Karim Fradin : « L’Aviron Bayonnais, c’est un nom, une marque, un territoire ! »

L’ancien dirigeant des Chamois Niortais veut faire de l’Aviron Bayonnais FC (N3), qu’il préside depuis dix mois, le premier club français professionnel du Pays Basque. Un vaste projet, qu’il entend mener en plusieurs étapes et en équipe. L’histoire est en marche !

A Bayonne, au stade Didier Deschamps. Photo 13HF

Si on vous dit le jambon, les fêtes, le chocolat, la Nive, l’Adour, le « petit », les arènes, les halles, Ramuntcho… Bienvenue à Bayonne ! Bienvenue au Pays Basque, le pays du … rugby ! Le pays de l’Ovalie et… du ballon rond. Ne riez pas, c’est très sérieux.

Bien sûr, l’Aviron Bayonnais phagocyte un peu tout. Sans compter qu’à 5 kilomètres d’un stade Jean-Dauger rénové et qui accueille près de 15 000 personnes pour des affiches du top 14, l’historique Biarritz Olympique réunit lui aussi des milliers de fidèles au parc des sports d’Aguilera en Pro D2. Pour autant, le football tient une place très importante dans la ville qui a vu naître Didier Deschamps : rien qu’entre le petit frère, l’Aviron Bayonnais Football-club et les Croisés de Bayonne, on frôle les 1500 licenciés. Vraiment pas mal pour une commune de 50 000 âmes.

Au stade Didier Deschamps de Bayonne – l’ex-capitaine des Bleus a donné son nom au stade en 2000 -, on est loin de l’affluence de Jean-Dauger, mais il existe une constante : le football est et sera toujours plus populaire que le rugby, question de culture. Et celle du ballon rond est plus grande que celle de l’ovalie en France. Mais pas au Pays Basque. Pas encore ? Chut !

Une construction par étapes

Photo ABFC

Karim Fradin n’entend pas concurrencer son grand frère « Bleu et blanc », mais s’appuyer et s’inspirer de ce qui se fait à moins de 2 kilomètres de là, pour, peut-être un jour, offrir à tout le Pays Basque une équipe de football professionnelle.

Cela prendra du temps, le nouvel homme fort du club le sait, mais du temps, il en passé beaucoup aux Chamois Niortais, où il a eu… le temps, justement, de mettre en place des projets et d’organiser au quotidien la vie d’un club où il a passé plus de 20 ans de sa vie, d’abord comme joueur (en juniors puis en seniors avec notamment 7 saisons en Ligue 2), puis comme manager général de 2009 à 2017 et enfin président-actionnaire de 2017 à 2020.

A Bayonne, au stade Didier Deschamps. Photo 13HF

L’ancien milieu de terrain professionnel (plus de 300 matchs de Ligue 2 à son actif et une centaine de matchs en D2 anglaise) n’est pas venu révolutionner le ballon rond à Bayonne. Il est venu structurer le club et lui donner une nouvelle orientation avec des objectifs précis. Une construction par étapes, dont la première pierre a été posée en novembre 2022, avec la création d’une société anonyme sportive (SAS), dont il est actionnaire majoritaire, pour la gestion de son équipe fanions seniors de National 3.

La deuxième étape, c’est de retrouver le National, un championnat que l’Aviron Bayonnais a fréquenté pendant 6 ans (2004 à 2006 puis 2008 à 2012) avant, troisième étape, d’aller voir encore plus haut, comme le Pau FC, pensionnaire de Ligue 2 depuis 2020, le grand club des Pyrénées-Atlantiques. Le grand club… du Béarn. Béarnais, Basque, à chacun son histoire ! Et celle que Karim Fradin (51 ans) veut raconter sera forcément différente…

Interview

« Le potentiel de l’Aviron Bayonnais est énorme ! »

A Bayonne, au stade Didier Deschamps. Photo 13HF

Karim, effectuons un retour en arrière : qui êtes-vous, d’où venez-vous et quel est votre parcours footballistique ?
Je suis né à Saint-Martin-d’Hères, près de Grenoble (Isère), mais avec ma famille, on est parti tôt à Paris donc j’ai grandi en région parisienne, dans le Val-de-Marne, où mes parents se sont installés. J’ai commencé le foot au Plessis-Trévise, puis j’ai joué à Sucy-en-Brie, à l’ASPTT Paris, puis à Alfortville, Saint-Maur. Vous savez, on bouge beaucoup quand on est en région parisienne ! Puis j’ai intégré un sports-études à Champigny-sur-Marne, puis un sports-études régional et enfin, à 16 ans, j’ai intégré le centre de formation de Valenciennes. Puis j’ai suivi mon directeur du centre, Roger Fleury, pour aller à Niort. Je ne vous cache pas que je ne savais pas où c’était ! Roger Fleury, c’est mon formateur, à qui je dois beaucoup. Il est passé par Caen, Châteauroux, Paris Matra, Niort et donc Valenciennes. Il a formé beaucoup de joueurs. J’ai joué en pro à Niort (de 1992 à 1998 en D2 puis de 2005 à 2007 en National et en Ligue 2), à l’OGC Nice (1998-99), à Stockport County (D2 anglaise, 1999-2003) et à Châteauroux (Ligue 2, 2005-07).

