Le manager général du club provençal, promu cette saison en N2, estime que, compte tenu de son budget, l’équipe « rivalise avec ses moyens ». Le dirigeant évoque aussi la place d’Istres sur les bords de l’étang de Berre, la mutualisation des moyens, le stade Parsemain, la formation, la fin du football « village » et … Bordeaux, un cas particulier qu’il ne comprend pas.
Par Anthony BOYER
Reportage effectué avant le match Istres FC / Andrézieux (0-0)
Forcément, quand on accuse 46 ans de vie associative et sportive istréenne, ou presque, il peut arriver que l’on se mélange les pinceaux ! Et que l’on en vienne à se tromper lorsqu’il s’agit de parler de « son » club. Pendant les 45 minutes qu’a duré cet entretien, Laurent Thomas, le manager général du « Istres Football-club », 46 ans donc, a toujours parlé – par erreur – du « FC Istres ». « J’ai dit FC Istres ? C’est parce que je suis nostalgique (rires) ! Avant, c’était le FC Istres Ouest-Provence, le FC Istres Ville Nouvelle… Bon, c’est vrai qu’aujourd’hui, c’est Istres Football-club. »
Si l’on a titillé le dirigeant provençal sur le sujet, c’est parce que, quelques instants plus tôt, l’on évoquait ensemble la nostalgie qui, parfois, peut freiner le développement de certains clubs qui vivent dans le passé ou ne parviennent pas à se défaire d’une époque dorée révolue.
Ce n’est pas le cas à Istres, d’autant moins qu’ici, on joue plutôt la carte de l’humilité, même si le professionnalisme a bercé trente ans de vie sur les bords de l’étang de Berre, entre 1985 et 2015. Trente ans durant lesquels le club a joué dans la cour des grands (10 saisons de National) et même des très grands (19 saisons de Ligue 2 et une saison de Ligue 1, en 2004-2005). C’était l’époque du stade Bardin, le petit chaudron provençal, où l’on pouvait basculer d’un match de foot à un match de handball juste en descendant sous la tribune couverte de 2200 places, où se trouvait la salle omnisports.
C’était l’époque du football de villages, celui qui a de moins en moins sa place aujourd’hui dans les hautes divisions françaises, à quelques exceptions près, comme le regrette d’ailleurs le dirigeant des « Violet et noir ».
C’était l’époque où, lorsque l’on arrivait dans cette commune, située à 15 km de Martigues, nichée entre Fos (10 km) et Miramas (10 km), le panneau d’entrée annonçait la couleur : « Istres ville nouvelle ».
Du stade Bardin à Parsemain…
Les panneaux ont disparu. Mais qu’est-ce ce slogan « ville nouvelle » voulait bien dire ? « Notre maire, François Bernardini, qui est à la tête de la ville depuis longtemps, et qui est une vraie personnalité politique sans égale sur les pourtours de l’étang de Berre (il fut notamment député européen), a eu à l’époque une vision avant-gardiste, explique Laurent Thomas; il a devancé tout le monde et fait passer sa ville de 10/15 000 habitants à 45 000 habitants, en développant le bassin économique. Il a fait de son gros village une ville et, automatiquement, dans ses discours, il a parlé de « ville nouvelle ». L’expression est venue de là. »
C’était aussi l’époque du déménagement du nouveau FCIOP à Fos-sur-Mer en 2005, dans un stade Parsemain froid et impersonnel de 13 000 places assises, ouvert aux quatre vents et surtout aux moustiques. Un stade construit à la va-vite pour y accueillir le club en Ligue 1 (il n’y disputa que ses quatre derniers matchs « à domicile » de la saison), et dans lequel il évolue toujours, devant plusieurs centaines de spectateurs, parfois un peu plus d’un millier comme ce fut le cas récemment lors de la réception d’une Ligue 2, Grenoble, en coupe de France. Et pour les matchs de championnat, le stade est partagé avec l’ES Fos, club de National 3.
