Mis en retrait de la présidence de la FFF, l’ancien boss de Guingamp s’était défavorablement fait remarquer en 2010, quand il avait « obligé » une équipe à se rendre au stade de Roudourou, lui affrétant même un jet privé. Récit.
C’est une histoire qui a fait couler beaucoup d’encre dans le Var à l’époque, mais qui n’a pas eu le retentissement escompté, et dont les médias nationaux ne se sont pas trop fait l’écho, sans doute parce qu’elle concernait le National, un championnat peu médiatisé. Une histoire qui, aujourd’hui, entache encore un peu plus la réputation de Noël Le Graët, en pleine tourmente depuis les accusations d’agressions sexuelles dont il fait l’objet.
Nous sommes le jeudi 21 octobre 2010. Dans 24 heures, l’En Avant de Guingamp, qui vient de descendre de Ligue 2 en National, 4e avec 23 points, doit recevoir l’Etoile Football-club Fréjus/Saint-Raphaël, 6e avec 22 points, pour le compte de la 14e journée.
Dans six jours, l’équipe, entraînée par Jocelyn Gourvennec, va recevoir l’Olympique de Marseille à Roudourou en coupe de la Ligue. Un événement dans cette ville des Côtes d’Armor de 7000 âmes, connue grâce à son équipe de football et aussi à son « boss », un certain Noël Le Graët, maire de la ville de 1995 à 2008, président de l’EAG depuis 2002 (il avait déjà occupé ce poste de 1971 à 1991) et qui fut également président de la Ligue (LFP) de 1991 à 2000. D’ailleurs, c’est pour bien préparer ce match, cette fête, contre l’OM, que la venue de Fréjus/Saint-Raphaël a été avancée au vendredi, à J-5 donc, avec l’accord des Varois.
Grève et annulations des vols à Nice
Guingamp, au pied du podium en National, compte sur ce match de la 14e journée, non seulement pour s’en rapprocher, bien sûr, et aussi pour permettre à deux joueurs cadres, Christian Bassila et Dorian Levêque, de purger leur suspension afin d’être alignés contre l’OM. Surtout qu’un troisième titulaire, Thierry Argelier, sera quant à lui bien suspendu pour ce 8e de finale de coupe.
Ce jeudi 21 octobre, donc, l’Etoile Fréjus/Saint-Raphaël doit rejoindre les Côtes d’Armor, le matin, en avion. Problème, et de taille : c’est la grève à l’aéroport Nice Côte d’Azur. Les deux vols vers la Bretagne sont annulés. Les Varois cherchent bien d’autres solutions mais rallier Guingamp, distante de 1250 kilomètres, dans la journée, n’est pas simple.
La dernière solution – un vol Nice-Lyon puis un autre, Lyon-Brest, à 13 heures – tombe elle aussi à l’eau. Les dirigeants étoilistes informe la FFF qu’il n’y a plus aucun vol, même le vendredi. Le club breton, tenez-vous bien, propose de jouer le match… dans le Var ! Mais l’Etoile refuse, prétextant des travaux dans l’ancien stade Pourcin, démoli aujourd’hui au profit d’un complexe immobilier).
A 14 heures 30, par courrier électronique, la FFF alerte la direction d’En Avant que la rencontre est ajournée. Motif : les perturbations du transport aérien liées aux profondes turbulences sociales. Quelques minutes après, sur le site de la Fédération, le match est officiellement reporté. Athos Bandini, le coach varois, qui a pris place sur le banc après le décès de Guy David, le 30 août 2008, juste après un match de championnat de CFA contre la réserve stéphanoise (il était alors son adjoint), donne congé à ses joueurs. Pour eux, c’est déjà le week-end, avec quelques heures d’avance ! Du moins, c’est ce qu’ils pensent !
