Louis Poggi : « C’est le passé qui fait que le Gazelec continue de vivre »

Le président de l’association GFC Ajaccio, présent à Mezzavia depuis 23 ans, évoque avec émotion, détermination et ambition son nouveau rôle. Et entend bien inculquer le respect des anciens, des parents et de la vie en général aux jeunes appelés demain à faire grimper le club (Régional 2) dans les divisions supérieures.

Photos @13heuresfoot

Louis Poggi est trop humble pour le dire mais sa nomination à la tête de l’association Gazelec Football-club d’Ajaccio, le 11 février dernier, résonne comme une évidence. Qui mieux que lui pour inculquer les valeurs du club et les valeurs de la vie – il emploie beaucoup les mots « respect », « anciens », « histoire » -, celles totalement inhérentes à l’institution Gazelec. Oui, parce que le Gaz, qu’il soit en Ligue 2 ou en Régional 2, est une institution.

Ce matin de juillet, il est tôt à Ajaccio. Le mythique stade de Mezzavia (ou stade Ange-Casanova), dont l’atmosphère, l’architecture, l’odeur et l’âme demeurent uniques, est déjà ouvert. Il y a toujours cette cage au fond, au-dessus du toit du supermarché attenant. Et ces peintures Rouge et bleu certes un peu abîmées mais qui donnent du cachet à ce stade dont l’herbe, haute et jaunie, laisse penser qu’il est à l’abandon.

« La pelouse, on m’en parle souvent, mais ce n’est pas le chantier le plus important aujourd’hui » lance d’emblée Louis Poggi, 39 ans, présent dans le club house aux côtés d’Alex Da Costa, le responsable du nouveau centre d’hébergement pour les joueurs U17 et U19 Nationaux, et également éducateur en U9 et U14.

Le 28 février dernier, le tribunal de commerce d’Ajaccio a placé la SAS qui gérait les deux équipes seniors (National 2 et Régional 2) en redressement judiciaire. Mais l’association, elle, a été sauvée. Ce qui a permis aux équipes de jeunes de terminer la saison et au GFCA de se restructurer. Car le club va repartir en Régional 2 en seniors, au niveau de sa réserve, tandis que les jeunes batailleront en championnats U17 et U19 Nationaux.

Ce matin, Louis Poggi offre le café. Le jeune président va répondre à nos questions. Ensuite, il prendra la route qu’il connaît par coeur pour Bastia, sa ville natale, où sont toujours installés ses parents. Tout au long de l’entretien, qui a duré plus d’une heure, il n’a cessé de poser ses yeux sur le stade, de tourner la tête vers cette enceinte qui représente tant de choses pour lui. Parfois ému, souvent déterminé, Louis Poggi s’est confié sur le Gaz. Comme une introspection. Quelque part, c’est comme s’il s’était confié sur lui.

INTERVIEW / « Je serai un président prévoyant »

Louis, pourquoi, à 39 ans, voulez-vous arborez cette double casquette de joueur-président ?

Parce que je veux aider le club, au sens large du terme, aider le coach aussi (Jean-Marie Ferri), et faire le tampon entre lui, les joueurs et la direction. En cas de besoin, je jouerai. La saison passée, en National 3, j’avais effectué une première préparation tout seul, pendant deux mois avant la reprise officielle avec l’équipe, parce que j’avais pris du poids. J’avais perdu mes 12 ou 13 kilos en trop. Bon, là, j’en ai repris 5 ou 6… J’étais dans le groupe assez fréquemment, j’ai dû disputer deux ou trois matchs titulaire. Parce qu’il fallait montrer un peu le chemin aux autres, d’autant plus que l’on avait eu du mal à commencer le championnat. Malheureusement, on sait ce qu’il est advenu du club…

Montrer le chemin, c’est ce que vous allez recommencer à faire cette saison…

Je vais recommencer à jouer un peu avec eux pour inculquer certaines valeurs parce que c’est tout nouveau, il va vraiment y avoir des nouveaux joueurs. On repart en Régional 2 et j’avoue que ça m’a fait mal. Quand j’ai appris ça, j’étais sonné, dans les cordes. Mais après, il faut vite relever la tête parce qu’il y a un dernier défi sportif et celui-là, il n’est pas petit, c’est vrai, mais il est excitant.

Vous n’avez pas peur de vous égarer avec cette double casquette ?
Pas peur, non. Je n’ai pas peur de jouer, parce que cette responsabilité du terrain est plus simple que celle de président.

Quel type de président êtes-vous, serez-vous ?
Je serai un président jeune et prévoyant même si le Gaz est un club imprévisible. Un président qui apprend vite.

