Son parcours, sa méthode, sa vision : l’entraîneur de La Duchère, âgé de seulement 32 ans, revient sur toutes les expériences qui ont jalonné son parcours et l’ont élevé à ce rang. Entretien long format avec un touche-à-tout, au profil atypique.
Jouer la montée en National à 32 ans n’est pas commun. C’est pourtant ce que s’échine à faire chaque week-end Jordan Gonzalez, l’entraîneur de Lyon-La Duchère, 3e de sa poule de N2, à 3 unités du leader Jura Sud.
Pur lyonnais, celui-ci évoque un parcours déjà riche de plusieurs expériences, entre directeur sportif, entraîneur d’équipes de jeunes, analyste vidéo ou responsable de pôle socio-éducatif. Qui font de lui un jeune coach en pleine réussite aujourd’hui.
Jordan, à 32 ans, vous êtes à la tête d’une équipe de National 2. Qui êtes-vous ?
J’ai commencé assez tôt à entraîner, vers 18 ans, à Givors (Rhône), un petit club de district de quartier. Avec les jeunes, j’avais la fibre, l’envie de partager, d’apporter un plus. Quand je jouais, j’étais défenseur, donc habitué à beaucoup parler, communiquer, guider. Souvent on me donnait le brassard de capitaine. C’était assez naturel. J’ai commencé à vouloir me professionnaliser, travailler dans le sport de manière global. J’ai eu une proposition du Cascol (à Oullins), qui était en reconstruction, un bon club formateur de la région lyonnaise. Ils me proposaient une alternance en passant un diplôme d’entraîneur, j’ai accepté, ce qui m’a permis de rentrer dans le monde du sport, professionnellement parlant. A l’issue du diplôme, j’ai enchaîné là-bas avec mon brevet d’état, à 21 ans.
« On m’a rapidement donné des responsabilités »
Des gens coachent assez jeunes, dans leur club, mais vous ça s’est accompagné rapidement d’autres responsabilités. Comment ça s’est passé ?
J’ai rapidement eu des casquettes dans ces deux clubs auxquelles je n’étais pas préparé. A 18 ans, j’avais déjà des 15 ans-16 ans à entraîner, et en arrivant au Cascol, j’ai eu un poste à responsabilité dans la direction, avec des décisions, du management, des projets socio-éducatifs à mener. J’ai touché à tout.
Je suis resté 7 ans au Cascol et j’ai pu entraîner à tous les niveaux, en district, en ligue, en seniors, en jeunes, toutes les catégories, avec toutes les casquettes, à la fois responsable socio-éducatif, directeur sportif, ou responsable de l’école de foot. Ça m’a permis d’expérimenter, de voir beaucoup de choses, d’échanger, de créer un réseau. Et de pouvoir me former de manière assez autodidacte, entre guillemets. J’ai fait des erreurs qui m’ont permis d’évoluer, me corriger, pour ne pas les reproduire. Et puis après 7 ans, j’arrivais un peu au bout de l’histoire. J’ai décidé de partir au FC Lyon, un très gros club formateur de la région lyonnaise.
Le début d’une – déjà – deuxième partie de carrière de coach, quelque part…
Au FC Lyon, j’ai eu en charge les U19 la première année, avec un objectif de montée en U19 nationaux. On finit premiers, mais on ne monte pas, à cause d’un calcul avec les cinq premiers de poule en France qui ne nous a pas profité. Mais on avait fait une très grosse saison. Le club décide de se séparer de l’entraîneur des U17 Nationaux la saison d’après, qui est l’équipe phare sur les jeunes, et ils m’ont proposé le poste. J’ai accepté la mission, ce qui a d’ailleurs permis de mettre en lumière mon travail, celui de mon staff, et les joueurs. On finit premiers de la poule C devant six centres de formation. Après ces 2 ans, je suis parti à Lyon-La Duchère, qui m’a sollicité et m’a offert une double-casquette, celle de deuxième adjoint et analyste vidéo de l’équipe en National, et celle de coach des U18. Cela fait maintenant quatre ans que j’y suis.