A Guingamp, on est passablement irrité
Car en Bretagne, les dirigeants sont agacés et passablement énervés, notamment Jocelyn Gourvennec, l’entraîneur, et surtout Noël Le Graët, le président. Les coups de téléphone pleuvent. C’est même l’incompréhension dans les rangs bretons, qui en viennent à mettre en doute la bonne volonté et surtout la bonne foi de leur adversaire. Aussitôt, ils reprennent contact avec la FFF et le club varois pour tenter de trouver une autre solution, ne comprenant pas que Fréjus / Saint-Raphaël soit le seul en National à ne pas être en mesure d’assumer un déplacement lors de cette 14e journeée qui voit Plabennec se rendre à Bastia et Luzenac se déplacer à Rouen, sans souci.
« L’an passé, en Ligue 2, Le Havre ne s’était pas déplacé à Ajaccio en raison d’un nuage en provenance du volcan islandais. Mais la différence, c’est que les Normands avaient ensuite le bateau à prendre. Pour venir à Guingamp, le bateau n’est pas nécessaire. Tout le monde doit s’adapter aux situations de ce genre » déclarait Christophe Gautier, le chargé de communication d’En Avant.
Il est 18 heures. Le vice-président de la FFF (c’est le poste qu’occupait le Graët à ce moment-là) contacte Marcel Sabbah, le coprésident de l’Etoile, et l’informe qu’un jet privé sera mis à disposition de la délégation varoise à 8h30 à l’aéroport de Nice samedi matin, avec un retour le soir après le match, pour 00h45, le coup d’envoi de la rencontre étant fixé à 20h.
Fréjus/Saint-Raphaël mis devant le fait accompli
L’avocat de l’Etoile FCFSR, tout comme les joueurs, le staff et les dirigeants, sont mis devant le fait accompli : un éventuel appel ne serait pas suspensif et une absence au coup d’envoi serait considérée comme… un forfait !
Sympa, l’En Avant de Guingamp propose de payer la note – 25 000 euros ! A 19 h, toujours sur le site de la FFF, la rencontre Guingamp – Fréjus/Saint-Raphaël est décalée du vendredi au samedi 20 h ! Au club de Fréjus, qui se voit refuser de jouer le dimanche à sa demande, c’est la branle-bas de combat : Bandini rappelle tous ses joueurs !
Le lendemain, dans les colonnes du Télégramme, voilà ce que déclare Gourvennec : « L’idée d’un report général de la journée est mieux adaptée qu’un report d’un seul match qui nous pénaliserait. Si on ne jouait pas ce week-end, on se retrouverait avec un match de moins au classement et un potentiel de points en moins. C’est toujours mieux d’être dans le même tempo que les autres. On voit plus clair. De plus, sans jouer, on pénalise la réserve de CFA 2. Le règlement n’autorise pas certains joueurs qui ont joué en Coupe de France à repartir en réserve. Ensuite, ne pas jouer face à Fréjus ne permettrait pas à Bassila et Lévêque de purger leur match de suspension. Avec Argelier, on aurait ainsi trois suspendus face à L’OM. »
« Le Graët est passé au-dessus de la Fédé »
Dans L’Equipe, Rémy Viallon, le directeur sportif de Fréjus/Saint-Raphaël, hausse le ton. Il se pose des questions. Et il n’est pas le seul. « Donc il suffit que Monsieur Le Graët claque des doigts pour que la FFF se mette au garde-à-vous. Ils ont besoin que ce match se joue ce week-end pour purger certaines suspensions et être au complet pour le match de mercredi, face à l’OM, en Coupe de la Ligue », s’insurge-t-il.
