N3 / Noël Tosi (Thonon Evian) : « S’il faut un gendarme, ce n’est pas moi ! »

Le nouveau coach du club haut-savoyard, véritable globe-trotter du football, affiche plus de 40 ans d’expérience sur un banc et presque autant d’équipes entraînées. Le Vauclusien évoque sa personnalité et sa vision du foot, donne des recettes et livre quelques savoureuses anecdotes.

Par Anthony BOYER / Photos : TEGG

Photo TEGG

S’entretenir, même en visio, avec Noël Tosi, c’est l’assurance de passer un excellent moment. Charisme, bagou, truculence, séduction, humour, bonhomie, l’entraîneur de 65 ans – « Je vais faire comme Raymond Goethals, essayer de gagner la Champion’s League à 75 ans ! » – possède un peu toutes ces caractéristiques, et c’est ce qui le rend très différent de pas mal de ses confrères entraîneurs. Et en plus, il est bavard, à tel point qu’il faudrait deux jours pour éluder tous les sujets; ça tombe bien, l’interview a duré deux jours : elle a été enregistrée en deux matinées ! « Anthony, je dois filer à l’entraînement, on se rappelle demain matin ? » « Ok Noël, mais un peu plus tôt alors ? » « 7h45 ? » « Banco ! »

En un mot comme en mille, le joyeux drille Noël Tosi est ce bon client, affable, pagnolesque, charmeur, rieur. Un personnage haut en couleurs. Mais la singularité a parfois son revers de médaille. Pour préparer cet entretien, on a lu quelques articles consacrés au natif de Philippeville (devenue Skikda), en Algérie, où les anecdotes fusent. Et celle qui a retenu le plus notre attention concernait son arrivée à la tête de la sélection de Mauritanie. Quelle ne fut pas notre surprise lorsque, dès la première question, il répondit exactement ce que nous venions de lire ailleurs au sujet de cet épisode ! Bien sûr, nous l’avons laissé dérouler son histoire, au demeurant incroyable, que l’on a volontairement choisi de mettre à la fin de ce papier, un peu comme une question subsidiaire ! Et puis, Noël Tosi raconte tellement bien les histoires… Le reste est aussi très bon, du Tosi dans le texte, tantôt sérieux, tantôt drôle.

Photo TEGG

Début janvier, l’entraîneur, qui affiche 40 ans de carrière sur un banc et 35 clubs dirigés (!), s’est engagé en National 3, à Thonon Evian Grand Genève, en remplacement de William Prunier, quelques semaines après avoir commencé la saison à GOAL FC, en National 2. Sans langue de bois, l’entraîneur au CV long comme le bras évoque ces deux épisodes, notamment son retour manqué à Chasselay, où il pensait retrouver le club qu’il avait connu lors de son premier passage il y a 10 ans, aux Monts d’Or, au-dessus de Lyon. OK, le coach, qui fut le premier avant Patrick Vieira à s’expatrier aux Etats-Unis, à Sacramento, en 1984 (vainqueur de la coupe de Californie), change de clubs comme certains changent de slip. Mercenaire, Noël Tosi ? On lui a posé la question. Vous lirez la réponse. De toute façon, Noël Tosi a réponse à tout.

Enfin, pour ne pas « polluer » cette entame de papier, nous avons préféré lister à la fin (encore !) les quelque 35 clubs et sélections que Noël Tosi a entraînés ! Mieux, nous lui avons demandé de les citer, par ordre chronologique ! Là encore, on vous laisse découvrir le résultat.

Interview : « Je ne suis pas un mercenaire »

