Révélé aux Minguettes et à La Duchère, l’entraîneur de 50 ans jouit d’une très belle réputation en National, un championnat qu’il connaît sur le bout des doigts. Malgré tout, c’est encore insuffisant pour toucher la Ligue 2 ou la Ligue 1, son ambition majeure. Une question d’image, peut-être…
Karim Mokeddem et le National, c’est une histoire qui dure depuis longtemps ! À tel point que le Lyonnais de 50 ans semble faire partie du décor. Huit ans, déjà, que l’ancien coach de Ménival et des Minguettes s’est fait connaître dans l’antichambre du monde pro avec Lyon-La Duchère, une équipe qui, sous sa direction, avait déjà réussi l’exploit de terminer en tête de son groupe de CFA devant Grenoble (en 2016) et qui, ensuite, n’était pas passée loin d’accéder en Ligue 2 (7e en 2017, 6e en 2018 et 5e en 2019).
Mais c’est véritablement avec l’AS Vénissieux Minguettes (aujourd’hui FC Vénissieux), lors de la saison 2012-2013, que le titulaire du BEPF – major de sa promotion en 2019 ! – a commencé à faire parler de lui. Son équipe, pensionnaire de CFA2 à l’époque, élimina Le Poiré-sur-Vie (National) en 16e de finale de la coupe de France aux tirs au but avant de s’incliner contre un club de l’élite, Nancy, en 8e, 2-0 après prolongation. Typiquement le genre d’épopée qui suscite l’intérêt. Comme celui de « La Duch », donc, qu’il rejoignit en fin de saison.
Un nom qui revient souvent
Karim Mokeddem et le National, c’est une telle évidence que l’on a parfois l’impression qu’il pourrait coacher dans les 18 clubs du championnat ! C’est évidemment impossible mais ce qui est sûr, c’est que son nom est souvent cité en période de mercato ou de … limogeage. Ce fut le cas ces deux dernières saisons, d’abord lorsqu’il fut appelé au chevet de Saint-Brieuc, début octobre 2022, pour succéder à Didier Santini. Ensuite début novembre 2023, pour prendre la suite de Bernard Casoni à l’US Orléans.
Dans les Côtes-d’Armor, il ne fut pas loin de réussir l’opération maintien : à son arrivée, les Griffons ne comptaient que 4 points en 8 journées. Sous l’ère Mokeddem, ils ont glané 34 points en 26 journées (1,30 point de moyenne par match), soit le parcours d’une équipe de milieu de tableau.
Et depuis son arrivée à Orléans, le coach rhodanien a déjà signé un exploit : une qualification en 16e de finale de la coupe de France après des succès sur le terrain de l’AC Ajaccio (Ligue 2) au 8e tour et face à Nîmes (National) en 32e. Un parcours récompensé par un match de gala au stade de La Source face au PSG (élimination 4-1). Et en championnat, l’équipe, 11e à son arrivée (15 points en 12 matchs), a redressé la barre (4 victoires, 2 nuls et 2 défaites). Un effet Mokeddem ? Possible… L’USO compte désormais 29 points (en 20 matchs) et a amélioré sa position de 3 places (8e). Et elle aura encore l’occasion de s’éloigner de la zone rouge ce vendredi, face à Avranches, dans un match qui vaudra cher pour le maintien.