J’ai fait trois années, ou plutôt deux années et demie avec les U19 Nationaux, puis j’ai remplacé le coach des seniors en N2 l’an passé (en décembre 2021) après six mois avec les U19. Le club m’a sollicité pour mettre un nouveau projet en place : il voulait quelqu’un en interne, de frais, avec de nouvelles idées. Ils ont retenu mon profil pour le poste avec l’objectif de maintenir l’équipe en National 2, elle qui venait de descendre de National. On a réussi à l’avant-dernière journée, et cette année on est repartis sur des bases nouvelles, avec un projet où ça se passe plutôt bien, on ne va pas se plaindre !
« Le côté social et humain, c’est primordial pour moi »
Beaucoup d’entraîneurs ont été joueurs, puis coachs… Vous, on a presque l’impression que vous avez été joueur pour acquérir de l’expérience et devenir entraîneur !
Quand je commence à 18 ans, je ne me dis pas que je vais devenir entraîneur de foot professionnel et en vivre. Je suis plutôt dans une optique où je travaille dans le club de mon quartier, coach plus animateur de quartier à côté, que je vais devenir professionnel du sport, mais de manière générale. Et puis j’ai commencé à y prendre goût quand j’ai commencé à évoluer en termes de clubs, ça donne une certaine vocation, j’ai aussi vu différents profils (de postes). Et puis j’ai passé mes diplômes, je me suis senti à l’aise, et j’ai commencé à me professionnaliser.
On va dire que le déclic, ça a été après mon brevet d’Etat, vers 22-23 ans : là, je me dis que je vais en faire mon métier, que je vais vivre de ça. Être entraîneur en N2, à 32 ans, je ne m’y attendais pas en toute honnêteté, ce n’est pas quelque chose que j’avais programmé !
Ce côté « coach des jeunes » dans un club de quartier ou directeur de pôle socio-éducatif, ce n’est pas commun : on imagine que ces expériences irriguent aussi votre profil et façon de faire aujourd’hui…
Oui, après voilà, j’ai un profil assez atypique. Joueur, j’avais un niveau régional, et je n’ai jamais évolué à un haut niveau. J’ai arrêté très tôt car j’ai privilégié l’entraînement. Les deux horaires se chevauchaient, et j’ai dû faire un choix, difficile, car je reste avant tout un footeux, j’aime le foot et jouer au foot (sourire).
Mais c’est sûr que mes différentes expériences, mon vécu, c’est ce qui fait de moi aujourd’hui la personne que je suis, humainement, et je n’oublie pas d’où je viens. Je veux que mes équipes transpirent ça, dans le relationnel avec mes joueurs, le côté social, le côté humain, c’est pour moi primordial. C’est pour ça que je me sens bien à La Duchère, c’est un club qui fait beaucoup sur ces plans-là.
« J’avais une certaine appréhension, je me suis mis une pression »
Par rapport au relationnel, comment ça se passe avec votre âge ?
Quand j’ai signé 2e adjoint en National à La Duchère, j’ai eu cette barrière de l’âge, où même moi je me suis mis une pression par rapport à ça. Je me suis dit « je suis plus jeune, je vais être au contact de joueurs plus âgés que moi, qui ont joué pour certains en Ligue 1, ont un vécu, un niveau de jeu que je n’ai jamais eu, quelle crédibilité j’allais avoir pour leur parler, les conseiller, leur faire des remarques ? »
C’est vrai que j’avais une certaine appréhension. Mais mes deux années dans le rôle de 2e adjoint, j’avais une proximité avec les joueurs, un relationnel différent, et ça m’a permis de voir quels étaient leurs besoins, leurs attentes, comment ils évoluent dans le vestiaire à ce niveau-là, connaître les exigences du National, même les contrats, les primes, etc. Ça m’a permis de prendre pas mal d’informations, j’étais à l’affût de tout, je regardais tout ce qui se passait, les relations dans le staff, avec les joueurs, entre les joueurs. Et après on se sent de plus en plus à l’aise, et on ne fait plus attention à l’âge.
Quand je suis passé numéro 1 l’an passé, je n’ai pas parlé de mon âge, j’ai mis un cadre en place, je n’ai pas changé, je suis resté le même qu’avec les jeunes de 16 ou 17 ans. J’essaie de rester proche de mes joueurs. Après, je mets des barrières, et le respect doit être le même, que j’ai 50 ans ou 32 ans. Ça se passe bien, honnêtement, je suis ouvert et je dis les choses aux joueurs, et j’accepte aussi d’en entendre (rires).
