du centre de formation. Ce match aller-retour en Coupe d’Europe est plus fort que la Coupe de la Ligue qui, elle, est plus le fruit d’un parcours. On perd 1-0 à l’aller en Allemagne et je me souviens avoir dit “On peut les taper chez nous”. Je l’avais dit comme ça pour marquer le coup. Et au match retour, on les surprend par notre tactique, notre intensité et notre mouvement. On leur est juste « rentré dedans » et on les a battus 3-1. Voir des joueurs que l’on a connus au centre de formation à 15-16 ans arriver en Coupe d’Europe sous le maillot de Nancy, ça a doublé ma joie.
Votre pire moment de votre carrière d’entraîneur ?
Tout d’abord, il y a les graves blessures de vos joueurs. Vous vous sentez coupables de voir certains arrêter leur carrière à cause de ça et on se sent totalement impuissant. Au-delà de ça, on revient à la violence à l’extérieur du stade. Pour notre premier match de Coupe d’Europe à Nancy, Feyenoord se déplace chez nous. Avant le match, ils ont tout cassé gratuitement dans la ville et au stade en lançant des sièges sur la pelouse vers la fin du match. L’ordre du préfet est arrivé demandant de vider le stade pour pouvoir finir le match. Tout le monde pleurait à cause des gaz lacrymogènes, et là je me suis dit que c’était terriblement injuste. Parce que les 1000 ou 2000 abrutis (il se reprend), pardon, supporters, eux sont restés au stade pour des raisons de sécurité. On a mis 3-0 à Feyenoord. Au revoir et merci, sauf que non. On a fait payer à des gens qui sont innocents et on a volé ce moment aux supporters qui attendaient ça depuis les années 1970. C’est de la faute de ces personnes qui ont eu un comportement de sauvage, je suis désolé, mais on demande juste du respect. Ce qui est terrible, c’est que les dirigeants et représentants de Feyenoord étaient aussi impuissants face à tout ça. (Feyenoord a été exclu de la compétition et ses supporters interdits de déplacement durant plusieurs années).
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre victoire en Coupe de la Ligue ?
Cette saison-là (2005/06), j’ai pris énormément de plaisir parce qu’on commence mal avec de nombreuses défaites, mais j’avais confiance dans mon groupe. On savait qu’on perdrait des matchs parce qu’on manquait de métier, mais c’est un processus. J’étais très attaché à ce groupe. Je connaissais la plupart des joueurs depuis tout jeune et on a passé les étapes ensemble pour les faire devenir des joueurs de Ligue 1. Sur notre parcours, on a joué tous nos matchs à domicile parce qu’il n’y avait pas de protection pour les équipes qualifiées en Europe, comme il y a eu lors des dernières éditions. En demi-finale, on bat Le Mans 2-0 et c’était extraordinaire, c’était en février. On se dit « Comment on va tenir les gamins jusqu’au 22 avril (date de la finale) ? », mais à chaque fois, ils me surprenaient. On est allé en finale pour la gagner, pas pour prendre une volée et on a réussi (victoire 2-1 face à l’OGC Nice).
Une erreur de casting ? Un club dans lequel vous n’auriez pas dû signer ?
Oui, à Evian-Thonon-Gaillard (2012), c’est une bonne erreur de casting. Je connais les deux propriétaires Richard Tumbach et Esfandiar Bakhtiar, même des gens qu’on appelle les petites mains, d’ailleurs on devrait les appeler les grandes mains. C’était trop bling-bling, on était trop concentré sur des choses pas importantes pour le football moderne. Et trop de gens interféraient et faisaient du mal au club. J’arrive et on me présente un seul terrain, qui n’est pas praticable : on a fini par faire des tennis-ballon sur un parking. Je prenais la suite de Bernard Casoni, donc ça nous appartient à tous les deux, et on finit 9e de Ligue 1, pour une première c’est pas mal. Mais j’avais alerté les propriétaires sur des éléments qui allaient les mener à la chute. Pour l’anecdote, je reviens (pour la deuxième fois, Ndlr) à Nancy en 2013/14 et quand on doit retrouver la Ligue 1 en 2016, pour notre dernier match à Picot, on bat Evian (1-0, le 6 mai 2016, Ndlr) et on les condamne en quelque sorte. J’étais heureux de retrouver la Ligue 1 avec Nancy, mais aussi peiné par ce sentiment d’avoir condamné ce club dans lequel il y avait de très belles personnes.
