Mathieu Duhamel, l’histoire d’un acharné

Retraité du monde professionnel depuis 2018 et son passage à Foggia, en Italie, l’ancien avant-centre, qui a beaucoup bourlingué entre L1, L2 et National, aujourd’hui conseiller sportif et adepte du MMA, revient sur sa carrière et son tempérament de compétiteur.

Le point commun entre le Stade Malherbe de Caen, le MMA, le métier de conseiller sportif, un buteur compulsif et la Ligue 2 ? Celui qui était justement un scoreur remarqué pendant sa carrière, Mathieu Duhamel, l’ancien attaquant du SMC, du Havre, de Metz, de QRM ou d’Evian-Thonon-Gaillard ! Un garçon entier, joueur de tempérament et buteur de talent, qui est revenu sur sa carrière pour 13heuresfoot. Sans filtre, lucide sur son parcours, son caractère, ses qualités et ses défauts de footballeur. Portrait d’un Normand pas comme les autres, qui profite aujourd’hui d’un repos bien mérité… Tout en se rendant encore quatre fois à la salle par semaine, lui qui a commencé le MMA il y a six mois ! Et qui s’occupe de sa société, « T.I.M. Sport Management », qu’il a lancée pour se consacrer à sa nouvelle vocation, celle de conseiller sportif :  » Je suis mandataire sportif. Je conseille les joueurs, je cré un plan de carrière avec eux, je négocie les contrats, je recherche des clubs, je m’occupe de leur suivi et pour la partie juridique, je collabore avec un cabinet d’avocats. C’est un nouveau projet très intéressant. »

Un « tueur » devant le but !

L’avion, sa marque de fabrique après ses buts ! Photo Bernard Morvan

A la réflexion, Mathieu Duhamel aurait presque eu le profil et la personnalité pour jouer dans Les Tontons Flingueurs.

« Dudu, faut r’connaître, c’est du brutal. Tu lui files un petit ballon, il te le descend manu militari. Ct’un tueur devant le but, Dudu. Faut dire, il éparpillait façon puzzle aux quatre coins d’la Ligue 2 à l’époque. Un dynamiteur, un dingue, un acharné, un pénible… ».

Bon. Pour ceux qui n’ont pas vu le chef d’œuvre de Georges Lautner, réalisé en 1963, une étape traduction s’impose. Dudu, c’est bien entendu Duhamel, Mathieu Duhamel, de son prénom, l’ancien goleador en série de Caen, du Havre, de Metz, de Créteil ou encore de Quevilly-Rouen (liste non exhaustive !). Un attaquant au gros caractère, du genre bien chiant pour les défenses, une bouteille étiquetée « terreur de L2 ». « Pas le plus technique », certes et de son aveu même, mais un battant exceptionnel, un gagneur que n’auraient pas renié Lino Ventura et compagnie. Un flingueur devant le but, archétype du type avec qui aller à la baston les yeux fermés, le silencieux qui fait « phou-phou » remisé au holster, tant on peut lui faire confiance.

Oui, Mathieu Duhamel convoque sûrement et avant tout cette image du buteur acharné, habité par la passion et la rage de vaincre. Au grès d’un parcours riche en clubs (une quinzaine), le Normand, natif de Mont-Saint-Aignan, à côté de Rouen, a toujours emmené dans ses bagages sa détermination. Et puis son sens du but : 152 marqués en pro, dont 79 en 196 matches de Ligue 2. Agrémentés de 7 passes décisives, voilà le genre de stats à vous poser une carrière et un joueur.
Mais du FC Rouen à Foggia, en Serie B, où il a pris sa retraite professionnelle en 2018, le parcours du gaucher aura été émaillé de coups de cœur et de séparations parfois douloureuses, renvoyant à son côté entier, pour le meilleur et pour le pire.

Buteur flingueur du National à la Ligue 2

Car son parcours aurait pu être plus linéaire et prendre une autre dimension sans quelques arrêts au stand et incompréhensions avec ses coaches ou dirigeants sportifs. Sa détermination lui vient par exemple de ses débuts et de sa formation, comme il le raconte. « Quand j’étais jeune à l’INF Clairefontaine, ça se passait bien. J’avais des qualités physiques, en termes de vitesses et de cardio, que n’avaient pas les autres. Je faisais la différence. Mais le souci, c’est qu’après, les autres ont grandi, alors que je n’ai commencé à grandir que vers 16 ans. J’étais plus petit, j’ai dû me battre, on m’a rabaissé, on me disait que j’étais nul. Ca a créé en moi une détermination ».