« Sans les parents, on ne serait plus là »

N’avez-vous pas l’impression d’être face à l’Everest ?

Ecoutez, pendant des mois, on avait la tête baissé, on n’avait pas le temps de la relever. Là, je pense que fin août, on va commencer à le faire. Parce qu’on a des choses importantes qui nous attendent. Depuis le mois de février jusqu’à aujourd’hui, on n’a pas arrêté. Sincèrement, je ne pensais pas qu’il y avait autant de choses à faire et qu’on en ferait autant. Notamment sur le plan administratif, qui n’est pas notre domaine et que nous n’avions pas forcément prévu non plus. Mais on a réussi à avancer tout doucement avec des personnes compétentes, je les remercie, je ne les citerai pas de peur d’en oublier ! Je remercie aussi les associations, celle des partenaires les « socios », les « I Diavuli » (supporters) et l’Amicale des anciens. Et je n’oublie pas les parents, qui ont vraiment fait un travail énorme pour nous soulager dans pas mal de domaines : sans eux, on ne serait plus là.

« C’est le défi administratif qui m’inquiète »

Quels rôles ont joué les parents dans la reconstruction du club ?

Ils l’ont valorisé, ils se sont mobilisés : par exemple, on a fait un tournoi, ils étaient 50 ou 60 bénévoles, parents. Il y a eu un bel élan de solidarité. On a fait une fête pour les remercier. C’est pour ça qu’on se bat tous. On voit qu’il y a des amoureux de ce club. On voit qu’on a fait tout ce travail là pour arriver à créer des choses que l’on pensait irréalisables à un moment donné. Tout doucement, ça prend forme.

Quand on vient à Mezzavia, comme nous ce matin, l’état de la pelouse peut choquer, surprendre…
Oui, mais la pelouse, ce n’est pas grave, ce n’est pas un défi qui m’inquiète. C’est le défi administratif qui m’inquiète même si je suis un peu plus serein maintenant, car les choses se mettent en place tout doucement, les finances aussi.

Le club est en redressement judiciaire donc automatiquement on est aidé, scruté, regardé encore plus, mais ça nous rassure car on est novices. Des erreurs, on va en faire. Je vais en faire. Mais seul, on ne fait rien. Moi, je suis juste l’image, le représentant. J’ai fait le manoeuvre ici, j’ai aidé à déménager, j’ai porté des sacs, comme si c’était chez moi. Quelque part, Mezzavia, c’est chez moi, c’est chez nous, c’est notre jardin, notre maison. On aurait pu laisser le club et en créer un autre mais non…

La SAS (la société commerciale qui gérait l’équipe fanion de National 3) n’existe plus. Le club vit en association et on va essayer de faire vivre cette association.

« Il ne s’agit pas de végéter en Régional 2 »

Sur le terrain, puisque vous comptez encore jouer un peu, allez-vous également vous immiscer dans le secteur sportif ?

Non. Je ne veux plus m’autoriser à parler de football car je ne veux pas influencer les choses, ni m’immiscer dans le domaine sportif. J’ai toujours détesté que des présidents ou des dirigeants fassent ça, imposent des joueurs par exemple. Je ne fais pas partie de ce monde-là. Je ne vais pas faire ce que j’ai critiqué. Sauf que l’on me demande beaucoup de choses. Bien sûr, il y a des objectifs qui sont importants, comme maintenir nos U19 Nationaux et nos 17 Nationaux, et pour l’équipe fanion, il ne s’agit pas de végéter en Régional 2, ça c’est certain. On a construit une équipe pour accéder en R1, et après on verra. On ira étape par étape. Aujourd’hui, ce sont ces enfants-là qui feront monter le club. Ce n’est pas moi. J’essaierai juste d’apporter ma façon de voir les choses, mon identité, avec le coach, et dans six mois, l’idée, c’est de me détacher du terrain pour faire grandir le club d’une autre façon. Je ne serai plus sur le terrain.

L’identité, les valeurs, c’est vraiment quelque chose qui vous tient à coeur…

Ce club a une identité, et il faut une équipe première pour que les enfants puissent s’identifier. C’est comme dans la vie de tous les jours. Mes enfants – il est papa de deux garçons, Raphaël et Andria – s’identifient à moi, donc je n’ai pas le droit à l’erreur, de leur montrer des mauvaises choses. Je dois être irréprochable. Façon de parler. Je peux quand même boire une bière ! Mais si je ne dis pas « bonjour », « merci », « s’il te plaît », des trucs simples de la vie de tous les jours, s’il n’y a pas ce respect…

Ici, j’ai envie de mettre en place ça et je réussirai. Si demain les enfants doivent partir, qu’ils soient restés un an ou dix ans au club, ils pourront rentrer dans la vie active, avec le respect de la vie, des gens, de leurs parents, ils pourront voler de leurs propres ailes. Et si on a un ou deux jeunes qui réussissent dans le foot, tant mieux, mais je ne table pas sur ça; car il n’y a pas que le football, c’est juste une étape, une période de la vie. Il y a des choses plus importantes. Comme l’école. Parce que des Zidane et des Ronaldo, il n’y en a pas tout le temps.

