Dix ans après sa descente, le club de la Venise provençale a effectué un retour gagnant au stade Francis-Turcan face à Cholet (2-1). Récit d’une soirée où l’on ne s’est pas ennuyé !
C’est un géant de béton posé le long du canal, non loin des rives de l’étang de Berre, en contrebas d’un viaduc autoroutier où la circulation n’est pas aussi dense qu’un soir de match au Vélodrome. Bienvenue au stade Francis-Turcan de Martigues, du nom d’un ancien maire de cette ville de 50 000 habitants.
Depuis la tribune, balayée par un soupçon de Mistral, la vue sur tout ce qui fait le charme de celle que l’on appelle la Venise provençale, est belle. On dirait presque une carte postale.
Pour se garer aux abords de l’enceinte, ce n’est pas très compliqué. Une heure avant le début du match, les places ne manquent pas. Les travées mettent du temps à se remplir mais au coup d’envoi, la grande tribune, la tribune Paradis (ça ne s’invente pas !), la seule des quatre à être couverte, affiche un petit millier de spectateurs.
Un billard tout neuf !
Mais ce qui frappe en arrivant, c’est la qualité de la pelouse. On s’attendait à voir du jaune, elle est verte ! « C’est un billard, une galette », entend-on au bord du terrain, le long du grillage. Il faut dire que c’est un « hybride », et qu’il vient juste d’être posé. Magnifique !
En face, dans la tribune Canal, posée parallèlement au canal Baussengue, le groupe de supporters, les « Maritima Supra », échauffent la voix. Mais ils ne sont pas les seuls. Derrière les cages, côté Est, dans les pesages, les « Ultras Martigues 2021 » en font de même. Depuis la scission au sein des Maritima Supra, un deuxième groupe de supporters est né. Mais ce soir, tous deux se répondent par chants interposés. De bon augure avant, peut-être, d’envisager l’avenir à nouveau ensemble.
La sono est à fond. Au bord du terrain, micro en main, Manu, le speaker, donne tout ce qu’il a. Il est très bon dans ses annonces. Dans ses compos d’équipe. Très détaillées. C’est très pointu. Sur le parvis, entre la tribune et la pelouse, Philippe et son fils Enzo sont venus encourager le FCM depuis Salon-de-Provence. Quarante-cinq minutes de voiture pour assister à une rencontre de National, ça n’effraie pas ces passionnés de sports qui vont aussi voir Fos en basket, Istres ou Aix en handball et bien sûr l’OM au Vélodrome ! « Cela fait trois ans que l’on vient à Martigues quand on peut, on aime bien ! »
On refait le match à la buvette !
A la buvette, trois-quarts d’heure avant le coup d’envoi, Alain Nersessian, le président (depuis 2019) refait le match de la semaine dernière à Versailles, perdu 2-1, et peste encore contre ce but encaissé à la 93e. Bienvenue en National, président !
C’est l’entrée des joueurs. La sono balance le célèbre « Jump » de Van Halen, cher au voisin marseillais. Mais où sont les grands drapeaux tenus par les ramasseurs ? D’ailleurs, où sont les ramasseurs ? Pas de protocole. Pas de mains dans la mains non plus. Dommage.
Dans les tribunes, on reconnaît Steeve Elana, l’ancien gardien de Brest et de Lille, qui était venu terminer sa carrière ici en 2020. Depuis, il a ouvert la « ZE Football Academy » à Aix-en-Provence, avec l’ex-de l’OM, Ronald Zubar. Maintenant qu’Elana a pris sa retraite, après une saison arrêtée pour cause de Covid, c’est Jérémy Aymes qui joue dans les cages : ce pur martégal est revenu chez lui en 2021, dans son club formateur, après des passages au Mans et à Granville.
Aymes n’est pas le seul « local » de la team : le capitaine Foued Kadir est là, lui aussi, et, comment dire, on se demande comment son équipe ferait s’il n’était pas là ! A bientôt 39 ans (il les fêtera le 5 décembre), l’ancien joueur pro (OM, Rennes, Valenciennes, Getafe, Bétis Seville) fait tout : il joue devant la défense, il distribue, il joue derrière les attaquants, il tire les coups de pied arrêtés, il frappe au but, il ne perd jamais un ballon. Impressionnant !
Dorian Fanni, le neveu de Rod Fanni, lui aussi formé au club (tous deux sont nés à Martigues), entre en jeu à 5 minutes de la fin. Quant à Samir Belloumou, blessé, il est en tribune. Voilà pour la touche « identitaire » du club.
Fdaouch 10 ans après Bourgeois !