Dans Var-matin, il en remet une couche : « On est aujourd’hui dans une dictature. Il y a eu une réunion par téléphone entre la FFF et Guingamp, sans que l’on ne soit consulté. Si Guingamp est si puissant pour affréter un avion privé, manipuler la Fédération, vont-ils être assez puissants pour le faire avec les arbitres ? Nous étions à l’aéroport de Nice, les deux vols vers la Bretagne ont été annulés, maintenant si Guingamp est plus malin que les autres … Le Graët voulait absolument jouer cette rencontre, il y a une Fédération qui préside, mais lui passe au-dessus. On n’est plus sur le même pied d’égalité. J’ai eu la Fédération au téléphone, voila ce qu’elle m’a répondu, Vous savez comment ça marche le milieu… »
Athos Bandini, aujourd’hui coach à Sainte-Maxime (Régional 1), y va lui aussi de son couplet, dans le quotidien varois : « Guingamp aurait dû rester en Ligue 2 la saison passée, cela aurait été plus simple, dit-il, ironique; Je suis très déçu de leur comportement. J’avais demandé à jouer le dimanche, mais ils ont refusé alors qu’ils crient partout que la coupe de la Ligue n’est pas leur priorité. Cela confirme ma vision du football et de ce championnat National. Il y a deux fonctionnements. Cela s’appelle du mépris pour les petits clubs. »
« Le club breton trouve une parade »
Noël Le Graët, également contacté, réplique, à propos du jet privé et de la « méthode » : « Le club de Guingamp a un partenariat avec une entreprise de location de jets, donc on a mis un avion à disposition. Je ne peux pas comprendre comment Fréjus/Saint-Raphaël n’a pas pu trouver la solution et je suis toujours étonné de voir que des mecs ne se « démerdent » pas. J’ai fait ça pour des problèmes de calendriers futurs et par respect des compétitions. »
Samedi, le match a lieu au stade de Roudourou. Guingamp s’impose 3-1. Il n’y a rien à dire. Le score est logique. Le club breton grimpe à la 2e place et retrouvera la Ligue 2, un an après l’avoir quittée, à l’issue de cet exercice 2011-2012, le seul à s’être disputé à 21 clubs. Le Sporting club de Bastia et Amiens l’accompagnent. Strasbourg, Cannes restent à quai. Fréjus/Saint-Raphaël, qui a longtemps joué le haut de tableau, termine 6e, puis reçoit un courrier de la FFF qui, comme l’exige le règlement, lui réclame une petite participation aux frais de ce voyage soi-disant pris en charge par Guingamp. Le club s’exécute. Guingamp va rembourser, c’est certain. Treize ans après, pas un centime breton n’est tombé sur le compte de l’Etoile.
Le mercredi suivant, jour du 8e de finale de coupe de la Ligue, La Provence titre : « Guingamp-OM, le club breton trouve une parade pour deux joueurs suspendus ! » L’OM s’impose 1 à 0. La polémique est terminée. Personne n’est dupe. Et NLG devient président de la Fédération française de football quelques semaine plus tard, le 18 juin 2011. A-t-il commis un abus de pouvoir ? Dans le Var, et ailleurs, on en est persuadé.
La fiche technique du match
Championnat National (14e journée) – samedi 23 octobre 2010 – En Avant de Guingamp – Fréjus/Saint-Raphaël 3-1 (1-0). Buts : Soly (19′), Giresse (78′) et Ogounbiyi (90e) pour l’En Avant; Vareilles (69e) pour l’Etoile. 5319 spectateurs. Arbitre : Christian Guillard.
Guingamp : Samassa, Ringayen, Koné, Colleau, Argelier, Ogounbiyi, Mathis (c), Mu. Diallo, Giresse (El Jadeyaoui 78′), Knockaert (Imbula 72′), Soly (Scarpelli 81′). Ent. : Gourvennec.
Fréjus/St-Raphaël : Cattier, Noyer, Fernandez, Faure, Moulin (Henaini 46′), Barrau, Ramos (c), Keita (Fajr 63′), Dutil (Mo. Diallo 60′), Vareilles, Orinel. Ent. : Bandini.
Texte : Anthony BOYER / Mail : aboyer@13heuresfoot.fr / Twitter : @BOYERANTHONY