A quoi pensez-vous quand vous regardez la pelouse, les tribunes, le stade, comme vous le faites là ?
Quand je regarde le stade… Je suis triste. Beaucoup de choses me rendent triste. Je me bats. Je suis triste de beaucoup de choses, parce qu’il y a 7 ans de ça, on était en Ligue 1. Quand je regarde le terrain, je me vois moi en train de jouer.

Bien sûr, le Gazelec a côtoyé la Ligue 1 pendant une saison (2015-2016), tout le monde ne parle que de son passage dans l’élite, pourtant, dans notre esprit, c’est plutôt un club estampillé Ligue 2…

Oui, vous avez raison, mais ça, tout le monde ne l’a pas compris. De la même manière que moi, j’avais compris que j’étais un joueur de Ligue 2, pas plus, je connaissais mes limites, même si j’ai fait des matchs en Ligue 1. Et si on avait compris ça, la vie du club aurait été différente.

« Refaire vivre ce stade, refaire venir du monde, rendre des gens heureux »

Vous semblez avoir des regrets…
Non, je fais juste des constations, et je n’ai aucun regret. J’aime les risques, mais j’aime les minimiser. Je ne veux pas aller au-delà. Parfois, je parle tout seul. Au moins, personne ne m’entend.

Et quand vous vous parlez tous seul, vous vous dîtes quoi ?

Je me dis que les personnes qui ont fait grandir ce club ne méritaient pas ça. Je ne parle pas uniquement des personnes qui étaient là quand le club a chuté, parce que ça c’est la vie sportive, ce sont les aléas, mais qu’ils soient traités de la sorte, ça me dérange, parce que je suis arrivé en 2000, j’étais à intérieur; on est en 2023, je suis encore là, et je sais ce que toutes ces personnes ont fait. Ils ont fait des erreurs, mais ils n’ont pas fait de mal. Ce n’est pas la même chose.

C’est quoi, votre rêve pour le Gaz, aujourd’hui ?

Mon rêve ? J’en ai plein. C’est plus un souhait : j’ai envie que l’on reconstruise ce club, et après, le faire monter étape par étape. L’important aujourd’hui ce sont les enfants, ce sont eux qui vont faire monter le club. Je suis arrivé à l’âge de 16 ans ici. J’ai fait partie de ces jeunes qui ont fait monter le club. Jusqu’au plus haut niveau. Refaire vivre ce stade, refaire venir du monde, rendre des gens heureux, voilà ce que je veux. On va y arriver, mais ça va prendre du temps. Mais avant tout, je veux qu’on laisse le Gaz tranquille déjà. Qu’on n’arrête de parler pour rien. Je trouve que c’est de l’acharnement. Et comme c’est mon club… Peut-être que je ne suis pas objectif. Je parle par amour, mais c’est un peu trop. On a puni des gens, pour moi, à tort. Après, chacun voit les choses comme il veut.

Louis Poggi, du tac au tac

« Sans les anciens, le Gazelec n’existerait pas »

Meilleur souvenir sportif ?

La montée en Ligue 2 en 2013 avec le Gazelec en 2012 et on fait demi-finale de Coupe de France la même saison. Ce n’est pas anodin. On perd 4 à 0 contre Lyon ici, enfin, pas ici, « en face », chez les voisins, parce que notre stade ne pouvait pas accueillir ce match-là. Bon, je pense qu’aujourd’hui, il ne pourrait pas l’accueillir non plus (il regarde la pelouse…) mais voilà… C’est mon meilleur souvenir. La montée en Ligue 1 fut belle aussi mais là, cette accession en L2, c’était le début de l’aventure, parce que tout est parti de là. C’étaient les débuts de l’ascension du club qui a pris une autre dimension à partir de ce moment-là.

Pire souvenir sportif ?

