Les treize matchs de National disputés en 2017-2018 avec son club de toujours, le FC Chambly, constituent le sommet de sa carrière. Le défenseur sénégalais conciliait alors ballon et travail dans la mercerie de son oncle. Doté d’un mental d’acier, il s’est toujours battu pour se faire sa place. Il est d’ailleurs passé à un cheveu de participer à une demi-finale de Coupe de France avec le club de l’Oise… Des moments de grâce aux chutes douloureuses, portrait d’un footballeur amateur qui n’a jamais été épargné par le sort malgré ses efforts.
« Dans ma carrière, à chaque fois que j’ai cru sortir la tête de l’eau, je suis vite retombé très bas. Les chutes font de plus en plus mal… »
A 30 ans, le défenseur central Mafall Seck se pose de sérieuses questions en repensant aux six saisons passées à gagner sa vie dans le monde du football amateur, entre National 3, National 2 et National.
Sans club depuis deux ans, le natif de Dakar (Sénégal) a ressenti le besoin de rentrer dans son pays d’origine pour se ressourcer auprès des siens. « J’ai un mental d’acier, et je serais capable de sauter dans l’avion si l’on me propose un beau projet. Mais j’essaie d’être lucide. Peut-être que ma carrière ne repartira pas, et je n’ai plus envie de trimer. »
Trimer, le mot est lâché, et colle à la peau d’un joueur qui s’est toujours battu pour se faire une place mais n’a jamais été épargné par les coups du sort. Un destin fait de quelques hauts et beaucoup de bas auquel n’aurait pas songé le petit Mafall quand il avait 10 ans.
À cette époque, il quitte le Sénégal et pose ses valises dans le 18e arrondissement de Paris pour emménager chez son oncle. Fou de ballon rond, c’est la tête pleine de rêves qu’il fait ses classes dans les catégories de jeunes, avant de croiser la route de Christophe Taine à l’aube de la saison 2011-2012.
Titulaire en National 2 à 19 ans
L’ancien coach, entre autres, du Paris FC (2013-2015, National) et actuel de Bobigny (National 2) lui donne sa chance à l’UJA Alfortville.
Le club Val-de-Marnais vient tout juste de descendre de National en National 2 et entame sa reconstruction en rajeunissant l’équipe. Mafall a alors 19 ans. « J’ai fait un match d’essai, et c’était parti, sourit-il. Christophe Taine avait confiance en moi, j’ai joué 21 matchs (NDLR : 19 titularisations) et on a maintenu le club à l’avant-dernière journée, en gagnant 3-2 contre la réserve du PSG. J’ai accumulé plein d’expérience, et d’espoir. »
Un espoir vite éteint : pendant l’intersaison, l’UJA Alfortville fusionne avec le Maccabi Paris. Nouveaux dirigeants, nouvel entraîneur, nouveau projet, et direction la sortie pour lui. Le moment d’un nouveau chapitre, avec le FC Chambly, en 2012. Un ami lui donne le numéro de l’entraîneur, Bruno Luzi. Un coup de fil puis un match d’essai plus tard, et Mafall débute la plus longue et intense aventure de sa vie.
Le club de l’Oise vient alors de monter en National 2. « On a fini deuxième, et je faisais partie des cadres (NDLR : 20 matchs) mais j’ai déchanté l’année d’après. Le club a beaucoup recruté, j’ai très peu joué (NDLR : 4 titularisations, 7 matchs). On est montés. Dans ces conditions, forcément, je n’ai pas été conservé, d’autant plus que je n’avais pas de contrat fédéral. »
Son retour à Chambly lié à un départ… la veille de la reprise !
Ce premier ascenseur émotionnel en appellera d’autres. Dans la foulée, le Sénégalais tente sa chance pendant une saison à Aubervilliers, en N2, sans succès (5 matchs en National 2).
