Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Mustapha Sangaré (FC Borgo) : le parcours d’un combattant

Prêté par Amiens (L2) au FC Borgo (National) début octobre, Mustapha Sangaré, 23 ans présente un parcours plutôt singulier.

Après avoir débuté le foot en club à 16 ans et évolué en District, il avait signé son premier contrat pro à Amiens en novembre 2020 alors qu’il était éducateur sportif tout en évoluant au Racing (N3). Quelques semaines après son premier match de L2, il a été stoppé de longs mois par des soucis au dos, causés par une bactérie.

Photo Philippe Le Brech

Un avion décollant de l’aéroport de Poretta à Bastia interrompt brièvement notre conversation. A l’autre bout du fil, on sent Mustapha Sangaré, souriant et épanoui.

Depuis quelques semaines, le grand attaquant (1,95 m) de 23 ans découvre la Corse, prêté par son club d’Amiens (L2) au FC Borgo (National). Comme une petite renaissance. Son histoire était belle. Alors éducateur sportif et joueur au Racing CFF (National 3), il avait signé un contrat pro à Amiens en novembre 2020.

Trois ans auparavant, c’est sur les terrains de… 4e division de District qu’il enfilait les buts !

De la 4e division de District à la Ligue 2, une telle ascension est rarissime. Mais après avoir débuté en L2 sous les ordres d’Oswald Tanchot à Amiens, son rêve s’est transformé en cauchemar. Une vilaine bactérie l’a cloué au lit pendant plusieurs mois, le dos endolori. Mais il a su se relever.

Après presque un an d’absence, il a retrouvé la L2 en effectuant quelques apparitions. Son été a aussi été compliqué avec un faux-départ à Nancy. Mais il espère rattraper le temps perdu à Borgo, dans un club qui a relancé ou révélé de nombreux joueurs ces dernières saisons (Isidor, Durbant…). « Mon histoire montre qu’il y a toujours moyen de gratter quelque chose dans le foot même si on n’a pas fait de centre de formation et qu’on est pas formaté pour ça au départ… »

Un bond de… dix divisions en trois ans !

Photo Amiens SC

Petit, contrairement à beaucoup d’enfants ou d’ados de son âge, Mustapha Sangaré ne s’est jamais rêvé en footballeur professionnel. Il a longtemps joué au tennis. « Le foot, ce n’était qu’en bas de chez moi avec mes potes, explique-t-il. Ce sont eux qui m’ont poussé à m’inscrire. C’était un loisir. »

Sa première licence, il ne l’a signée qu’à l’âge de 16 ans, au club de la Camilienne, une association culturelle, artistique et sportive dans le XIIe arrondissement de Paris. Titulaire du DEJEPS (Diplôme d’État Jeunesse, Éducation Populaire et Sport), il était même employé comme éducateur.

Avant de partir à Amiens, il était responsable de la section féminine et donnait également des cours d’éveil corporel et de cirque à des enfants. « Le XIIe arrondissement, la Camilienne, c’était toute ma vie. J’étais épanoui, j’adorais mon travail. Avec les enfants et leurs parents, j’avais construit une belle relation. Beaucoup de gens me disaient que j’avais les qualités pour jouer plus haut mais je ne voyais pas lâcher mon travail. »
Niveau foot, il a débuté en… 4e division de District. « Je jouais en réserve car il y avait un souci de mutation. Ma dernière année, j’en ai marqué plus de 30 ! »

« Je garderai toujours la tête sur les épaules »

Photo Philippe Le Brech

A l’été 2018, il signe à Vincennes pour évoluer également avec la réserve en 1ère division de District. « J’y suis allé car je connaissais le coach et que ça restait près de chez moi. Il y a eu des blessés et j’ai joué en Régional 1. J’ai marqué et j’ai vu que je pouvais avoir le niveau R1. J’ai eu ensuite plusieurs contacts en National 3 parisienne. J’ai choisi le Racing car c’était moins loin mais en finissant mon travail à 18 heures à la Camilienne, j’arrivais parfois en retard à Colombes. Au départ, l’entraîneur, Guillaume Norbert, m’avait prévenu que je serai le 4e attaquant. »

Après une première année perturbée par une entorse au ligament interne d’un genou, le Parisien explose lors du début de saison 2020-2021. « J’avais pris un agent et dès le premier match de N3, des clubs et d’autres agents ont commencé à appeler. J’ai effectué un essai à Monaco. Ils voulaient me garder. Mais Monaco, ça me paraissait trop haut et c’était d’abord pour être en réserve avec un contrat pro. »