Mon départ d’ici en 2017, que j’ai mal vécu, parce que je ne m’y attendais pas. Cela a été brutal. Je ne pensais pas que cela me ferait aussi mal. J’ai pris le temps de digérer ça. Ensuite, je suis « monté » sur Bastia jouer au FC Bastia Borgo, en CFA, puis j’ai joué en N3 au Sporting-club de Bastia où on a fait cette accession en National 2 (saison 2018-2019). Et après je les ai laissés faire leurs aventures.

Pour quelle raisons n’aviez-vous pas été conservé au Gazelec en 2017 ?

C’est un amalgame de beaucoup de choses. Je ne rentrais plus trop dans les plans du coach. Le club prenait un autre virage mais bon, moi, ici, à Mezzavia, je n’ai que des bons souvenirs. Les mauvais souvenirs, je les laisse de côté. Si je suis encore là aujourd’hui, c’est qu’à un moment donné, j’ai tourné la page. Mais oui, cela m’a fait mal, plus en tant qu’homme que joueur de foot.

Passer du Gazelec au Sporting-club de Bastia, cela n’a pas été compliqué ?

Non, pas compliqué, car je suis Bastiais, je suis né à Bastia, j’ai toute ma famille là-haut. Ce n’est pas pareil. Le Sporting, c’est un autre club, c’est différent, il n’a pas d’égal en Corse. Le Sporting, c’est vraiment une histoire et un peuple derrière un club. On voit ce qui s’est passé depuis le National 3 jusqu’en Ligue 2, en l’espace de 4 ou 5 ans, c’est énorme. Après, mon club, c’est le Gaz. Le Sporting, j’y ai passé une belle année, on a perdu contre Caen en coupe de France après un beau parcours aussi. Je ne regrette rien.

Je voulais dire, passer du Gazelec à Bastia, dans le sens… enfin, il y a une rivalité tout de même entre les clubs…

Oui, il y a des rivalités, maintenant, voilà, je suis arrivé à Bastia à un âge où cette rivalité était effacée. J’ai été bien accueilli. Ils ont fait la part des choses. C’était sympa.

Vous êtes Bastiais, et pourtant, votre club, c’est le « Gaz » ?

En fait, je suis parti en 1998 à Nantes à l’âge de 14 ans et après 2 ans au centre de formation là-bas, j’ai atterri ici où j’ai vraiment trouvé un beau club, un esprit de famille, et je n’ai plus bougé.

Si le Gaz était allé au bout du championnat de N3 la saison passée, aurait-il fini devant Cannes qui a été promu en N2 ?

(Catégorique) Bien sûr ! Vous avez vu, je n’ai pas hésité.

Combien de cartons rouges dans votre carrière ?

Une dizaine, maximum, ça ne me paraît pas énorme. J’ai même été suspendu sans prendre de carton ! La saison dernière, en National 3, je n’ai pris que deux jaunes, j’ai fait quelques bêtises, mais bon… Je n’ai pas beaucoup joué, je ne voulais pas jouer beaucoup de toute façon, je n’étais pas revenu pour ça. Sauf quand ils avaient besoin de moi, comme pour les matchs importants, comme contre Cannes chez nous : on perdait 1 à 0 et je rentre, on a gagné 2 à 1, j’étais là pour mettre un peu la panique.

Le meilleur match de votre carrière ?

Je ne peux pas en dégager un… Je ne me suis jamais trop dit que j’avais fait un excellent match… Après, si je dois en sortir un, je dirais le match de la montée de National en Ligue 2 avec le Gaz, à Epinal, en 2012. J’ai marqué le but de l’accession (1-1).

Un de vos pires matchs ?

Y’en a eu quelques-uns, en Ligue 2, la première année où on est monté… La pelouse, c’était comme ça (il montre la pelouse actuelle, dans un sale état…), ça a vraiment été compliqué cette première saison. On a joué cinq matchs à Gueugnon parce que notre terrain était suspendu, on s’est dit, « bon maintenant ça suffit, il faut arrêter les conneries » (rires) !

Plus beau but marqué ?

Et bien c’est quand je mets cette frappe à Epinal, en dehors de la surface, je ne sais pas pourquoi, et cela permet de monter en Ligue 2.

Combien de buts marqués ?

Maximum une quarantaine. C’est pas mal. J’ai marqué aussi contre mon camp. Et des beaux csc !

Pourquoi avez-vous choisi d’être footballeur ?