Pierre Sage : « Son image a évolué »
Karim Mokeddem et le National, c’est donc une histoire d’amour mais l’intéressé a une ambition claire : il veut coacher plus haut. En prenant les rênes du FBBP01 (Bourg-en-Bresse/Péronnas) en 2019, un club au statut pro (mais relégué en National un an plus tôt), puis en rejoignant Châteauroux, il s’en est rapproché. Mais voilà : pour toucher la Ligue 2, il faut soit monter avec son club, soit attendre le coup de fil d’un président, et là…
Mais, à l’instar de plein d’autres coachs de National, voire de N2 et de N3, il peut désormais s’appuyer sur la jurisprudence Pierre Sage, l’ambassadeur du foot d’en-bas propulsé fin novembre tout en haut ! L’actuel entraîneur de l’OL en Ligue 1 est d’autant mieux placé pour parler de Mokeddem qu’il fut son adjoint à La Duchère en 2018-2019 : « Karim est déterminé à entraîner en professionnel, témoigne Pierre Sage. Il est persévérant. Par exemple, il a postulé plusieurs fois au BEPF avant d’être admis. Il veut vivre du foot et il sait où il veut aller, c’est-à-dire le plus haut possible; à La Duchère, il avait gardé son job de comptable dans une association. Parce qu’il savait que ce n’était pas pérenne. »
Toujours au sujet de Karim Mokeddem, Pierre Sage ne tarit pas d’éloges : « Karim se définit toujours comme un entraîneur qui vient du find fond du foot amateur. Il a une super réputation. Pourquoi il n’entraîne pas plus haut ? Je ne sais pas s’il le dira, mais il est catalogué comme l’entraîneur de quartier, qui a entraîné aux Minguettes et à La Duchère… Il en a conscience et a cassé cette image en allant à Bourg, à Orléans, à Châteauroux ou en Bretagne. Son image a évolué. On n’a passé qu’une seule saison ensemble, mais on est vraiment amis. Quand il est parti à Bourg, il m’a proposé de le suivre, mais je ne voulais pas retourner dans mon ancien club. Karim, c’est quelqu’un de très proche des joueurs. Il fait tout pour les mettre dans de bonnes conditions. Il prend soin d’eux, de leurs familles, de leurs enfants. Il a un charisme basé sur le respect et la proximité. Il ne met pas de barrières « de fou ». C’est un coach courageux, qui a une ambition de jeu : dernièrement, j’ai regardé son match en coupe face au PSG, j’ai reconnu sa patte. Son équipe a poussé le PSG dans ses retranchements. Karim, comme il dit, c’est « Tu le jettes dans le désert, il rentre chez lui à pied ! », il a plein de punchlines comme ça. Et un jour, on retravaillera ensemble, d’une manière ou d’une autre. »
Aït-Ouarab : « Pour aller au-dessus, il lui manque juste la confiance d’un président »
Ahmed Aït-Ouarab, ex-footballeur pro (et ex-coach adjoint de la sélection de Mauritanie, du Puy-en-Velay et coach principal à Vaulx-en-Velin jusqu’à Noël dernier) fut lui aussi son adjoint à La Duchère, en CFA puis en National : « Karim est dans l’affect avec ses joueurs, il est très proche d’eux, il a une gestion pro-active avec eux et sait tirer le meilleur de son groupe, confirme-t-il. Il sait sur qui il peut s’appuyer et sur qui il faut rester attentif. Il est humain et prend soin des joueurs : il connaît tout de leur vie. Il sait gérer son groupe, qu’il surveille comme du lait sur le feu, car il voit tout, il est très observateur. C’est une de ses plus grosses forces. Au niveau du management, il est dans l’orgueil, il aime piquer ses joueurs, il les pousse à aller chercher le meilleur d’eux-mêmes. Après, il peut être dur et exigeant, parce qu’il est avec lui-même. Du coup, il ne peut pas en attendre moins de la part des autres. C’est aussi un fin tacticien, qui analyse, qui observe, qui est dans sa bulle pendant le match. Il ne lui manque rien pour aller au-dessus, juste la confiance d’un président. »
Mercredi 14 février dernier, deux ans jour pour jour après son « limogeage » du FBBP 01, « le jour de la Saint-Valentin, ça ne s’oublie pas ! », Karim Mokeddem est revenu sur son parcours, ses expériences, ses ambitions, ses relations avec les joueurs, sa philosophie de coach et, bien sûr, sur cette question qui nous taraude : pourquoi n’entraîne-t-il pas plus haut ?
Karim Mokeddem :
« Il faut persévérer pour réussir »
Le meilleur souvenir de ta carrière de coach à ce jour ?
La victoire au tirs au but avec les Minguettes face au Poiré-sur-Vie, en 16e de finale de la coupe de France, en 2013. Il n’y a pas de mots, et il y a même des larmes… Et après on se fait sortir par Nancy (L1) en prolongation (0-2). Pour la petite histoire, c’est Benjamin Moukandjo qui marque le premier but pour Nancy et c’est ce même Moukandjo qui a tiré au sort le PSG pour Orléans en coupe de France le mois dernier !
Et le pire souvenir ?
Avec Lyon – La Duchère, contre Martigues, en CFA (en 2014) : deux joueurs de mon équipe se télescopent, et on a vraiment cru que l’un des deux allaient y passer… C’était Jean-Martial Kipré qui se replace et Yacine Hima qui tacle : en fait, le genou de Martial heurte la tête de Yacine. On pleurait, on ne savait pas quoi faire, Yacine avait une plaie ouverte au genou, il titubait, il convulsait au sol. Mon pire souvenir.
« J’ai appris les codes du football d’en-haut »
La saison où tu as pris le plus de plaisir ?
