N3 / Erwan Lannuzel (Bordeaux B) : « L’humain est au centre de mon projet »

Le Basque de 35 ans, quart-de-finaliste de la Coupe de France avec Bergerac (N2) en 2022, a intégré le milieu pro et entraîne désormais la réserve des Girondins de Bordeaux en National 3. Entretien avec un coach exigeant, déterminé, à la personnalité affirmée, qui sait d’où il vient et, surtout, où il veut aller.

Texte : Clément Maillard / Photos : Raccoon’s colors – BPFC24 et Philippe Le Brech

Il y a la fable du lièvre et de la tortue, et puis il y a le récit du chemin de coach d’Erwan Lannuzel, l’entraîneur de la réserve de Bordeaux (N3), qui oscille entre la célérité du premier et la profondeur de réflexion de la seconde.

Ancien gardien de la JA Biarritz, dans sa ville natale, le Basque est devenu entraîneur plus tôt que certains de ses collègues tacticiens. Éducateur chez les jeunes à 18 ans du côté à la JAB, coach de la réserve de ce même club à 22 ans, il a ensuite pris les rênes de Bayonne (R1) à 26 printemps, avant d’être propulsé entraîneur de Bergerac à 32 ans, et aujourd’hui de l’équipe bis des Girondins à 35 ans. Un parcours qu’il a raconté à 13heuresfoot, entre récits d’une vie footballistique déjà bien remplie, notamment avec la Coupe de France et une accession en National manquée à la dernière seconde du championnat en 2022, lorsqu’il coachait le BPFC24, et l’envie de continuer à explorer et donner à ce sport, où il place l’humain avant tout.

Interview

« Hormis cette saison, j’ai toujours coaché des plus vieux »

La première chose qui ressort de votre parcours, c’est ce passage rapide de joueur à entraîneur. Comment y a-t-il eu bascule ?

Photo Girondins de Bordeaux.

C’est quelque chose qui était ancré en moi.Quand j’ai commencé, je coachais des équipes de jeunes de mon club et je jouais en même temps. Éducateur, j’ai dû commencer ça à 17 ans. Derrière, j’ai passé mon brevet d’État sur l’année de mes 18 ans, et ça a été une première opportunité de me professionnaliser. J’ai eu la chance de tomber sur des présidents, messieurs Legaz et Salva, qui ont décidé de m’embaucher et me contractualiser avec un CDI à la sortie de mon diplôme.

Ça a été une opportunité professionnelle intéressante, car ça reste compliqué de travailler dans le football. Cette première expérience avait de l’attrait, dans le monde amateur, dans ma ville de Biarritz. Je vivais de ma passion. Le club s’est ensuite retrouvé en difficulté avec l’entraîneur de la réserve qui arrête, et à ce moment-là le président François-Xavier Legaz m’a proposé la mission de reprendre. Je ne veux pas perdre du temps à continuer à jouer, et j’ai pris la tête de l’équipe II pendant 2 ans; ça s’est plutôt bien passé, avant de monter en équipe première en tant qu’adjoint de Xavier Legaz, coach un peu emblématique du club. On travaille sur deux saisons et on finit par accéder en Régional 1 et à s’y maintenir.

C’est également l’année d’une nouvelle bascule, semble-t-il…

Cette année-là, je passe donc le DES à 25 ans environ. Ça a été une aventure qui m’a donné encore plus envie de découvrir l’univers semi-professionnel. Avec le maintien en DH, dans un club sans trop de moyens, mais avec d’immenses valeurs, et avec le diplôme, l’année a été très formatrice. Nicolas Sahnoun (actuel coach adjoint à Valenciennes), qui vient d’arriver à Bayonne, me propose avec le président Mérin (Emmanuel) de venir à l’Aviron Bayonnais, et j’y suis resté quatre saisons.
Entraîner, en fait, c’est quelque chose qui a été très vite présent en moi. Rapidement, j’ai pris beaucoup de plaisir à créer les séances, à regarder des reportages sur des coaches, à aller observer les séances de Bayonne ou Anglet, en CFA2 à l’époque. Un jour, j’avais aussi envoyé un mail et eu un échange avec Alain Pochat, grand entraîneur du Pays basque (actuel coach de Villefranche en National). On avait parlé du métier d’entraîneur, ce qui m’avait encore plus conforté dans l’idée d’en faire mon métier.