L’ancien gardien de but, qui n’a fait qu’une seule infidélité à l’étang de Berre – il est parti 3 ans à Narbonne mais a surtout porté les couleurs d’Istres en jeunes, Martigues et Fos ensuite en seniors avant de revenir à Istres – connaît parfaitement le microcosme local.
Le stade, le National 2, les jeunes, les infrastructures, la place du football istréen, l’avenir, le passé, les clubs voisins, les finances, le sportif, Bordeaux, Mollo, Laurent Thomas, chef du service gestion et concours aux associations à la ville d’Istres – « On est force de proposition dans les budgets associatifs de la Ville, on gère toutes les demandes de subvention » – a passé en revue tous les sujets. Sans jamais user de la langue de bois. Mais toujours avec son accent chantant. L’accent provençal, bien sûr !
Interview
« Aujourd’hui, il est impossible d’aller en National »
Laurent, revenons sur votre carrière de joueur et votre arrivée en tant que dirigeant à Istres…
J’ai joué jusqu’à l’âge de 31 ans. J’ai été formé à Istres, j’y suis resté jusqu’à l’âge de 19 ans, j’y ai côtoyé l’effectif de National à l’époque sans jouer, car j’étais 2e ou 3e gardien. Comme je pensais que l’herbe était plus verte ailleurs, je suis parti à Martigues, chez le voisin, pendant deux saisons, où j’étais second gardien, en CFA2. J’ai ensuite privilégié ma carrière professionnelle tout en me faisant plaisir dans le foot, c’est pour ça que je suis parti 3 ans à Narbonne avant de revenir à Istres, dans ma ville, en 2002, où j’ai eu la possibilité d’intégrer la municipalité, tout en jouant à Fos pendant 4 ans, avec une accession en CFA2 et un titre en Coupe de Provence. Enfin, j’ai bouclé la boucle en signant à Istres, où j’ai rendu service en « accompagnant » les jeunes de la réserve, que j’ai entraînée aussi pendant une saison. Je m’entraînais avec le groupe National. Ensuite, j’ai coupé avec le foot. J’ai lancé une autre activité dans la restauration et puis je suis revenu dans le foot quand mon fils a commencé à jouer, à l’âge de 7 ans (il en a 15 aujourd’hui). Je suis devenu éducateur à la Jeunesse Sportive Istréenne, où il jouait, puis il a intégré le Istres Football-club (il fait actuellement partie de l’effectif U17 Nationaux), du coup, je me suis intéressé au club, et quand il a connu des aléas, des tracas, j’ai eu la possibilité de le reprendre et j’en suis devenu le président, pendant 6 saisons. Puis, compte tenu de mon activité à la mairie, il y avait un conflit d’intérêt donc je suis passé manager général, il y a 2 ans maintenant.
Vous êtes le manager, ok, mais aussi encore un peu président, non ?
Non, le président c’est Youssef Moumaris. On travaille en étroite collaboration. Je l’ai fait venir voilà 5 ou 6 ans. On marche main dans la main. Même si je suis plus proche du sportif et de l’aspect technique, il a toute responsabilité dans la bonne marche du club.
« À chaque jour suffit sa peine »
Vous avez joué à Martigues, à Fos, à Istres : c’est où le mieux pour faire du foot ?
