National 2 / Mohamed Sadani (Toulon) : « Chaque saison, je m’adapte ! »

L’artisan de l’accession historique d’Aubagne en National, qui se revendique du football amateur, a retrouvé « son » Sporting cet été, où il avait laissé de bons souvenirs il y a 8 ans. Le Marseillais à la carrure imposante et au caractère entier se confie, sans filtre. Mais pas sans accent !

Par Anthony BOYER

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Mohamed Sadani a l’accent provençal bien prononcé et la faconde des gens du sud. Le nouvel entraîneur du Sporting-club de Toulon a aussi le tutoiement facile, le sens de la formule et de l’autodérision, et sait charmer son interlocuteur.

Bref, Sadani a, comme tout bon marseillais qui se respecte, la gouaille, comme on dit. « Mais c’est dur d’être Marseillais à Toulon », lance-t-il ! On pourrait lui répondre que l’inverse doit sans doute être vrai aussi. Et puis, avec son franc-parler, il en rajoute une couche : « C’est dur d’être marseillais et arabe à Toulon, tu comprends… ! »

Premier bail toulonnais de 2013 à 2016

Pour celui que ses amis surnomment évidemment « Momo », et même certains joueurs – « Je sais que ça peut déranger mais je n’y vois aucun inconvénient » – « l’adjectif « nouvel » (pour nouvel entraîneur) n’est pas tout à fait exact.
L’ancien coach emblématique de La Penne-sur-Huveaune, à 5 kilomètres d’Aubagne, qui va fêter ses 53 ans dans quelques jours, s’est déjà assis pendant trois saisons sur le banc des Azur et or, entre 2013 et 2016. Trois saisons couronnées de succès puisque le Sporting était passé de la Division d’Honneur au CFA (N2). Le début du renouveau toulonnais, pensait-on à l’époque. Tu parles…

Retour à la case départ, en N2

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Huit ans après, Mohamed Sadani a retrouvé le club là où il l’avait laissé, en National 2. Un niveau dont Toulon n’est pas parvenu à s’extirper, excepté à l’issue de la saison 2018/19, emmené par le coach Fabien Pujo, artisan de l’accession en National. Mais, une fois retrouvée l’antichambre de la Ligue 2, un début de saison très moyen et la Covid-19 ont rapidement brisé les espoirs de maintien (la saison fut stoppée par la FFF à neuf journées de la fin).

Depuis, Toulon végète en National 2. Stagne. S’enlise. Ne s’en sort pas. Joue devant 500 spectateurs dans ce stade de Bon-Rencontre d’un autre temps, qui peut contenir 15 fois plus de personnes, qui renvoie constamment aux images du passé, et qui ne demande qu’à vibrer à nouveau. Parce que, détrompez-vous, avant d’être une ville de rugby, Toulon est une ville de foot.

Beaucoup plus qu’Aubagne, ça c’est certain. Mais ce que Mohamed Sadani a réussi à faire la saison dernière dans la ville de Marcel Pagnol a renforcé son crédit : qui aurait misé sur l’accession en National du club provençal ? Personne. Pas même lui. Et qui aurait pensé que, quelques semaines après cette saison historique, il quitterait le banc de l’AFC, alors que le National lui tendait les bras ?

L’épisode de l’intersaison et les récentes déclarations de son ancien président, Lionel Jeanningros, ont ravivé le douloureux souvenir d’un départ qui, c’est facile de le comprendre, n’était pas programmé. Mohamed Sadani a accepté de revenir sur cet épisode, précisant toutefois que Lionel Jeanningros n’était pas la source du désaccord.

Sadani, l’homme de la montée d’Aubagne, libre, le Sporting-club de Toulon a sauté sur l’occasion après le revirement de dernière minute du coach de Jura Sud, Valentin Guichard. Claude Joye, le président du Sporting, qui n’avait jamais coupé les ponts avec lui, a pris son téléphone. La suite, c’est Sadani qui la raconte.