A la base, le foot a toujours été un loisir, un amusement, je suivais les copains dans un club qui s’appelait l’AJ Biguglia, mais qui a fusionné depuis (avec l’Etoile Filante Bastiaise en 2020 pour donner naissance au FJE Biguglia), et en 1998, à 14 ans, j’ai eu cette opportunité de partir au centre de formation de Nantes. J’en ai discuté avec mes parents. J’ai participé à quelques tournois, il y avait des recruteurs, mon nom a circulé, et ça s’est fait comme ça. Après, une personne qui me connaissait a poussé dans cette direction, Sadek Boukhalfa (ancien de Nantes et Bastia) m’a recruté, via monsieur Guy Hillion, et voilà, je suis parti. Je ne savais pas trop où j’allais. Les deux ou trois premiers mois, tous les soirs je faisais mon sac et je disais à mes parents « Je rentre ». Il y avait mon petit ange, mon père, qui me disait « Tu rentres », et le diable, ma mère, qui me disait « Tu restes », et je suis resté. Au final, c’est elle qui avait raison. Finalement, j’ai appris pas mal de choses à Nantes, où je me suis émancipé. Et de là, je me suis dit, « c’est possible d’être footballeur ». Après, à mon retour à l’âge de 16 ans jusqu’à mes 26 ans, y’a rien qui s’est passé, même si j’avais joué 2 ans en National à Toulon. Et là, je me suis dit, « Allez, j’essaie encore un an et après j’arrête ». J’avais déjà commencé à investir à côté du foot. Et c’est là qu’on est monté en Ligue 2 avec le Gazelec.

Comment avez-vous atterri au Gazelec à l’âge de 16 ans ?

Par l’intermédiaire du directeur sportif ici, Dédé Di Scala, et après Nantes, je n’avais plus envie de bouger de la Corse.

Premier match en seniors au Gaz ?
Contre l’Ile Rousse ici, en CFA, j’avais 17 ans, on m’a dit « Viens jouer », je n’habitais pas loin. J’avais pris mon sac. J’avais une petite moto. Il n’y avait que des adultes. Je m’entraînais avec eux jusqu’au jeudi à l’époque et le vendredi, je partais avec les 18 ans Nationaux. J’ai joué, et je n’ai plus quitté l’équipe de Jean-Luc Lucciani. Et la saison d’après, on est monté en National.

A Nantes, avez-vous côtoyé de futurs joueurs de Ligue 1 ou d’autres qui sont restés des amis ?
Jérémy Toulalan, Emerse Faë, et aussi Mathieu Moreau, Mickaël Fabre. Milos Dimitrijevic, aussi, qui est le parrain de mon fils. On était en chambre ensemble.

Et au niveau des entraîneurs ?

J’ai eu Franck Maufay. Et aussi Serge Le Dizet avec qui ça ne s’est pas bien passé du tout : il avait eu des paroles un peu déplacées, et comme j’étais sanguin, je lui ai très très mal répondu. Je n’étais pas comme ça mais quand on sous-entend que c’est presque une maladie d’être corse, ça ne passe pas… Une fois, deux fois, dix fois… Il avait dit aussi que je n’allais pas réussir… Et puis un jour on s’est revu, ici, pour un match de Ligue 2 ou de Ligue 1, je ne sais plus, il était entraîneur adjoint à Angers avec Stéphane Moulin. Les bancs étaient là-bas (il montre l’autre côté du terrain), et y’a un ballon qui arrive : en fait, je lui ai tiré dessus, dans la tête. Alors je ne sais pas s’il se souvenait de moi, mais je pense qu’après ça, oui…

Rancunier ?
Je suis rancunier avec ces personnes là. Ces personnes qui jugent. Si demain on me met dehors, je m’en fous. Je ne demande pas d’explication. Par contre, quand on juge, ça me dérange.

Le coach emblématique du Gazelec, c’est qui selon vous ?

C’est Pierre Cahuzac. C’est lui qui a fait que ce club, à un moment donné, a gagné des titres. Je ne l’ai pas connu mais je me suis imprégné de ça. Je me suis documenté quand je suis arrivé ici. Il a fait beaucoup de choses ici. Il a un stade à son nom à Pietralba.

Le joueur emblématique du Gazelec, c’est qui selon vous ?

(Il réfléchit). Je ne sais pas.

Il n’y en a pas un qui sort du lot ?

Certainement.

Vous ?

Non… Certains vont dire que c’est moi, mais en fait, je ne cherche pas cette reconnaissance-là, ce n’est pas mon truc. Des joueurs emblématiques du Gazelec, il y en a quelques-uns : Cahuzac en fait partie aussi, il y a joué. Mais en sortir un…

Le match historique du Gazelec, c’est lequel ?