On n’est pas dans les mêmes formats de clubs. Istres jouit d’une réputation de club formateur sur la région PACA et bien au-delà. On a des jeunes qui intègrent des structures professionnelles tous les ans. Il y a un énorme travail de fait dans ce domaine. Quand j’ai pris la responsabilité du club, il y avait deux façons de voir les choses : soit on axait le budget en priorité sur une équipe seniors comme certains clubs sur l’étang de Berre, soit on axait sur la formation. Mais on se rend bien compte que tout miser sur une équipe, c’est fragile, que ce sont des châteaux de cartes qui s’effondrent. Regardez l’Atletico Marseille (ex-Consolat), qui a failli accéder en Ligue 2, mais derrière l’équipe fanion, c’était une coquille vide, rien n’était mis en place pour assurer un renouvellement des générations. Quand je suis arrivé à Istres, on a alloué un budget, qui était ce qu’il était, en utilisant le système D. On a privilégié ce volet formation, et le reste du budget était alloué à l’équipe une sur laquelle on nourrissait de l’ambition, sans jamais mettre en péril l’édifice. A Fos, en jeunes, on parle d’équipes de District, de faible niveau, mais l’équipe Une réalise de bons championnats en National 3. Quant à Martigues, on le voit aujourd’hui, ils ont des difficultés financières et une structure jeunes proche du néant, sans aucune équipe au niveau national. C’est même compliqué pour eux au niveau Ligue. Après, chacun voit midi à sa porte : nous, on a souhaité un format axé sur la formation tout en gardant une ambition pour la vitrine. Certains trouvent que les choses ne vont pas assez vite, je leur réponds qu’à chaque jour suffit sa peine.
L’équipe fanion évolue en National 2 pour la première fois de son histoire : c’est sa place aujourd’hui ?
Avant cela, on a passé 6 ans en National 3. Là, on est dans le top 100 français. Compte tenu de notre budget, le plus petit de la notre poule en National 2, avec 1,2 million d’euros, on est au même niveau qu’Anglet, mais Anglet n’a pas d’équipes de jeunes en national. 60 % sont alloués à l’équipe Une, mais pas 80 ou 90 %. Quand on négocie pour des joueurs, on voit bien ce que peuvent proposer financièrement d’autres clubs, mais nous, on veut conserver une certaine homogénéité dans le vestiaire afin de ne pas créer de trop gros déséquilibres au niveau des salaires. Celui qui vient à Istres, il sait pourquoi : il vient pour rebondir, pour le niveau aussi, dans un écrin qui donne quand même envie et sur des installations d’entraînement certes vieillissantes, au complexe Audibert, mais correctes, où sont hébergés à l’année 20 garçons des générations 2008 et 2009, avec du soutien scolaire, de la restauration, du gardiennage, des transports, etc. Et tout ça a un coût. Le joueur qui nous rejoint, il sait qu’il ne fera pas une affaire financière. Mais on peut être un tremplin pour lui. C’est ça l’idée. Après, on peut attirer des garçons comme Foued Kadir (41 ans) cette saison, qui jouait encore à Martigues en National l’an passé (ex-OM, Rennes, Valenciennes, Betis Seville, Getafe), et qui a envie de boucler la boucle pas loin de chez lui, en prenant du plaisir, dans un club structuré. On n’a rien inventé. On assure juste une continuité. On essaie de consolider l’ensemble.
« Pour une mutualisation, il faut une volonté politique »
Autour de l’étang, avec tous ces clubs, un rapprochement n’est-il pas envisageable pour, un jour, avoir un deuxième « gros » club derrière l’OM ?
Vous parlez de mutualisation… Ce type de projets émanent de volontés politiques. Avec Fos, il y a eu à un moment donné une volonté de se rapprocher mais comme on le dit, dans une fusion, il y a un « cocu », et peut-être qu’à ce moment là, les politiques ou les techniciens de clubs se sont sentis en infériorité. Pour avoir un deuxième club des Bouches-du-Rhône derrière l’OM, il faut passer par une mutualisation des infrastructures, des moyens financiers, des compétences, des ressources humaines, etc. J’ai toujours été ouvert à ça. D’ailleurs, au sein de ma ville, j’ai voulu mutualiser les quatre clubs de football d’Istres, mais j’ai échoué : j’ai tendu la main aux autres clubs qui ne l’ont pas saisie. A Istres, le foot représente un potentiel de 1200 licenciés, pour une ville de 45 000 habitants, ce n’est pas rien. Cette mutualisation aurait permis d’être « perfusé » par une seule et même ville. C’est pour ça que c’est compliqué de mettre autour de la table plusieurs interlocuteurs de différentes villes, car il peut y avoir des conflits d’intérêt ou des conflits de personnes, des questions d’ego. Pour en revenir à une mutualisation du football du bassin de l’étang de Berre, il faut une volonté politique : ce ne sont pas les techniciens ou les dirigeants qui vont décider de cela.