Noël, c’est quoi votre mode de fonctionnement ?
Je ne sais pas si je fais du football ou si je fais du Noël Tosi ! D’abord, c’est de m’adapter au rythme du temps. Bon, je fais un peu entraîneur vintage maintenant mais je suis tout jeune dans ma tête et j’ai su m’adapter aux générations. Comme je l’explique souvent, il y a des groupes qui ont des profils psychologiques, certains qui vous conviennent, d’autres qui ne vous conviennent pas. Par exemple, s’il faut un gendarme, ce n’est pas moi qu’il faut prendre comme entraîneur. S’il faut un tacticien, de l’intelligence, de l’humanité, oui, c’est moi qu’il faut prendre. On ne choisit pas toujours les clubs où on va, ni les groupes que l’on entraîne. On est souvent venu me chercher pour sortir des équipes de l’agonie, un peu comme Rolland Courbis en première division à l’époque, sauf que moi c’était en deuxième division, ce qui m’a permis de comprendre une chose : il ne faut jamais mettre un joueur sur le côté. Mon style, c’est de dire qu’un joueur, même s’il n’adhère pas à tes principes, même s’il n’a pas l’esprit que tu souhaites, il faut le considérer, sinon c’est un signe de faiblesse. Avec cet état d’esprit-là, j’ai réussi à « récupérer » des joueurs, des clubs, à me sortir de situations. Pour la fête des pères, je reçois entre 50 et 100 textos « Bonne fête papa ! ». Bien sûr, beaucoup émanent de joueurs africains, parce qu’ils ont encore plus besoin d’amour, et moi j’ai ce côté humain qui plaît, je sais leur donner ce qu’il faut. Mais je sais aussi avoir un main de fer dans un gant de velours : j’ai une technique bien particulière, c’est « Un coup de pied au cul, un bisous », et ça, ça marche (rires).

Votre plus grosse déception d’entraîneur ?
C’était quand j’entraînais Montauban, en CFA (en 1996/97). On est premier avec 12 points d’avance. On perd deux matchs, je me retrouve avec six points d’avance et là, le président, Philippe Delcaillau, me convoque, En fait, ce que je ne savais pas, c’est qu’il avait promis l’équipe à un joueur qui n’avait pas le diplôme, et si c’était moi qui montait, le joueur ne pouvait pas prendre l’équipe, alors il m’a viré. Je n’ai pas compris. D’abord, comme on était le 1er avril, je lui ai dit que sa blague était drôle, mais j’ai compris que ce n’était pas une blague. Je lui ai demandé les raisons, et là, c’est toujours pareil; quand on veut virer un entraîneur, on dit toujours que son discours ne passe plus avec les joueurs. C’est facile, c’est comme quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. C’est la plus grosse déception de ma carrière. Je ne suis pas rancunier … mais je lui en veux encore. Il n’aurait jamais dû faire ça. J’avais une famille, des enfants, il restait deux mois… Je serais allé au bout (le club n’est pas monté). C’est Jean-Luc Pasturel, un ex-joueur de Rodez, qui m’a remplacé.

« Un journaliste m’avait qualifié d’extra-terrestre »

Photo TEGG

Ce n’est pas faire injure que de dire que vous êtes plus près de la fin de votre carrière que du début : c’est quoi votre plus grande fierté d’entraîneur ?
J’espère qu’elle n’est pas encore arrivée ! C’est d’avoir formé des joueurs de qualité, d’avoir donné du bonheur à beaucoup d’entre eux, d’avoir le retour et la reconnaissance que j’ai aujourd’hui, de leur part et de la part des entraîneurs et des dirigeants. Cela dépend de la personnalité : je suis quelqu’un d’affable, qui aime rire, ça dénote un peu dans le milieu. Parfois, on m’a dit que si je n’avais pas fait du théâtre ou si je n’avais pas écrit des livres, j’aurais fait une autre carrière : c’est possible aussi (rires) ! »Un journaliste m’avait qualifié d’extra-terrestre »

Vos qualités et vos défauts selon vous ?
Les défauts, pour moi, ça n’existe pas. Je m’explique. Prenez la relation hommes-femmes : admettons que je trouve tel défaut chez une femme, mais que vous, vous trouviez que ce défaut est une qualité chez elle. Donc ce sont des traits de caractère, et là, où on aime, où on n’aime pas. Après, des qualités, j’essaie d’en avoir le plus possible, mais on ne peut pas plaire à tout le monde (rires) ! Il faut accepter la contradiction. Quand on est entraîneur, il faut essayer d’être différent : quand j’étais en poste à Angers, un journaliste, malheureusement décédé aujourd’hui, avait titré « Noël Tosi, l’extraterrestre », ça me plaît bien (rires) !