Dans nos échanges, il est souvent question de Niort, forcément, mais aussi de votre expérience anglaise, qui a vraiment été marquante…
Oui, après Nice, je suis parti à Stockport County, en championship (D2 anglaise), un club de la banlieue de Manchester. On était dur à jouer. On avait un petit terrain, on faisait régulièrement entre 10 et 15 000 spectateurs. J’ai toujours cette anecdote en tête : à l’époque, en Angleterre, on pouvait être à l’essai et jouer en championnat, vous vous rendez compte ! Je sais, ça paraît incroyable, et c’est ce qui s’est passé pour moi : pendant que j’étais à l’essai, j’ai disputé mon premier match à Blackburn Rovers, ce fut un grand moment ! Cette particularité n’existe plus aujourd’hui. Je suis resté 4 ans à Stockeport, et quand on a été relégué en League One (D3), je suis rentré en France à Châteauroux, en Ligue 2.

L’Angleterre, c’est le paradis du football ! Le football passion ! Dans notre championnat, on était 24 équipes, avec des clubs incroyables, Coventry, Manchester City, Bolton, Blackburn, Norwich, Nottingham Forest, Fulham, QPR, Crystal Palace, Sheffield United… Et nous on faisait partie des petits. Je ne savais pas ce qu’était un vrai centre d’entraînement avant d’arriver là-bas : la France n’était pas aussi développée au même moment. On avait 2 000 à 3 000 supporters qui nous suivaient en déplacement. En Angleterre, on vous demande d’abord quel club vous supportez avant de vous demander où vous habitez. Mon deuxième garçon est né à Manchester, où j’habitais. J’y ai appris l’anglais. Là-bas, ils sont unis par l’amour du maillot. Je m’y suis fait quelques amis pour la vie. C’est une ville qui m’a marqué : je suis arrivé après l’attentat de 1996, un traumatisme, et la ville s’était reconstruite. D’ailleurs, les Anglais ont une capacité incroyable à reconstruire très vite. J’ai passé des années formidables là-bas.

« Il va y avoir une augmentation de capital à la rentrée »

Photo ABFC

Comment avez-vous atterri à Bayonne ?
J’ai rencontré le président du club, Lausséni Sangaré. Il savait que je cherchais un nouveau projet. C’est vrai que, au départ, je n’avais pas pensé à un club de National 3. J’avais étudié des dossiers en National et en National 2. Mais j’ai aimé ma rencontre avec lui. J’ai aimé le personnage et sa passion pour son club : il a joué au club, il est arrivé jeune ici en provenance de la région parisienne et aujourd’hui il est Basque, ce que je ne suis pas encore, mais je vais essayer de me faire adopter (rires) ! Après, on travaille main dans la main. Mais le projet que nous avons mis en place, c’est celui de l’Aviron, ce n’est pas le mien ou le sien. Le projet, c’est : qu’est ce qu’on construit pour l’Aviron Bayonnais FC et qu’est ce qu’on va laisser si un jour on part ?

Comment avez-vous rencontré Lausséni Sangaré ?
Vous savez, le foot, c’est toujours l’histoire d’une rencontre. Avec Lausséni, on s’est rencontré via des amis communs. Je venais souvent au Pays Basque, un territoire que j’aime beaucoup. Maintenant que je suis là, je vais faire le chauvin : le Pays Basque, c’est un des plus beaux endroits de France et d’Europe même.

Lausséni Sangaré, le co-président de l’ABFC, est à la tête de l’association. Photo DR

Vous n’êtes plus immatriculé 79 (Deux-Sèvres) du coup ?
Ah non ! Je suis immatriculé 64 (Pyrénées-Atlantiques) ! Et je suis installé à Anglet, pas loin du stade Aguilera du Biarritz Olympique, mais ça il ne faut pas le dire ! On m’a juste dit qu’il ne fallait pas que j’aille habiter à Biarritz (rires). Plus sérieusement, avec Lausséni, on s’est rencontré courant 2022. Il voulait faire passer un palier à son club, englué en National 3 (depuis 7 ans) et qui a perdu beaucoup de joueurs.