« Je m’attendais à être jugé »

Oswald Tanchot (Sochaux) nous racontait qu’il avait « attendu » avec impatience sa fin de carrière de joueur pour coacher. Chez vous aussi, c’est une vocation ?

Photo Philippe Le Brech

Là où ça s’est vraiment approfondi, c’est que j’ai commencé à prendre du plaisir à entraîner et faire des séances alors que je me faisais ch*** comme joueur. Je me suis dit : « Tu ne peux pas perdre du temps pour quelque chose qui ne te plaît pas ». Le côté philosophique, c’est que je me suis dit : « Où est-ce que tu vas pouvoir essayer de vivre des émotions ? En étant entraîneur et en construisant ta carrière en commençant à 22 ans, avec un chemin qui va être long, est-ce que tu prends ce parti-là ? Ou alors est-ce que tu vas attendre 10 ans, commencer ton chemin avec 10 ans de retard ? ». Car quand on parle, là, maintenant, j’aurais pu tout juste avoir fini ma carrière de joueur amateur et seulement commencer ma carrière d’entraîneur. Entre-temps il s’est passé plein de choses sur ces dix ans.

C’est quand même très spécifique, à 22 ans, de prendre la tête d’une équipe réserve d’ailleurs. Comment avez-vous géré l’âge ?

Ce ne fut pas forcément évident, mais ces amis que j’ai aujourd’hui encore m’ont vu débuter comme entraîneur. Tout au long de ma carrière, à part cette saison à Bordeaux, j’ai toujours coaché des footballeurs plus vieux, ou qui avaient joué à plus haut niveau que moi. Ma légitimité, elle se gagnait à travers ce que j’allais faire. Je m’attendais à être jugé, « Est-ce que j’allais faire jouer mes potes ? », mais mon projet de jeu, mon contenu d’entraînement, mon exigence, tout cela était important pour être performant. J’ai essayé d’asseoir ma légitimité et mon travail en étant carré et le plus exigeant possible avec moi-même, pour qu’on ne puisse jamais me reprocher quoi que ce soit. Jamais.

« La performance, c’est à la fois du sportif et de l’humain »

Une autre chose qui ressort, c’est votre côté humain. Dans votre début de carrière, il y a aussi une étiquette de manager plus globale. Votre travail a été pluriel à vos débuts ?

Photo Philippe Le Brech

J’aime le terme précis de manager, j’aime ce mot. Il peut être un grand fourre-tout, tout et n’importe quoi, mais on peut y mettre des choses bien précises. On doit être capable de manager son staff, soi-même, ses cadres, ses joueurs… Pour moi, les deux chemins pour arriver à la performance sportive, c’est l’aspect technique et l’humain. Si on additionne les deux, on arrive à la performance, et quoi qu’il arrive, il reste les souvenirs humains, d’avoir passé des moments de vie incroyables. Si on peut déjà s’assurer ça, en plus associer à des résultats…

Avec une bonne équipe, on peut avoir des bons résultats, avec un très bon groupe, on peut avoir de très bons résultats. Ce côté humain est primordial, et je l’associe à ce rôle de manager, qui doit être capable de gérer les choses, prendre ses responsabilités, décider aussi, parfois en ne faisant pas plaisir. Mais quand on respecte l’homme, je trouve qu’on arrive à manager intelligemment et à performer. Je pense que cet ADN-là vient aussi de mon club formateur, la JAB, qui est très humain.

Quelle est votre vision du football, plus globalement ?