« Il faut l’équipe autour de l’équipe »

Cette différence, vous la cultivez ?
Je pense que ça fonctionnerait partout à partir du moment où il y a ce critère, parce qu’en football, il n’y a pas de vérité : il faut l’équipe autour de l’équipe. Si l’équipe autour de l’équipe est bonne, vous réussissez tout le temps. A chaque fois que j’ai eu ça, j’ai toujours réussi. Après, autre critère, il faut trouver le président qui vous choisit, qui vous correspond. Sur tous les présidents de L1 ou L2, il y en a peut-être 2 ou 3 qui vont vous apprécier, les autres vont dire « Non mais attendez, je ne vais pas prendre Tosi, lui c’est un fou furieux… « , mais si on trouve la bonne personne au bon endroit, souvent on réussit.

Vous êtes un entraîneur plutôt comment ?
Humain.

« Les entraîneurs français sont maltraités »

Photo TEGG

Des modèles de coach ?
Sur le plan du discours, Michel Hidalgo : c’est quelqu’un qui a bercé toute ma jeunesse, je buvais ses mots, j’aimais son humanité, ses compétences. Je suis amoureux de tous les entraîneurs et je trouve qu’en France, on a des entraîneurs extraordinaires, je peux en citer plein, Stéphane Le Mignan à Metz, Philippe Hinschberger, Régis Brouard, Jean-Michel Cavalli, des garçons qui ont plein de qualités mais qui ne sont pas en Ligue 1, mais heureusement, on a Bruno Genesio, un phénomène, Franck Haise, même Didier Digard, ce n’est pas parce qu’il est mal classé avec Le Havre qu’il n’est pas bon, mais je trouve que les présidents de clubs sont un peu durs avec eux. Pourtant, on a des grands entraîneurs en France. On est maltraités. On n’a rien à envier à personne. Je peux te citer 20 ou 30 entraîneurs qui peuvent aller en Ligue 1 à la place de certains. Je trouve aussi qu’il y a un manque total de respect de la part des entraîneurs étrangers de ne pas apprendre la langue; ça fait genre « Vous vous adapterez à moi, je n’ai pas à m’adapter à vous. » Alors que l’adaptation, c’est la plus belle qualité d’un entraîneur.

« Président un jour ? Pourquoi pas ! »

Photo TEGG

Si vous ne deviez citer qu’un seul président ?
C’est impossible ! Même celui qui m’a viré ! Il y en a beaucoup que j’ai plus apprécié que d’autres, mais je ne peux pas tirer sur quelqu’un qui m’a donné à manger, qui m’a pris comme entraîneur, alors je ferais une réponse de Gascon : joker (rires) ! Un jour, René Charrier (ex-président de l’UNFP) m’a dit que je ferais un président extraordinaire, parce que je laisserais travailler l’entraîneur, parce que j’arriverais humainement à emmener tout le monde avec moi ! D’autres me l’ont dit aussi. J’ai répondu « faites moi une proposition, comme ça je prends ma retraite d’entraîneur (rires) ! » Président un jour ? On verra, pourquoi pas ? C’est vrai que j’ai des qualités humaines.

Des erreurs de casting dans votre parcours ?
Oh pauvre, j’en ai fait plein ! Je n’ai fait que des conneries, c’est pour ça que j’ai fini par devenir un bon entraîneur ! Mais avec le recul, je me dis que c’était nécessaire pour avoir la carrière que j’ai eue. Et puis, tu sais, une fois que j’ai fait une connerie, je ne la refais plus.

Un exemple de « connerie » ?
Un match capital pour la montée en National avec Dijon, en CFA, à Metz, contre la réserve (dernière journée de la saison 1998/99), et là, je veux réinventer le football, un peu comme ce qu’a fait Guardiola dans sa première finale de Ligue des Champions contre Chelsea. Je mets un milieu au poste de libero, des gauchers à droite, des droitiers à gauche, je fais une équipe à l’envers et je perds 4 à 2, et on ne monte pas… C’est Besançon qui monte. Et là, je me dis « Noël, la prochaine fois que tu as un match capital, tu mets chacun à son poste, tu n’inventes pas le football », et je ne l’ai plus jamais refait. Ce sont des défaites qui servent pour l’avenir.