Sportivement, ma dernière année à La Duchère (2018-2019), on jouait très bien au foot, certains joueurs étaient là depuis 3 ans, on se trouvait les yeux fermés. On pouvait aller très loin dans les aspects tactiques. On démarrait les matches avec un onze et trois systèmes, et avec le même onze, on était capable de « switcher » sur trois systèmes différents dans le même match. J’avais aussi un staff de qualité, avec Rémy Kalèche, Pierre Sage, Maxence Pieulhet et Dalin Anrifani. C’est aussi l’année où je passe mon diplôme (BEPF).
D’ailleurs, en parlant de diplôme, tu es sorti major de ta promotion : est-ce que ça a créé des liens entre vous tous ?
Alors pour moi, pour 90 % d’entre-eux, je suis encore en contact assez régulièrement. Après, c’est comme partout, on se rapproche plus de certains que d’autres, par exemple, j’ai plus souvent Laurent Peyrelade, Jerôme Arpinon, Stéphane Jobard ou Fabien Lefèvre, d’ailleurs, ce dernier doit venir passer quelques jours avec moi à Orléans.
Les 10 % qui restent, c’est Mathieu Chabert ?
Non ! Avec Mathieu, après l’épisode de Châteauroux, on a eu une discussion d’hommes et tout est rentré dans l’ordre; je l’ai au téléphone, je l’ai vu il y a un mois Paris, on a regardé un match ensemble.
Une erreur de casting dans ton parcours ?
Je ne regrette rien. Tout ce qui s ‘est passé, et même les erreurs que j’ai pu faire à un moment donné, m’ont servi pour grandir. J’ai appris les codes du football d’en haut, pour quelqu’un comme moi qui vient du fin fond du football amateur comme je le dis souvent, car il y avait certaines choses que je n’avais pas appréhendé. J’avais une certaine ligne de conduite, basée sur une phrase simple : « la parole fait l’homme », or dans ce milieu, il faut apprendre que la parole, elle ne vaut pas grand-chose.
Le club que tu rêverais d’entraîner, dans tes rêves les plus fous ?
Ce serait plutôt une sélection : l’Algérie.
Tes modèles de coach ?
Sur les principes du football total et global, ce sont souvent les mêmes noms que je cite, comme l’Argentin Ricardo La Volpe, pour les sorties recherchées, raffinées. Bielsa aussi, parce que j’aime bien jouer à 3 et il a fait des grandes choses comme ça. Au niveau français, Coco Suaudeau et Reynald Denoueix ont été de grandes sources d’inspiration. D’autres coachs sortent du lot aussi en France, où on a de la qualité, je pense à Franck Haise, qui est un chercheur, qui essaie d’améliorer constamment ses idées, son projets de jeu, sa relation avec ses joueurs.
Après, c’est aussi en fonction des différents aspects : la gestion humaine avec Carlo Ancelotti, la communication et la tactique de José Mourinho, la recherche de la perfection de Pep Guardiola… Il y en a d’autres comme Roberto De Zerbi, qui n’a pas peur de s’exporter, Luis Erique, un bon technicien. J’essaie de puiser un peu partout mais je ne fais pas de copier-coller car c’est impossible, ce ne sont jamais les mêmes joueurs, jamais le même contexte, pas la même qualité, pas la même direction… Il y a plein de paramètres qui dffèrent. José Mourinho, même s’il a été critiqué, là où il a été très fort, c’est qu’il a su inculquer à des joueurs de ne pas jouer à leur poste pour le bien de l ‘équipe, c’est une force chez lui, c’est un grand coach, qui a su se réinventer pour s’offrir une deuxième jeunesse et puis il na pas été joueur pro, donc ce sont des petites choses comme ça qui me parlent. Il faut persévérer, s’accrocher, pour réussir.
« J’ai envie d’y arriver, d’aller en haut »
Et s’il fallait ne retenir qu’un seul coach ?
Pep (Guardiola).
Pas Pierre Sage ?
Non, Pep, c’est référence.
C’était une boutade, hein… : ça te fait quoi de voir Pierre Sage sur le banc de l’OL, ton club de coeur en plus ?
Déjà, ça me fait plaisir ! Avec Pierre, on a bossé ensemble, on se connait depuis 20 ans, on a un peu le même parcours : lui aussi vient du fin fond du foot amateur ! Je suis content de sa réussite. Tu sais, moi, je suis entier : souvent, en France, l’entraîneur est content quand son collègue réussit, du moment qu’il ne réussit pas mieux que lui… Ce sont peut-être mes origines lointaines qui font que je suis content pour lui, tout simplement, et que je ne lui souhaite que du bien. Au delà du fait de connaître sa femme, son beau-fils, sa famille, etc., quand tu connais Pierre, tu ne peux pas lui souhaiter du mal, c’est impossible.