Il a « les dents qui rayent le parquet », l’envie de tout déchirer, l’objectif de manger les joueurs plus forts que lui. « Au fond de moi j’avais cette certitude que je pouvais y arriver ».
Son père lui paie une salle de musculation, Mathieu ne part pas en vacances avec ses parents, fait des sacrifices, bosse pour « faire gonfler les cuisses ». L’acharné de travail est déjà là, trois fois par semaine, en plus de ses cours en BTS.

Vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=7YWlZNnJjuE&ab_channel=Ligue1UberEats
Un but dans le plus pur style Duhamel ! Du combat, de l’acharnement, de la rage et du talent. « Faut reconnaître, c’est du brutal ! »

A 18 ans, à l’US Quevilly (N2), dans la foulée de l’INF, son entraîneur le fait jouer défenseur. « J’ai été formé ailier gauche, et quand j’ai commencé à grandir, je suis passé latéral, car j’avais le physique pour faire les aller-retours après avoir grandi. Je n’ai pas perdu trois ans quand même, mais j’ai eu l’impression de ne pas jouer à mon poste, de perdre mon temps ». Qu’à cela ne tienne, l’attaquant dans l’âme va toquer solo à la porte du gros club du coin, du haut de ses 21 ans, au FC Rouen (N2), où il allait au stade enfant. « Et là je mets ma dizaine de buts ». Le repositionnement est acté, le flingueur commence à trouer les filets, et pas silencieusement.

Cheval de Troyes et relance messine

Attention, ça va redécoller !!! Photo Bernard Morvan

Après Rouen en N2, « Mat » enchaîne trois saisons à l’étage du dessus, en National, à Romorantin, Laval et l’US Créteil-Lusitanos. Ses stats ne font que s’améliorer, jusqu’à atteindre les 17 buts en 29 matches avec le club francilien.
Mais certains choix sportifs, des personnes dans les clubs et le caractère entier et direct du scoreur, font que ça frictionne parfois, comme à Laval (11 buts en 33 matchs), où Philippe Hinschberger, le coach, veut recruter un autre attaquant. « J’ai du respect pour Philippe Hinschberger, je n’ai pas de rancune aujourd’hui. Mais je ne voulais pas être numéro 2. Je suis donc parti en ‘’claquant la porte’’, et en disant ‘’je vais mettre 15 buts l’année prochaine et un jour vous viendrez me rechercher’’ ».

L’objectif comptable est donc dépassé sous les ordres de Laurent Fournier à l’USCL, « une belle rencontre. Je me suis épanoui là-bas ». De quoi attirer l’attention de Troyes, alors en Ligue 2, qui lui propose un contrat de trois ans. « Mon rêve d’être professionnel se réalise. Mais comme dans mon parcours, ça n’a jamais été simple, à la reprise d’été le coach qui m’a recruté s’est fait limoger. »

Le nouvel entraîneur ne le connaît pas, et n’a pas d’estime pour ce « produit » venu de National. C’est encore un stop pour Duhamel, alors que sa femme est enceinte et que l’ESTAC le pousse vers la sortie…

Le Normand transporte alors son étoile plus loin à l’est. Joël Muller l’appelle, et l’avant-centre part à Metz (L2), un club qui est « en difficulté, avec une équipe au moral dans les chaussettes. Mais j’y vais en courant, avec l’envie de me relancer comme jamais, dans ce club mythique. J’y ai vécu des moments extraordinaires. C’est le vrai début de ma carrière en pro ».

Toujours plus haut à Caen, avant le trou normand

Mathieu Duhamel cite souvent le nom de Patrice Garande dans les coachs marquants de sa carrière. Photo AB

Et si les notes des débuts sont jouées en mode qui va piano va sano, le déménageur va alors tout casser. Les pianos, les filets, les stats, ses objectifs. Il inscrit 9 buts en 18 matches pour maintenir les Grenats en 2011, puis 10 la saison suivante, en Ligue 2. « Mais malheureusement Metz descend en National. Je me blesse pendant trois mois, d’autres joueurs importants aussi. Moi, même si j’apprécie le club et ses supporters… Je ne veux pas retomber en National. Je n’ai plus de temps à perdre, j’en ai trop perdu par le passé, j’ai 26 ans, je veux aller encore plus haut. Angers m’appelle. Mais je ne sais pas pourquoi, il y a un truc au fond de moi, je veux aller à Caen, qui m’attirait énormément. Sauf que c’était le seul club qui n’avait pas appelé mon agent ! Je lui dis que je veux absolument y aller ».

Le nouveau coach de Malherbe, Patrice Garande, ne le connaît pas. L’entraîneur à la casquette se renseigne. Est convaincu. Comme tous les supporters et suiveurs du SMC, très vite, très haut, très fort.