De tous vos clubs entraînés, vraiment pas une seule erreur de casting ?
Non, aucune. J’ai toujours été content là où j’étais, et aujourd’hui je suis content d’être où je suis, à Thonon Evian Grand Genève, avec un président, Ravy Truchot, qui a des valeurs humaines incroyables, il a dit « C’est lui que je veux » en parlant de moi, et ça je ne l’ai pas souvent entendu dans ma carrière, mais quelques fois quand même, hein. Quand un président vous dit que vous avez toutes les valeurs humaines qui correspondent à ce qu’il veut mettre en place dans un club, alors là, on a envie de s’arracher.

« Je ne voulais pas être le fossoyeur de GOAL »

Photo TEGG

La présence d’Olivier Chavanon, le directeur sportif de Thonon Evian GG, que vous avez connu joueur, a-t-elle joué dans la décision ?
Olivier, j’étais son entraîneur à Bourges, en D2, on a toujours gardé de très bons rapports pendant toutes ces années; personne ne le sait, mais Olivier a fait gagner des sommes d’argent monumentales à Clermont avec la vente des joueurs. Il connaît son boulot par coeur. Il est ultra-positif. Il m’a présenté à Ravy Truchot mais je pense que c’est le président qui m’a choisi, même si Olivier aussi. D’ailleurs, je devais venir au mois de juin dernier, mais il y a eu une question de timing, je crois que l’on s’est rappelé trop tard, et j’avais donné ma parole à Jocelyn Fontanel, le président de GOAL FC, qui est mon ami aussi. Donc quand Thonon Evian a décidé de ne pas continuer avec William Prunier, qui a fait du bon boulot d’ailleurs, Ravy Truchot m’a appelé à 6h du matin, et il m’a dit, « Voilà, c’était écrit, on va travailler ensemble, on ne l’a pas fait en juin, on va le faire maintenant ! ».

Pourquoi cela pas fonctionné à GOAL ?
Je pensais retrouver le club que j’avais quitté il y a 12 ans. Je pensais qu’il y avait beaucoup d’humanité. Je pensais que j’allais pouvoir mettre en place mes idées. Je pensais aussi qu’il y aurait l’équipe autour de l’équipe, une valeur qui m’est cher. J’ai accepté beaucoup de choses. Mais je ne pensais pas qu’on allait avoir autant de points retirés au classement, ni qu’on allait faire une grève, pour laquelle je n’étais pas pour d’ailleurs, et puis le reste… C’est comme ça, cela devait se faire comme ça… J’ai gardé de bons rapports avec le président et je leur souhaite de tout coeur de se maintenir, je suis content quand ils gagnent. Mais je suis beaucoup mieux où je suis, par rapport à tout ce que j’ai dit avant. Il y a des groupes, des clubs, qui vous correspondent, et celui-là, je pense qu’il me correspond un petit peu mieux et je correspond un petit peu mieux à ce club. Les résultats n’étaient pas catastrophiques à GOAL, sans attaquant. Après, je n’avais pas envie non plus d’être le fossoyeur de GOAL, donc j’ai préféré prendre du recul. Et puis, je n’ai pas été bon, je n’ai pas fait ce qu’il fallait à GOAL au moment où il fallait le faire, mais j’étais persuadé que c’était le même club qu’avant, et bien non : erreur de casting (rires).

« Je n’ai jamais eu peur de rien »

Photo GOAL FC

Petit flash-back : quand avez-vous su que vous vouliez devenir entraîneur ?
Très tôt. En classe, j’étais le délégué. Joueur, j’étais capitaine de mes équipes. J’étais gardien, un poste proche de l’entraîneur. Je suis passé entraîneur-joueur à 24 ans, à Orange, en D3. Ensuite, j’ai été le plus jeune entraîneur d’un centre de formation, le plus jeune entraîneur d’une équipe professionnelle à 28 ans, à Grenoble, il y en avait un autre, au Mans je crois, qui avait 29 ans (il cherche son nom). J’ai aussi été le premier entraîneur français aux Etats-Unis. En fait, je n’ai jamais eu peur de rien. Je suis allé partout où on m’a dit « Je t’aime », et je ne regrette rien. Je suis content d’avoir fait ce que j’ai fait.