Le club a été champion de France amateurs en 1963, y’a 60 ans, à Brest, contre Brest, victoire 6-1. On a fêté ça cette année. Là encore, je n’ai pas connu ça, j’ai vu des images. Je pense que ça fait partie de l’histoire du club, au même titre que l’accession en Ligue 1 par exemple. Et je pense que c’est ça qui fait que, comme je dis souvent, c’est le passé qui fait que le Gazelec continue à vivre. C’est important de le dire. Ce n’est pas ce que l’on fait nous, aujourd’hui, qui fait vivre le Gazelec. Bien sûr, ça le fait fonctionner au présent, mais il fallait un passé, et c’est ce passé qui fait que l’on peut continuer, nous, à faire quelque chose parce que je pense qu’à l’époque, c’était beaucoup plus compliqué. On a quand même la structure, qui nous appartient. Pour moi, s’il n’y a pas de passé, il n’y a pas de présent. Sans les anciens, il n’y aurait pas eu de club.

Votre idole de jeunesse ?

Je n’avais pas d’idole, de modèle… Mais celui qui m’a le plus impressionné dans sa manière d’être, c’est Eric Cantona. Je ne peux pas parler de modèle. J’aimais son charisme et sa façon de voir les choses : je pense que c’est un mec qui a des valeurs, et le football a perdu ces valeurs-là. Quand, comme moi, on a connu le monde amateur et que l’on arrive dans le monde pro, on voit vraiment tous les mauvais côtés, et malheureusement les joueurs de foot prennent les mauvais côtés du monde professionnel : le « m’as-tu vu » et tout ça, ça ne m’a jamais trop plu.

Qualités et défauts sur un terrain, selon vous ?

Mon défaut… J’en avais plein. J’étais un peu fou-fou, je m’énervais dans tous les sens, je pouvais m’égarer tactiquement. Après, ma qualité, c’est que j’étais un combattant, je ne lâchais jamais rien, j’allais plus ou moins vite à une certaine époque et techniquement j’étais à l’aise, les centres, les passes, le jeu long, je n’avais pas de difficultés à ce niveau-là. Voilà, maintenant, ce que j’ai fait, je l’ait fait, je pense que je ne pouvais pas faire plus. J’ai toujours su que mon niveau, maximum, c’était Ligue 2, même si j’ai un peu touché à la Ligue 1.

Qualités et défauts dans la vie ?
Je suis généreux, gentil jusqu’à un certain point. Mais la gentillesse, ici, sur cette île, ça peut être un défaut… Ce n’est pas parce qu’on est gentil qu’on est con. Et je peux être très con. Quand j’ai envie de faire quelque chose, j’y vais, je sais que je vais le faire. Par exemple, là, en ce moment, je sais que j’ai des gens dans le nez, et je vais être très con avec eux. Je le sais pertinemment.

Que vous a-t-il manqué pour être un joueur de Ligue 1 ?

Il ne m’a rien manqué, c’est juste que la vie a fait que… à un moment donné, chacun son niveau. J’aurais pu jouer en L1 si j’avais été pro plus tôt, si j’étais resté à Nantes jusqu’à 20 ans par exemple, peut-être. Je suis arrivé de Nantes au Gazelec à 16 ans, avec d’autres structures, d’autres méthodes, voilà.

L’erreur de casting de votre carrière ?

Je ne regrette rien. Et pour moi, j’ai même fait trop de clubs. Allez, y’en a peut-être un ou deux où je n’aurais pas dû aller. Mais je les ai faits. Bon, là j’ai fait Bastia, l’AJ Biguglia, Bastia-Borgo, mais c’était pour aider, valoriser le football en Corse : je trouve que c’est important que les joueurs d’ici, quand ils arrêtent leur carrière pro, fassent un peu le tour et valorisent le football insulaire. Cette année, je vais rejouer un peu en Régional 2 quand je pourrai, j’y ai joué y’a 2 ans, ça ne me dérange pas.

Un président marquant ?

Ils m’ont tous plus ou moins marqué, chacun avec leur méthode et leur façon de faire. Ils ont tous contribué à aider le club, même si certaines personnes essaient de les faire passer pour ce qu’ils ne sont pas. Ce qu’on leur met sur la tête me dérange. Je ne veux pas trop m’exprimer sur ce sujet-là parce que je ne veux pas leur porter préjudice, mais je ne pense pas que les gens ici, et je les connais bien, n’ont pas tout mis en oeuvre pour aider le club. J’ai rarement vu des présidents nettoyer les terrains, tondre la pelouse, mettre le bleu de chauffe, et tous les présidents que j’ai croisés ici, je ne parle pas de Fanfan (Tagliaglioli) qui a été le président d’honneur et qui n’avaient pas à faire ça, mais tous les autres ont mis le bleu de chauffe et aujourd’hui, ça me dérange qu’on les fasse passer pour ce qu’ils ne sont pas. Maintenant, ce ne sont pas mes propos qui feront que leur étiquette s’en ira, mais nous, on met tout en oeuvre pour montrer aux gens que le Gazelec est un club sain, qui dégage des valeurs et une mentalité hors du commun.