Après cet échec, c’est le décès de sa mère qui le touche profondément. « J’étais à l’ouest, vraiment pas bien. Entre le foot et la famille, tout s’effondrait. J’ai failli tout arrêter » soupire celui qui prend alors une année sabbatique avant de rechausser les crampons à… Chambly ! Et, pour une fois, il doit son retour à un coup de chance. « Il fallait bien que je reprenne le foot, se souvient-il. J’ai appelé Bruno Luzi pour savoir s’il pouvait me relancer, même en réserve. Une semaine plus tard, il me répond que l’effectif est plein, qu’il est désolé… mais m’appelle finalement la veille de la reprise pour me dire de me pointer (sic) à 9 heures ! En fait, l’un des défenseurs, Hamidou Ba, vient de les informer qu’il signe ailleurs (sourire). »
Footballeur de National et… co-responsable d’une mercerie
Gonflé à bloc, Mafall Seck arrive déterminé à prouver sa valeur. S’il est d’abord cantonné à la réserve, l’impressionnante cascade de blessures qui frappe alors Chambly va changer la donne. Le 27 octobre 2017, à 25 ans, le défenseur est propulsé titulaire en National à l’occasion d’un déplacement malheureux (4-2) à Cholet, match de la 11e journée. Une récompense quasiment inespérée pour celui qui n’avait rien lâché mentalement en dépit de la fatigue cumulée entre le football et la mercerie de son oncle. Le footballeur y travaillait en parallèle tous les jours, ou presque, parfois jusqu’à 21 heures. « La famille, c’est le sang, il faut s’entraider, et mon oncle comprenait que le foot me rendait parfois indisponible à cause de certaines exigences, confie-t-il. Mais l’aider était une forme de respect, et ça me donnait un petit coup de pouce financier. C’était faisable : après tout, on s’entraînait le matin, j’avais du temps libre. Je ne jouais ni en Ligue 1, ni en Ligue 2, ça ne servait à rien de me prendre trop au sérieux. Je n’avais aucun complexe, et je n’avais pas à en avoir. Moi aussi, j’avais une voiture, et je ramenais même Christian Kinkela (NDLR : milieu offensif aux 29 matchs de Ligue 1 et 186 de Ligue 2) de l’entraînement chez lui, à Paris (sourire). »
Ses efforts seront récompensés par 13 matchs de National (5 passes décisives) mais, comme bien souvent, le tableau est assombri par une désillusion. S’il prend part à l’incroyable épopée de Chambly en Coupe de France, il manque le quart de finale victorieux face à Strasbourg (Ligue 1, 2-1) pour cause de suspension.
Plus difficile à vivre encore, il se casse le bras en réserve peu de temps avant la demi-finale, perdue contre les Herbiers (National, 2-0) devant plus de 35 000 spectateurs dans l’ambiance de feu du stade de la Beaujoire, à Nantes. « C’était atroce, peste-t-il. Le médecin me taquinait un peu quand il a su que je jouais à Chambly, m’a parlé de la demi-finale qui arrivait et m’a dit votre bras est cassé. Je pensais qu’il plaisantait, et il m’a montré les radios. Tout s’est écroulé. »
«L’impression d’être le bon soldat, la dernière roue du carrosse »
De cette période, le défenseur garde un goût amer dans la bouche. « Le football, c’est du talent, mais aussi de la chance, souffle-t-il. Chambly a toujours été correct et réglo avec moi, j’étais écouté et respecté. Mais, et peut-être que je me trompe, quand quelqu’un devait sauter, c’était Maf (NDLR : son surnom). J’ai parfois eu l’impression d’être considéré comme le bon soldat, celui qu’on envoie au casse-pipe, la dernière roue du carrosse. Bien sûr, ce n’est pas l’unique explication de ma blessure, mais j’avais joué en National le vendredi, puis j’avais renforcé la réserve le dimanche. Pendant ce temps, la plupart de mes coéquipiers étaient soit sur le banc, soit au repos. C’était déjà la même chose avant Strasbourg. »
C’est donc depuis les tribunes que le Sénégalais observe ses coéquipiers assurer le maintien sur le fil après une saison compliquée en championnat.