Interview : « J’ai fait une vie de foot ! « 

Repro 13HF

« Momo », commençons par un constat : tu n’as jamais entraîné en National, est-ce un regret ? Un objectif ?
Ni un regret, ni un objectif. Après la saison qu’on a réalisée à Aubagne, improbable, c’est vrai que j’aspirais à le faire, mais je n’étais pas en accord avec une personne du club, qui n’est pas le président Lionel Jeanningros contrairement à ce que l’on pourrait penser.

Le président Jeanningros qui, voilà quelques jours, en a rajouté une petite couche sur toi…
Je ne comprends pas pourquoi il a fait ça. C’est n’importe quoi ! On a dit que j’étais parti à Toulon parce que le Sporting m’a fait une offre supérieure à celle que me proposait Aubagne : c’est complètement faux. Je gagne moins ma vie à Toulon qu’à Aubagne. Voilà. Je n’ai pas l’habitude de mentir. Je vais te dire comment ça s’est passé : le lundi, j’étais en désaccord avec Aubagne, le mercredi Claude Joye, le président de Toulon, qui a appris que je quittais Aubagne, m’a appelé, et le vendredi on s’est vu. Et le samedi, j’ai accepté. J’ai accepté parce que je connaissais la maison. Maintenant, pour en revenir au National, entraîner à ce niveau, ça serait une consécration. Mais à aucun moment je ne serais parti d’Aubagne si j’avais eu la possibilité de le faire à Aubagne, je serais resté, bien sûr…

« Tant que je me régale »

Mais avec l’accession d’Aubagne, une opportunité comme celle-là ne se représentera peut-être jamais…
Je peux te répondre en « marseillais » ? Je m’en tape. C’est ma 28e année d’entraîneur d’affilée… Tant que je me régale… Tu as vu mon parcours ? Il est atypique. J’ai fait beaucoup de montées, mais je n’ai pas de plan de carrière. Je n’aspire pas à aller au haut niveau. Maintenant, si je dois y aller, c’est le destin qui m y emmènera. Et si jamais demain je n’entraîne plus en N2 ou si je n’entraîne pas au-dessus, cela ne me gênera pas d’aller en Régional 1 si je sens le truc, si je prends plaisir.

Visuel SC Toulon.

Oui mais tu connais le milieu, on colle des étiquettes, et toi, tu as celle d’un coach qui a fait certes beaucoup de montées, mais de PH, de DH, de CFA2… Pour les gens, c’est facile de monter à ces échelons…
Je ne suis pas d’accord avec cette vision. Il faut vivre avec son temps et replacer les choses dans leur contexte. Quand je suis monté en PHA ou en DHR avec La Penne-sur-Huveaune, le club avait 5300 euros de subvention : c’est un exploit ce qu’on a fait, et je ne te parle même pas de notre accession en CFA2 avec La Penne. Un exploit. Après, quand je dis « Je suis monté », ce n’est pas moi tout seul, ce sont mes joueurs, mon staff, mes dirigeants, qui m’ont permis de monter. Moi seul, je n’ai rien fait. C’est un ensemble de choses, et j’englobe les gens du club. Je pense que toutes les montées sont bonnes : pourquoi minimiser une montée en PHA ? Aujourd’hui, on dit la D1 (District 1, ex-PHA), la D2, c’est faible, mais toi, tu as connu la PHA d’avant, il fallait y aller, au charbon, pour sortir de ces divisions ! Toutes les montées ont chacune leur importance. Je n’en minimise aucune. Maintenant, si tu me demandes si la montée de National est la plus belle, sincèrement non, j’en ai une en tête qui est plus belle, et c’était à un petit niveau. Après, tu as des coachs qui entraînent pendant 15 ou 20 ans sans jamais connaître de montée. J’ai eu la chance de toutes les faire, en commençant par la première division de district, puis PHB deux fois, PHA, DHR, DH, CFA2 trois fois, CFA, j’ai fait aussi deux montées avec les jeunes parce qu’à une époque, comme j’étais fada, j’entraînais les 17 ans en même temps que les seniors ! Mon parcours amateur, c’est quand même, sans orgueil déplacé, une belle référence, même si cela ne reste que du foot et que ce n’est finalement pas grand chose à côté de ce que l’on voit dans la vie de tous les jours. J’ai montré que, à chaque fois que j’accédais à un niveau supérieur, je savais m’adapter. Et si je ne suis pas aujourd’hui à un niveau au-dessus, comme le National, c’est parce que … Peut-être qu’il y a des choses que je n’accepte pas, voilà. C’est pour ça que si je ne suis pas allé plus haut que le milieu amateur, ou semi-professionnel comme le National 2, c’est parce que ces concessions, je n’ai pas voulu les faire.