Le côté humain est au centre de mon projet. On a le droit de ne pas être d’accord, mais il faut respecter l’homme et il faut avoir des convictions quand on fait les choses. Moi ce que j’aime c’est le football, l’entraînement. J’ai un investissement à 110% quand je suis dans un projet, et j’attends que les joueurs et le staff aient un investissement similaire. Quand je suis arrivé à Bergerac par exemple, j’allais aussi voir les entraînements des jeunes, car il peut y avoir des bonnes idées partout. Il n’y a pas qu’une recette, sinon ça se saurait. J’aime aller chercher des choses chez tous les coaches que je rencontre, je trouve que c’est passionnant.

« Bergerac a fait confiance à un jeune coach de 32 ans »

Justement, vous débarquez assez jeune à Bergerac en 2021, où ce fut une sacrée aventure, avec des souvenirs pour la vie…

Extraordinaire ! On a eu la chance, avec Denis Stinat, mon adjoint, de rencontrer Christophe et Paul Fauvel (président et directeur général), qui ont fait confiance à un coach de 32 ans qui n’avait jamais entraîné en National 2. L’année a été difficile, mais extraordinaire. On est tombés sur des joueurs passionnés, exigeants, revanchards, qui ont adhéré et cru dans notre projet de jeu, de vie; ça a matché tout de suite. On a perdu quatre fois en plus de quarante matches en compétition. Une aventure incroyable, avec tout l’aspect humain et chaleureux de la Dordogne, de la ville de Bergerac. Une aventure exceptionnelle.

Votre parcours en Coupe de France fut complètement dingue : pouvez-vous revenir dessus ?

Face au St-Etienne de Pascal Dupraz en coupe. Photo Philippe Le Brech

Ce parcours est marquant car il est réalisé avec un groupe de joueurs exceptionnels, déjà, avec une ferveur autour du club très présente. Le parcours est incroyable. On passe aux penaltys contre Metz, une Ligue 1 (0-0, 5 t.a.b à 4, en 32e de finale), un shoot d’adrénaline fou, mais pas plus violent que contre Créteil au tour suivant (16e). Dans la série de tirs au but, Metz loupe le deuxième penalty je crois, et on commence à y croire, on vit ce moment avec le stress. C’est très paradoxal, on se demande si le destin va bien faire les choses ou pas. Il le fait bien, on se qualifie, c’est exceptionnel, car ça reste la première Ligue 1 battue par Bergerac en 100 ans d’histoire.

Mais le soir, il y a le tirage, et on prend Créteil. On partait en vacances à ce moment de la saison. On se prépare, on joue, on fait un bon match, on fait plus que rivaliser, on retourne aux penaltys. Et là par contre je prends un shoot d’adrénaline extraordinaire. Car Créteil loupe son dernier penalty, et derrière il n’y a plus besoin de tirer. La joie est immense d’un coup, il n’y a plus de calcul à avoir sur la suite de la séance, ça y est, c’est fini. Le shoot est plus violent, il n’y a pas de calcul comme contre Metz. Vous n’avez plus qu’à partager ce moment de bonheur, vous cherchez le regard de votre femme en tribunes, c’est génial. Après, je sors frustré en tant que coach. On aurait pu ne pas passer car moi, je n’ai pas essayé d’aller gagner le match. Cela m’a aidé pour Saint-Etienne en 8e de finale.

Et oui, parce qu’en suite, vous affrontez une nouvelle L1, Saint-Etienne…

Contre l’ASSE, on est à 0-0 à la 60e. Je me suis battu toute l’année pour faire comprendre aux joueurs que les cinq éléments que je fais sortir du banc peuvent faire gagner le match. Après Créteil, je suis un peu déçu de moi car je n’ai pas joué pour aller le gagner. Contre Saint-Etienne, je regarde un banc que j’avais construit pour faire mal à l’adversaire à partir de la 60e. C’est Romain Escarpit qui rentre et qui nous qualifie dans le jeu. Là c’est une fierté d’avoir été capable de se qualifier dans le jeu avec ceux qui rentrent, d’avoir été acteurs de notre match de A à Z, de gagner sur le terrain, ça a été une belle victoire.

