National : Nancy, un monument en péril

On attendait l’ASNL en haut de tableau mais c’est vers le bas qu’elle regarde. En un an, le club est passé de la Ligue 2 aux portes du National 2. Comment en est-il arrivé là ? Récit d’une longue descente aux enfers.

L’ASNL vit des heures difficiles. Après une saison 2021-2022 cataclysmique en Ligue 2, (dernière place et 27 points seulement), le club lorrain était censé jouer les premiers rôles cette saison au troisième échelon français. Il n’en a rien été, victime de nouveaux acteurs (un fonds d’investissement sino-américain) et de leur gestion hors sol. Hier soir, chez le leader, Martigues, les joueurs de Benoît Pedretti ont arraché un nul (1-1) qui leur permet de sortir de la zone rouge (ils sont 12es et premiers non-relégables, un point devant Bourg-en-Bresse, chez qui ils se déplaceront lors de la dernière journée, le 26 mai). Comment l’ASNL encore en Ligue 1 en 2017, est-elle tombée si bas ? Voici quelques éléments de réponse…

L’échec du rachat de New City Capital

Les derniers moments de bonheur vécus par les supporters de Nancy remontent à la saison 2015/2016, à l’issue de laquelle le club au chardon est sacré champion de France de Ligue 2 et retrouve l’Élite 3 ans après sa descente.

Depuis, le club lorrain est allé de mal en pis. Nancy ne parvient plus à jouer les premiers rôles en Ligue 2. Le club formateur de Michel Platini ou plus récemment de Clément Lenglet termine avant-dernier en Ligue 1. Même en Ligue 2 les saison suivantes, il ne parvient pas à retrouver son standing (19e en 2018 et maintien de justesse, 17e en 2019, 14e en 2020, 12e en 2021).

En décembre 2020, Jacques Rousselot, président de l’AS Nancy Lorraine, désireux de passer la main depuis longtemps (il a déjà sauvé le club d’une relégation administrative la saison précédente devant la DNCG en remettant la main au portefeuille), cède le club à un fond d’investissement, nouvel acteur incontournable du football mondial, le New City Capital (NCC).

Dirigé par Chien Lee, le NCC, éphémère propriétaire de l’OGC Nice auparavant, détient d’autres clubs comme Barnsley (Angleterre), Thoune (Suisse), Ostende (Belgique) et Esbjerg (Danemark), avec des réussites pour le moins discutables et décevantes.

A l’issue de la saison 2020/2021, Nancy termine 8e et se maintient assez facilement. Après un passage très mitigé à la tête de l’OGC Nice, Gauthier Ganaye est installé à la tête du club au chardon. En fin de contrat, le coach Jean-Louis Garcia n’est pas conservé. NCC, lui, avance ses pions.

Pour le remplacer, les propriétaires jettent leur dévolu sur Daniel Stendel, un entraîneur allemand qui débarque de Heart of Midlothians en Ecosse. Il promeut des idées bien précises, un « gegenpressing », cher à Jürgen Klopp, entraîneur de Liverpool.

Mais le début de saison 2021/22 est cataclysmique : 10 matchs sans victoire ! Nancy démarre sa 5e saison de rang en Ligue 2 de la pire des manières avec aucune victoire en dix rencontres. Daniel Stendel, erreur de casting, est remercié, façon de parler. Le technicien n’a jamais réussi à mettre en place ses idées. Le recrutement de joueurs en manque de temps de jeu n’a pas aidé, et que dire de la data, pourtant si chère à Gauthier Ganaye. Cette sacro-sainte technologie aura mené Nancy à sa perte et fait un gros pied de nez à son jeune président, si présomptueux et si sûr de sa force. Un président à tel point sûr de lui qu’il dirige Nancy… en télétravail ! Ses apparitions se font rares, que ce soit à Nancy ou Ostende, les deux clubs qu’il dirige.

Benoît Pedretti, ancienne gloire du football français, et entraîneur en devenir, assure l’intérim et redonne un semblant d’élan à l’équipe, avant que celle-ci ne s’essouffle de nouveau.

Non-diplômé et conscient de la mission impossible dans laquelle il s’engage, Pedretti renonce au banc de l’ASNL durant la trêve des confiseurs. Il est alors remplacé par Albert Cartier qui récupère Nancy lanterne rouge et en grand danger.

Les Lorrains connaissent une parenthèse enchantée dès la reprise en janvier 2022, avec les 32èmes de finale de la coupe de France. En déplacement à Picot, les Rennais se cassent les dents sur une équipe solidaire qui élimine les pensionnaires de Ligue 1 ! L’aventure s’arrête un tour plus tard, avec une élimination par Amiens au terme d’un non-match, comme souvent cette saison-là.