Un exemple ?
Parfois, j’ai un fonctionnement atypique. Je suis entraîneur-manager. Je m’occupe de beaucoup de choses, du recrutement, de la gestion du joueur, de la gestion contractuelle, et maintenant, avec l’âge, j’ai un peu relâché au niveau de l’entraînement que je délègue beaucoup au staff qui est assez large. C’est un peu comme un fonctionnement, toutes proportions gardées, à la Ferguson ou à la Wenger, encore que, cette saison, alors que j’ai un bon staff, je dirige beaucoup plus l’entraînement qu’à Aubagne où j’avais beaucoup délégué les séances. En fait, chaque année, je m’adapte.

Repro 13HF

Tu as eu des propositions après la montée avec Aubagne ?
Oui, j’ai eu des clubs, j’ai eu des possibilités mais quand il t’arrive une consécration comme ça, tu ne te vois pas aller ailleurs. Regarde mon parcours, il est hyper régional. Pour des raisons personnelles, je préfère rester ici. Mais je le répète, à aucun moment je n’ai été en négociation avec Toulon, ça m’énerve que l’on puisse penser ça ou que les médias aient pu l’écrire. Bien sûr que l’on échangeait avec Claude Joye parfois, mais on n’avait jamais évoqué un quelconque retour jusqu’à ce fameux mercredi et son appel, deux jours après mon départ d’Aubagne. Toulon était sur le point d’enrôler Valentin Guichard (Jura Sud), qui a laissé tomber, ils m’ont appelé le mercredi et le samedi j’ai donné mon accord. Voilà comment ça s’est fait. A Aucun moment Toulon ne m’a fait une proposition supérieure à ce que j’avais à Aubagne. Je n’avais aucun intérêt ni financier ni sportif à quitter Aubagne. Il faut arrêter de dire n’importe quoi, que je suis parti pour une meilleure offre, non. Regarde, je suis à deux minutes trente du stade Saint-Exupéry, à La Penne, c’est juste à côté, je n’avais aucun frais de déplacement, c’est mon secteur, je faisais les entraînements, les gens passaient au stade, tout le monde me connaissait, j’étais vraiment chez moi, il y avait mes enfants à côté… Je pensais que ce serait le moment pour moi de montrer mes capacités en National. Alors, c’est vrai que l’on peut dire qu’une montée en DHR, en DH ou en CFA2, c’est facile, mais à chaque fois que l’on est monté d’un échelon avec mes équipes, on s’est adapté, c’est ça qui est le plus dur. S’adapter au niveau. Comprendre l’environnement. Etre hyper pragmatique. Créer une idée de jeu et un esprit de jeu adaptés à la division dans laquelle tu es. Je pense que c’est là-dessus que, pour ma part, j’ai évolué.