« Vous devez toujours travailler sur l’après »

Un esprit très rugby ça, avec les « finisseurs » chers à Fabien Galthié !

Photo Racoon’s Colors / BPFC24

J’aime beaucoup le terme de finisseurs. Si on prend les statistiques sur notre saison 2021-2022 à Bergerac, il y a 30% des buts qui sont marqués par des finisseurs. Et sur ces 30% de buts-là, 75% sont décisifs ! C’est-à-dire qu’ils ont fait basculer le match de zéro point à un point, de la défaite à la victoire, ou du nul à trois points. Quand vous sortez cette « stat » à des joueurs, que vous appuyez votre message avec ces chiffres, ils sont entre guillemets obligés de vous suivre, car ils comprennent.

Pour revenir à la Coupe de France, il y a malgré tout une cicatrice après « Sainté », c’est la défaite en 1/4 contre Versailles (National, 1-1, 4-5 aux t.a.b). De quoi créer, aussi, des liens pour la vie ?

Il y a quelque chose de commun à tous les groupes avec lesquels j’ai travaillé : j’ai toujours des échanges avec des joueurs et les groupes staff WhatsApp restent plutôt actifs (rires). Mais pas avec coups de téléphone du mois de mai ou de juin pour retrouver un club ! Quand je parle d’une cicatrice à Bergerac, c’est parce que c’est une blessure dans nos corps. Mais je disais aux joueurs que le plus important, c’est le chemin. L’arrivée est un instant T dont on espère qu’il soit beau. L’aventure de la Coupe de France s’arrête sur un penalty contre Versailles, à l’image de toute cette saison, exceptionnelle, mais qui se termine sur un tir au but. Je retiens trois choses de ce match.

La première, c’est le moment du tirage au sort, où j’apprends qu’on joue Versailles à domicile. On s’était réunis avec les joueurs et le staff pour le vivre, avec des pizzas etc, et il y a un retard avec la télévision : je suis avec ma femme au téléphone et elle me dit qu’on prend Versailles à domicile. Je le sais, je suis mitigé, et je vois dans les yeux des joueurs le rêve de se dire, « allez, quel gros on va jouer ? ». Versailles tombe, et c’est du 50/50. Celui qui sera éliminé de ce match-là aura moins de gloire que de sortir contre une Ligue 1.

La deuxième chose, c’est notre égalisation en fin de match d’Axel Tressens (1-1, 89e). Là, vous vous dîtes que les penalties vous ont déjà réussi deux fois. La troisième chose, c’est un des moments forts de notre saison et de la compétition : quand tout s’arrête. On est encore en course pour l’accession en National, le match de Coupe était le mercredi soir, on va jouer à Béziers le samedi. Je rassemble les joueurs au centre du terrain. Forcément il y a des larmes partout. Vous êtes obligé de maintenir le cap. De préparer une équipe à aller défier Béziers à Béziers quelques jours plus tard pour continuer à avancer. Vous êtes obligé d’être un meneur à ce moment-là, d’autoriser les joueurs à être tristes, à pleurer ce soir, mais demain, il faut repartir, car il y a encore une énorme aventure qui nous attend. Quand vous êtes coach, vous ne pouvez pas tanguer. Vous devez créer ce moment. C’était dur. C’était un moment fort.

Ce fut aussi un grand moment, très humain, un instant de vie incroyable ?

Oui. Il est à la même hauteur que l’égalisation de Romain Escarpit contre Saint-Etienne, la joie sur le penalty face à Créteil, ou la prise de conscience de battre une Ligue 1 contre Metz. C’était le symbole du chemin de tout ce qu’on avait vécu ensemble. Ce moment est dur mais les garçons en face sont des éponges. C’est à vous de fixer les autres rendez-vous importants qui arrivent.