Les meilleurs joueurs que vous avez entraînés ?
Christian Poulsen avait cette capacité à travailler à l’entraînement pour s’améliorer même quand il était à un âge avancé. Je vais vous surprendre, mais Sidney Govou, je l’avais toujours eu comme adversaire et il venait de la magnifique école lyonnaise des années 2000 si dominatrice. C’était un joueur qui avait un discours vis-à-vis des jeunes extrêmement positif et réaliste. Il avait des détails qui lui faisaient du mal, mais pas à l’équipe. Et il avait cette capacité à toujours jouer à fond. Ici, à Nancy, Julien Féret était un joueur de foot : quand on a dit ça, on n’a pas besoin d’expliquer grand chose de plus. Il avait été présélectionné en équipe de France. Être présélectionné à Nancy, c’était un exploit. Kim, le Brésilien, aujourd’hui impossible pour une équipe de la taille de Nancy d’aller chercher un joueur de la même qualité. Issiar Dia aussi, et bien sûr Clément Lenglet. Clément est devenu notre capitaine à un âge si jeune mais avec une énorme maturité. On savait qu’il allait faire une carrière car il venait toujours pour s’améliorer et non pour s’entretenir, c’est le point commun des grands joueurs.
Quelle est votre vision du football, du jeu ?
J’ai toujours cru que l’on faisait mal à l’adversaire dans sa surface. Mais je pense que dans le football, il y a plusieurs manières de mettre l’adversaire en difficulté. Avec le ballon, sans le ballon, avec les mouvements… Moi j’ai toujours cru, on appelle ça “transition” aujourd’hui, à la récupération et la projection chez l’adversaire. Mais ici en France on dit : “Ils jouent en contre”. Quand des joueurs arrivaient, ils me disaient qu’il n’y avait pas de limites dans mon jeu et ça allait à l’encontre de cette étiquette que l’on m’a collée.
On vous connaît pour une fameuse phrase “Si tu veux du spectacle, va au cirque” (interview dans SoFoot, en 2017). Est-ce que vous pensez que votre communication vous a desservi ou au contraire c’était dans l’optique de protéger les joueurs ?
Ma communication hors vestiaire m’a énormément desservie. Mais quelque part, je m’en fous. La communication, moi je m’en fous. Je suis d’ailleurs un grand fan de cirque ! Pour moi, le football, ce n’est pas un spectacle, ça dépend de trop de choses, ce n’est pas un numéro que l’on répète. Ce que je voulais dire, c’est qu’on peut toujours essayer d’inculquer une idée de jeu, mais il y a un adversaire et il faut l’accepter. Et moi, je voyais que l’on vivait un moment faste et les supporters sifflaient les composantes d’un club qui ont fait les années les plus belles de l’histoire du club. Mais je savais que mes joueurs donnaient tout, mais par moment, le football c’est le football, et on ne peut pas réussir notre numéro. D’ailleurs, le football est un très très grand cirque ! Chaque équipe est un cirque dans lequel chacun veut jouer son numéro, sauf qu’il n’est pas confronté à la difficulté ou la dangerosité du numéro, mais à l’obligation de résultat. Je pense qu’il y a plusieurs voies pour arriver à un résultat, et j’ai laissé cette étiquette de la combativité au détriment de mes joueurs qui faisaient de belles choses. On avait les moyens d’une équipe promue et on faisait toujours milieu de tableau de Ligue 1 : on ne fait pas ça qu’en attendant devant son but.
Justement, comment vivez-vous cette étiquette qu’on vous a collée ?
La saison où l’on est champion de Ligue 2, pas un seul joueur n’est dans l’équipe type de Ligue 2 alors qu’on est titré presque un mois avant la fin de la saison. Alors qu’on a mis le plus de buts, qu’on a gagné le plus de matchs… Je ne suis pas nommé parmi les meilleurs entraîneurs de Ligue 2. Mais je n’ai pas de regrets, je ne me nourris pas de ça. Finalement, j’ai compris depuis longtemps comment le football est fait. C’est parce qu’on reste dans cette notion d’étiquette : ça n’arrive pas que dans le foot, je vous rassure.