« Partir loin ? Je ne sais pas… »

Tu es aussi étiqueté « entraîneur du sud »…
Tu as raison, les gens collent facilement des étiquettes, mais je pense que mon parcours parle pour moi : je suis issu du foot amateur et je le revendique. Demain, si je suis en Ligue 2, je mettrai en avant le foot amateur, qui a bien changé, mais ça, c’est un autre débat. Avant j’étais un entraîneur de DHR, après on m’a dit je suis un entraîneur de DH… peut-être que si demain j’entraîne en National on va m’estampiller entraîneur de National…

Un jour, seras-tu prêt à partir loin du 13 ou du 83 ?
Je ne sais pas. Je ne dis pas que je ne le ferai pas. Il y a ma famille aussi…

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A Aubagne, tu aurais pu faire fi de ce « problème » et choisir la solution de facilité en restant …
Non. Il y a de vraies raisons, qui n’ont rien à voir avec un manque d’ambition de ma part. Il y a des choses que l’on peut dire, mais que l’on ne peut pas écrire. J’ai un fort caractère. Mais je reste quelqu’un de discret, je n’ai pas envie de remuer la merde (sic), je dis souvent à mes joueurs, « Li fet met », ce qui signifie « le passé est mort »; je leur sors ça à tous, quelles que soient leurs origines, ça veut dire que, une fois que tu as fini un match, pense à celui qui vient après. Quoi de plus beau qu’une montée en National improbable avec Aubagne ? Improbable (il répète). Alors, ce cadeau que je leur ai laissé, je ne leur ai pas donné tout seul, j’avais un staff et des joueurs. Quand une personne te fait un cadeau comme ça, je pense qu’il faut la respecter. Je n’ai plus envie de parler de ça, j’ai envie de passer à autre chose.

Pour terminer avec Aubagne, tu es toujours en contact avec Lionel Jeanningros le président ?
Non. Je ne l’ai pas non plus appelé après sa dernière déclaration. Je ne vois pas l’intérêt. Mais si je le croise demain, je lui dirai bonjour, je suis respectueux quand même et bien élevé. Mais je trouve qu’il n’avait pas à dire ça, surtout que cela ne le concernait pas. Mais on s’apprécie.

« Je n’ai jamais envoyé un seul CV »

Quand tu signes à Toulon, tu te dis quoi ?
Quand je signe à Toulon, c ‘est pour aller en National, et je sais que deux cas de figure peuvent se produire : soit le président me vire avant la fin de la saison, soit je vais très haut avec ce club. Si on arrivait à accéder en National, quel parcours ce serait ! Mais Toulon mérite encore mieux. Toulon mérite la Ligue 2.

Tu avais remis Toulon sur les rails en 2016, pourquoi être parti après deux accessions de DH en CFA ?
Tu remues la merde toi (rires) !

Simple question…
Toulon, c’est dur, c’est usant. J’étais fatigué, j’avais aussi un point de désaccord avec le président, Claude Joye, mais on s’est quitté en bon terme, la preuve, c’est que les années qui ont suivi mon départ, j’ai fait un match amical de préparation contre Toulon, que cela soit avec Côte Bleue ou Marignane. On s’appelait avant la préparation pour parler de ça, on avait de bons rapports.

Le staff technique du SCT. Photo SC Toulon.

Claude Joye, réputé pour souvent changer de coach, t’a rappelé : c’est bon signe, non ?
Tu sais que j’ai le record sur le banc à Toulon ! 3 ans ! Le record toutes catégories (rires) ! Après l’accession en CFA (N2) en 2016, je voulais vraiment faire une année sabbatique mais Christophe Celdran (le président de Côte Bleue à l’époque), qui est un ami, m’a appelé, et finalement, j’ai embarqué dans l’aventure Côte Bleue. J’ai passé des moments exceptionnels avec lui. Je regrette juste de l’avoir déçu en partant de Marignane (le club de Côte Bleue est devenu Marignane Gignac Côte Bleue en 2022). Je pense que je lui ai fait du mal. Parce que s’il y a bien des choses auxquelles je suis attaché, ce sont les valeurs humaines, le respect, le partage, l’entraide, et avec lui, j’avais trouvé ça. C’est ça qui donne de l’énergie, quand tout le monde va dans le même sens. C’est le fondement de mon équipe.