« Il faut vivre avec cette cicatrice et construire une nouvelle histoire »

Photo Racoon’s Colors / BPFC24

Votre fin de saison est difficile, également. Lors du dernier match de N2, vous étiez en National à la 95e minute, mais sur un autre terrain, Le Puy Foot marque à la 96e, et vous ne montez pas… Comment vous avez géré cela ?
Le « juste après » est horrible, honnêtement. On était juste vides. Tout s’arrête, après 40 matches, avec des larmes. Vous essayez d’aller chercher du réconfort dans les bras de vos proches, vous avez conscience que c’est fini, et qu’à partir du jour suivant, il va falloir travailler sur la nouvelle saison.

On avait prévu de recevoir les joueurs le lendemain, certains pour les prolonger, d’autres pour les faire partir en vacances, d’autres pour leur dire que l’aventure était terminée, et ça c’était encore plus dur. Car vous ne pouvez pas reprocher à des garçons leur investissement quand vous faites une saison comme cela. Mais vous devez passer à la saison d’après. Et puis vous partez en vacances, il faut digérer, il y a la reprise, et vous ne pouvez pas vivre dans le passé ; il y a un nouveau groupe, une nouvelle saison qui va s’écrire, vous avez cette cicatrice commune, mais il faut vivre avec et essayer de construire une nouvelle histoire. Et c’est notre métier. C’est mon métier.

Un an plus tard, vous quittez Bergerac. Pourquoi ce départ vers la réserve de Bordeaux ?
On loupe encore l’accession et il y a cette sollicitation et cette possibilité de rejoindre les Girondins. Honnêtement, quand on est un garçon qui n’a pas connu cet univers-là, vous êtes obligé d’être attentif à ce genre de proposition. Le train du monde professionnel ne passe pas souvent. Là, il arrive, et je ne veux pas le louper. Bordeaux et le monde professionnel étaient les seules possibilités de me sortir de ma dernière année de contrat.

« Fier du Pays Basque, fier de Biarritz… »

Vous êtes très étiqueté Sud-Ouest, avec un esprit très club…

Photo Racoon’s Colors / BPFC24

Je suis très fier de venir du Pays basque, de la ville de Biarritz, très fier de mes origines, un père breton, une mère basque. Je vote encore à Biarritz, et c’est un endroit où j’aime venir, il y a mes amis, ma famille, il y fait bon vivre, c’est une des plus belles villes de France, voire du monde, même si je ne suis pas très objectif (rires) !

Quel est votre regard sur votre parcours, justement, de Biarritz à Bayonne ?

Il y a un peu de fierté, pas mal placée bien entendu, mais il y en a. D’avoir évolué, d’avoir été capable de vivre ces émotions, d’avoir grandi en tant qu’homme, fait toutes ces rencontres. Je ne regrette rien. Les bons comme les mauvais moments… tout ça a permis de me construire. Je dirais de la fierté, du plaisir, de la passion… C’est le sentiment qui ressort. Mais je pense aussi qu’il faut être capable de prendre de la hauteur, il faut regarder quelle trace vous avez laissé. Ce sont les gens dans les clubs qui en parlent le mieux. Si on m’avait dit que j’allais faire un quart de finale de Coupe de France et coacher la réserve de Bordeaux, même à 50 ans, j’aurais signé des deux mains. Le chemin que j’ai parcouru, c’est un peu tout cela.

« Il faut avoir de l’ambition mais elle se construit »

Il est parfois difficile de parler d’ambition en France. Vous en aviez à vos débuts, vous en avez toujours ?

Face à Versailles (le coach Youssef Chibhi à gauche) en demi-finale de la coupe. Photo Philippe Le Brech.