Quelques jours après, le 1er février, Nancy connaît sa plus grosse humiliation de la saison à Valenciennes, dans un match pourtant capital pour le maintien. Battus 6-1, les hommes d’Albert Cartier montrent l’étendue de leur désintérêt pour le club et le maillot qu’ils défendent. Ils ne parviendront d’ailleurs jamais à décoller de cette dernière place, acquise dès le mois de septembre. Nancy bat des records de médiocrité. La faute à une gestion cataclysmique.

Les supporters, si nombreux dans cette ville et dans cette région, délaissent le stade et marquent leur mécontentement lors du match contre Quevilly-Rouen (35e journée). Dès le premier but encaissé, les Saturday FC balancent des fumigènes sur la pelouse. Le match est arrêté à 0-3 à la 40e minute. QRM, logiquement, remportera le match sur tapis vert. Cette fois, c’est officiel, Nancy est relégué pour la première fois de son histoire en National !

Saison 2022/2023

Aux portes du National 2

Johan Gand, journaliste et commentateur de l’AS Nancy Lorraine pour France Bleu Sud Lorraine, spécialiste du club au chardon, analyse cette descente aux enfers et revient sur une saison 2022-23 pas comme les autres, dans un championnat de National si singulier et particulier.

L’intersaison : Albert Cartier aux manettes

A saison inédite, effectif inédit. Albert Cartier sort d’une expérience en National à Borgo (où il a été remercié en cours de saison). Quand il arrive à l’ASNL, début janvier 2022, il a les mains libres pour réaliser son recrutement, dans un championnat qu’il connaît bien.

Il fait jouer son carnet d’adresses fourni et choisit des joueurs qui ont connu ce championnat. Que ce soit ceux rencontrés lors de son passage à Borgo (Cropanese, Giacomini, Pellegrini), des soldats qui ont participé à la saison de Metz en 2013 lors de leur remontée de National en Ligue 2 (Sakho, Bussmann, Ndoye) ou encore des joueurs prometteurs comme Mouazan ou Aloé.

Forcément, la présence d’anciens Messins ne ravit pas les supporters les plus inconditionnels de Nancy, mais Cartier a fait son mercato avec des joueurs qui peuvent être à même de se sortir du bourbier du National. Bien que premier budget du championnat (plus de 10 millions d’euros), tout a été très rapidement compliqué.

Une histoire de séries

Premier match de la saison 2022-2023. Bourg-en-Bresse, club au statut pro, se présente au stade Marcel Picot avec beaucoup plus de certitudes que l’effectif nancéien totalement remanié. Après un match solide, les Bressans s’imposent 2 buts à 1.
Lors du deuxième match, Nancy ne parvient pas à faire sauter le verrou orléanais malgré un coup-franc sur la barre de Mouazan et un pénalty de Lamine Cissé stoppé (0-0). Puis Dunkerque est venu renverser la table alors qu’ils étaient menés 1-0, en profitant des errements défensifs nancéiens pour s’imposer 2-1.

Au bout de trois matchs, Nancy est lanterne rouge du National (1 point sur 9), ce qui n’inquiète pas forcément Johan Gand : “Le turnover était hyper important donc les premiers matchs ont servi de rodage. On sait que la plupart des saisons de National se jouent dans les dernières journées donc c’est plus important de finir fort que de commencer fort.”

Toujours est-il que Nancy est loin de tenir son rang en ce début de saison. Le déclic vient à Concarneau, le lendemain de l’annonce de la signature du buteur Thomas Robinet, en provenance de Châteauroux. Nancy s’impose à 10 contre 11 sur le pelouse des Bretons et obtient sa première victoire de la saison, pour le plus grand bonheur de tout un club.

C’est le début d’une série positive de cinq matchs sans défaite (3 victoires de rang puis 2 nuls) avec notamment deux succès probants contre Le Mans (2-0) et Borgo (1-0) coup sur coup à domicile. L’engouement revient.

Pourtant, le match nul face à Cholet au stade Marcel-Picot a un goût de défaite. Alors que Nancy maîtrise son match, Milan Robin égalise à la 90’+7 d’une superbe reprise de volée. Le joueur formé à Metz exulte et Nancy replonge dans le doute (1-1) !

A la recherche du second souffle

Après s’être incliné à Châteauroux (J9) et avoir battu le Stade Briochin (J10), qui n’était pas encore sur la dynamique de sa fin de saison actuelle, Nancy est éliminé en coupe de France par une formation de R1 alsacienne, Reipertswiller, au 7e tour (3-2).