A ton avis, pourquoi Claude Joye t’a fait revenir ?
Aujourd’hui, beaucoup de présidents veulent des noms, des coachs qui ont joué à un certain niveau, OK, d’accord, mais qu’est-ce qu’ils ont fait de plus ? Je connais les noms des coachs qui ont postulé à Toulon… Si tu savais ! Moi, je n’ai jamais envoyé un seul CV à ce jour pour entraîner, ni appelé un président. Et cela fait 28 ans que j’entraîne.

Photo SC Toulon.

Alors pourquoi Claude Joye t’a t-il appelé ?
Le club en situation d’urgence. Le destin. Le coach pressenti qui fait volte-face. Claude Joye me connaît. Il a en confiance en moi. On a fait deux montées ensemble en trois saisons. Je connais la maison. Je connais tout le monde ici, les éducateurs, les administratifs, les supporters. J’ai laissé un bon souvenir. Je pense que si je suis là, c’est parce qu’il croit en moi. Il a entendu que je partais d’Aubagne, le téléphone arabe a fonctionné, il m’a appelé, je lui ai confirmé que c’était vrai, il m’a appelé le mercredi, il m’a demandé si je voulais revenir, je lui ai dit que c’était encore trop frais, on a eu une discussion le vendredi, et le samedi je lui ai donné mon accord.

« Toulon reviendra »

On dit Claude Joye intrusif… Tu confirmes ?
98 % des présidents sont intrusifs. Ils aiment leur club, ils mettent des moyens, ils veulent savoir, comprendre, ce n’est pas gênant. Le problème qui peut arriver, c’est quand un président te dit quoi faire. Là, c’est une source de conflit. Après, libre à chaque entraîneur de l’accepter ou pas. Jamais Claude Joye, qui me connaît très bien, n’a fait ça avec moi.

Plus généralement, pourquoi Toulon n’y arrive pas ?
Vaste question. Je ne sais pas… Dans le foot, il y a des cycles. Je pense que Toulon reviendra. Il faut de la stabilité. Pérenniser. Construire. Aller à l’étage supérieur.

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Par le passé, Toulon avait bâti sa réputation grâce à une image d’équipe rugueuse : or l’équipe version 2024-25 ne semble pas dans cette lignée-là…
Le foot a changé. Toi et moi, on a connu le football rugueux, où tu faisais des tacles à la gorge sans que l’arbitre ne siffle. Aujourd’hui, tu effleures un joueur, tout de suite, c’est coup de sifflet. Et au moindre acte d’anti-jeu, au moindre excès d’agressivité, même si le joueur prend le ballon, c’est carton jaune. Le football s’est aseptisé, on ne peut plus revenir en arrière. L’époque que l’on a connu, il y a 30 ans, c’est terminé. Ce n’est pas une mauvaise chose que les attaquants, les créateurs, soient protégés. Je prends l’exemple de Messi, que beaucoup trouvent meilleur que Maradona. Je pose la question : est-ce que Messi aurait pu jouer à l’époque de Maradona ? Avec tous les coups que Maradona se prenait ? Parce que c’était une boucherie parfois ! Notre football aujourd’hui, c’est du spectacle, de la vitesse, et l’excès d’engagement est réprimandé : on ne peut plus faire ce que l’on faisait il y a 20 ou 30 ans.