19h30. Le coup d’envoi est donné. Le chronomètre ne fonctionne pas. La panne est réparée en deuxième période, après un passage obligé à la buvette pour goûter le sandwich merguez. La sauce ? On choisit l’algérienne. Un peu sec, mais ça va ! On demande à Alain, le préposé aux merguez, facilement reconnaissable (il est l’un des rares à arborer le maillot sang et or de l’époque), un peu de rab de sauce !
Dans les tribunes, un groupe d’adolescents se demande dans quelle division évolue le FC Martigues. « Ils sont dans l’autre poule, regarde » entend-on ! « Ils sont en National 1 je crois, non, en National 2 ». C’est là que l’on se dit, que, ce championnat National est encore parfois illisible et méconnu.
Sur le terrain, le match est plaisant. Martigues essaie de mettre du rythme et s’installe dans le camp adverse mais c’est Cholet qui, au bout de 5 minutes, fait passer une énorme frayeur dans les travées de Francis-Turcan lorsque Jarju part tout seul, quasiment depuis sa moitié de terrain, mais face à Aymes, il ne cadre pas ! Ouf !
Le FCM reprend sa marche en avant et malgré quelques situations, ne parvient pas à ouvrir la marque avant la pause. C’est chose faites en début de deuxième période lorsque Montiel récupère un ballon qui traîne aux 18 mètres pour servir Fdaouch qui enveloppe magnifiquement et instantanément son ballon (1-0, 51′). Dix ans et trois mois que le club provençal n’avait plus marqué à domicile en National : c’était lors de la 37e et avant-dernière journée, en mai 2012. Ce soir-là, les Sang et Or – qui évoluent en rouge aujourd’hui !- avaient battu Créteil 2-1 grâce à des buts de Stéphane Biakolo (61′) et Thibaut Bourgeois (85′). Insuffisant pour se maintenir et après un ultime revers 5-0 lors de la dernière journée, au Poiré-sur-Vie, Martigues accompagnait Beauvais, Besançon et Bayonne en CFA (National 2).
Le second but est l’oeuvre de Tlili, servi en retrait par Hemia, auteur d’un long raid (2-0, 66′). Le SO Cholet réduit la marque sur une tête de Jarju après un coup franc de Le Méhauté (78′), mais ne parvient pas à égaliser.
On n’a pas vu la nuit tomber.
On n’a pas vu le match passer.
Preuve que l’on ne s’est pas ennuyé !
Interview / Alain Nersessian :
« L’image du club est en train de changer »
Le président du FC Martigues, Alain Nersessian, revendique ses origines marseillaises et une adoption martégale. Pour des raisons professionnelles, il s’est installé sur les bords de la Venise provençale en 1992. C’est là qu’il s’est découvert une passion pour le FC Martigues et pour le stade Turcan, qu’il adore. Il a tout connu dans la peau du supporter : la montée en Division 1 en 1993, la descente en Division 2 en 1996, puis les « ascenseurs » entre l’échelon National, que le club a retrouvé en mai dernier, dix ans après, et le CFA (ou N2). A l’issue de la première victoire de la saison 2022-2023, bien maîtrisée face à Cholet (2-1), ils nous a accordés un entretien.
Président, comment êtes-vous arrivé à la tête du club ?
En 2019, lorsque j’étais encore directeur du cabinet du maire Gaby Charroux, on a cherché des repreneurs afin de diminuer la participation municipale. J’avais contribué, un an plus tôt, aux choix du projet porté par le mannequin Baptiste Giabiconi, dans lequel il était question de l’arrivée d’éventuels partenaires, mais on est tombé dans le panneau. Après cet épisode, j’ai accompagné Roger Klein dans sa présidence de transition entre 2018 et 2019 et puis j’ai pris la suite en 2019. L’une de mes missions a été de trouver des partenaires privés et de remettre les comptes à flots.
L’arrivée de l’horloger suisse, Vartan Sirmakes (montres Franck Muller), c’est vous ?
C’est un hasard. Quand le club s’est retrouvé dans de grandes difficultés financières, certaines bonnes volontés, dont des entrepreneurs locaux liés au FC Martigues, se sont engagés, se sont mobilisés. Un Arménien, patron d’un restaurant sur la côte bleue, m’a mis en contact avec Vartan Sirmakes, qui nous a suivis dans notre projet. C’est quelqu’un qui s’engage pour des causes : il a par exemple investi de son argent personnel dans le Haut-Karabagh pour construire des hôpitaux pour la communauté arménienne. Il possède aussi deux clubs en Suisse, à Nyon et à Lausanne. Il avait envie d’assouvir sa passion aussi en France.
