Jean-Claude Plessis (Sochaux) : « C’est plus qu’un défi, c’est une mission divine ! »

Le président emblématique du FC Sochaux-Montbéliard (1999-2008) est revenu à la barre l’été dernier aux côtés de son bras droit Pierre Wantiez. Il évoque les souvenirs des années 2000, raconte les premiers mois de son retour, marqué par le sauvetage du club, rétrogradé en National, et évoque l’avenir.

À Montbéliard, il est sans doute plus connu que Marie-Noëlle Biguinet, la maire en place. Au stade Bonal et dans les alentours, c’est une idole. Une légende. Homme de poigne, Jean-Claude Plessis (79 ans) a tenu le FC Sochaux-Montbéliard de 1999 à 2008. Président charismatique, il a surtout emmené le club doubiste en coupe d’Europe plusieurs saisons et au stade de France à trois reprises. Derrière son passage, un titre de champion de D2 en 2001, une coupe de la Ligue en 2004 et une coupe de France en 2007. Un palmarès qui ne dit pas tout de la trace qu’il a laissée dans les cœurs. Elle est immense. Avec lui, le FCSM a connu ses dernières années fastes et quelques joueurs frissons. De classe, aussi, comme Mickaël Pagis ou Teddy Richert. Si les supporters ne l’ont jamais oublié depuis son départ, ils n’avaient plus forcément de nouvelles de lui ces dernières années.

Alors il est revenu dans le paysage. Sans vraiment le vouloir et encore moins le prévoir. Par la force des choses, par le sens de l’histoire. Plombé par un déficit colossal, l’institution FC Sochaux est passée proche de disparaître et l’équipe de couler en National 3.

Mais Jean-Claude Plessis n’a pas laissé faire. Alors il a observé, tendu l’oreille et s’est laissé prendre par l’émotion. La détresse du peuple franc-comtois l’a rappelé à son devoir. Accompagné de Pierre Wantiez, son bras droit des grandes années sochaliennes devenu directeur général, il est revenu poser ses valises près des usines Peugeot pour tenter de sauver le monument. Non sans mal mais avec succès. Le 17 août, la DNCG autorisait Sochaux à repartir en National et ses supporters à retrouver goût au football.

Après 12 journées, l’équipe entraînée par Oswald Tanchot, 8e, compte 16 points et affine gentiment son fond de jeu. Mais le club n’est pas encore totalement sorti d’affaire et l’ex-président revenu aux manettes le sait.
Il y a quelques jours, Jean-Claude Plessis nous a ouvert son bureau du stade Bonal pour se livrer sur les derniers mois intenses et ceux qui arrivent. Il s’est aussi replongé dans les souvenirs d’époque, celle où Sochaux valorisait le football français. Lui se souvient de tout. Les supporters aussi.

Interview

« Le club n’est pas encore sauvé »

Comment vous sentez-vous après cet été dense ?
Ça continue. Il ne faut pas croire, le club n’est pas encore sauvé. On a trouvé des repreneurs, on a pu faire ça au dernier moment. On ne sait même pas encore comment on a pu y arriver ! Maintenant il faut serrer la vis. Les installations, le stade, ce n’est pas gratuit tout ça. On a un train de vie qui est plus celui de Ligue 2 que de National. Voire de Ligue 1 avec le centre de formation. C’est un coût important mais c’est un choix qu’on a fait. Le centre, c’est notre ADN. On est obligé de réduire les coûts, faire attention. On essaie de ne pas perturber l’équipe de foot. On fait tout ce qu’il faut.

Comment on s’y prend, on fait une croix sur certains services ?
On essaie de réduire, notamment le personnel. Mais ça, chacun le savait. C’était tout ou rien. On est en train de faire les budgets et c’est surtout au niveau du personnel administratif. Il est certain qu’on a moins de travail quand on est en National qu’en Ligue 1. Mais quand il y a un match, il faut des stadiers et à peu près les mêmes choses, ça ne change pas. C’est difficile mais on se bat et on espère y arriver.

« Si je n avais pas d’énergie, je ne serais pas là »

Vous êtes revenu à Sochaux plein d’énergie !
Bien sûr. Si je n’avais pas d’énergie, je ne serais pas là. A la limite, on n’était pas venu Pierre (Wantiez) et moi pour rester. On pensait que sur place on aurait trouvé (un repreneur). Mais ça ne s’avère pas vrai pour l’instant. Il n’y a pas assez de candidats mais trop à la fois. On reste pour calmer le jeu et on verra dans quelques mois ce qu’il en est. Je n’ai pas vocation à rester là plusieurs années.