Bien connaître la poule sud de N2 et le foot dans ta région, est-ce avantage selon toi ?
Non. Parce que dans la poule, je ne connais pas certains clubs, je pense aux nouveaux clubs qui viennent d’arriver. Bergerac, par exemple, je les connais moins, même si j’ai regardé leurs matchs. Parce qu’aujourd’hui, tout le monde regarde tout le monde. Mais ici, dans mon environnement, je connais les joueurs, les staffs, les présidents, les terrains…

« Je ne suis pas gros, mais bien portant ! »

Parlons de ton physique imposant, dont tu parles avec une certaine autodérision : tu joues un peu de ça, non ?
(Rires) Alors je ne suis pas gros, je suis bien portant ! Je vais te raconter une anecdote : en déplacement, à chaque fois que l’on arrive dans un hôtel avec mon équipe, je suis souvent devant, le premier à rentrer, et à chaque fois, on nous prend pour une équipe de rugby ! Plus sérieusement, le foot c’est tellement prenant, je suis dedans à fond, ça me plaît, j’ai cette passion. J’ai envie de dire, quoi de plus beau que de vivre de sa passion ? C’est extraordinaire. Je vais avoir 53 ans, je n’ai toujours fait que du foot. Je sais que, pour certains, le foot est primaire, ce sont des gens qui courent derrière un ballon… Quand j’ai arrêté de jouer, j’ai compensé avec la nourriture, je mange bien. Il y a des périodes ou, quand je vais le décider, je vais perdre 12 à 15 kilos en un mois et demi, et je vais en reprendre 17 en deux semaines !

Le stade de Bon Rencontre ne demande qu’à vibrer. Photo 13HF

C’est vrai que tes frères et toi avez été joueurs aussi : raconte-nous le parcours des Sadani…
On est une famille de footeux ! Mon grand frère Abdallah a joué à Béziers et Niort, en D2, c’était un top joueur, qui n’a pas toujours été sérieux. Il y a aussi Mokhtar, mon petit frère, un crack, un top joueur ! Lui, il a joué à Cannes. Quand il est arrivé dans le monde pro à 18 ans, Guy Lacombe, qui l’aimait beaucoup, a été évincé et ils ont mis Adick Koot à sa place, et ça n’a pas fonctionné. Mokhtar n’a pas fait la carrière qu’on lui promettait. J’avais acheté une voiture pour venir le voir deux ou trois par semaine à Cannes ! C’était la belle époque de la formation cannoise avec aussi Richard Bettoni, avec qui je suis toujours en contact. Bien sûr, il y a les plus connus, Zidane, Vieira et Micoud, mais il y a aussi tous les autres, Mickaël Marsiglia, Adel Boutobba, Zaïr Mehah, tellement de joueurs talentueux.

Et toi ?
Moi j’étais un joueur doué aussi, j’ai eu beaucoup de clubs qui me voulaient quand j’étais jeune, Toulon, Strasbourg, Monaco, Istres, mais j’ai fait le choix familial de rester auprès de ma maman. Et puis, comme je gagnais un peu d’argent à 16 ou 17 ans en jouant au foot, en seniors, je suis resté comme ça, une sorte de soutien de famille. Je me suis occupé de mes frères et soeurs. J’ai joué aux Caillols à Marseille quand j’étais jeune, j’ai joué en seniors à La Ciotat et à Cassis aussi, en DH. J’étais attaquant ! Là tu me vois un peu gros, tu te dis « Lui, il jouait en défense », mais non, j’allais à 2000 à l’heure ! j’étais un gros dribbleur. Et puis un jour, quand La Penne-sur-Huveaune était en première division de District, je me suis dit, « avec un groupe de collègues, on retourne tous au club ! ». J’avais passé mon BE et j’ai fait entraîneur-joueur. On n’avait pas de moyens, on voulait essayer de monter en DHR. La première année, on monte en PHB mais ensuite, on redescend en District, et là, je prends conscience que, seul, je ne peux pas y arriver, qu’il me faut un staff. J’ai pris l’équipe des 17 ans en plus des seniors, j’ai commencé à faire les deux, j’ai intégré ceux qui avaient du potentiel en seniors, j’ai demandé à Jean-Pierre Garibian, le président, qui avait une grosse entreprise à La Penne (OGAPUR), de venir nous aider, et on a fait Première division, PHB, PHA très vite. Ensuite, on est resté 3 ans en PHA avant de monter en DHR. Là, pareil, on est resté 3 ans avant de monter en DH, et la dernière année, on est monté en CFA2. A chaque fois, on a pris le temps, on s’est adapté au niveau, on a progressé, et on a franchi un cap. Quand tu n’as pas de moyen, tu n’as que le temps et le travail pour y arriver.