Quand tu me demandais quelle était la plus belle saison que j’ai vécue, je t’ai dit la dernière à Lyon – La Duchère, parce qu’on était sur un certain niveau de jeu, et aussi parce mon staff, c’était de la bombe atomique, et Pierre était dedans, avec Rémy Kalèche et Max Pieulhet. Pour la première de Pierre en Ligue 1 à Lens, je n’imagine pas un seul instant ne pas être en tribune à Bollaert : je pars d’Orléans avec ma voiture, j’appelle « Alé » (Alaeddine Yahia) qui bosse à Lens et me trouve une place, et je l’en remercie, et là, sur la pelouse, y’a Julien Sokol (team manager de l’OL) qui me voit, il est surpris, et il dit à Pierre, « Y’a Karim », et là, Pierre me voit, il est un peu tendu, c’est normal, et il se déride, et juste ça, ça a a suffi à mon bonheur, juste le fait qu’il se retourne, qu’il me voit, et d’ailleurs, y’a une photo de Pierre qui a fait le tour quand un article sort sur lui, quand il me sourit.. Bien sûr, personne ne sait que c’est ce moment-là, mais moi, ça m’a suffi : « t’es mon pote, je suis là, je suis venu te soutenir ». Après, le quotidien reprend son cours, mais je suis content pour lui.
« En L1 et en L2, il y a très peu d’entraîneurs issus de la diversité »
Est-ce que tu l’envies ?
Ce n’est pas que je l’envie, c’est juste que j’ai envie d’y arriver, d’aller en haut, ça oui. Sinon, je ne l’envie pas lui en particulier. Ce que je veux, c’est pouvoir accéder à ça à un moment donné mais dans nos carrières, il y a une réalité; ce sont des accidents de parcours. Pierre, il est au bon endroit au bon moment et il n’y a pas de hasard : c’est la récompense de tout le travail qu’il a fait avant. L’année dernière, il part du Red Star et décide de revenir à Lyon, il prend le poste de directeur du centre, c’était écrit, ça devait arriver. Donc à moi aussi de faire en sorte que l’histoire s’écrive de façon à ce que je puisse accéder à ce championnat professionnel à un moment donné.
Tu jouis d’une excellente réputation dans le milieu : pourquoi quelqu’un comme toi n’entraîne-t-il pas au moins en Ligue 2 ?
Je sais où tu veux en venir (rires) et je suis obligé d’en parler ! Tu la connais la réponse ! Peut-être que Saïd Chabane, un jour, me donnera ma chance, s’il est encore président d’Angers (rires) ! Elle est là la réponse ! Je n’en ai jamais parlé avant mais si tu remarques bien, mes anciens présidents s’appellent Ddjoudi Boumaza à Menival, Ahmed Zouak aux Minguettes ou Mohamed Tria à Lyon – La Duchère, et tous les trois ont un dénominateur commun, Djoudi, Ahmed, Mohamed… Mais je dois remercier aussi les autres présidents qui m’ont fait confiance, Gilles Garnier et Patrick Martellucci à Bourg, Guillaume Allanou au Stade Briochin, et aujourd’hui Philippe Boutron à Orléans, et cette confiance qu’ils placent en moi, j’essaie de leur rendre au maximum. Mais aujourd’hui, tu as une triste réalité : il y a très peu d’entraîneurs issus de la diversité qui sont représentés en Ligue 1 et en Ligue 2. Il y a Pat Vieira et Omar Daf. Tu te rends compte ? ça ne fait vraiment pas lourd. C’est comme ça et comme dit Bob Marley, il faut que l’on soit acteur de notre destin. Donc c’est à moi de décider de mon choix et de me battre pour mes droits !
« Tous les jours, quand je me lève, je pars au combat »
On a l’impression aussi que si tu ne montes pas avec ton club, cela va être compliqué d’y arriver …
C’est un peu l’objectif et c’est pour ça que je suis content d’être à Orléans, parce que je pense qu’on a un bon effectif et que si on l’améliore, que l’on s’inscrit dans une certaine forme de continuité, on pourra, la saison prochaine, se mêler à lutte, mais d’abord, il faut bien finir cette saison et surtout se maintenir, ce qui reste la priorité avec encore six descentes. Par contre, on sait que le club traverse actuellement une zone de turbulences, donc on attache nos ceintures et je fais confiance à mon président pour trouver la bonne porte de sortie, afin que l’on soit compétitif encore toute la fin de cette saison et l’année prochaine. Et puis si ce n’est pas le cas, il faudra encore repartir au combat ! De toute façon, tous les jours, quand je me lève, je pars au combat ! C’est pour ça, quand j’entends parler de pression dans le foot… Mais moi, depuis que je suis né, j’ai la pression. Déjà, ma maman m’a mis la pression pour réussir dans les études ! Aujourd’hui, dans mon métier, dans ce milieu très fermé, tu sais que tu dois te battre chaque jour.