Les gradins, « Maf » les fréquentera tout l’exercice suivant, marqué par un recrutement haut de gamme et ponctué par une montée en Ligue 2. « Je n’ai pas fait la préparation à cause de ma blessure. Ensuite, c’était difficile de prendre le train en marche, même si le vent aurait pu tourner en début de saison. L’équipe avait du mal, et Bruno Luzi avait dit aux joueurs c’est le match de la dernière chance. On vous a donné du crédit parce que vous avez de gros CV, mais des gars comme Max (Hilaire) et Mafall ont les crocs, et n’attendent qu’une chose, prendre votre place. L’équipe a gagné, puis a commencé à tourner, le collectif s’est mis en place, ça devenait impossible de se faire une place. »
« Dans le foot, il n’y a pas de sentiments »
Impossible, comme l’idée de voir son rêve de signer un contrat pro avec son club, même s’il veut alors y croire en son for intérieur. « Quand, la saison précédente, il a fallu se casser le cul (sic) pour aller maintenir le club dans des matchs tels que Marseille-Consolat, je ne m’étais jamais caché. Après tout, le club serait sans doute descendu sans ses soldats. Alors, j’avais l’espoir que pour services rendus… Mais il n’y a pas de sentiments dans le foot. J’ai tout à fait compris : on peut tout me dire, tant que ça ne touche pas à l’être humain. Le président (NDLR : Fulvio Luzi) m’a dit que je n’avais pas été utilisé, donc qu’il ne m’offrirait pas de contrat. J’ai juste répondu que je n’avais pas choisi de ne pas être utilisé, et j’ai essayé de comprendre si j’avais fait quelque chose de mal pour passer de 15 matchs à zéro. Rien de grave, juste un peu de fierté… »
Son ambition, le défenseur ne l’abandonne pas tout de suite. Dans la foulée, un agent lui propose un essai à… Al Tadamon, un club de l’élite au Koweit. Un autre monde. « La ville est construite en plein milieu du désert. Il fait excessivement chaud, les équipes s’entraînent le soir. Et encore, même à 19 heures, il fait encore 30°C ! Il n’y a pas grand-chose à y faire, sinon se concentrer sur le foot. Financièrement, les contrats sont intéressants, autour de 6000 € par mois. Les infrastructures sont top. L’idée de s’y imposer est réaliste : le niveau n’est pas dingue. Les 3 ou 4 premiers clubs sont au niveau d’une National, voire Ligue 2, mais pour le reste, c’est National 2, et même National 3. C’est un bon tremplin pour essayer de se faire remarquer des meilleurs championnats voisins, le Qatar et l’Arabie Saoudite… »
Pied cassé à Chamalières puis COVID-19…
Mais l’aventure tourne court. Après une dizaine de jours, le directeur sportif, absent lors de son essai, l’informe à son retour que le quota de joueurs étrangers du club est dépassé. Le défenseur rentre en France : il pense rapidement rebondir à la suite d’un coup de fil d’Aboubakar Koné. Les deux joueurs se sont connus à Chambly, et son ex-coéquipier lui propose un essai à Chamalières (National 2). « C’était un super projet,se souvient Mafall. Je me suis vite mis d’accord avec le président, j’avais un contrat fédéral, un appartement, les entraînements se passaient bien… mais je me suis cassé le pied lors du premier match de championnat. J’étais dépité, j’ai résilié mon contrat et je suis rentré à Paris. »
Il rejoint rapidement sa famille au Sénégal, histoire de se soigner sereinement auprès de ses proches. Une belle idée… avant un nouveau coup de malchance. Le monde assiste à l’émergence de la pandémie de la COVID-19.
Quelques jours après son départ, les frontières se ferment les unes après les autres. Il reste bloqué dans son pays, et voit, au fil du temps, les championnats amateurs définitivement arrêtés par les instances fédérales. « J’avais été mis en contact avec l’entraîneur (NDLR : Sébastien Dailly) de Beauvais en National 2 par Eduardo Rodrigo et John Popelard, d’anciens coéquipiers de Chambly. Le coach m’a dit « tu n’as pas joué depuis longtemps, j’ai donc besoin de voir où tu en es. Viens t’entraîner, et si ça se passe bien, on te signe »… Forcément, tout est tombé à l’eau… »
Resté au Sénégal, le défenseur s’entretient physiquement avec le Dakar Sacré Cœur, un club de l’élite locale. Une nouvelle aventure en vue ? Rien de moins sûr. « Le foot pro, ici, c’est compliqué, conclut-il. Je ne l’exclue pas, mais les salaires moyens sont à 300 ou 400 €. J’ai l’impression de tourner un peu en rond. J’ai encore la passion, mais je me projette vers l’avenir. J’ai vécu du football amateur, mais contrairement aux pros, je n’ai pas gagné assez pour mettre des masses d’argent de côté (sic.). Si j’arrête, je vais repartir de zéro, et galérer pour faire mon trou, repartir en bas de l’échelle, comme je l’ai fait dans le football. Le temps passe, et ce qu’il me reste, c’est peut-être le moment de l’investir. Je suis bien entouré, ma famille est dans le commerce. »
Les priorités semblent donc avoir changé pour celui qui est jeune marié depuis peu de temps…
Texte : Anthony YATKIN – Mail : contact@13heuresfoot.fr
Photos : ERIC CREMOIS / Photosports