Un regret d’avoir échoué dans votre entreprise de regrouper les clubs de football à Istres ?
Le truc, c’est que s’il doit n’en rester qu’un seul, ce sera le gros… Les collectivités ont de moins en moins de moyens aujourd’hui, les aides financières diminuent pour les associations, cela devient compliqué pour tout le monde, c’est pour ça que mutualiser était, je pense, une belle vision, une belle projection, un beau signal, et ça aurait permis de grandir, de grossir, de jouer sous la même égide, avec le soutien de la municipalité. Là, chacun reste dans son coin. Aujourd’hui, on en est à point où un club est content de récupérer 50 licenciés chez lui mais la saison d’après, comme l’éducateur est parti dans un autre club, ces 50 licenciés-là sont partis et l’ont suivi. En fait, le « diviser pour mieux régner » est bénéfique aux clubs des alentours, mais pas aux nôtres. Le Istres FC, c’est 520 licenciés, par rapport aux structures existantes, c’est bien. On est presque à un plafond de verre.
Une convention d’occupation à Parsemain
Le stade Parsemain va quitter le giron de la Métropole Aix-Marseille-Provence au 1er janvier et redevenir propriété de la ville de Fos : allez-vous être SDF ?
Non, parce qu’on a un maire qui est prévoyant, qui a une vraie ferveur pour le sport de sa ville. Il avait anticipé et signé une convention d’occupation qui garantit la continuité pendant les 10 prochaines années au moins. Cela laisse le temps voir venir (sourire). De ce côté là, on est tranquille.
Le point noir, c’est le public : 500 personnes dans un stade de 13 000 places, ça sonne creux…
On le sait, c’est là où le bas blesse, sur Istres et ses alentours. Ici, ce n’est pas comme à Nîmes où la ferveur est historique. Le stade Parsemain, on est content de l’avoir, même si on aimerait l’avoir différemment. Mais pas de querelle de clochers : il est à Fos, et voilà. C’est vrai qu’on préférerait qu’il soit à Istres, mais il a fallu parer au plus pressé et gérer l’urgence quand le club est monté en L1 en 2004. Alors c’est vrai, ça manque de chaleur, on s’en plaint un peu, il n’est pas à taille humaine, on est loin de la surface de jeu, mais ne faisons pas la fine bouche, c’est un atout majeur quand même par rapport à beaucoup de clubs.
À Bardin, quand il y avait 1 000 personnes, on avait l’impression que le stade était plein. Là, avec nos 1200 spectateurs contre Grenoble, on avait l’impression que c’était vide. Jouer à Parsemain est un avantage d’un côté, parce que l’outil est de qualité, mais c’est un inconvénient par rapport à son format et sa localisation, pour créer un lien avec les partenaires, les licenciés, il n’est pas équipé pour ça. Et quand il y a du mistral, ça ne donne pas envie aux gens de venir à Parsemain. C’était déjà le cas en National voire en Ligue 2. Alors imaginez en National 2 ! Et puis on a un peu de concurrence avec Marignane en N2 et Martigues même s’ils n’ont pas encore joué chez eux cette saison en Ligue 2. Sans oublier le foot à la télé, il y en a tous les jours, à toutes les heures. Alors quand vous avez un peu froid en hiver et que vous avez la possibilité de regarder un match bien installé dans votre canapé au chaud, du coup vous n’allez pas au stade.
Cette saison, évoluer en National 2 me permet de voir ce qui se fait ailleurs, notamment dans des régions où l’on n’a pas l’habitude d’aller : je vois que certains stades sont plus adaptés, attirent les gens et permettent de créer ce lien, d’attirer. J’ai vu par exemple à Saint-Priest et à Bergerac des outils accueillants et adaptés pour le niveau. Hyères, Fréjus, Grasse, on les connaît, je ne parle pas de Jura Sud où on a joué sur un terrain de repli digne d’un club de R1, idem quand on a joué à Fréjus, alors là, où on a eu la malchance de jouer sur un terrain de repli, alors là, je trouve ça scandaleux et honteux, et je me demande comment ce terrain a pu être homologué pour le N2… A Grasse, hormis la surface synthétique, l’outil est agréable, à taille raisonnable par rapport au format club.