Orléans traverse une zone de turbulences : est-ce que cela peut être un frein à tes ambitions et à celle de ton équipe ?
J’ai déjà vécu une vente en cours de saison, à Bourg, et ça a été catastrophique… D’ailleurs, je n’y ai pas survécu, parce que je n’avais pas encore tous les codes… Généralement, je fais toujours ce que je dis et je dis ce que je pense., mais dans notre métier, il ne faut pas toujours dire ce que l’on pense. J’ai grandi par rapport à ça. Là où je trouve que Philippe Boutron gère bien la situation à Orléans, c’est qu’il fait tout pour que cette vente soit différée à l’intersaison. C’est intelligent de sa part, parce que je peux vous dire qu’une vente en cours de saison, c’est catastrophique en termes de gestion : on se retrouve à faire des entretiens individuels en pleine saison, c’est compliqué, cela engendre de l’instabilité. Aujourd’hui, j’ai zéro garantie. La seule garantie que j’ai, c’est que mes joueurs et moi sommes là, et qu’on est payé en temps et en heure. Je dois juste rester concentré sur le terrain, sur le football. Je ne dois pas m’éparpiller.
Faire progresser tes joueurs, c’est aussi une de tes missions ?
Toujours ! C’est un objectif fort chez moi ! Je ne peux pas concevoir de prendre des joueurs en début de saison et que 7 ou 8 mois plus tard, ils aient le même niveau; je ne l’accepte pas. C’est comme quand je passe quelque part, il faut que je laisse deux ou trois petites choses, qui ont fait progresser le club ou les joueurs, c ‘est vraiment important.
« Chérie, je me suis fait virer ! »
Tu répètes souvent que tu as appris de tes erreurs, comme à Bourg, peux-tu préciser ?
J’ai beaucoup appris sur moi-même. Je suis passé par des clubs « populaires », où il faut avoir du tempérament, et moi j’ai un tempérament où j’essaie de forcer le respect par mon travail. Je le répétais souvent aux joueurs : on pouvait me reprocher plein de choses, mais pas mon investissement et mon travail. A Bourg, c’était la première fois que je quittais Lyon même si je restais en Rhône-Alpes, sauf que cette fois, j’intégrais un club professionnel, avec des joueurs qui avaient cotôyé le monde pro. J’avais déjà entrainé des joueurs du monde pro, mais qui étaient mentalement entrés dans l’état d’esprit « Duchère » ou « Minguettes » à l’époque, et là, à Bourg, c’est moi qui devait aussi, en gardant mon identité, prendre en considération les codes des coups bas, parce qu’il y en a beaucoup plus qu’en amateur, et même parfois de la part des joueurs, qui peuvent être un peu complotistes. Donc j’ai appris ça.
Et puis il y a la question du rachat : je pense que quand un club est racheté, si on ne te prolonge pas d’un an ferme ou de deux ans ferme tout de suite, ça veut dire ce que ça veut dire, c est un signal. Donc soit on t’inscrit dans le projet, et c’est ce qu’on m’avait vendu à Bourg, où il me restait un an et demi de contrat quand le club a été racheté, soit… Ils auraient pu me dire « tiens on se donne deux ans » pour monter, sans compter la fin de saison en cours. On m’a dit « C’est avec toi qu’on va le faire », mais rien n’a jamais été écrit ou signé, donc on n’a jamais prolongé. Et puis, il y a l’aspect « ingérence », quand des gens veulent faire l’équipe : j’aurais dû dire, « On se met autour de la table et on trouve une porte de sortie », parce que, faire l’équipe à ma place, avec moi, ça ne marche pas. J’échange avec Bruno Genesio ou Stéphane Jobard, qui était l’adjoint de Rudy Garcia… Garcia, il est très fort là-dessus : tout en maintenant ses idées, il est capable de « donner à manger » à tout le monde, aux dirigeants, aux joueurs, c’est une qualité. J’ai appris un peu peu- là dessus aussi, sur les relations humaines, sur la gestion avec la direction, la gestion quand tu te fais virer.