« Avoir coaché des jeunes avant me sert beaucoup aujourd’hui »
Coach en jeunes, analyste vidéo, coach en N2. Déjà un sacré parcours…
L’aspect entraîneur de jeunes me sert beaucoup aujourd’hui. On a des générations qui changent, elles sont en décalage avec celles plus âgées, et avoir été coach me permet entre guillemets d’être à la page, me permet d’appréhender celle qui arrivent, ce ne sont plus les mêmes codes, que je connais. Je ne dirais peut-être plus ça dans vingt ans, mais aujourd’hui j’en profite (rires) !
Quand j’étais coach en jeunes, j’étais à outrance sur l’aspect jeu, avec le développement et la formation du joueur. J’essaie d’avoir un équilibre au niveau N2, avec les résultats, la pression de la direction. Mais j’essaie de garder cet aspect formateur.
L’outil vidéo, celui d’analyste, je l’avais ciblé, je voulais être formé sur ça, pour moi c’était important de le maîtriser. Il me sert également avec les nouvelles générations. C’est un métier qui est exigeant, usant, mais j’ai beaucoup appris. Les coaches nous écoutent, on a du recul, un œil différent; ça m’a permis d’ouvrir mon champ de vision, ma palette. J’ai « mangé » beaucoup de matches, tactiquement on voit des choses, flagrantes ensuite quand on les voit sur le terrain, ça m’a permis de gagner en traitement d’informations. Dans un match maintenant j’ai des habitudes qui me permettent de voir des choses de manière assez efficace par rapport à avant.
Quelles sont vos méthodes de travail à La Duchère ?
Déjà, j’ai un staff qui m’entoure. Je bosse beaucoup avec eux et je délègue beaucoup. L’idée, c’est que chacun trouve sa place et s’épanouisse dans son rôle. J’essaie d’alterner des séances où j’anime et où je prends du recul. Je n’anime que 30 ou 40% de la séance. Pour avoir un avis différent, être dans un relationnel et rôle différent, une fois donner des ordres, d’autres des conseils, être plus dans le recul et l’analyse.
Sinon, en méthode, je travaille tout avec ballon, jusqu’en veille de match. En lien avec le modèle de jeu qu’on met en place en début de saison, auquel on se tient et on se réfère. On le présente aux joueurs, pour qu’ils aient un outil et un fil conducteur, qu’ils sachent pourquoi ils font ça, pourquoi ils jouent, dans quel intérêt, quel objectif, avec une participation. Pour que ça leur donne un intérêt et une notion de plaisir, une envie d’être impliqué. Je trouve qu’ils sont plus réceptifs.
On a pas mal de temps dans la semaine où le projet de jeu est partie prenante, et des temps où on travaille sur le match et l’adversaire. Le plaisir est aussi au cœur du jeu, il y a beaucoup de travail porté sur l’offensif. Sur ma méthode, je mets un grand accent sur la transition. J’alterne aussi avec des entretiens individuels, sur l’aspect mental du joueur, des fois on va aller chercher le positif, ou aller chercher le positif pour ceux qui sont dans le négatif, et le travail sur la vidéo également, sur l’adversaire ou sur notre équipe, comment on peut s’améliorer.
« Je vois le foot comme un sport de spectacle, de plaisir »
Et ça marche ! Vous faites une excellente saison, dans une énorme bataille pour la montée, où vous êtes une des meilleures attaques de N2. C’est un cercle vertueux.
Comme je dis souvent aux joueurs, moi je n’ai pas connu le milieu professionnel, et je vois le football comme un sport de spectacle, de plaisir. On est tous des passionnés de ce sport, à la base, quand on s’inscrit pour jouer. C’est quelque chose pour moi qui doit se retranscrire et se voir sur le terrain. Une équipe qui ne prend pas de plaisir, c’est difficile.
Après, on adapte : aujourd’hui le championnat de N2 et l’exigence des résultats le requièrent aussi. Il faut faire le dos rond, délaisser parfois le ballon. Mais l’idée principale c’est d’être une équipe qui aime avoir le ballon, qui aime jouer, prendre du plaisir de manière collective, qui aime donner du plaisir aux personnes qui viennent voir le match, et donc du coup avec l’idée de vouloir marquer plus que l’adversaire.