Meilleur joueur entraîné ?
Oh là là, ce n’est pas simple ! Je ne peux pas en sortir un (rires) ! On joue à Sacramento contre les San Francisco Seals, en championnat. Je regarde l’échauffement de mes joueurs, mais je vois qu’il en manque un; là, il y a un ballon qui sort sur le côté, et (rires) je vais chercher le ballon, et je vois Antonio Sutton, un joueur qui a été international, en train de fumer du cannabis… Un pétard comme Bob Marley ! Avant un match ! Je lui ai dit « Ce n’est pas possible, allez, va à l’échauffement ». Il jette son pétard, il le piétine, il s’échauffe, il joue et il marque 3 buts… Depuis ce jour-là, je sais que le cannabis fait marquer des buts ! Je ne sais pas si c’est le meilleur joueur que j’ai entraîné, mais c’est le plus fou en tout cas (rires).

« Partir de Gueugnon m’a fait mal au coeur »

Photo TEGG

Le club où vous vous êtes senti le mieux ?
Franchement ? J’ai eu des joies partout. Je suis quelqu’un qui ne regarde pas la couleur, qui ne regarde pas la religion, qui ne regarde pas l’orientation sexuelle, qui ne fait pas de politique. Un homme, c’est un homme. L’aspect humain passe d’abord.

Une décision difficile à prendre ?
Quand on est entraîneur, on a énormément de décisions difficiles à prendre. Mais il y en a une, quand même, qui m’a fait mal au coeur. C’est quand je suis parti de Gueugnon, un des meilleurs clubs de Ligue 2, à l’époque, pour aller dans un autre club de Ligue 2, à Créteil, parce que Créteil avait fusionné avec Saint-Maur Lusitanos, où j’avais déjà entraîné, le président, Mr Lopes, était le même.

Sur votre CV, on voit que certains clubs apparaissent plusieurs fois : étonnant, non ?
Je crois que j’ai entraîné huit clubs deux fois ! Mais à 80 %, c’était les mêmes présidents dans ces clubs, ça veut dire que j’avais laissé un bon souvenir, que j’avais fait du bon travail. Je suis fier de ça. J’ai fait des rencontres incroyables, comme le président Armand Lopes, aux Lusitanos de Saint-Maur, on a été champion de France de N2, Bernard Gnecchi à Dijon, un président d’exception. Ou mon président de Cherbourg, Gérard Gohel : si un joueur a un problème de plomberie, Gérard arrive avec sa caisse à outils et il répare ! Humainement, il est incroyable, il aime rire, et comme je suis un peu comédien à mes heures, je me régalais en lui racontant mes blagues. Cherbourg a été un bon moment de ma vie.

Cherbourg, justement, vous y êtes retourné en N3, il n’y pas longtemps (en 2019)…
On attendait un partenaire qui n’est pas venu, mais j’ai laissé le club en tête du championnat. Gérard n’arrivait pas à me payer et m’a dit « essaie de trouver quelque chose » et c’est là que je suis parti au Luxembourg, et après il y a eu la Covid.

« En situation de crise, j’excelle »

Photo TEGG

La contrepartie de votre CV, c’est qu’avec tous ces clubs, toutes ces durées courtes, vous pouvez passer pour un mercenaire : vous en êtes conscient de cela ?
Pas un mercenaire, non. Mais un globe-trotter, oui. Je ne suis pas du tout un mercenaire, j’ai même entraîné gratuitement certaines fois, quand je le pouvais. Je n’ai pas du tout fait ça pour l’argent. Mais c’est souvent quelque chose que l’on me met sous le nez. Aux Etats-Unis, c’est différent, on dit « Il a entraîné dans plein de clubs, waouh, ça fait 35 ans qu’il est dans le métier, il a toujours trouvé un club, waouh », mais en France, on dit « Ah bah il a fait beaucoup de clubs », mais moi, je n’ai pas fait entraîneur d’un centre de formation où on peut rester en place pendant 5 ans ! Vous savez quelle est la durée de vie d’un coach pro ? C’est 18 mois. Je suis entraîneur professionnel, on me paie pour avoir des résultats. Des fois, il faut savoir partir, des fois il faut savoir rester. Les quelques rares entraîneurs qui durent plus que 18 mois, ce sont des phénomènes. Même Klopp, trois ans à Liverpool, il n’en pouvait plus, alors qu’il avait une équipe exceptionnelle. Quand on presse les joueurs sans cesse, qu’on a tout donné au bout d’un an ou 18 mois, alors il faut savoir partir. Quand je suis dans une mission sauvetage, une fois que c’est fini, qu’est ce que je vais bien pouvoir leur dire aux joueurs la saison suivante, après tout ce que je leur ai dit pour se sauver ? Voilà. Après, en situation de crise, je sais que j’excelle. C’est pour ça qu’on est souvent venu me chercher pour des missions de 6 mois ou un an. On a fait des one shot aussi parfois d’un ou deux ans pour monter. Je ne vois pas pourquoi je m’installerais 5 ans dans un club alors que je sais que ce n’est pas là que je serai le meilleur. Je suis plus performant sur des durées courtes. Et puis, ce n’est pas toujours de mon fait : parfois on vient me chercher, on m’appelle. Au Congo, on gagne le championnat, la coupe, et je pars… Après, je me dis « Qu’est ce que je vais faire d’autre ? ». Je n’ai rien à envier à personne. Je n’ai peur de rien. Je connais mon football. Et heureusement que j’ai foiré parfois, sinon je n’aurais pas réussi à gagner des matchs.