Tu vois, c’est la Saint-Valentin aujourd’hui, et bien je me suis fait virer le 14 février (rires), le jour de la Saint-Valentin (grand éclat de rires) !! Je suis arrivé avec mes fleurs à la maison, j’ai dit à ma femme, « Chérie, je me suis fait virer ! » mais elle était déjà au courant car le club avait communiqué sur les réseaux sociaux, ça aussi, ce sont des petits trucs moyens… Je ne suis pas rancunier, mais je n’oublie pas. Après, il n’y a pas de bons moyens de se faire virer : la finalité est la même. J’ai appris à faire ce travail sur moi-même, parce que dans les formations, on n’aborde jamais ça, la relation entraîneur-directeur sportif et la gestion du licenciement. Quand tu te retrouves tout seul chez toi, que tu prends tes baskets, que tu vas courir, t’es bien, y’a du soleil, et puis au bout de 20 minutes de footing, t’as envie d’étrangler tout le monde, tu rentres à la maison, et tu fais le yoyo toute la journée. Il ne se passe plus rien, alors que dans ma vie, ça bouge ! Ton téléphone, qui sonnait tous les jours de 8h du matin à 8h du soir, d’un coup, c’est le néant… Et là tu vois aussi tes vrais amis du football, ceux qui ne t’oublient pas, ceux qui te font le petit texto, qui passent un coup de fil, ça fait plaisir. Tous les entraîneurs qui se sont fait virer, quelle que soit la raison, ils ne le prennent jamais bien.
On sent que l’épisode Bourg t’a marqué…
C’est fou parce qu’à Bourg, j’ai eu une meilleure relation aujourd’hui avec ceux qui ont racheté le club, après m’être fait virer ! Je les ai de temps en temps au téléphone. Et quelque part, on a peut-être des regrets… J’ai beaucoup appris dans cette période sur les relations humaines, avec la direction notamment, mais c’est compliqué, parce qu’en National, les joueurs sont semi-pros. C’est un championnat semi-batard ! Il faut vraiment que ce championnat devienne pro, avec un cahier des charges à remplir, notamment pour les équipes de National 2 qui montent, où il faudrait un centre d’entraînement, un terrain de match d’aplomb, parce que des fois, quand je vois certaines équipes qui montent… Et j’ai du respect pour elles parce que je suis monté de N2 en National avec La Duchère, alors qu’on n’avait rien, mais on a essayé d’améliorer notre terrain de match, on a créé un petit centre de d’entraînement qui valait ce qu’il valait, et finalement, pour avoir fait pas mal de clubs depuis, je peux dire que l’on n’était pas à plaindre à La Duchère.
« Je vais retrouver Oswald (Tanchot), 11 ans après ! »
Peu de gens savent que, quand tu coachais La Duchère en National, tu travaillais à côté…
Oui, je bossais le matin à La Duchère et à 14 heures, je filais au bureau jusqu’à 19 heures ! Je travaillais au centre social de Champvert à Lyon 9e. Champvert, c’est 3 millions de chiffres d’affaires et 70 salariés. Je m’occupais de la comptabilité, des projets ville-état-région avec les jeunes, c’était bien, et si j’ai de bonnes relations avec mes joueurs sur l’aspect social, je sais d’où ça vient, on ne se réinvente pas. J’ai arrêté de travailler à côté du foot il y a 5 ans, quand je suis parti à Bourg.
Pourquoi as tu chois d’être entraîneur ?
Cela fait pas loin de 20 ans que j’entraîne maintenant, j’ai commencé à 30 ans. Je jouais à Ménival, on est monté de 2e division de District jusqu’en Ligue (PHR) et il fallait un diplôme « animateur seniors » pour entraîner à ce niveau-là. J’ai rapidement passé les diplômes « initiateur 1 », « initiateur 2 » et « animateur seniors ». En passant les diplômes, j’ai côtoyé des entraîneurs, des formateurs, et j’ai vu que j’aimais l’analyse du foot, que je me sentais bien au milieu de tous ces gens, alors que je n’avais jamais joué en CFA ni même en DH, mais j’étais à l’aise. Je me suis ensuite dit « pourquoi ne pas aller au Brevet d’état ? », alors je fais les sélections, je suis pris, et là, je côtoie d’autres personnes, d’autres formateurs, comme Jean-Yves Ogier (OL), tous de très bons pédagogues. Et puis je divorce : là, je me dis que je vais arrêter pour m’occuper de mon fils de 5 ans et demi à l’époque. Patrice Ouazar part entraîner aux Minguettes en CFA2 et cherche un adjoint : ça tombe à un moment où je voulais faire une formation de préparateur physique, histoire de rester en contact avec le sport. « Pat » me propose d’être son adjoint, je dis oui. Quand j’ai découvert le CFA2, je me suis dit « Mais c’est là que j’ai envie d’être, c’est ce que je veux faire » !