Le FC Martigues a longtemps eu l’image d’un club avec un formidable vivier, un énorme potentiel de jeunes…
Le club a eu un centre de formation performant, c’est vrai, et a sorti plein de joueurs qui ont ensuite évolué en pro, mais en même temps, je le dis de manière sereine, ce temps là est révolu; ça ne sert à rien de se raccrocher à cette époque, quand on jouait dans la même cour que Monaco ou Auxerre. C’est du passé. C’est fini tout ça. Aujourd’hui on se rend compte que la formation fluctue géographiquement, avec Air Bel, Istres, Marignane et peut-être d’autres demain. Maintenant, c’est vrai que j’ ai envie d’ inscrire la formation comme une priorité du FCM. On travaille là-dessus depuis 2 ans. Et peut-être que dans deux ans, on redeviendra un club phare en matière de formation.
Le FCM a aussi longtemps véhiculé la réputation d’être le club « de la mairie »…
Oui ! Quand on monte en Division 1 en 1993, Paul Lombard, le maire de l’époque, n’est pas sur le banc parce qu’il n’a pas le droit, mais il est dans les vestiaires, et c’est lui qui discute avec l’entraineur. Aujourd’hui, avec Gaby Charroux, c’est moins le cas, même s’il est sportif et passionné : d’ailleurs il était au stade pour le match de Cholet, mais on n’est plus du tout dans ce monde-là. La mairie veut encore accompagner le club et être présente, mais ne veut plus diriger. Aujourd’hui, elle a un droit de regard car elle est son principal financeur, mais l’objectif est qu’elle ne le soit plus à termes, car elle ne pourra plus continuer à l’être.
Quand on est en National, on pense à la Ligue 2 ?
Aujourd’hui, tout le monde dit que la place de Martigues est en Ligue 2, mais ce serait un exploit d’y être et de s’y maintenir. Mais la Ligue 2 de 2022 n’est pas celle d’il y a 20 ans, lorsque le FCM y était encore.
Le public a souvent du mal à répondre à Turcan…
On soufre du syndrome du Sud et aussi de la proximité avec l’OM, qui vampirise tout. On doit travailler sur l’image et l’attractivité du National. Je pense que l’on peut avoir un regain d intérêt pour ce championnat. On s’est rendu compte que si on travaille pour faire venir du monde, que si l’on redonne une image positive et qu’en plus on a des résultats, alors forcément, ça suscite la curiosité et l’envie de venir. Je vous garantis que l’image du club est en train de changer chez les Martégaux. Dans le public, il y a majoritairement des gens qui ne sont pas de Martigues. On a besoin de développer l’intérêt du National dans la population locale. On a vu la saison passée, contre GOAL FC, que l’on savait mobiliser; on a eu énormément de monde au stade. On peut redonner aux gens l’envie de revenir, parce que ce stade est magnifique, un peu à l’anglaise. Les gradins ne demandent qu’à être remplis.
La place de Martigues, c’est où ?
On est le 6e club du sud, si on ne tient pas compte des clubs corses. Devant nous, il y a l’OM, Monaco, Nice, Montpellier et Nîmes. Nous, on doit avoir conscience de cela. On tire dans cette catégorie, on doit le montrer au monde du football. Pour voir du haut niveau en L1, on va à l’OM, pour voir du foot de haut niveau en L2, on va à Nîmes et on peut aussi aller voir du National à Martigues.
En 2019, vous aviez dit que, pour le centenaire de 2021, vous vouliez retrouver le National : vous êtes en retard d’un an…
Oui mais à cause du Covid, j’ai été pendant deux ans le président d’un club de foot où l’on n’a pas pu jouer au foot ! C’est du 8e degré bien sûr ! Je ne me suis occupé que de la comptabilité, des finances. Je suis allé chercher de l’argent ! Et finalement, j ai été récompensé avec une accession cette année !
Président du FC Martigues, c’est difficile ?
Oui, d autant que je suis un peu atypique, je ne mets pas d’argent, même si je suis complètement investi dans mon engagement. Je suis bénévole. Je travaille aujourd’hui à la Métropole Aix-Marseille-Provence. J’ai de la chance car je suis bien entouré au club. On m’avait mis en garde contre le milieu du foot, on m’avait dit que les gens étaient individualistes et pas intelligents, j’ai trouvé l’inverse de tout cela. Au FCM, je vis plein de moments de bonheur. Le foot est un monde rempli d’émotions. C’est un refuge, car dans la vie de tous les jours, on a de moins en moins de moments d’émotion. J’ai essayé de mettre des règles en place, comme celle de rester dans notre bulle. La saison passée, ça nous a réussi quand on avait 12 points de retard sur GOAL FC, on n’a rien dit, on a bossé, alors que tout le monde parlait de GOAL. En fait, moins on parle de nous, mieux c’est. On se protège. Et on a tous le même discours. C’est ça qui fait notre force.