« Perdre un match, ce n’est pas dramatique »

Photo TEGG

Qu’est-ce que vous pouvez apporter à une équipe comme Thonon Evian, dont les résultats étaient plutôt bons avant votre arrivée, début janvier ?
Le problème de Thonon, c’était un problème de fonctionnement qu était délicat et qui ne convenait pas aux dirigeants. C’est comme pour vous : vous épousez une femme et vous allez vous apercevoir au bout de trois semaines qu’elle ne veut pas faire l’amour avec vous, alors vous allez en changer (rires !). C’est un peu ça, ça ne correspondait pas à ce que le club recherchait. Pour l’instant, je n’ai que deux matchs à la tête de Thonon Evian, un nul et une défaite. Il va falloir ça pour prendre les bonnes décisions peut-être. Mais perdre un match, ce n’est pas dramatique. J’ai souvent perdu des matchs et ça m’a permis de trouver le solution. Moi je ne pleure jamais, j’ai des attaquants blessés, à GOAL aussi, j’avais perdu mes attaquants… Je sais que l’on aura des jour meilleurs. De toute façon, on sait que ça se jouera en mars/avril. Là, en trois semaines, on ne peut pas changer beaucoup de choses.

C’est quoi, votre style d’équipe, sachant que, forcément, quand vous arrivez en cours de saison dans un club, vous devez vous adaptez…
J’aime bien le jeu offensif, avoir beaucoup d’attaquants. J’aime bien quand ça centre. L’exemple aujourd’hui, c’est de dire qu’on adore le jeu de Liverpool, mais c’est trop facile; j’aime les équipes qui sont à la fois capables de faire de la conservation, du jeu direct, du pressing, où les milieux se projettent vers l’avant. Un jeu offensif et ambitieux, quoi ! Je préfère perdre 4 à 3 à domicile que perdre 1 à 0. Mais pour dire la vérité, parfois, quand il fallu sauver des équipes, on jouait à 10 derrière et on laissait traînait la malette à pharmacie (rires) !

« Mon spectacle, actuellement, c’est Thonon Evian ! »

Avec les Diables noirs de Brazzaville.

Le théâtre, le cinéma, les livres, vous continuez toujours ?
Non. Mais c’est vrai que j’ai ces passions pour le théâtre (il a joué dans des pièces) et l’écriture (il a écrit des romans). Parfois, dans le foot, il y a des gens dont le hobby est d’aller boire du chablis, de jouer au golf ou à la pétanque, moi c’est le théâtre et l’écriture. Mais je pense que cela m’a plus desservi qu’aidé. Même si j’ai appris plein de choses au théâtre, comme la maîtrise de la communication, parce que ce n’est pas facile d’être entraîneur professionnel : parfois on doit répondre à des questions difficiles, et d’avoir fait du théâtre m’a permis de jongler avec ça, d’avoir mon humour, ce bagou. Parfois, quelqu’un me dit « Bonjour » et moi je dis le reste hein (rires) ! Mais ça m’a permis d’avoir un équilibre psychologique, et je retrouvais les sensations que j’avais quand j’étais joueur, parce qu’il y avait un public, des réactions. J’aime aller voir des comédies, des drames, des opéras. J’aime tous les spectacles vivants. J’aime écrire aussi. J’ai écrit des pièces qui ont eu du succès et je peux te dire que faire rire en écrivant, ce n’est pas facile. J’aime m’amuser en dehors du foot (rires). Mais en France, un entraîneur de foot doit être un entraîneur de foot, pas un gars qui écrit des livres ou fait du théâtre… Je ne regrette rien. Je suis heureux. J’ai eu des joies incroyables au football et j’en aurai encore. J’ai eu des joies incroyables au théâtre. Peut-être que je remonterai un jour sur les planches, mais pour le moment, mon spectacle, c’est Thonon Evian Grand Genève (rires) !