Je n’ai aucun problème avec ça. Il faut avoir de l’ambition, il faut se lever avec ça, mais en fait, elle se construit. Avec du travail, de l’exigence, des performances, et de l’humilité. Quand vous associez tout cela, le mot « ambition » n’est pas vulgaire. Il l’est si vous êtes assis sur votre canapé toute la journée et vous dîtes « je veux ça » sans rien faire; là, c’est mal placé. L’ambition de bien faire son travail au quotidien est déjà une ambition. Voilà, moi je me construis comme ça, au quotidien, en travaillant. Et le destin m’amène à faire des rencontres ensuite, des choix de carrière, et l’idéal est de toujours essayer d’avancer, d’avoir le choix, avec plus ou moins de réussite. Mes jeunes joueurs à Bordeaux, je les vois tous les jours. Quand ils me parlent d’ambition, je leur demande ce qu’ils sont prêts à faire pour réussir.

Comment travaillez-vous à Bordeaux au quotidien, et plus globalement ?

Je vais peut-être un peu me répéter, mais avec passion. Je pense que c’est ce qui me caractérise. Athlétiquement, tactiquement, on essaie de se rapprocher des matches au maximum. Le projet de jeu tourne autour de ça, celui du match, du week-end. Il y a pas mal de réflexion, de jeu, on met beaucoup d’intensité. Je demande à mon staff à ce qu’on surprenne au maximum les joueurs. On se voit pendant dix mois, il faut être capable de les mettre en éveil, de les surprendre, dans un cadre bien précis qui est le projet de jeu. Mais je veux que les joueurs se demandent ce sur quoi ils vont bosser, et derrière on manipule les consignes; je demande aux joueurs d’être attentifs. Au lieu d’avoir des chasubles sur des exercices de « conserve », on passe avec des plots de couleurs dans les mains, donc sur la prise d’infos ça va plus vite… Ce sont plein de détails au quotidien pour faire progresser les joueurs et les rendre acteurs du projet, de leur projet personnel, de leur saison. Je fais la même chose sur les causeries.

« Le match appartient aux joueurs »

Il y d’ailleurs eu une fameuse causerie avant le derby contre Trélissac avec Bergerac…

Oui. L’idée, c’est de toujours rendre acteurs les joueurs. On jouait le derby et j’ai pris la ville de naissance de chaque joueur et celle de son derby pour les rendre acteurs de notre derby. Le derby de Bergerac ne signifiait pas forcément grand-chose pour beaucoup de joueurs, ça les a ramenés à leur enfance, leurs propres souvenirs, pour le nôtre avec Bergerac.

A côté de ça, vous êtes calme pendant les matches, hors causeries. Une volonté de séréniser ? Vous êtes un coach calme, ou est-ce calculé ?

Photo Philippe Le Brech.

Alors je ne suis pas que comme ça ! Parfois, je suis un peu plus agité, et ça dépend aussi de l’équipe que j’ai. Avec les jeunes à Bordeaux, ils ont besoin d’être plus stimulés, alors qu’avec un groupe mature, vous pouvez redescendre. Moi, en fait, là où je redeviens calme, c’est au moment où j’ai fait la causerie. 90% de mon job a été fait : de l’entraînement, la préparation de l’entraînement, la préparation du match, les après-entraînements, la dernière vidéo, à la causerie, mon travail est là à 90%. Quand il y a le match, il appartient aux joueurs.

Il va falloir que je sois fort sur les changements, pour impacter le match, et les deux-trois petites corrections à apporter aux joueurs, être précis. Pour analyser tous ces moments, il faut être calme, prendre de la hauteur, être capable de visualiser. Les joueurs ont parfois besoin que vous les stimuliez, mais pour prendre ces décisions, ça doit venir d’une analyse. Si les joueurs dorment sur le terrain, je dois être calme pour le voir, et me dire « qu’est-ce que je vais faire pour changer ça ? ». Ça part d’une analyse, un constat, pour mettre une action en place. Des fois les joueurs sont énervés, et si vous êtes énervés au-dessus de ça, ça ne va pas. Dans de petits vestiaires, par exemple, avec une équipe à côté qui peut vous entendre, si vous criez, vous pouvez impacter l’adversaire, qui va se dire : « Ecoutez les gars, ils se font engueuler, donc on va taper fort », et ils vont y croire. Si vous restez calme dans ce cas précis, si vous ne criez pas et que vous avec des mots forts, alors vous impactez votre équipe. Tout ce que j’essaie de faire, j’essaie de le mesurer pour avoir la bonne attitude et aider mes joueurs à performer.