Mohamed Sadani, du tac au tac

Photo SC Toulon.

Ton meilleur souvenir de coach ?
La montée en PHA avec La Penne-sur-Huveaune. L’équipe était moyenne mais elle était généreuse, valeureuse et avait du coeur. C’est l’une des équipes qui avait le moins de potentiel, de toutes celles que j’ai entraînées.

Pire souvenir ?
La première descente en 1998-99, avec La Penne, on venait de monter en PHB, et on est redescendu. C’était dur. J’étais seul. Je faisais entraîneur-joueur. J’étais frustré. Mais j’ai compris beaucoup de choses après ça : j’ai construit un vrai staff, je suis allé chercher des partenaires, j’ai pris ce rôle de manager assez vite. Et à partir de là, l’adage « seul on va vite, à plusieurs, on va loin » s’est vérifié. Je n’ai rien réussi tout seul. Je dois remercier tous les joueurs qui se sont donnés à fond pour moi, les staffs et les présidents que j’ai eus, qui m’ont aidé et soutenu.

Un club où tu as failli signer ?
Consolat. Mais je suis resté à La Penne.

Un modèle de coach ?
J’aime le management d’Ancelotti, la capacité à transmettre de Guardiola même si je ne suis pas fan de sa façon de jouer, avec cette possession… Je préfère un jeu de transition : je suis plus Klopp, avec un jeu rapide vers l’avant. Sinon j’aime les grands managers, Wenger, Ferguson.

Tu es un entraîneur plutôt…
(Il réfléchit). Généreux. J’aime sincèrement les gens. Si j’ai eu de la réussite, je pense que c’est parce que les gens, les joueurs, m’ont trouvé sincère. Et ils me l’ont rendu sur le terrain. C’est mon entièreté.

Photo SC Toulon.

Le meilleur joueur que tu as entraîné ?
Y’en a tellement… J’ai eu des Kebbal, des Gomis, mais les deux qui sortent du lot, qui m’ont beaucoup accompagné dans mon parcours, ce sont Lamine Djaballah, d’ailleurs je regrette qu’il ne soit pas venu avec moi à Toulon cette saison, et Belkacem Dali Amar, que j’ai récupéré en CFA2 à Côte Bleue, et qui vient de signer pro à QRM en National. Ce sont deux joueurs qui ont été importants dans mon parcours. Djaballah, dans ses appels, je n’ai jamais trouvé un joueur plus fort, et Dali Amar, il a le niveau pour jouer beaucoup plus haut.

Un joueur que t’as entraîné perdu de vue ?
Justement, bientôt, à La Penne sur-Huveaune, on va faire une fête pour les 95 ans du club, comme un jubilé, et on va en profiter pour faire venir tous les joueurs passés par le club. Ce qui ressort de toutes ces années pennoises, de ces accessions jusqu’en CFA2, c’est que tous les joueurs passés par ce club te disent que ce sont leurs meilleures années sportives de leur vie. Il faut qu’on arrive à organiser ça en 2026.

Le style Sadani ?
Je suis plus dans le 4-3-3, je n’aime pas le 4-2-3-1, après, c’est l’animation qui fait l’équipe. A partir du moment où tu perds le ballon, tu joues d’une certaine façon, quand tu l’as récupéré, tu joues d’une autre, même si tu es à 4 derrière, tu peux très bien sortir ta balle à 5, il y a plein de paramètres qui entrent en ligne de compte. Mais je suis ouvert. J’ai un football offensif, quand même. Et pour aller vers l’offensive, il faut avoir des certitudes et de la confiance, et ça, il faut l’élaborer. J’aime bien la percussion, le dribble, le jeu vers l’avant, ces choses-là. Joueur, j’étais un attaquant dribbleur mais paradoxalement, j’aime bien les joueurs qui courent.