Seriez-vous capable de me citer, maintenant, dans l’ordre chronologique, et sans tricher, tous les clubs dans lesquels vous avez exercé ?
Je peux prendre une feuille et un stylo ? Alors (il écrit), SC Orange, entraîneur-joueur, en D3, AST Deauville… FC Grenoble… Non, je n’y arriverai pas, il y a quand même 40 ans de métier. Et oui Anthony !

  • La fameuse question subsidiaire
Photo TEGG

Meilleur souvenir d’entraîneur de votre carrière ?
J’espère qu’il n’est pas encore arrivé. Alors si, j’en ai des merveilleux, bien sûr. J’en ai un qui est fabuleux. C’est long à raconter : je viens de faire une belle saison en Ligue 2, et je pense que je vais avoir un gros club de Ligue 2 ou peut-être un club de Ligue 1, alors j’attends pour signer. Je me retrouve sans rien et quand je me réveille, je n’ai pas non plus de clubs de National ou CFA car tout le monde a repris. Je reçois un coup de fil, je crois comprendre que l’on me dit « C’est Maurice et Annie », alors qu’en fait, c’est la Mauritanie, vous avez entraîné Ahmed Dabo, et il dit que vous êtes le meilleur entraîneur qu’il n’a jamais eu ! Et là il me demande « Est-ce que vous seriez susceptible de venir entraîner en Afrique ? » Je dis « Pourquoi pas », et je pars en Mauritanie sans trop savoir où c’est, je fais 5 heures d’avion, là-bas je suis reçu comme un Milord, on discute, on se met d’accord, et je rentre en France. Et là, je vois que la Mauritanie est 188e mondiale ! 188e ! Derrière, il y avait juste le Liechtenstein, le Vatican et San Marin. Je me suis demandé ce que je venais de faire… Bon, finalement, je me dit, c’est une première expérience de sélectionneur national, de DTN, et je fonce ! J’essaie de faire une sélection, je trouve 20 joueurs valables, mais je n’arrive pas à bien voir le niveau, et Amara Traoré, qui entraîne Saint-Louis, au Sénégal, on fait un match amical, mais de manière informelle, on joue contre une D2 sénégalaise et on perd 6 à 0 (rires). Là, je me dit « Ouh la la ». Et par hasard, pendant une séance de l’équipe nationale, le ministre des Sports de la Mauritanie vient me voir, et m’amène un cabri, pour tout le travail que je fais. Je lui dit « Mettez-le sur le banc, pas comme remplaçant, mais parce que je suis à l’entraînement ! » Et là, il me dit qu’il a un neveu qui joue très bien au foot. Poliment, je lui réponds que pour le moment, je ne peux pas le prendre, que je le prendrai à la prochaine sélection, et je vois son neveu qui sort de la voiture, déjà habillé dans la même tenue que les joueurs de la sélection ! Je le prends, il n’est pas plus mauvais que les autres, même un peu meilleur. Je le garde dans le groupe. Le ministre est content, et il me vient une idée. Il y a eu le tirage du tour préliminaire de la coupe du Monde, Mauritanie-Zimbabwe, 45e nation mondiale. Je dis au ministre qu’il faudrait apporter un peu de professionnalisme à cette équipe, et je lui demande qu’il me fasse onze passeports mauritaniens. A l’époque, il n’y avait pas de loi. On pouvait faire ce que l’on voulait, par exemple, au Togo, ils avaient cinq Brésiliens. Je me suis servi de ce vide juridique pour faire venir 11 joueurs que j’avais entraîné en Ligue 2. Cela a fait un tollé général, je me suis fait traiter de tous les noms, et depuis ce jour-là, une loi oblige un joueur à rester au moins deux ans dans un même pays avant qu’il puisse le représenter. Et là, je n’avais plus la même équipe, et j’avais des joueurs que je connaissais, qui étaient habitués à ma façon de fonctionner, donc j’en mets 7 ou 8, je garde deux ou trois très bons Mauritaniens, et on reçoit le Zimbabwe et au bout de 17 minutes, on mène 3 à 0. Le président de la Fédération Zimbabwéenne descend des tribunes, vire son sélectionneur et se met sur le banc ! Incroyable ! En plus c’était une grosse équipe ! J’avais des joueurs comme Mohamed Benyachou (Nîmes), Ahmed Dabo bien sûr, Antonio Tavares (St-Maur), un Portugais, un mauritanien blanc et citoyen du monde. Tout le monde pleurait à la fin du match, je ne comprenais pas pourquoi, et le président me dit, « Noël, cela fait 14 ans que l’on n’a pas gagné un match ! ». A partir de là, j’ai crée deux académies de jeunes de 17-20 ans, avec les meilleurs jeunes mauritaniens, afin de les faire jouer dans le championnat mauritanien. La Mauritanie est ensuite passée de la 188e place à la 73e, elle a fait la Coupe d’Afrique des Nations, c’était inimaginable avant. J’ai pleuré moi aussi. Je crois que c’est un des plus grands moments de l’histoire de la Mauritanie. Des anecdotes comme ça, j’en ai à la pelle ! Je peux en raconter des centaines !