« Mettre les joueurs au centre du projet »

Vous avez des superstitions, apparemment ?

Photo Racoon’s Colors / BPFC24

Il y a des choses qui sont ancrées, qui me sécurisent moi, mais ça n’a pas de sens, ça n’a pas de poids. On n’avait pas de numéro 13 à Bergerac, car lors de mes premières années à Bayonne, mes joueurs avaient compris que le numéro 13 avait très peu de chance de rentrer. Et un jour j’entends un de mes joueurs dire « Pu**** je suis rentré alors que j’avais le 13 ! ». Je lui ai demandé pourquoi il disait ça, et il avait répondu « Bah on a compris coach, que celui qui a le 13 a très peu de chances de rentrer ! »

J’envoie aussi toujours un message à ma femme un quart d’heure avant les matches, et je ne regarde jamais la réponse, mais alors jamais ! À Bergerac, je me garais toujours sur la même place de parking, et un jour j’ai fait sortir la voiture du commercial… Ne le dite pas à Paul (Fauvel), il ne doit pas le savoir !!! Ce sont des trucs qui me sécurisent. Je faisais mes causeries et mes rectifications de la mi-temps sur des bouts de papier. Si on perdait, je jetais le stylo. Ça n’a pas de sens !

Vous avez passé une journée avec Christophe Urios, alors manager de l’UBB, ou échangé avec Yannick Bru, du côté de l’Aviron Bayonnais. Vous êtes fan de ballon ovale ?

Photo Racoon’s Colors / BPFC24

J’adore le rugby et aller à Chaban-Delmas pour voir l’UBB jouer. Avec Yannick Bru, ça s’est fait car on était dans la même ville et le même club, l’Aviron Bayonnais. Quand on a fait notre bon parcours avec l’Aviron en Coupe de France (jusqu’en 32e de finale), il était venu nous dire un mot avant le match. J’entendais parler de son travail et j’avais des infos sur ce qu’il faisait grâce au responsable de la com’ de Bayonne, Yann, qui est devenu un ami; il me voyait travailler au quotidien et on échangeait beaucoup sur les deux sports. Grâce à ma compagne, qui connaît Cameron Woki, j’ai aussi pu rencontrer Christophe Urios, un coach incroyable. J’ai pu passer une journée en immersion avec lui. Je me demande toujours quelles idées je peux prendre au rugby.

Pour en revenir au foot, on dit que vous faites beaucoup confiance à vos joueurs. C’est vrai ?

C’est donnant-donnant pour moi. C’est peut-être moins vrai en réserve à Bordeaux avec des jeunes, mais par moments, je n’ai pas peur de le dire, ce sont les joueurs qui ont fait grandir notre projet de jeu. Ils doivent être acteurs, ils voient des choses que je ne vois pas sur le terrain, ils vous font grandir. Avec cette base de réflexion, les temps d’échanges vont être importants. C’est pour cela que je suis proche de mes joueurs. Ils doivent être au cœur du projet, comme Damien Fachan à Bergerac, mon capitaine, avec qui on avait des échanges, et en un regard ou un mot, il savait ce qu’on devait faire faire à l’équipe. Il était un relai, il faisait passer des choses. Vous devez convaincre les joueurs de tout cela; ça ne marche pas s’ils n’y croient pas. Vous devez les mettre au centre du projet.

Erwan Lannuzel du tac au tac

Avant le derby retour à Trélissac l’an passé (ici Hervé Loubat, le coach de Trélissac). Photo A. B.