« Chacun mène sa barque, sans jalousie »
L’idée, c’est de continuer à cohabiter avec Fos ?
On a un peu une priorité en championnat compte tenu de notre niveau (Fos évolue en N3), on essaie de jouer en alternance, et quand il y doublon, Fos a la chance d’avoir un autre terrain aux normes, le stade de l’Allée des Pins. La situation s’est déjà produite. Je ne dis pas que c’est l’entente que l’on souhaiterait mais elle est cordiale et les choses se font en bonne intelligence.
Et l’entente avec les autres clubs du bassin ?
Dire que l’on se serre les coudes tous entre-nous serait faux-cul, ce n’est pas vrai, on l’a vu en N3 l’an passé, cela a été des matchs tendus. En fait, il n y a pas d’entente particulière entre les clubs, sauf quand on n’est pas au même niveau : par exemple, avec Martigues, on s’entend très bien, j’échange régulièrement avec le manager général, Djamal Mohamed, avec qui j’entretiens de très bonnes relations, pareil avec l’ancien président Alain Nersessian, avec qui j’échangeais beaucoup; bon, là, on n’a pas de contact avec la nouvelle direction, c’est leur volonté mais ils sont tellement plus haut que nous que, peut-être, ils n’ont pas besoin de nous et puis on ne va pas se le cacher, on n’a peut-être pas besoin d’eux. En jeunes, y’a pas photo… On est largement devant. Chacun mène sa barque, sans jalousie, sans aigreur, il n’y a de toute façon pas de quoi en avoir. À Fos, l’entraîneur a travaillé chez nous (Frédéric Cravero) et beaucoup de joueurs sont passés dans les deux clubs, il n’y a pas de problème.
Évoquons votre équipe fanion de National 2, entraînée par Anthony Sichi : clairement, l’objectif, c’est de se maintenir…
De toute façon, dès que l’on est monté, on a dit que l’on allait jouer le maintien, ce qui veut tout dire et rien dire en même temps. Un maintien ambitieux, c’est déjà de laisser trois clubs au minimum derrière nous au classement (Istres, tenu en échec par Andrézieux le 13 décembre dernier 0-0, est actuellement 12e sur 16). Après, si on peut gagner quelques places, ce sera bien. Là, après 12 journées, on voit qu’un championnat à deux vitesses se dessinent, avec des forces en présence, et d’autres équipes qui manquent d’homogénéité et d’automatismes. Pour moi, le maintien va se jouer entre six et sept équipes. Je nourris des regrets sur notre parcours à l’extérieur : on pourrait avoir 2 ou 3 points de plus. On a perdu à Saint-Priest sans démériter, on a perdu à Bergerac sans combattre et à Cannes, samedi dernier, contre une équipe qui doutait, on a une grosse occasion d’entrée et si on marque, on ne sait pas ce qui peut se passer : là, on les a assis à la table et on leur a servi le repas… Maintenant, on ne va pas comparer les moyens de l’AS Cannes avec nos moyens. Mais on se rend compte que les matches ne tiennent pas à grand chose.
« Il faut être réaliste »
Istres a été professionnel pendant 30 ans, jusqu’en 2015 : le club peut-il un jour retrouver le monde pro ? Comprenez-vous la nostalgie ?