Le joueur le plus connu de votre répertoire ?

Bréchet, je pense que c’est lui. Cahuzac. Leca. François Modesto. J’ai un petit répertoire de joueur insulaire aussi.

Vous étiez un joueur plutôt…

Fou. Après, fou, ça veut dire beaucoup de choses. Il ne faut pas y voir que le sens péjoratif. Fou parce qu’à certains moments je suis resté au club. Fou parce que je suis encore là aujourd’hui. Il peut y avoir de la bonne folie.

Le joueur qui vous a le plus impressionné comme adversaire ?

L’année où on a joué en Ligue 1, j’en ai vu quelques-uns, Ibrahimovic… Un joueur qui m’a impressionné, c’est Bernardo Silva : j’étais sur le banc, il avait fait un débordement devant moi, et l’image que j’ai, c’est que nous on était en trottinette et lui en T-MAX. Il volait sur le terrain.

Une bagarre marquante ?

Oui, c’était contre Bastia-Borgo en National 2, le match a été arrêté, la bagarre a duré facilement un quart-d’heure, et un quart-d’heure c’est long. Sans prendre de carton, j’avais pris 6 matchs de suspension après un rapport. C’était parti de là (il montre le poteau de corner) et en fait, ça ne s’arrêtait plus. On jouait la montée. On menait 1 à 0. Le match a été donné à rejouer, et on a fait 1 à 1. Aucune des deux équipes n’est montée cette saison-là.

Un coéquipier marquant ?

J’ai aimé jouer avec certains, comme Anthony Colinet, on avait une certaine complicité : il est entraîneur aujourd’hui à Bastelicaccia. Après, en dégager un ou deux… Y’a eu aussi le petit Loïc Dufau. Je ne veux pas en dégager un plus que les autres. Y’a eu aussi Jérémie Bréchet, mais c’est facile de s’entendre avec ces gars-là, qui ont côtoyé le très haut niveau. Je préfère dégager un ensemble. En fait, même si je ne m’entendais pas avec tout le monde, même si je n’avais pas d’affinités avec tout le monde, ce qui est normal dans un vestiaire, j’arrivais à faire la part des choses sur le terrain. J’étais capitaine donc je devais fédérer, défendre tout le monde : j’étais le tampon entre la direction et les joueurs, j’avais plusieurs rôles.

Un coéquipier perdu de vue que vous aimeriez revoir ?

Le gardien Lucas Rastello. C’est lui qui avait joué lors de l’épopée en coupe de France jusqu’en demi-finale en 2012 alors qu’il n’était pas titulaire en championnat, c’était Clément Maury qui jouait. C’était la personne au bon endroit au bon moment. Une belle personne.

Un coach perdu de vue que vous aimeriez revoir ?

Je continue de voir tout le monde. Je suis en contact avec la plupart, même Thierry Laurey que j’ai de temps en temps au téléphone, Dominique Veilex aussi. J’avais eu un formateur au FC Nantes, Jean-Claude Baudoin, c’était un personnage, je l’ai eu au Centre à Saint-Sébastien-sur-Loire. Alors je dirais lui.

Un coach que vous n’avez pas forcément envie de revoir ?

Oui mais je ne dirais pas son nom.

Une causerie de coach marquante ?

Tous les coachs ont eu des causeries qui m’ont donné la chair de poule et qui m’ont donné envie de manger l’autre sur le terrain…

Votre club de coeur (autre que le Gazelec) ?

Ce serait le SC Bastia s’il devait y en avoir un autre mais…

Un stade (autre que Mezzavia) ?

J’aime bien Furiani. Mais je n’ai jamais été fan de tel ou tel club, je vais voir des matchs un peu partout, mais je ne m’identifie pas à tout ça. Je m’identifie là, au Gazelec, où j’ai connu des personnages qui m’ont fait faire ce que je fais là, comme l’ancien président Fafan Tagliaglioli (ému), je parle de lui, c’est vraiment une personne qui m’a touché, il a été le papa de tout le monde, il a représenté l’identité de ce club, à l’époque où je suis arrivé. Il y en a surement eu d’autres avant mais quand je suis arrivé, c’était la personne qui fédérait un peu tout le monde. Je pourrais citer aussi Christophe Ettori, Olivier Miniconi, Johann Carta. Fanfan, lui, c’est la mémoire de ce club. Qu’il repose en paix.