Votre arrivée correspond aussi à un changement de statut juridique et donc, forcément, d’orientation…
Oui. En novembre 2022, on a changé les statuts et crée la SAS. On a deux deux entités, la SAS, que je préside, et l’association, avec Lausséni (Sangaré) en co-président. Il va y avoir une augmentation de capital à la rentrée, la société va être constitué d’actionnaires locaux, comme on l’avait dit, parce que c’est un projet territorial. On souhaite faire entrer des acteurs du territoire afin de devenir le premier club français professionnel du Pays Basque. C’est ça le projet. Je sais, c’est un sacré pari, mais c’est notre ambition. Le foot, c’est toujours des paris et de l’ambition. Maintenant, il faut atteindre nos objectifs.

« Sans ambition, sans projet, on ne construit rien »

A Bayonne, au stade Didier Deschamps. Photo 13HF

Ne partez-vous pas de trop loin ?
Déjà, ce serait bien d’imiter nos prédécesseurs, ceux qui ont permis à l’Aviron Bayonnais FC de monter deux fois en National. Ce n’est pas rien. Donc on va déjà essayer de réécrire cette page, avec l’ambition de rester en National puis de devenir professionnel. Je dis toujours que, sans ambition, sans projet, on ne construit rien. Ce projet humain est passionnant : ça va prendre du temps, de l’argent sera injecté mais ce n’est pas uniquement une question d’argent. C’est aussi une question de développement, de volonté et de bonne volonté.

Pas trop compliqué, en terre de rugby, de se lancer dans un tel projet ?
Ici, c’est incroyable, il y a 1500 licenciés foot rien qu’à Bayonne, avec le club des Croisés. Nous, on est déjà pratiquement 800. Et dans le bassin, il y a la JAB (Biarritz), les Genêts d’Anglet, Saint-Jean-de-Luz, etc. Le territoire est vaste, riche. On dépasse le nombre de licenciés rugby.

« Je ne me serais pas engagé si je n’avais pas senti une adhésion »

Avec Cherif Djema, le nouveau recruteur. Photo ABFC.

Votre proche voisin, les Genêts d’Anglet, évolue dans votre poule de National 3 : peut-on envisager un rapprochement entre vos deux clubs pour toucher le professionnalisme ?
(Catégorique). Non. Ce n’est pas une bonne idée. Chacun doit garder son identité. Nous devons être des adversaires loyaux, disputer des derbys comme on le fait actuellement. On a voulu rapprocher les deux clubs de rugby, mais chacun a son histoire. Nous, on ne veut écraser personne. On veut juste devenir une locomotive. On veut être champion de notre poule cette année, forcément. On n’est pas sûr de réussir. Anglet, on le sait, aura son mot à dire aussi et a des ambitions : ils ont fini 2e la saison passée (les deux clubs ont chacun perdu lors de la journée inaugurale, samedi dernier, en N3).

Sentez-vous que votre projet a été accepté ici, à l’Aviron Bayonnais, auprès de tous les gens du club ?
Cela s’est fait par étape. On a pris le temps. Avec Lausséni (Sangaré), on a pris le temps d ‘expliquer les choses, de présenter le projet, qui a été validé. Les gens adhèrent. De toute façon, je ne me serais pas engagé si j’avais senti que ça allait être compliqué ou que les gens ne voulaient pas construire un vrai projet. Et au contraire, aujourd’hui, je suis conforté dans ma décision, car beaucoup de personnes ont envie d’accompagner ce projet. J’ai l’impression que chaque petite main participe à ce projet collectif.

« Avant de demander, il faut prouver »

Pas de rapprochement avec Anglet, d’accord, mais allez-vous vous inspirer du Pau FC, qui parvient à s’installer en Ligue 2 depuis 2020 ?
Le Pau FC peut être un exemple, un modèle, oui. Ils font un bon travail, ils ont bien avancé, ils se sont bien développés, ils ont un joli petit stade. Mais Pau, c’est le Béarn. Et Bayonne, c’est le Pays Basque.

Oui mais le Pays Basque, ce n’est pas que Bayonne…
Justement, c’est pour ça, on un bassin énorme. Vous savez que 19 % des abonnés à La Real Sociedad (le club de Saint-Sébastien, qui évolue en Liga espagnole, n’est qu’à 50 kilomètres) sont français ?! Il y a ou il y a eu beaucoup de clubs pros en Liga espagnole dans le pays basque (Osasuna Pampelune, Eibar, Athlétic Bilbao, Real Sociedad, Alavès…). D’ailleurs, on est partenaire de l’Athlétic Bilbao.