La nostalgie est inévitable. Regardez l’AS Cannes et son passé, on parle d’un club qui a joué la Coupe d’Europe et qui a longtemps fait partie des deux ou trois meilleurs clubs formateurs en France. Oui, parfois on est frustré, le niveau de National 2 est ce qu’il est, et quand on a connu le niveau au-dessus, comme c’est le cas chez nous, on a envie d’y retourner, mais il y a une réalité financière : alors OK, oui, aujourd’hui, sans moyens financiers, on peut y arriver, car l’argent ne garantit pas le résultat, mais par contre il réduit l’incertitude de ce résultat. Aujourd’hui, avec nos moyens, il est impossible d’accéder au National. Parce que la marche financière est trop haute. Dans notre poule, en National 2, les budgets s’étalent pour la plupart entre 1,5 et 2,5 millions d’euros, avec des exceptions comme Cannes où c’est beaucoup plus, on parle de 4 millions quand même ! Essayons d’être moins mauvais que les autres déjà, avec nos moyens, afin d’exister sportivement, tout en sachant que l’on n’a pas de marge de manoeuvre. Actuellement, nos résultats sont en adéquation par rapport à ce que l’on a à disposition. Peut-être que l’on pourrait avoir 3 ou 4 places au-dessus, mais on est là, on existe, on ne doit pas avoir la frustration de ne pas être dans les trois premiers, il faut être réaliste aussi.
Aubagne la saison passée, Marignane deux fois lors des dernières saisons, Consolat, Martigues en 2022, sont parvenus à monter en National : pourquoi pas Istres un jour ?
Bien évidemment qu’une année peut s’avérer exceptionnelle et que le sportif peut prendre le dessus sur la réalité économique, mais on se rend compte que les équilibres sont fragiles. On le sait, la seconde année ou la troisième est toujours plus difficile, en général, et souvent, quand ce type d’équipes-là montent, des joueurs ou des coachs ont de ces mêmes équipes ont des sollicitations et ne restent pas, regardez Eric Chelle ou Nicolas Usai à Consolat, c’est normal, ils sont attirés par le niveau au-dessus, et regardez où en est Consolat (Atletico Marseille) aujourd’hui…
Je pense qu’il ne faut pas occulter le rêve mais rester réaliste : on pourrait « brûler la caisse » et tout tenter sur une saison, quitte à mettre en péril l’édifice, mais ce n’est pas mon idée. Le Istres FC attire quand même, des gens auront peut-être envie d’investir, il y a un stade, c’est déjà un atout majeur; à Nîmes, cela a couté 10 à 12 millions au président (Rani Assaf) de construire un stade (Les Antonins) pour jouer en National. Qui, en arrivant dans un club de N2 ou en N3, va mettre de telle somme pour construire un stade ? Il y a une autre solution : trouver en interne des solutions, mettre plus d’eau au moulin. N’oublions pas que Martigues, avant de monter en L2, c’est 10 ans de purgatoire en N2. Franchement, on n’a aucune frustration à avoir : on est un club serein, stable sur l’aspect sportif et financier. Devant la DNCG Fédérale, on passe sans encombre, on a juste un encadrement de la masse salariale mais ça, c’est propre à tous les clubs qui accèdent. On a attendu 6 ans en N3 avant de monter, et une année, on devait même descendre en R1 mais on a été repêché parce que Monaco ne s’est pas engagé.
On voit bien qu’avec le rétrécissement de l’élite, cela cela va devenir de plus en plus difficile, parce qu’aujourd’hui il ne faut pas se le cacher, la Fédération et la LFP (Ligue) ne veulent plus de ces clubs qui réalisent ces « exploits », ils veulent des divisions fermées, alors on diminue les descentes et les accessions. On parle de la création d’une Ligue 3 : mais vous avez vu les clubs en National ? Sochaux, Nancy, Le Mans, Dijon, Valenciennes, Châteauroux… ce sont des clubs qui ont connu le très haut niveau, le monde pro, structurés, avec des budgets exorbitants. Alors, que ces clubs-là soient frustrés de jouer en National, je l’entends, mais nous, on ne peut pas avoir de frustration : compte tenu de nos moyens, Istres est à sa place. Pour ce qui est de demain, là, on ne sait pas.