Sa vie en Uruguay : “J’ai vu des gens mourir sous les balles”
Comment êtes-vous arrivé au football ?
Je construis mon rêve de footballeur lorsque je vais au stade Centenario de Montevideo. Quand j’y allais avec mon père, je mettais toujours un short sous mes vêtements en me disant : “S’il manque un joueur, c’est sûr qu’ils vont m’appeler !”. Mais j’étais un enfant, c’était impossible, je rêvais. J’étais dans ce passage-là de l’insouciance avant de basculer dans le football avec l’obligation de résultats. Et la première fois que j’ai joué dans ce grand stade, j’ai réalisé mon rêve. Avec toute l’histoire qu’il y a derrière cet endroit aussi, c’était vraiment le plus beau souvenir de ma carrière.
Imaginons, vous êtes guide touristique. Quels endroits me conseillez-vous en Uruguay ?
La Rambla ! C’est une grande avenue à Montevideo de 22km qui longe la côte. On peut se promener entre la terre et la mer. Les quartiers sont très variés et il y a plein d’histoires à raconter. Vous avez aussi Punta del Este, qui est le Saint-Tropez sud-américain. Quand vous allez vers la frontière brésilienne, il y a des longues plages sauvages avec des dunes énormes. L’endroit est resté vierge, c’est magnifique… Et bien sûr, Montevideo est une belle capitale, assez européenne, avec des architectures différentes.
Et qu’est-ce que l’on mange bien en Uruguay ?
On mange beaucoup de viande grillée. Il n’y a pas de comparaison entre la viande d’Uruguay, d’Argentine ou du Brésil et celle que l’on peut retrouver en Europe. Elle est plus goûteuse et signe de convivialité. Les barbecues sont aussi le moment de se retrouver. L’Uruguayen, même en hiver, il va tenter d’allumer un barbecue par 5 degrés.
Quel regard portez-vous sur les Uruguayens ?
On sait rigoler de nous-mêmes, on a beaucoup d’autodérision.
Ça ressemblait à quoi le football en Uruguay quand vous commenciez ?
Les chaussettes nous mangeaient presque le talon, sans protège-tibias. Un football beaucoup plus identifié en institutions. Un autre rythme, parce qu’aujourd’hui c’est beaucoup plus physique. Mais c’était quand même plus fort parce qu’il y avait cette notion d’amoindrir l’adversaire par le contact physique. Aujourd’hui, le football va beaucoup plus vite avec le 4e arbitre, la VAR… A mon époque, on pouvait aller boire une bière avec les supporters, mais ça n’était qu’une bière. Aujourd’hui, c’est impensable, c’est incomparable.
Au contraire, quelle est votre pire expérience sur un terrain de foot ?
Les pires souvenirs sont liés à la violence qui est à l’extérieur du terrain. Il y avait des zones de terrains obscures où c’était plus rugueux. Même quand je jouais, je commençais à voir de la violence qui devenait ingérable. C’est le point noir du football en général. J’ai été choqué de voir des gens mourir sous les balles quand je jouais au foot. Ce sont des choses qui restent dans la tête, et on se demande même si l’on n’est pas générateur de ça. Le football a souvent été associé à ça, parce que c’est le sport populaire, mais aussi comme échappatoire nécessaire à la société.
Si vous ne deviez citer qu’un seul club en Uruguay ?
Ce serait Peñarol, parce qu’il est dans cette notion de club du peuple. Nacional est plus identifié comme le club des élites, même si ce n’est pas totalement vrai. Mais rien que pour mon papa qui n’est plus de ce monde, ça lui aurait fait plaisir que je dise Peñarol.
Ça vous arrive encore de regarder des matchs du championnat uruguayen ?
Tout le temps, parce qu’on ne se défait pas de mes racines footballistiques et familiales. Je suis aussi intéressé par l’évolution du football là-bas. Quand mes parents étaient encore là, je descendais une fois par an pour les voir et j’allais au stade pour voir des matchs. Aujourd’hui, je regarde minimum deux, trois matchs par semaine.
Texte : Emile Pawlik – Twitter: @EmilePawlik
Photos : AS Nancy Lorraine
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