Sentez-vous les collectivités derrière vous ?
Oui, mais avant de demander, il faut prouver. Le projet de l’Aviron Bayonnais est récent. La première étape, la saison passée, c’était le maintien en National 3. L’étape 2 est de finir champion de N3 et après, on verra ! Je n’ai aucun doute sur l’aide des collectivités, elle arrivera ensuite. Mais nous ne sommes qu’en N3 et on a un grand frère bienveillant, l’Aviron Bayonnais rugby, qui est un modèle en matière de développement, de partenariat, surement le meilleur à suivre. Il n’y a pas besoin d’aller très loin pour le voir : le stade Jean-Dauger, rénové, joue quasiment à guichets fermés à tous les matchs. Mais bon, voilà, on est en N3, et on sait aussi que le nouveau N2, la saison prochaine, va être plus relevé avec le resserrement des championnats (passage de 4 à 3 poules). Ce sera un vrai grand championnat.

« A Clermont, on disait qu’il n’y avait pas la place pour le foot… »

Landry Bordagaray, l’entraîneur de l’équipe de N3. Photo DR

Le foot au pays de l’ovalie, vous y croyez ?
Le foot reste le foot. Avec toute sa force. Rien ne peut le battre. Même en terre de rugby. Parce qu’il est le sport le plus populaire dans le monde et même dans le territoire basque, où il y a de la place pour tout le monde. Bien sûr, ici, on aime le rugby, mais aussi le foot ! Le meilleur exemple, pour moi, c’est Clermont-Ferrand. J’ai vu des matchs au stade Gabriel-Montpied, ils faisaient une moyenne de 2500 spectateurs en Ligue 2. Le foot n’existait pas en Auvergne. Personne ne voulait aller voir un match à Gabriel Montpied. Là-bas, tout le monde disait qu’il n’y avait pas le place pour le foot à cause de l’ASM Rugby (Montferrand), le mastodonte.

Et puis Clermont Foot est monté en Ligue 1, avec Pascal Gastien comme coach et un investisseur suisse (Ahmet Schaefer), que j’ai eu l’occasion de rencontrer. Aujourd’hui, on ne parle plus que du Clermont Foot, le stade fait 15 000 spectateurs de moyenne, et pourtant Montferrand est toujours en Top 14. C’est donc bien qu’il y a de la place pour deux.

Quels sont vos rapports avec le grand frère, l’Aviron Bayonnais Rugby ?
On commence à se voir. C’est le début de l’histoire, il faut construire les choses, il faut prouver aussi qu’on est capable de faire du bon travail. On demande de l’aide quand on prouve.

Sur un plan personnel, passer de la Ligue 2 au N3, ça ne vous fait pas peur ?
On me l’a beaucoup dit… Quand vous passez 35 ans dans le foot professionnel et que vous revenez dans le monde amateur… Mais j’ai aussi connu une année de National 2 avec Niort, à mes débuts de dirigeant (manager général), en 2009. Je me suis déjà mis derrière un bar dans l’espace VIP, j’ai vidé les meubles du centre de formation avec d’autres personnes, tout ça, ça ne me fait pas peur, tant que l’on est passionné et que l’on a envie de construire quelque chose, que les résultats commencent à se voir, sur le terrain et en dehors. Parce que je n’oublie pas que c’est une construction sur le terrain mais aussi en dehors, c’est une construction du club en général. Se professionnaliser, ce n’est pas uniquement gagner des matchs, même si, dans le foot, la première chose, celle que l’on vend, celle que l’on veut faire, c’est de gagner des matchs. Des gens ont été surpris que je m’investisse ici, c’est vrai, mais l’Aviron, ce n’est pas n’importe quel club. Son potentiel est énorme. C’est un nom, une marque, un territoire. Et ce n’est pas normal qu’il n’y ai jamais eu de clubs de Ligue 2 ici, au Pays Basque.

C’est aussi le bleu qui est plus clair que celui de Niort aussi…
Oui, le sang passe de bleu marine (Niort) à bleu ciel (Aviron), mais il reste bleu !

« Je ressens un dynamisme fou au Pays Basque »

Avant de vous intéresser à l’Aviron, vous sembliez parti pour vous investir à Vannes, en National 2, où vous n’êtes resté que 3 mois : pourquoi cela a-t-il capoté ?
Parallèlement à mon métier de dirigeant, je fais aussi du conseil. J’ai d’ailleurs déjà conseillé plusieurs clubs, notamment dans leur stratégie de recrutement, dont le club de Vannes, avec Maxime Ray, son président, qui avait envie de construire quelque chose de solide. On avait bien accroché, mais Maxime a quitté le club subitement suite à un désaccord avec la municipalité, c’est son choix. Tout naturellement, j’ai donc quitté le projet aussi. En fait, quand j’ai vendu mes parts en 2020 aux Chamois Niortais, où j’étais actionnaire majoritaire, je ne me voyais pas couper du foot. Je trouvais que Vannes avait un gros potentiel, ils ont un joli petit stade (La Rabine), en pleine ville, avec aussi du rugby !