« Pourquoi a-t-on fait de Bordeaux un cas particulier ? »
Votre constat rejoint l’opinion de pas mal de dirigeants de clubs amateurs…
Quand je vous dis que la FFF ne veut plus de ces clubs qui font des exploits, qu’elle fait tout pour les écarter… Mais après, j’ai envie de vous dire que c’est le football français qui va mal. Regardez les droits télés. Et puis il ne se passe plus une commission de DNCG sans qu’il y ait une rétrogradation administrative à titre conservatoire, des clubs qui prennent des points de pénalité ou des interdictions de recruter.
L’exemple flagrant, c’est Bordeaux : comment se fait-il que ce club soit en National 2 avec la dette qu’il a (le 23 juillet 2024, la DNCG évaluait l’endettement de Bordeaux à 118 millions d’euros) ? Ce n’est pas normal. Je n’ai rien contre les Girondins de Bordeaux, un club qui a fait rêver, parce que moi, j’aime le foot pour le foot, mais là, on a fait un cas particulier. Pourquoi ? Après, on me dit, « Oui, mais Bordeaux, c’est un grand club », ok, et Sedan ? C’est pas un grand club ? Et Niort ? Sedan et Niort ont été rétrogradés de National et de Ligue 2 directement en Régional ? Nous, à notre petite échelle, à Istres, on est descendu de National en DHR pour une dette de 400 000 euros en 2015, ça me paraît aberrant !
Des exemples comme ça, y’en a plein ! Aujourd’hui, les Girondins sont en train de boxer dans une autre catégorie en National 2 et mettent en difficulté d’autres clubs qui désirent accéder au National. Ils devraient être trois ou quatre niveaux en dessous. Le constat est affligeant. Tous ces clubs qui ont joué la surenchère ont fait mal au foot amateur, comme Hyères il y a 2 ans, qui donnait des salaires de Ligue 2, et regardez cette saison à Cannes, certains ont des salaires de Ligue 2, et nous on arrive avec notre réalité économique. Avec la réforme des championnats, en passant de 4 à 3 poules, 400 joueurs de N2 se sont retrouvés sans club. Nous, on est là, avec notre « salary cap », je n’aime pas employer cette expression, que l’on a mis en place, qui est trois, quatre ou cinq fois inférieur à certains de la poule. On rivalise avec nos moyens. Cela ne veut pas dire que l’on ne va pas y arriver.
Pour terminer, un mot sur le récent départ de Yohan Mollo à Alès (N3) ?
C’est un bien pour tout le monde. Il était amené à un peu moins jouer. Il a l’âge qu’il a (35 ans). Il en a plus fait que ce qu’il allait en faire. Quand il est venu chez nous l’an passé, alors que Hyères ne souhaitait pas le conserver, il a enclenché sur un projet à côté de chez lui, on ne lui a pas promis monts et merveilles, on a assuré notre objectif qui était de monter en N2. Là, il a pris un an de plus et il y a des jeunes qui émergent, comme Abdezerrek Saïdi, qui a 19 ans, que l’on est allé chercher à Béziers en 19 ans nationaux, et qui a pris une place prépondérante dans les compositions d’équipe. Yohan aurait été amené à moins jouer. La possibilité pour lui d’aller à Alès, avec un projet sur 18 mois et financièrement plus attrayant que le nôtre, j’ai envie de dire, c’est une opportunité commune. Cela nous libère d’un salaire et j’espère pour lui qu’il pourra retrouver un temps de jeu plus conséquent, à un niveau moindre parce qu’entre le National 3 et le National 2, je le vois bien, il y a un palier. Après, que Yohan ait un peu d’aigreur envers le club, envers moi, ce n’est pas grave, c’est comme ça. Dans le foot, les gens passent, il est passé, je passerai aussi, mais l’institution reste. On n’est pas là pour se faire des amis; à partir du moment où vous avez des responsabilités dans un club, que vous vous avez des décisions à prendre, vous ne pouvez pas embrasser tout le monde sur la bouche. On fait des contents, on fait des mécontents, c’est comme ça.
Texte : Anthony BOYER / Twitter @BOYERANTHONY06 / mail : aboyer@13heuresfoot.fr
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