Il choisit Amiens où il signe au début du mois de novembre 2020 un contrat pro de 3 ans en L2. « Je pensais finir la saison au Racing et garder mon emploi d’éducateur. J’avais des responsabilités à la Camilienne et tous mes potes étaient au Racing. Mais j’ai aussi pensé à moi. Vu mon parcours, je me suis dit qu’une telle opportunité ne se reproduirait peut-être jamais. Je me suis dit » fonce et ne te retourne pas ». J’avais bien conscience d’avoir grillé beaucoup d’étapes en 3 ans. Mais vu d’où je viens, je n’avais pas peur. Mon parcours de vie, mon éducation font que je garderai toujours la tête sur les épaules. »

Presque un an d’arrêt à cause d’une bactérie

En arrivant à Amiens, il doit encaisser le rythme des entrainements. « Je suis passé de 2-3 séances par semaine à des entrainements quotidiens. »
Le 22 décembre 2020, il effectue ses grands débuts en L2 en entrant à la 80e minute face à l’AC Ajaccio (0-0). Il enchaîne ensuite par trois nouvelles entrées en jeu. Le 19 janvier, il marque son tir au but et contribue à la qualification en Coupe de France à Dunkerque (L2). Mais il est stoppé par une déchirure. « Je pense que mon corps a subi les charges de travail supérieures à ce que j’avais connu en amateur. »

Le début de près d’un an de galère et de doutes. « Au départ, on m’a diagnostiqué une déchirure aux ischios. Mais après, on s’est rendu compte qu’elle partait du bassin jusqu’au dos… J’avais mal. Je ne pouvais pas me lever ni manger. J’ai perdu presque 20 kilos. J’ai passé 50 scanners, des IRM, effectué plein de prises de sang. Je suis allé voir des médecins à Amiens, Lille, Paris, Marseille… Mais ils ne trouvaient rien. On m’a ensuite fait une ponction lombaire. Sur la première, encore rien… Mais sur la deuxième, ils ont trouvé qu’il y avait une bactérie. J’étais un peu soulagé d’avoir enfin trouvé la cause de mes douleurs. J’ai commencé un traitement aux antibiotiques en juin, juillet et août. Mais ça n’a pas fonctionné. On m’a donc mis sous perfusions à Paris. »

« Mon parcours atypique m’a donné de la force »

Le traitement fonctionne et Mustapha commence enfin à se sentir mieux. « Ce sont les épreuves de la vie. Moralement, il y a eu des moments difficiles. Ma famille était derrière moi, le docteur d’Amiens, Mr. Carpentier, est toujours venu avec moi, mon ancien coach Oswald Tanchot prenait souvent des nouvelles. Mais je ne pensais pas y arriver… Ce n’était même pas une question de rejouer au foot. Je pensais déjà à ma santé, à ma vie. C’est à dire remanger, remarcher correctement, ne plus avoir de douleur. Le foot, si ça aurait dû s’arrêter, ça ce serait arrêté. Je n’ai pas la même philosophie ni la même pression qu’un mec qui est passé par un centre de formation, qui ne pense qu’au foot depuis qu’il a 12 ans. Moi, je connais déjà la vie active. Je suis passé par là. Mon parcours atypique m’a donné de la force. Cela n’aurait pas été un drame absolu de devoir retourner travailler. Le principal était de retrouver ma santé. Heureusement, j’ai été guéri et j’ai pu retrouver l’entraînement après un très long purgatoire. »

Le 12 février 2022, plus d’un an après sa dernière apparition, il retrouve la L2 en disputant les dernières minutes d’Amiens – Niort à la Licorne. Après quatre autres apparitions, il marque son premier but lors de la dernière journée de championnat à Auxerre. « C’était une grande émotion car je revenais de si loin, un an de galère avec l’infection, les problèmes de dos, les blessures…»

Son but avec Amiens face à Auxerre, au stade Abbé-Deschamps.

Le faux-départ à Nancy

A l’intersaison, les choses sont claires avec le staff. « Le coach Philippe Hinschberger m’a dit que si je restais, je serais le 4e ou 5e attaquant dans la rotation. On a évoqué un prêt en L2 ou National. C’est une solution qui me convenait. »

Le 19 juillet dernier, Mustapha officialisait son départ de l’Amiens SC pour Nancy. Dans un tweet, il remerciait le club picard de « l’avoir accompagné pour ses débuts dans le monde professionnel ». Il avait un accord avec le directeur sportif John Williams pour être libéré de sa dernière année de contrat et ainsi s’engager librement avec le club relégué en National.

L’attaquant avait passé la visite médicale et posé pour des photos de présentation. Il s’était entrainé avec le groupe d’Albert Cartier et avait même trouvé un logement. Déjà prêt, le communiqué officiel annonçant sa signature n’a pourtant jamais été publié. Bernard Joannin, le président d’Amiens, a mis son véto et bloqué le prêt. Il a en effet réclamé 37 000 euros à Nancy pour se faire rembourser les frais occasionnés par les dégradations des supporters nancéiens lors de leur venue au stade de la Licorne.