Vidéo / les 24 buts de Mathieu avec Caen en 2013-14 en Ligue 2 :

https://www.youtube.com/watch?v=RVCnMMl8Z6g&ab_channel=Ligue2BKT

Le souvenir de la carrière de Duhamel est en effet invariablement couplé à ses buts sous le maillot de Caen.
Pendant trois saisons, le goleador enfile les réalisations comme des perles, et décroche le titre de meilleur buteur de Ligue 2, en 2014, avec 24 unités. Le club normand monte en première division, et Dudu continue de marquer, comme ce but splendide contre Nantes à D’Ornano (vidéo en début d’article), parfait résumé de ce qu’il est sur un terrain. Souci : à nouveau des désaccords vont l’éloignent d’une équipe, alors que le Normand se serait bien « vu jouer jusqu’à la fin à Caen ».

Xavier Gravelaine, directeur général du club à l’époque, n’apprécie pas autant le scoreur que Patrice Garande ou Jean-François Fortin, le président. L’ancien international veut recruter ses joueurs, et Mathieu Duhamel est mis de côté en janvier, alors que la belle-famille de l’attaquant est touchée par un décès. Gentiment, on indique le chemin de la sortie au numéro 7 de Malherbe.

Du port du Havre à Foggia… Et au MMA !

A Quevilly Rouen, Mathieu ne le sait pas encore, mais son coéquipier, à droite, va devenir international (Jonathan Clauss) ! Photo Bernard Morvan

Duhamel est prêté à Evian-Thonon-Gaillard (L1), score encore quatre fois en onze rencontres sous les ordres de Pascal Dupraz, ce qui porte son total à 10 réalisations en 30 matches de L1. Pas mal, pas mal du tout, potentiellement de quoi le relancer à Caen, encore une fois.

Mais à son retour en Normandie, l’incompréhension et les désaccords avec le DG sont toujours là, le buteur toujours mis à l’écart. Il repart en L2, au Havre, qui a un beau projet et lui propose plusieurs années de contrat, ce à 31 ans.

Après deux ans, il rejoint Quevilly Rouen Métropole, jeune promu en Ligue 2, en juin 2017, et se rapproche encore plus de ses racines. Même à trente printemps passés, le gaucher continue de marquer (8 buts en une demi-saison). Un sacré révélateur de son amour du football. Une donne qu’il confirme bien volontiers, indissociable de sa rage de vaincre.

Vidéo (Ouais, Mathieu Duhamel avait de beaux restes à 31 ans en L2…) :

https://www.youtube.com/watch?v=6WVGjOGRcxk&t=39s&ab_channel=Ligue2BKT

Photo Bernard Morvan

« Quand j’entrais dans un stade, c’est comme si j’entrais dans une arène de gladiateurs, le Colysée. J’étais méchant, mais dans le bon sens. Je voulais juste gagner. Encore aujourd’hui, quand je fais du sport, ce n’est pas pour perdre. »

En janvier 2018, l’avant-centre joue les prolongations à 33 ans, à Foggia, en Serie B italienne. Une « très belle expérience », avec la ferveur des supporters, mais un move pas du tout planifié, pour une aventure qui se révèle mitigée, avec un coach qui privilégie les joueurs italiens et n’a pas recruté Mathieu.

L’expérience ne durera qu’une demi-saison. Pas grave, car Mathieu n’en garde que du bon. Il a déjà bien vécu, vu, et mis des buts. Les arrêts de jeu de sa carrière s’étirent tout de même un peu, par passion, à Beauvais, Grand-Quevilly, ou Saint-Julien. « L’arrêt de ma carrière pro en 2018 a été difficile, je tournais en rond, je remettais tout en question. S’il n’y avait que moi et pas ma famille, j’aurais joué jusqu’à 40 ans. Le foot, je lui dois beaucoup. Enormément. Tout. J’ai pu réaliser mon rêve de devenir footballeur un jour alors que personne ne misait sur moi. Je changeais souvent de club, mais parce que je voulais évoluer, aller plus haut ».

Une soif de vaincre qui se retrouve aujourd’hui dans son quotidien. Le quasi-quarantenaire (il a 38 ans) est ainsi devenu conseiller sportif, partage son expérience et transmet la valeur du travail à des jeunes joueurs. Leur martelant de se battre pour leurs rêves. « Je me suis rendu compte pendant ma carrière que le talent, il en faut, bien sûr. Mais la détermination et la rage que j’avais en moi, c’était et c’est ça le plus important ».

Ce goût pour l’effort continue d’habiter Mathieu Duhamel, lui le boxeur qui se rend quatre fois par semaine à la salle, et surtout dans l’octogone du MMA, sport de combat commencé il y a six mois, où il lâche d’autres genres de sacoches… Peut-être son côté Tonton Flingueur. Celui qui a transcendé son voyage de buteur déterminé, et habité toute sa carrière. L’histoire d’un acharné.