Patrice Ouazar, c’est une rencontre très importante : il a été dans le partage avec moi. J’étais plus que son adjoint, il m’a donné une liberté. A la fin de la saison, il a dû partir pour raisons personnelles et là, Alain Reale, le président d’honneur (le papa d’Enzo Reale), et Ahmed Zouak, le président, me disent « C’est toi qui va prendre l’équipe » ! Je n’avais pas le diplôme. Ils m’ont dit « ce n’est pas notre problème, c’est ton problème ! Tu trouves quelqu’un qui va te couvrir et après son se débrouille, tu iras au diplôme » ! Quand je te parlais des « paroles d’hommes »… C’est pour ça que tu ne peux pas me décevoir sur une parole. Je suis attaché à ça. Tout est parti de là ! On fait des belles saisons aux Minguettes et puis il y a ce parcours en coupe de France en 2012-2013, où je croise Oswald Tanchot avec Le Poiré-sur-Vie; ça va être rigolo, car on va jouer l’un contre l’autre mardi (Orléans-Sochaux, mardi 27 février, à 19h30), et la dernière fois qu’on s’est affronté, c’est sur ce match de coupe, en 2013 ! On va se retrouver 11 ans plus tard !
Cette relation avec Patrice Ouazar aux Minguettes, elle t’a servi ensuite avec tes adjoints ?
Oui, tu es obligé, après, la différence, c’est la vision footballistique : entre mes débuts avec « Pat » et aujourd’hui, elle a fortement évolué, parce que j’ai bossé, je fais des recherches, je me forme, je travaille mon projet de jeu qui faisait 10 pages au début et qui en fait 120 maintenant. J’essaie d’améliorer les choses. Alors bien sûr, aux joueurs, je ne leur présente pas un projet de 120 pages, mais une vidéo de 3 minutes offensivement et 3 minutes défensivement; 6 minutes, c’est largement suffisant. Mais ce sont 6 minutes avec beaucoup de réflexion en amont. Je ne supporte pas quand un joueur me pose une question et que j’arrive pas à lui trouver la réponse. Pendant ma formation au BEPF, j’ai évolué là-dessus, dans les relations avec les joueurs et le staff, grâce à la richesse des échanges que j’ai eus avec Stéphane Jobard, qui était adjoint de Rudy Garcia à Marseille, et Fabien Lefèvre, qui était adjoint de Thierry Laurey à Strasbourg; ils m’ont raconté comment ça se passait et je me suis enrichi de leurs expériences. On a beaucoup échangé, partagé… Dans mon carnet d’adresses, j’ai la chance d’avoir des directeurs sportifs, avec qui j’échange aussi sur la gestion de conflit : les lofs, pas les lofts, les joueurs mis de côté, etc. Après je fais les choses à ma sauce.
« Je suis un entraîneur qui entraîne »
Tu es un coach plutôt…
Travailleur. Je suis un entraîneur qui entraîne. J’ai besoin de réfléchir aux séances, de les diriger, de poser les problèmes de jeu, de créer des nouveaux exercices régulièrement. Il ne faut pas que cela soit morose et monotone. Je suis plutôt un entraîneur exigeant avec le staff, parce que je suis exigeant avec moi-même déjà, mais j’accompagne, je fais confiance, parce qu’en en National, on trouve des staffs avec de la compétence, comme à Orléans, et j’ai envie d’aider les gens à réussir aussi, parce que je n oublie pas d’où je viens.
On dit que tu es proche des joueurs, bienveillant, protecteur…
Il faut s’inspirer des grands. Mon idée c’est « Gagne le coeur et l’esprit de tes joueurs avant de les emmener à la guerre avec toi », c’est un peu la marque de Carlo Ancelotti. Je pense que si tu as le coeur des hommes avec toi et que derrière tu rajoutes la tactique, tu auras plus de chance de gagner des matchs. Après, il faut qu’il y ait un peu de qualité bien sûr. C’est vrai, j’essaie de bien connaître mes joueurs : j’ai un questionnaire pour eux, qui fait 5 pages, que je leur distribue en début de saison et qu’ils doivent remplir. Il regroupe énormément d’informations générales, leur adresse, l’adresse des parents, si le joueur a des frères et soeurs, si les parents sont mariés ou divorcés, s’il y a eu des décès dans sa famille; ça permet d’éviter de faire des impairs si un jour tu veux activer certains leviers émotionnels. Avec ces questions, j’arrive à profiler le joueur.