Maintenant que vous êtes installé ici, comment trouvez-vous le Pays Basque ?
Je le trouve dynamique. Je ressens tout de suite ça. Ici, quand vous parlez avec des partenaires, quand vous vous promenez en ville, c’est d’un dynamisme fou. Je suis surfeur à mes heures, je peux vous dire que ce n’est pas la même ambiance dans les rouleaux que dans les vagues à l’île d’Oléron ! Ce n’est pas pareil du tout ! Simplement, ici, il faut quand même y aller sur la pointe des pieds et faire attention de ne pas prendre la vague de quelqu’un (rires), et c’est après que l’on se fait adopter !

« Niort qui descend en National, c’était inéluctable »

Et d’un point de vue économique, pensez-vous que le bassin soit suffisant pour, un jour, « supporter » un autre club professionnel ?

Ici, il y a beaucoup d’entreprises, notamment privées. On est sur un autre modèle économique qu’à Niort, qui est la capitale européenne des assurances. Les assurances, c’est très bien, ça a des avantages, mais aussi des inconvénients : car il n’y a pas pire que des assurances pour prendre des risques ! La Macif a été des a été un partenaires historiques des Chamois Niortais, il y avait une relation de confiance avec son président. Idem avec l’entreprise Poujoulat. Je ne crache pas dans la soupe, loin de moi cette idée là, et la Maif continuent d’accompagner les Chamois sur la formation, mais à Niort, il n’y avait que ça. Après, ce sont des mutualistes, ce sont des fonctionnaires de l’assurance, donc ce sont des gens manquent en général de dynamisme. Ici, le territoire est énorme, six fois plus grand qu’à Niort, où c’est tranquille. La tranquillité, parfois, c’est bien pour bosser, mais pour passer des paliers et développer des choses, il faut du dynamisme et des gens à l’écoute de ce que vous leur expliquez. Et ici, c’est ce que je ressens. Il y a du relief, l’océan, du caractère. On sent qu’il y a de la force. Celle de l’Atlantique et de la montagne.

On ne peut pas terminer cet entretien sans parler de Niort… Voir le club en National aujourd’hui, cela vous fait quoi ?
C’était inéluctable. Je ne suis pas content de ce qui s’est passé ces dernières années, notamment la saison passée. Les frères Hanouna (Eytan et Mikaël) n’ont pas été très intelligents dans leur communication, dans ce qu’ils ont fait, mais ça, ce n’est pas à moi d’y répondre. En tout cas, ce que je peux vous dire, c’est que ce n’est pas le projet qu’ils m’avaient vendu quand ils ont acquis mes parts, mais ça, c’est encore autre chose… Je pensais vraiment qu’Eytan allait faire passer un palier au club, notamment sur le plan des infrastructures.

« J’aurais aimé m’asseoir dans le nouveau stade de Niort »

Aux Chamois Niortais en 2017. Photo : Philippe Le Brech

Niort, c’est un regret ?
J’ai deux regrets. Je n’aurais pas dû prendre Mikaël Hanouna au poste de directeur sportif. Quand on a eu quelques avis de tempête au club, j’ai voulu maintenir les choses en resserrant les rangs, mais j’aurais dû faire différemment, et si c’était à refaire, je ne le referais pas, ou pas de la même manière. Je regrette aussi mon départ du club (en août 2020) : c’était une période compliqué, la Covid est arrivée quelques mois plus tôt, le club était barragiste quand le championnat de Ligue 2 s’est arrêté, et il a fallu se battre contre beaucoup de choses, contre beaucoup de gens. On a eu beaucoup de réunions du Conseil d’administration de la Ligue pour prendre des décisions, mais je ne pense pas que l’on ait pris les meilleures, surtout quand je vois que l’on a relégué les deux derniers, Le Mans et Orléans, en National. C’était des décisions injustes. J’y ai vu comme un signe. Il a fallu aussi se battre contre Boulogne, le barragiste de National, qui voulait jouer contre nous, il a fallu se battre contre Clermont, contre les barragistes de Ligue 1… A partir du moment où on ne peut pas jouer au foot, on ne peut pas jouer au foot ! On ne va pas ouvrir les stades juste pour des barrages, il faut être lucide. A partir du moment où on arrête les activités sportives, on les arrête, voilà.