On regarde avant tout l’aspect offensif, mais il y a également l’aspect défensif (sourire)… Cette saison, c’est vrai qu’on n’avait pas programmé un début de saison comme ça, en toute honnêteté. Il fallait reconstruire un groupe, avec des nouvelles recrues, 15 départs à l’intersaison, remettre une identité lyonnaise, avec des Lyonnais, repartir avec des jeunes aussi, remettre en avant la formation qui travaille bien ces dernières années. On a fait une première partie encourageante; à l’origine on jouait le maintien avec ces six descentes. Et de fil en aiguille, on a montré un visage offensif, des contenus encourageants, et on s’est dit qu’on avait quelque chose à jouer. Avec quelques renforts permis par les actionnaires, on est repartis sur les mêmes bases en 2023, avec des buts, on garde le côté offensif.
L’idée, c’est de faire durer ça sur les matches qui restent pour essayer d’aller chercher la montée, même si ce n’était pas programmé au début. Aujourd’hui, on va la jouer jusqu’au bout, essayer de gagner du temps dans le projet du club qui est de retrouver le National.
Moi, au quotidien, ce n’est que du plaisir, je suis avec un staff que j’ai choisi, avec qui ça se passe bien, j’ai une relation de confiance avec le club et ma direction. Le club est reparti sur une dynamique positive après deux saisons compliquées, dans le sillage de notre saison actuelle, qui redonne du baume au cœur. Le club travaille bien comme sur les jeunes, tous nos feux sont au vert, on avance dans le bon sens, avec un gros effort de restructuration les dix dernières saisons. Cela paie aujourd’hui. Ils m’ont donné les clefs de l’équipe fanion pour que Lyon-La Duchère retrouve la place qu’il mérite, a minima le National, avec la volonté de mettre le club en Ligue 2 à moyen-long terme. C’est quelque chose qui est dans les têtes de tout le monde. Pour le National, ce n’était pas prévu cette année, mais si on peut aller chercher le Graal de la montée, tant mieux, on ne va pas se priver (sourire)…
Jordan Gonzalez, du Tac au Tac
Meilleur souvenir ?
La belle saison au FC Lyon avec les U17 nationaux. On avait atteint la 1ere place du championnat et les play-offs, une première en Rhône-Alpes et dans la poule où on était. Devant Auxerre, l’ASSE, l’OL, Clermont, pour un petit club amateur c’était fort et valorisant pour les jeunes.
Pire souvenir ?
Une élimination en Gambardella lors de ma 1ere année à Lyon-La-Duchère. On joue le TFC, on perd 3-0. C’était un match où on a été en difficulté et je n’ai jamais su trouver la solution, répondre à la problématique posée, contre une équipe qui avait très bien préparé son match.
Vous êtes un coach plutôt ?…
Offensif-agressif (rires).
Des modèles ?
Je m’inspire de beaucoup de coaches. Après j’ai beaucoup aimé le travail de Bielsa depuis des années, avant qu’il soit à Marseille, depuis qu’il était à Bilbao, sa philosophie, justement portée sur l’offensif mais avec un état d’esprit agressif… J’aime ensuite Diego Simeone, dans un registre différent, son côté agressif aussi, et après Guardiola, Arteta.
Un président marquant ?
Mon président actuel, Jean-Christophe Vincent. Il m’a donné ma chance à un niveau où très peu de monde l’aurait fait. C’est quelqu’un envers qui j’ai une très grande reconnaissance.
Un joueur favori ?!
Le joueur qui me fait rêver, c’est Carles Puyol.
Un joueur que vous avez entraîné qui vous a marqué ?
Isaac Hemans, qui a fait l’OL, le PSG, là actuellement à Bastia-Borgo en National, et Farès Chaïbi, au TFC aujourd’hui.
Un stade de rêve ?
Le stade de Boca, qui marque par son ambiance, son architecture. Et sinon, où j’ai joué, le stade de Laval, sa qualité. L’ambiance, une pelouse de qualité, etc. !
Un club où vous rêveriez de coacher ?
Le FC Barcelone.
Texte : Clément Maillard / Mail : contact@13heuresfoot.fr / Twitter : @MaillardOZD
Photos : Lyon – La Duchère