Une consigne de coach jamais comprise ?

Quand on me disait de pas dépasser le milieu de terrain, alors que je jouais arrière-droit, je n’ai jamais compris. Alors quand il y avait un espace, je n’écoutais pas, je prenais le couloir !

Un endroit sympa à Ajaccio ?

A la maison, avec ma femme et mes enfants. Y’a un endroit aussi qu’on aime bien, dans un village, Murzo, d’où est originaire mon épouse, à une soixantaine de kilomètres. Et sinon, on a nos petits endroits à Ajaccio, nos petits restos, pour aller boire un coup ou manger. Pour me ressourcer, je monte aussi chez mes parents, à Bastia. D’ailleurs, après notre interview, j’y vais. La route ne me fait plus rien. A un moment donné, je montais trois fois par semaine.

Plat préféré ? Boisson ?

Boisson, la bière. Mais je ne peux pas le dire. Et le plat, je peux aimer une belle côte de boeuf comme un beau plat de lasagnes, des plats que je n’avais pas trop le droit de manger quand je jouais au foot, donc aujourd’hui j’en profite.

Des rituels, des manies ?

A partir du mercredi soir je mangeais des pâtes, je mettais toujours le même caleçon, je laçais la chaussure gauche avant de lacer la chaussure droite. Il fallait que mon sac soit prêt deux jours avant, tout bien rangé, comme quand je pars en vacances, de peur d’oublier quelque chose. J’étais précautionneux. J’ai du mal à faire les choses à la dernière minute.

Un dicton ?

Non, j’ai plutôt des principes au niveau des valeurs et du respect. Par exemple, lundi, quand les gosses (les U17 Nationaux) ont repris… Moi en fait, que l’on soit bon ou pas bon, aujourd’hui, je m’en fous. Quand j’étais joueur, je n’avais pas pour habitude de parler en dehors, de m’exprimer, je préférais discuter dans le vestiaire, on s’enfermait, s’il fallait se mettre les mains dessus, on se mettait les mains dessus, et quand la discussion était terminée, on passait à autre chose. C’était ma façon de voir les choses. Aujourd’hui, ce que je demande, c’est du respect, des valeurs, et un esprit cher à ce club de combativité, de hargne. Mais surtout le respect de ce blason et de la vie en général. Se souvenir d’où l’on vient. Ce que je dis à mon fils, par exemple, c’est que si y’a un sac qui est trop lourd à porter dans la rue pour une personne, de lui porter le sac. L’image c’est celle-là, et je pense que cela se perd. Et comme je dis aux parents de nos jeunes, si on peut faire en sorte de retrouver un peu cet esprit là…

Dernier match vu à la TV ?

Quand je suis parti du Gazelec en 2017, j’ai arrêté de regardé le foot. J’ai joué, mais… Puis quand j’ai arrêté le foot, pendant un an et demi je n’ai plus regardé de match à la télé. Et là, le dernier match, c’est celui de l’équipe de France, contre euh… Je regarde du foot, j’aime regarder la Ligue 2, je regarde beaucoup les matchs insulaires aussi, Bastia, l’ACA, je regarde, je regarde… Parfois je vais à Bastia. Ici moins… Mais je n’ai aucun problème avec ça.

Dernier match auquel vous avez assisté en tant que spectateur ?

Sans doute le dernier match du Gaz en National 3 contre Marseille Ardziv (le 14 janvier 2023), où on avait fait jouer pratiquement tous nos jeunes, d’ailleurs, ils avaient fait un très bon match. On menait 2 à 0 et on a perdu 3 à 2. Il n’y avait plus aucune incidence sur le classement car on connaissait déjà l’issue de la saison. Même si nous, on avait un petit espoir. Après ça, je n’ai plus eu le temps d’aller en voir.

Un chiffre ?

Le 20. C’est le département. Et aussi les deux jours de naissance de mes enfants, le 29 et le 13. Comme joueur, je n’ai quasiment joué qu’avec le 20. A Toulon, j’avais le 14, mais par défaut.

Geste technique préféré ?

De mettre quelques tacles. Un tacle assez spécifique, les deux jambes écartées, et je récupérais pas mal de ballons.

Le Gazelec, en deux mots ?

C’est un grand club. Je sais, ça paraît fou. Un grand club, avec ses qualités et ses défauts.

Le milieu du football ?

Des bons côtés et des mauvais côtés. Plutôt des mauvais…

 

Texte : Anthony BOYER / aboyer@13heuresfoot.fr / Twitter : @BOYERANTHONY06

Photos : 13HF

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