Nancy, qui disposait d’un accord de principe avec Amiens, a renoncé à l’opération. Il se retrouve donc pris en otage malgré lui. « J’ai dit au président que c’était normal qu’il défende ses intérêts. S’il avait dit non dès le départ, cela ne m’aurait pas dérangé. Mais là, tout était finalisé. C’est un moment dur à vivre. J’ai dû rentrer à Amiens. »

Jusqu’à la fin du mercato, Sangare s’entraîne avec la réserve. Il retrouve le groupe pro le 1er septembre. Ses quelques contacts (Dunkerque, Versailles) n’aboutissent pas. Il n’est pas, non plus, conservé à l’issue de son essai à Laval (L2) pendant la trêve internationale fin septembre. Le 3 octobre, il rejoint la Corse et le FC Borgo.

Enchaîner les matchs et maintenir Borgo en National

A Borgo, Mustapha a trouvé un cadre idéal. « Je ne connaissais pas la Corse et c’est vraiment top, sourit-il. Je suis venu seul avec mon chat (sourire) mais j’ai déjà trouvé une maison à quelques minutes de notre complexe sportif. Le cadre de vie est agréable. C’est un club familial, c’est vraiment ce que je cherchais. J’étais éducateur, j’aime aller vers les gens et les vrais rapports humains. Bien sûr, les conditions ne sont pas les mêmes qu’à Amiens ou ce que j’aurais pu connaître à Nancy ou Dunkerque. Mais moi, je viens de tout en bas. Donc, ça ne me dérange pas. Ce serait peut-être plus dur pour quelqu’un qui vient d’un gros club. »

Sur le terrain, il a marqué à Cholet (défaite 2-1) le 12 octobre dernier pour son premier match avec Borgo. Contre Châteauroux (2-1), il a été aussi très précieux. « Il nous apporte beaucoup d’éléments qui nous manquaient », estime le coach Alexandre Torres. « Venir à Borgo est un beau défi pour moi, conclut Sangaré. Ça va me redonner de la visibilité. J’espère surtout enchaîner les matchs. Je suis un protocole quotidien avec des exercices de renforcement pour mon dos. Si physiquement ça va, je sais que je pouvais rendre des services sur le terrain pour contribuer à aller chercher le maintien. Se maintenir en National avec Borgo équivaudrait à un titre de champion dans un autre club. »

Mustapha Sangaré, du tac au tac

Première fois dans un stade ?
Le Stade de France pour la finale de la Coupe de France Lyon – Quevilly en 2012. J’étais sur le terrain en train de tenir l’écusson de l’OL !

Meilleur souvenir de joueur ?
Ma saison en U17 D1 à La Camilienne. On finit premier à égalité de points. Une superbe année.

Pire souvenir de joueur ?
Ma blessure au dos quelques mois après mon arrivé à Amiens.

Ton plus beau but ?
Lors d’un Brétigny – Racing en N3. Après un centre en retrait dans la surface, je fais contrôle aile de pigeon puis demi-volée en lucarne. On gagne 4-2 ce jour là !

Une manie, une superstition ?
J’évite de marcher sur la ligne de touche avant chaque match, titulaire comme remplaçant !

Le geste technique préféré ?
La feinte, simple mais très efficace.

Le joueur le plus fort que tu as affronté ?
Wissam Ben Yedder

Le joueur le plus fort avec qui tu as joué ?
Arnaud Lusamba à Amiens.

Les entraîneurs qui t’ont marqué ?
Oswald Tanchot (Amiens), Guillaume Norbert (Racing), Olivier Debert (Vincennes).

Ton club préféré ?
L’OM.

Ton joueur ou tes joueurs préférés ? Un modèle ?
Ronaldo (R9) comme joueur préféré, et comme modèle, Olivier Giroud. Son mental m’inspire beaucoup.

Un stade mythique ?
Le Stade Yves-du-Manoir de Colombes. Celui du Racing.

Un pays ?
Sénégal et Mali vu que je partage les deux nationalités (rires)…

Tes amis dans le milieu du foot ?
J’en ai beaucoup. Après, à Amiens, j’ai eu une relation particulière avec Mathis Lachuer, que ce soit au foot ou en dehors.

Activités pratiquées en dehors du foot ?
Énormément de tennis. Dès que je peux j’en fais régulièrement.

L’interview de Mustapha lors de sa signature à Amiens.

Texte : Laurent Pruneta / Mail : lpruneta@13heuresfoot.fr / Twitter : @PrunetaLaurent

Photos : Philippe Le Brech / DR / Amiens SC et Vic. Joly