Les hommes d’Albert Cartier commencent à s’essouffler. Johan Gand pointe de possibles raisons à cette mauvaise série : « Il y a une équipe qui commence à s’installer et manque de concurrence, malgré des performances qui interrogent.” Or, Nancy cherche un deuxième souffle lors d’un mois de novembre en dents de scie. “Les remplaçants et la concurrence auraient pu apporter cette énergie.”, explique Gand.

Incapables de gagner contre Sedan (J12), alors qu’ils sont à 11 contre 10 pendant une heure (0-0), ils rééditent cette piètre performance au Puy (J17) à 11 contre 9 (1-1) ! “Dans le jeu de Cartier, le secteur défensif est prédominant, or ce n’est pas dont on a besoin en supériorité numérique. Il y avait également un manque de maîtrise par rapport à l’enjeu”, pointe le journaliste de France Bleu.

Le mercato d’hiver ne change rien malgré les arrivées de trois joueurs venus apporter une nouvelle concurrence : Alexis Lefebvre (prêté par Troyes), Lucas Deaux (Dijon), milieu expérimenté, ainsi que Julien Da Costa, latéral droit (prêt de Coventry).

Les supporters s’agacent de la situation, de la gestion de l’effectif et du système de jeu d’Albert Cartier. L’aventure du coach prend fin pour le 20 janvier 2023 après une nouvelle défaite contre Orléans (0-1) qui laisse le club 14e, relégable et bien mal en point.

L’arrivée de Pedretti : un nouvel élan

Benoît Pedretti avait laissé le club à la dernière place de Ligue 2 la saison précédente et avait jeté l’éponge face à l’ampleur de la tâche. Le voilà donc de retour aux affaires avec cette fois une autre mission, celle de maintenir le club en National ! Il en va de la survie du statut professionnel de l’ASNL, tout simplement.

Dès le premier match, en déplacement à Dunkerque, Nancy s’impose 3 buts à 2 en faisant preuve de caractère. La méthode Pedretti prend forme et semble fonctionner. En s’appuyant sur un grand Martin Sourzac dans les cages,les Nancéiens ramènent les trois points du Nord de la France.

Ensuite, c’est le début des ennuis. Des situations « abracadabrantesques ». Programmé le lundi soir, le match contre Concarneau est arrêté à la mi-temps pour un brouillard trop épais. Nancy s’impose ensuite au Mans (1-0) grâce à un arrêt de Sourzac sur un pénalty provoqué par un sauvetage de la main de Mayoro Ndoye sur un ballon qui prenait la direction des filets.

Depuis sa prise de fonction, Nancy connaît une série de cinq matchs sans défaite (3 victoires, 2 nuls), si bien que certains se mettent à croire à la montée ! Pas du tout l’avis de Johan Gand : “On partait de trop loin, on cherchait surtout quelqu’un pour nous garantir le maintien.”

« L’affaire Pellegrini »

Son intuition était la bonne, Nancy connaît des résultats difficiles, en dents de scie et la dynamique se tasse. « L’affaire Pellegrini » va venir entacher tout le travail réalisé sur le terrain avec le retrait d’un point, plus la défaite sur tapis vert face à Concarneau (le défenseur, suspendu, n’aurait pas dû prendre part à ce match). Une terrible bourde et, surtout, des points qui, évidemment, manquent cruellement dans la lutte pour le maintien aujourd’hui.

Dans ses duels avec ses concurrents directs, Nancy obtient un bilan plutôt satisfaisant, mais parfois insuffisant (2 victoires, 3 nuls). Lors de la journée 30, il affronte Paris 13 Atlético un vendredi après midi et à huis-clos ! En effet, le club parisien, qui avait même envisagé de déclarer forfait, s’est retrouvé confronté à un problème de terrain. « Un grave défaillance d’organisation et d’anticipation » a commenté la FFF, qui a infligé une sanction de 10 000 euros au club des Gobelins. Lors de ce match, Nancy mène par deux fois au score mais concède le nul (2-2).

Contre Avranches, devant plus de 16 000 personnes à Picot (entrée gratuite, ce que regrettera et dénoncera le président normand, Gilbert Guérin), Nancy démarre pied au plancher avec un premier but de Robinet, bien servi par Da Costa. Robinet double la mise, après que Bussmann a réalisé le break. Nancy s’impose 3-0 et sort – provisoirement – de la zone rouge.

Des changements majeurs à prévoir

Le 27 avril 2023, le départ de Gauthier Ganaye est acté. Cette date marque la fin d’une gestion catastrophique et exaspérante. Les chantiers seront nombreux pour la saison prochaine et dépendent inévitablement de l’issue de la fin de saison : en National ou en National 2 ?