C’était une saison compliquée, je me suis dit que c’était le moment de partir. Et puis je n’arrivais pas à faire passer un palier au club, notamment sur le plan des infrastructures. Pourtant, les dossiers avançaient, mais pas suffisamment à mon goût. Niort était le seul club de Ligue 2 sans qu’aucun investissement n’ait été réalisé dans son stade, c’est unique. Des choses ont pourtant été lancées mais tout ça, en fait, n’était qu’une Arlésienne. Là, je viens d’arriver à Bayonne : bon, déjà, au stade Didier Deschamps, il n’y a pas de piste autour. Ok, c’est du National 3 et pas de la Ligue 2, mais on sent qu’on peut faire quelque chose. C’est pour ça, quand je vends mes parts aux frères Hanouna et que derrière, la première chose qu’Eytan dit, c’est que le stade n’est pas important…. Fermez la parenthèse. Mon immense bonheur aurait été de m’asseoir dans le nouveau stade de Niort, quelque soit son nom, et d’aller y voir un match professionnel.

Photo Yvon CHARONDIERE / LFNA

En 2020, la décision de prendre l’entraîneur Sébastien Desabre pour Niort, c’est vous ?
Oui. Je le rencontre une première fois à Marseille, à une période où mon coeur balance entre l’arrêt et continuer aux Chamois, malgré tout. J’aime le club foncièrement, et si je pars, je veux le laisser dans de meilleurs dispositions possibles, avec un entraîneur compétent. Je le rencontre une deuxième fois, à Niort. Sébastien, il a fait du bon travail aux Chamois (deux maintiens d’affilée). Je recrute aussi Pape Ibnou Ba en attaque cette saison-là, et avec lui, on ne se trompe pas sur l’avant-centre (14 buts). Cela n’a pas été le cas l’an passé… En fait, à mon départ, tout avait été mis en place, j’ai laissé les clés d’un club en bon état, sportivement et financièrement, sans problème particulier, sans cadavre dans les placards.

Tout à l’heure, vous avez évoqué l’exemple du Clermont foot, qui est entraîné par Pascal Gastien, un homme qui, comme vous, est resté très longtemps à Niort, où il a marqué le club : où en sont vos rapports avec lui ?
Pascal Gastien est parti fâché, ce que je peux comprendre car j’avais décidé de ne pas le conserver à Niort lorsqu’il est arrivé en fin de contrat en 2014, alors qu’on venait de finir 5e avec lui. Quand je deviens manager général en 2009, le club est tombé en CFA (National 2), et c’est moi qui le nomme entraîneur, alors que personne n’en voulait. Il a tendance à l’oublier. C’est Franck Azzopardi, un autre historique du club (16 saisons, 438 matchs, puis adjoint de Gastien), qui me conseille de le prendre. Pascal a fait un super travail, il a fait deux montées en trois ans. Le club s’est relancé, mais en 2014, on doit monter en Ligue 1… Ce n’est pas possible… On a eu une des équipes les plus fortes de l’histoire du club. Je suis le premier à le dire : je suis admiratif du travail qu’il fait. C’est quelqu’un que j’apprécie, même si on n’ira peut-être pas boire un café ensemble, parce qu’il a pris le fait que je ne le conserve pas comme une trahison. Je sais ce qu’il nous a apportés. Sans lui, on ne serait pas remonté. Mais le foot est un travail collectif. Or Pascal a tendance à parfois tendance à tirer un peu la couverture à lui.

Karim Fradin, du tac au tac

Meilleur souvenir sportif ?

Sous le maillot de Stockport en 2001 – Photo Andrew Cowie

Il y en a plusieurs ! La finale de la Coupe de France avec Châteauroux (défaite face au PSG en 2004), la montée en Ligue 2 avec les Chamois Niortais (2006) et aussi le derby avec Manchester City, quand je jouais en Angleterre, en Championship (l’équivalent de la Ligue 2), on avait fait 2-2 à Maine Road, leur ancien stade.

Meilleur souvenir de dirigeant ?
La remontée aussi avec les Chamois Niortais, c’était sur le terrain du Gazelec Ajaccio, en 2012. J’avais dû rester là-bas avec le président de l’association, Jean-Louis Mornet, parce que Paul Delecroix, notre gardien, s’était blessé à l’épaule. Je n’avais pas dormi de la nuit !