Un président marquant ?
Deux ont été capitaux, Jean Pierre Garibian, qui a fait tout ce parcours à La Penne-sur-Huveaune avec moi, et Christophe Celdran, avec qui on avait noué une relation familiale à Côte Bleue puis Marignane.

Ton club de coeur ?
L’ES Pennoise !

Ton idole de jeunesse ?
Garintxa, Maradona, Zidane… Je suis de l’église « Maradonnienne ».

Tes passions ?
Ma famille, mon épouse et mes enfants. On vit foot, on mange foot, on dort foot : tu te rends compte, mes trois enfants jouent au foot, chacun dans un club différent ! Je me régale ! Le petit joue à l’ES Pennoise, le deuxième en 17 Nationaux à l’ASPTT Marseille et le troisième à Gémenos en Régional 1. Ils sont pas mal ! Parfois, le dimanche, quand je rentre de déplacement, même si un de mes fils joue à 1h30 de route, je reprends la route, pour aller le voir !

Le milieu du foot ?
A l’image de la société. Avec ses plaisirs et ses défauts. Dans sa perte des valeurs. Dans son injustice. Mais il ne faut pas se prendre la tête, il faut avancer et se faire plaisir, on n’est que de passage comme je dis souvent. Quand j’étais jeune, je n’ai jamais pensé devenir professionnel ou aller dans un centre de formation. Mon frère et moi, on a été contacté par des clubs, Mokhtar a été international, c’était un crack, il a eu des propositions financières; moi j’ai été contacté par Toulon à l’époque, ils m’ont fait dormir dans les chambres du centre de formation, ils voulaient me faire signer, mais j’ai refusé. Un recruteur de Strasbourg, Jean-Louis Leonetti, était venu pour voir un joueur et il m’a vu moi, il voulait m’envoyer là-bas; avec ma mère, on a dit « Jamais de la vie ». Aujourd’hui, il n’y a que l’oseille. Après, je ne crache pas dessus, mais les petits à 5 ans pensent à Mbappé, à faire de l’oseille… C’est la société, le capitalisme… Il n’y a plus que ça qui compte. Ce n’est pas une fin en soi. Moktar, on l’a fait signer à Cannes parce qu’à l’époque, c’était le meilleur centre de formation, mais en termes de proposition financière, c’était inexistant, alors que les autres propositions étaient extraordinaires. On a privilégié le sportif à l’argent. Aujourd’hui, on n’aurait pas fait ça. On aurait d’abord vu l’oseille, on aurait battu le fer tant qu’il était chaud. Aujourd’hui, Mokhtar habite en Belgique, depuis une quinzaine d’années, il gère une académie. C’est un top formateur. Moi je suis plus dans la compétition. Le grand frère, lui, vit avec ma mère et heureusement qu’il est là, parce que ma mère est fatiguée. Il nous soulage, avec ma soeur Keira aussi. Mon grand frère et ma soeur sont vraiment ceux qui se sacrifient le plus.

C’est donc ça, cet esprit de famille, dont tu parlais…
Mon pays, c’est La Penne-sur-Huveaune. J’ai perdu mon papa quand j’avais 10 ans. Ma maman a élevé seule ses quatre enfants pour ainsi dire. Moi, je suis le troisième de la famille, Moktar, c’est le petit dernier, il est né en 1979. En Belgique, il se régale. Il a 4 garçons. On en a fait des Sadani !

Texte : Anthony BOYER / Twitter @BOYERANTHONY06 / mail : aboyer@13heuresfoot.fr

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