Mathieu Duhamel, du tac au tac

« A Lens, je revenais à la mi-temps pour chanter Les Corons »

Joueur le plus fort contre qui tu as joué ?
Forcément, en tant qu’attaquant, je vais citer un défenseur. Mexès était fort, mais il y a Marquinhos qui m’a impressionné. Il sautait haut, était intelligent… Sinon, Cavani, avec qui j’avais échangé mon maillot.

Coéquipier le plus fort avec qui tu as joué ?
N’Golo Kanté, à Caen.

Le coéquipier le plus fou que tu aies côtoyé ?
Si on posait cette question à d’autres joueurs, ils diraient tout de suite Mathieu Duhamel ! Sur le terrain, en tout cas. Sinon, Yohan Betsch, qui a joué à Créteil, Metz et Laval en Ligue 2.

L’anecdote la plus folle vécue dans ta carrière ?
C’est un moment marquant et une bascule dans notre saison à Caen. On joue contre Clermont, on perdait 1-0, tout le stade s’était vidé, c’était en milieu de saison, on devait être 8es. A la 89-90e minute, je marque de la tête. Deux minutes après, je marque le but du 2-1, sur une nouvelle tête. Tout a changé dans la saison de Caen ce soir-là je crois, et au bout il y a la montée.

Le coéquipier perdu de vue que tu aimerais revoir ?
Sadio Mané. Pas parce qu’aujourd’hui c’est Sadio Mané, un des meilleurs joueurs du monde, mais j’aimerais le revoir pour lui reparler. Lui commençait à Metz, on était dans une situation compliquée.

Ton meilleur souvenir ?
Forcément, la montée en Ligue 1 avec Caen. Les gens, l’équipe, tout dégageait quelque chose d’extraordinaire, j’ai ressenti des émotions au fond moi qu’on ne peut pas ressentir si on n’a pas vécu ça.

Ton pire souvenir ?
Troyes, par rapport à ce que j’ai vécu. Je ne garde que de bon la naissance de ma fille.

L’entraîneur qui t’a marqué ?
Patrice Garande, un mentor, un papa du foot. On a eu quelques prises de tête mais c’est quelqu’un qui m’a énormément appris. Laurent Fournier aussi, un homme extraordinaire, quelqu’un de bien. Lui aussi ça me ferait plaisir de le revoir. Je me souviens d’une de ses phrases, il m’avait dit que j’étais « le plus gros compétiteur que j’ai rencontré dans ma carrière ». Il avait fait une causerie un jour, limite il m’avait mis les boules. Il était arrivé quelque chose de grave dans sa vie. Il avait les larmes aux yeux pendant son discours. On avait qu’une seule envie, c’était de tout donner pour lui… Enfin, Dominique Bijotat de Metz m’a beaucoup apporté et fait progresser. Une bonne personne, que j’apprécie.

Le stade qui t’a le plus impressionné ?
Bollaert. A chaque fois, je revenais un peu avant la mi-temps et je chantais Les Corons. Lens, j’aurais pu y signer en fin de carrière. Il y a une mentalité, les supporters, le stade… Comme dans des clubs corses où j’aurais pu aller aussi.

« A côté de moi, il y a Thiago Motta. On échange un regard, et je lui ai dit « putain t’es un super joueur ». Il a dit merci en rigolant (rires). » Photo DR

Une équipe, adverse ou pas, qui t’a bluffé ?
Le PSG. Je me rappelle une anecdote, Lavezzi se blesse, et il y a 5 minutes d’arrêt de jeu. D’habitude je suis dans ma bulle. Mais là, avec l’arrêt, j’en suis sorti. Et à côté de moi, il y a Thiago Motta. On échange un regard, et je lui ai dit « putain t’es un super joueur ». Il a dit merci en rigolant (rires).

Un match où tu t’es senti intouchable ?
Un match où je n’ai même pas marqué. C’était à D’Ornano avec Caen contre Marseille (défaite 2-1 sur un but de Gignac), j’avais l’impression de sauter à 2 mètres de hauteur, plus haut que tout le monde. Dans une affiche comme ça, ta motivation est plus forte, j’avais une détermination de fou. Je mets une frappe de très loin qui rase la barre, un missile, un but qui peut changer ma carrière, mais Mandanda fait un gros arrêt. Ce match-là, j’ai eu l’impression d’être intouchable.

Texte : Clément Maillard / Mail : contact@13heuresfoot.fr / Twitter : @MaillardOZD

Photos : Bernard Morvan et DR