Pire souvenir de joueur ?
Ma saison à Nice. Je sortais d’une belle saison à Niort et j’arrivais avec plein d’ambition, dans un bon club de Ligue 2, historique, mais je me blesse au genou dès la 2e journée à Sedan, puis en revenant j’ai eu une pubalgie, j’ai subi une nouvelle opération, et finalement, je n’ai pas bougé joué. J’ai passé plus de temps dans les hôpitaux. La saison était compliquée aussi en interne : on avait un nouveau président et un nouvel entraîneur chaque trimestre (rires) ! Mais j’ai beaucoup aimé la ville. Mon premier fils y est d’ailleurs né.

Photo DR

Pire souvenir de dirigeant ?
C’est de partir des Chamois Niortais, parce que les choses, notamment au niveau des installations, des infrastructures, n’avançaient pas. J’en ai eu marre.

Combien de buts marqués ?
Ce n’est pas la question qu’il faut me poser (rires) ! J’ai quand même eu une saison en Championship où j’avais mis 7 ou 8 buts, ça a été ma saison la plus prolifique, sinon, je mettais mon but chaque saison.

Le plus beau but ?
A Preston, en Cup, un missile de 20m en pleine lucarne.

Pourquoi, petit, avez-vous choisi de faire du foot ?
Je jouais dans mon quartier, dans la rue, à l’école, dans une station de RER aussi avec une balle de tennis dans le métro, et j’y ai pris goût ! J’avais mis des posters dans ma jambe, celui du Maroc de 1986 en Coupe du Monde, qui avait battu le Portugal (3-1), celui de l’équipe de France aussi, et celui du PSG.

Geste technique préféré ?

Aux Chamois Niortais en 2014. Photo : Philippe Le Brech

Le tacle. J’étais un milieu plutôt rugueux, bon au combat, un joueur à l’ancienne ! C’est pour ça qu’en Angleterre, en Championship, je me suis régalé. Bon, il fallait défendre et attaquer aussi, donc beaucoup courir ! C’est un peu surprenant au début, mais j’avais du volume de jeu donc ça allait. En fait, j’étais assez dur, je n’étais pas un grand technicien.

Vos qualités et défauts dans la vie de tous les jours ?
Je dis toujours qu’on est dans la vie ce que l’on est sur le terrain. Généreux, trop parfois. Loyal. Je pouvais aussi me laisser aller. J’étais parfois un peu trop tranquille, comme dans la vie d’ailleurs… C’est pour ça, rien n’est jamais fini, il faut être stimulé en permanence, ne pas se relâcher. J’aime le partage, je suis assez ouvert. Je dirais quand même généreux : c’est ce qui me caractérise le plus et c’est ce que disent mes amis et ma famille. C’est aussi la signification de mon prénom en arabe, « Karim ». « Le sport m’a sauvé la vie » m’a dit ma mère, car j’étais un enfant hyper actif. Il m’a canalisé. Mais la générosité, ça peut aussi être un défaut. J’ai un management assez humain, ça aussi, ça peut être un défaut, mais la bienveillance, l’humain, resteront toujours ma caractéristique dans mon management.

A Bayonne, au stade Didier Deschamps. Photo 13HF

Le club où vous auriez rêvé de jouer dans vos rêves les plus fous ?
Le PSG. Un club londonien aussi, Tottenham : j’ai eu la chance de jouer à White Hart Lane, l’ancien stade de Tottenham…Il aurait fallu que je sois un meilleur joueur pour évoluer en Premier League. Mais bon, la championship était déjà un championnat extraordinaire.

Un coéquipier marquant, un ami ?
Laurent Djaffo, avec qui j’ai joué à Niort et en Angleterre. Il est agent de joueurs maintenant. D’ailleurs, on a travaillé ensemble aux Chamois Niortais pour le transfert de quelques joueurs. Armindo Ferreira aussi, avec qui j’ai joué à Châteauroux, et que j’avais vu éclore à Niort.

Un coéquipier dans le jeu ?
J’ai aimé jouer avec Lionel Prat à Nice, un attaquant formidable, très moderne, qui aurait dû faire une meilleure carrière je pense. J’ai joué aimé jouer avec un milieu offensif virevoltant, gaucher, un très bon joueur, Kevin Cooper, à Stockport. Il a joué ensuite à Cardiff et à Wimbledon notamment.

Un joueur marquant dans votre carrière de dirigeant ?
Quand on est dirigeant, on essaie de raconter une histoire. Celle de Dylan Bronn me plaît bien. C’est un garçon que l’on va chercher en DH (R1) à Cannes et vous l’emmenez jusqu’en Coupe du Monde avec la Tunisie (il évolue aujourd’hui à la Salernitana, dans le Calcio). Vous l’avez aidé, accompagné, mais c’est lui le premier responsable de sa réussite. Kevin Malcuit aussi, pareil, il n’est même pas titulaire à Fréjus en National et il a failli être international quelques années plus tard. Je pourrais aussi parler de Nicolas Pallois ou d’autres. Accompagner ces garçons-là, c’est aussi ça le foot !