Votre meilleur souvenir ?
La qualification pour le 1/4 de finale de Coupe de France contre Saint Étienne.

Votre pire souvenir ?
Le but du Puy à la 97e à la dernière journée qui nous enlève la montée en National avec Bergerac. Le travail d’une saison s’écroule en une seconde.

Des inspirations, des modèles ?
J’aime bien me nourrir de plusieurs coaches. J’aime prendre des idées des coaches et me les approprier.

Des mentors ?
Stéphane Adamietz (ex-conseiller technique fédéral à la Ligue de Nouvelle Aquitaine et conseiller technique départemental du District des Pyrénées-Atlantiques), qui m’a fait prendre conscience de plein de choses durant mon année DES, il y a 10 ans. Mais je suis « brouillé » avec lui, pour une connerie, comme bien souvent.

Un match référence ou un gros coup tactique ?
Le match contre Saint Étienne évidement ou on gagne dans le jeu en étant acteur de notre match sur 90 minutes. Et il y a aussi un match avec Bayonne contre Bordeaux B (2017-2018). On gagne 1-0 et j’ai le sentiment en fin de match de voir mon équipe s’être imprégnée du projet de jeu complètement.

Un match à oublier ?
Chamalières-Bergerac la saison dernière. Une défaite 5-2. J’ai tout loupé sur cette journée.

Photo Racoon’s Colors / BPFC24

Votre philosophie/style de jeu ?
Je veux avoir une équipe active et hybride, capable de tout faire dans le match, capable de s’adapter à tous les scénarios, de prendre le ballon, de tenir la possession, de faire mal à l’adversaire, de l’user pour ensuite attaquer finir les actions, ou par moments d’être très vertical et d’attaquer en deux ou trois passes, ou aussi décider de ne plus avoir le ballon par instants, et de rendre les joueurs autonomes pour qu’ils puissent lire tous les scénarios et les imposer à l’adversaire. On essaie de travailler tous les scénarios pour que l’équipe soit la plus hybride possible dans le système 4-3-3 qui est le nôtre.

Un président marquant ?
Tous, car ils m’ont tous fait confiance.

Un joueur entraîné qui vous a impressionné ?
Damien Fachan, aussi bien l’homme que le joueur, et Denis Stinat. Mais il n’a joué que 45 minutes donc je ne sais pas s’il n’avait pas tout donné sur ce match !!! Je pense que Denis est meilleur adjoint quand même !

Une anecdote de vestiaire ?
La saison dernière, à Bergerac, on gagne à domicile. La semaine d’après est une semaine sans match. Les cadres me demandent évidemment des jours de repos. J’accepte, à une seule condition, c’est de voir tous les joueurs au Moka (bar-boîte de la ville). Le vestiaire était plus heureux que d’avoir des jours off ! Le président, le directeur général, les joueurs et le staff ont suivi Victor Elissalt, Lucas Dumaî et « Flo » Heguiabéhéré, des fidèles du lieu. La soirée ensuite fut très arrosée !

Photo Racoon’s Colors / BPFC24

Chaque club en quelques mots/phrases ?
Biarritz : Famille.
Bayonne : Ambition.
Poitiers : Covid.
Bergerac : Humain.
Bordeaux : Professionnel.

Aviron Bayonnais rugby ou Biarritz Olympique ?
Biarritz Olympique à 100 % même s’ils sont dans une période difficile.

Des hobbies en dehors du football ?
Ma femme, les amis, les voyages. Et le padel avec certains staffs, car d’autres n’ont pas été au niveau, ils se reconnaîtront peut être !

Un ami dans le monde du football perdu de vue que vous aimeriez revoir ?
Si c’est un ami, je ne l’ai pas perdu de vue, donc personne.

Texte : Clément MAILLARD – Twitter : @MaillardOZD

Photos : Raccoon’s colors / BPFC24 (et Girondins de Bordeaux) et Philippe Le Brech

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