On veut bien le croire…

  • Le parcours d’entraîneur de Noel Tosi

1984 : Sacramento (Etats-Unis)
1985-1986 : Orange (D3)
1986-1988 : AS Trouville-Deauville (D4, DH)
1988-1992 : FC Grenoble (D3 et D2)
1992-1993 : FC Bourges (D2, adjoint d’Alain Michel)
1993-1994 : Amicale de Lucé (N3)
1994-1995 : SCO Avignon (DH)
1995-1996 : Nîmes Olympique (directeur du centre de formation)
1996-1997 : Stade Quimpérois (National)
1997-1998 : Montauban FC (N2)
1998-1999 : Dijon FCO (N2)
1999-2001 : Saint-Maur (N2, accession en National)
2001-2002 : FC Gueugnon (Ligue 2)
2002-2003 : US Créteil-Lusitanos (Ligue 2)
2003-2004 : Mauritanie (sélectionneur)
2004 : Angers SCO (Ligue 2)
2004 : RC Paris (National)
2004-2005 : Angers SCO (Ligue 2)
2006-2007 : Congo (sélectionneur)
2007-2009 : AS Cherbourg (National)
2009-2010 : Dijon FCO (directeur technique)
2010-2011 : Nîmes Olympique (Ligue 2)
2012 : JS Saint-Pierroise (La Réunion)
2012-2013 : AC Arles-Avignon (Ligue 2, adjoint de Franck Dumas puis entraîneur numéro 1)
2014 : US Le Pontet (N2)
2014-2016 : Monts d’Or Azergues Chasselay (N2)
2017 : FC Mulhouse (N2)
2018/2019 : Wydad Athletic Club Casablanca (D1 Maroc, manager général)
2019-2020 : AS Cherbourg (N3)
2020 : Jeunesse d’Esch (D1 Luxembourg)
2020/21 : FC Balagne (DH, manager général)
2022 : Africa Sports d’Abidjan (D1, Côte d’Ivoire)
2023 : Diables noirs de Brazzaville (D1, Congo)
2024 : GOAL FC (N2)
Depuis Janvier 2025 : Thonon Évian Grand Genève FC (N3)

  • Son parcours de joueur :

Gardien de but à Carpentras (DH), Avignon (D2), au Gazélec Ajaccio (D2), à l’US Bénédictins (La Réunion) et à Orange (D3).

Texte : Anthony BOYER / Twitter @BOYERANTHONY06 / mail : aboyer@13heuresfoot.fr

Photos : Thonon Evian Grand Genève

  • Suivez-nous sur nos réseaux sociaux (Facebook, X et Instagram) : @13heuresfoot
  • Visitez le site web 13heuresfoot
  • Un commentaire, une suggestion, contactez-nous (mail) : contact@13heuresfoot.fr