Un président marquant ?
En Angleterre, Brendan Elwood, un millionnaire irlandais. J’aime le détachement des présidents là-bas : ils investissent et laissent les gens travailler.

Un modèle de président ?
Jean-Michel Aulas à ses débuts, il était précurseur à Lyon, et plus récemment Laurent Nicollin (Montpellier), l’antithèse du fils à papa : il est toujours dans la bienveillance. J’aime bien Loïc Féry (Lorient), un président pragmatique.

Un coach marquant ?

A gauche, lors du derby azuréen à Cannes, en D2, sous le maillot de l’OGC Nice (saison 1998-99)

Il y en a beaucoup ! Tous apportent quelque chose. On s’enrichit de tout et de tout le monde. J’ai eu beaucoup d’affinités avec Victor Zvunka, que j’ai connu jeune, quand j’étais au centre de formation à Valenciennes, et que j’ai retrouvé à Nice. Philippe Hinshberger aussi : j’étais son capitaine quand on a été champion de National à Niort. Je pourrais citer aussi Robert Buigues, Albert Rust. Mon entraîneur à Stockport aussi, Andy Kilner : c’est lui qui m’a mis dans l’équipe alors que j’étais à l’essai un mois avant de signer pour 4 ans ! J’ai aussi croisé brièvement Christian Damiano à Nice et quelques mois ont suffi pour que je comprenne que c’était un bon. Mais si je dois en sortir un, c’est Victor (Zvunka) : avec lui, c’est tout ou rien. Bon, avec moi, ça a été « tout » (rires) ! Je me retrouvais dans son discours de loyauté. Avec Victor, il ne fallait rien lâcher.

Un entraîneur à oublier ?
Non, aucun. Vous savez, quand ça marche moins bien pour vous, il faut le dire aussi, ce n’est pas forcément la faute de l’entraîneur. L’année ou je signe à Nice, j’avais aussi la possibilité d’aller à Troyes ou à Lorient, et en fin de saison, ce sont Troyes et Lorient qui sont montés ! Donc à un moment, on est aussi responsable de ses choix ! Je n’ai pas fait que des bonnes saisons !

Une négociation difficile de dirigeant ?
Certaines prolongations de contrat avec des garçons que l’on souhaitait conserver. Je suis très attaché aux joueurs, que cela soit à Niort ou à Bayonne. J’ai perdu des garçons comme Paul Delecroix, que j’aurais aimé garder, Mouhamadou Diaw aussi, le joueur emblématique de ma période niortaise : je l’avais recruté en CFA à La Vitréenne sur les conseils de Victor Zvunka. J’ai aussi eu des transferts pas faciles, d’autres formidables comme celui de Junior Samba avec Laurent Nicollin (Samba évolue aujourd’hui à la Salernitana dans le Calcio), qui a respecté notre travail. Parce que les clubs de Ligue 2 travaillent autant que les autres et forment aussi des joueurs pour la Ligue 1. J’aurais aimé transférer Valentin Jacob à Guingamp mais ca ne s’est pas fait. On aurait fait un joli transfert.

Vous étiez un joueur plutôt…
Généreux, impulsif, ambitieux. Je connaissais mes limites et j’en ai fait une force : je savais ce qu’il fallait que je fasse et ce qu’il fallait que ne je fasse pas, par exemple, j’ai vite compris que les transversales, ce n’était pas pour moi (rires).

Combien d’amis dans le foot ?
2 ou 3.

Vous êtes un dirigeant plutôt…
Bienveillant et ambitieux. Construire un projet, c’est collectif. J’ai rencontré beaucoup de personnes, à Niort ou ici, à Bayonne, avec qui on a construit des choses. Avec qui on va construire des choses.

Le foot, en deux mots ?
Passionnel, dans tous les sens du terme. Le foot, c est comme l’amour : ça se passe bien et parfois moins bien… Il y a des victoires, des défaites, et parfois on perd la tête, ça rend les gens un peu fous ! Parfois on se fait du mal physiquement et mentalement. Le foot, ce n’est pas un travail, c’est un plaisir, une passion, où vous ne comptez pas vos heures.

Texte : Anthony BOYER / aboyer@13heuresfoot.fr / Twitter : @BOYERANTHONY06

Photos : Philippe Le Brech, @13heuresfoot, ABFC (sauf mentions spéciales)

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