Mais le joueur peut mentir sur le questionnaire…
Bien sûr, il peut mettre ce qu’il veut ! Hier (lundi 13 février), j’ai repris un joueur de volée devant le staff… Cela fait 20 ans que j’entraîne, j’ai brassé des centaines de joueurs, donc tu penses bien que j’arrive à déceler certaines choses depuis le temps ! ça permet de leur remettre les pieds sur terre parfois. Parfois je garde les choses pour moi, pour ne pas froisser les joueurs, mais si on vient me poser la question, alors il faut être prêt à entendre les choses, parce que je vais répondre honnêtement. Si tu es droit et honnête avec eux, il ne faut pas faire de promesses. Je sais qu’il existe des coachs qui font des promesses : « je te fais jouer la semaine prochaine, là tu te reposes cette semaine » mais si tu gagnes 5-0, tu fais quoi la semaine d’après ? Ou bien le joueur que tu voulais faire souffler le week-end d’après et qui fait le match de sa vie, qui met triplé : tu fais quoi la semaine d’après ? Quand on est coach, il y a des choses que l’on peut dire et d’autres non. Pour en revenir aux fiches, des joueurs ont répondu à côté, bien sûr ! Quand je leur demande leurs qualités et leurs défauts d’homme, et leurs qualités et leurs défauts de joueur… Quand un garçon me met sur la feuille « très à l’aise techniquement pied droit et pied gauche » et qu’au bout d’une semaine ou d’un jour, je lui dis « Non mais tu ne peux pas marquer ça sur la feuille, tu n’as pas de pied gauche, et le pied droit, bah, c’est pas toujours lui qui décide où va le ballon ! »
« Quand je retourne à Ménival, ça met une piqûre de rappel »
Un président marquant ?
Je vais les vexer, donc tous et surtout le président de mon club de coeur, Djoudi Boumaza : il a donné sa vie à Menival, du lundi matin au dimanche soir. Il passe sa vie au club. Il sacrifie son temps pour le club et il est toujours là ! Il a construit des choses, il a bâti une section féminines, il a fait remonter les seniors en Ligue, un terrain en synthétique a été fait, des choses sont faites pour les jeunes, ce club, c’est un vecteur social fort de la ville. C’est là où j’ai mes amis, dont certains avec qui on a fait les 400 coups ! J’y suis retourné cet hiver voir jouer l’équipe 1 en Régional 3, je suis passé voir les copains, et puis ça met une piqûre de rappel.
Une devise ?
Une seule ? C’est dur ! Celle que je ressors souvent, ça vient de « L’art de la guerre » de Sun Tzu : il faut faire attention aux initiatives individuelles qui nuisent au collectif. C’est tellement vrai dans le foot : parfois, un joueur prend une initiative individuelle, un drible, une passe, et derrière, ça se transforme en but contre toi.
Tu as déjà pris un carton rouge ?
J’étais sur le banc de La Duchère, il y avait Cyril Garcia, mon entraîneur des gardiens, avec moi, et Cyril a « terminé » l’arbitre; ce dernier vient vers moi et me met le rouge ! Cyril se tourne de l’autre côté et baisse la tête comme un enfant ! J’avais pris deux matchs de suspension mais l’arbitre s’est rendu compte après que ce n’était pas moi le fautif ! Quand j’étais à Saint-Brieuc, j’ai rencontré l’ancien arbitre, Stephane Bré, on avait une relation amicale : il m’a dit : « L’arbitre, qu’il soit bon au mauvais, il va terminer le match, alors que toi, ce n’est pas sûr ». Donc maintenant, quand je m’énerve sur le banc, je repense à Stephane Bré !
Ton match référence sur le banc ?
Avec Lyon – La Duchère, à Chambly, en National (en 2019) : et pourtant, on ne gagne pas, on fait 1 à 1. J’avais convaincu mes joueurs qu’on allait jouer en 3-4-3 losange, sans latéraux, sans piston, et qu’on allait prendre Chambly à la gorge, qu’on allait les étouffer. A J-2 du match, Mamadou Camara, Youssoupha N’Diaye et Jérémy Romany, mes trois centraux, je ne les sens pas convaincus; je leur dis « on va aller les chercher haut, on va jouer un 7 contre 7 dans leur camp et un 3 contre 3 dans notre camp, et vous, les trois costauds de derrière, vous avez peur des trois attaquants de Chambly ? » En fait, je les ai fait « switcher » ! A la fin du match, tout le stade nous a applaudis.
Et ton pire match sur le banc ?
C’est la saison de mon retour à La Duchère avec Bourg, on en prend 5… Toi, tu reviens dans le club ou tu as passé 6 ans, et t’en prends 5, devant tes amis, ta famille… Après, il faut assumer, mais là… Rien ne marchait ce jour-là; ça fait mal, mais ça fait grandir !
Texte : Anthony BOYER – aboyer@13heuresfoot.fr – Twitter @BOYERANTHONY06
Photo de couverture : Philippe Le Brech
Photos : Philippe Le Brech (sauf mentions spéciales).
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