Johan Gand détaille les axes de travail : “Il faudra trouver le maillon qui manque entre le sportif et le non-sportif, et aussi un vrai président qui fasse le boulot au quotidien. On sort d’un an et demi voire de deux ans de dysfonctionnement et je ne parle pas que du sportif. Il va vraiment falloir remettre les choses en place. Il faudra également s’intéresser à la restructuration du centre de formation, qui a fait les beaux jours du club et qui va être indispensable financièrement. De plus, il faudra prolonger ceux qui arrivent en fin de contrat, et arrêter « d’arroser la terre entière » de joueurs gratos, comme Amine Bassi. Enfin, il va falloir passer devant la DNCG, ce qui n’est pas gagné.”

Une dernière journée décisive ?

D’ici là, la bande à El Aynaoui a trois matchs et trois finales à disputer. Le mot n’est pas galvaudé. Et ça commence dès ce soir chez le leader, à Martigues (en direct sur Canal + Foot à 18h30), sans Thomas Robinet, blessé, puis face au Puy à Marcel-Picot, une équipe déjà condamnée mais qui a montré face à Concarneau vendredi qu’elle n’était pas du tout en vacances (succès 2-1) !

Tout risque de se jouer lors du dernier match à Bourg-en-Bresse, un autre concurrent direct pour la maintien, le 26 mai. Un challenge d’autant plus difficile que, tout au long de la saison, Nancy a également dû se battre contre son statut de club professionnel et surtout un budget à faire pâlir quelques clubs de Ligue 2. Oui, Nancy était et reste l’équipe à battre en National.

Aux joueurs et au staff de l’ASNL de se montrer dignes de ce statut et de l’honorer en allant chercher ce maintien afin de repartir de zéro cet été et espérer des jours meilleurs. Il en va de l’avenir de ce patrimoine du football français. De ce monument en péril.

Le top : les supporters

Depuis Strasbourg et Bastia, le National n’avait pas connu un tel engouement en termes d’affluence et d’importance de club. Avec environ 7000 spectateurs de moyenne, pour sa première saison au troisième échelon français, l’ASNL peut compter sur un soutien sans faille de ses ultras et supporters, les Saturday FC en tête. Les Ultras nancéiens ont offert des ambiances des grands soirs à Marcel Picot, qui n’ont pas manqué d’impressionner les divers commentateurs de FFF TV. Le moment fort de la saison reste ce match gratuit contre Avranches fin avril (3-0) qui a fait renouer Nancy avec des affluences plus vues depuis près de 5 ans. Une chose est sûre, ce public n’est pas à sa place si bas dans la hiérarchie du football national.

Autres tops : Martin Sourzac, Neil El Aynaoui, Benoît Pedretti

La révélation : Prince Mendy

Présenté en février sur notre site ( ), Prince a disputé l’intégralité des matchs cette saison. Véritable roc défensif, serein, calme et efficace, l’ancien joueur de QRM et Laval est la pierre angulaire de la défense nancéienne. Peu importe avec qui il forme la charnière, Pellegrini, Aloé ou encore Bussmann à ses côtés. “Il défend sur l’homme, il est propre dans ses relances et il ne se blesse jamais. Je ne sais vraiment pas ce qu’il fait en National, tant mieux pour nous !”, s’en amuse Johan Gand.

Autres révélations : Gwilhem Tayot, Baptiste Mouazan

Le flop : Lamine Cissé

Exaspérant par moments et pourtant pétri de qualités. L’international U20 français ne marque pas forcément de points cette saison. Hormis lors du match retour contre Villefranche (3-2), durant lequel il a largement montré la voie, et quelques autres sorties, Cissé a un travers : il en fait trop ! Lorsqu’il dribble un adversaire, il veut en dribbler un deuxième et ainsi de suite. Il a également la fâcheuse tendance des ailiers à jouer avec des œillères et ne pas beaucoup lâcher son ballon. L’arrivée de Pedretti lui a redonné confiance; néanmoins il a encore beaucoup de travail à réaliser sur la régularité de la qualité de ses performances.

Autres flops : Albert Cartier, Gauthier Ganaye

A lire aussi : l’article sur Prince Mendy

https://13heuresfoot.fr/actualites/national-prince-mendy-le-plus-marseillais-des-nanceiens/

Texte : Emile Pawlik / Mail : contact@13heuresfoot.fr / Twitter : @13heuresfoot et @EmilePawlik

Photos : AS Nancy Lorraine