C’est dur de trouver le bon profil parmi les candidats ?
Tout le monde a envie de diriger un club de foot, mais on va remettre les choses à leur place et après on verra.

Quel était votre quotidien avant de revenir ?
J’ai une épouse plus jeune que moi, on a un appartement dans Brest. On allait aux spectacles, au cinéma, je faisais du vélo au bord de la mer. Mes journées étaient toujours pleines. Je suis un mec assez solitaire, je peux rester tout seul pendant un moment, m’asseoir au bord de la mer et la regarder pendant deux heures, ce qui énerve ma femme. Et puis j’ai une maison au Sénégal, j’y allais beaucoup à l’époque. Mon petit club (l’AS Brestoise) me prenait aussi un peu de temps. C’est du boulot ! […] Je dois remonter pour l’assemblée générale, s’ils veulent trouver un autre président on verra ça mais je crois qu’ils veulent me garder. C’est gentil de leur part (sourire).

« Ce qu’on fait est complètement hors-norme. « 

Quand vous êtes revenu, la situation pouvait ressembler à un bourbier. Il y a eu plusieurs étapes dans votre raisonnement ?
On ne pense pas à ça, on se demande ce qu’on peut faire. On ne se pose des questions que 24 heures et quand le club est au bord du dépôt de bilan, on intervient. J’appelle Pierre, on se dit qu’on y va et le lendemain matin on est sur le téléphone et on appelle tous les sponsors et administrateurs. On essaie, on avance. La chance qu’on a, c’est qu’il y a deux-trois gars qui nous disent oui tout de suite. On a aussi un investisseur parisien qui nous dit oui pour une grosse somme, mais au dernier moment il nous lâche. Ça a été compliqué. Mais la plupart des autres actionnaires n’étaient pas chauds pour qu’on ait un investisseur intéressé par la revente. Ceux qui font ça le font par amour, ce sont des gens d’ici, qui ont joué au club, qui connaissent son importance pour la région. Des passionnés, des amoureux du foot. Ils pensent bien qu’ils ne récupéreront pas forcément leurs deniers, mais ils veulent sauver le club. C’est ça le leitmotiv. C’est possible, mais ce sera difficile.

C’est possible parce qu’on parle du FC Sochaux, un club marquant ?
Oui. Mais le football d’aujourd’hui n’est pas tout à fait axé sur ce qu’on fait nous. Ce qu’on fait est complètement hors-norme puisqu’on va monter une Scic (Société coopérative d’intérêt collectif), ce qui intègre les actionnaires, les pouvoirs publics, les supporters… Ce n’est pas si facile que ça. Bastia l’a fait mais dans des conditions moindres. Nous on y va plein pot. Les pouvoirs publics veulent savoir ce qu’il se passe, les actionnaires aussi. Surtout que dans une Scic, une personne égale une voix. Ce n’est pas le plus riche qui dirige. Mais on a la chance d’avoir les Sociochaux (Socios qui ont participé au sauvetage), ils vont avoir un siège et comprennent très bien l’action. Ça va se faire, mais la mise en place n’est pas facile.

Où situeriez-vous l’avancée ?
On arrive au bout. On a eu une réunion, on a 42 actionnaires. Ça fait beaucoup. Être actionnaire du FC Sochaux, ce n’est tellement pas rationnel… Le foot, c’est un monde à part.

« Sans Pierre (Wantiez), je n’aurais pas pu y arriver »

On a beaucoup parlé du retour de l’ancien président, mais vous formez un duo avec Pierre Wantiez qui faisait la force de cette reprise…
C’est habituel. Il connaît mieux les lois que moi parce que j’ai été éloigné du football professionnel pendant quinze ans. Il a toujours été dedans avec plusieurs clubs et a toujours fait partie des instances dirigeantes. Sans lui, je n’aurais pas pu y arriver.

Vous avez retrouvé vos réflexes facilement ?
Oui. On ne s’est jamais perdu de vue, il travaillait au Havre où était mon fils. On ne pensait pas retravailler ensemble mais on se connaît bien, on sait quelles sont nos limites de territoires. Moi je suis plus orienté sur l’équipe, le management. Lui est plus orienté sur tout ce qui est administration, Dieu sait qu’on a besoin de lui avec la Scic. Mais ça se passe bien. De toute façon, si ça se passait mal on ne resterait pas là.

La vie de vestiaire vous avait manqué ?
J’avais déjà un groupe, j’ai 550 licenciés à Brest. ça a été un très gros club, champion de France amateur à l’époque. J’avais déjà été président de ce club il y a une quarantaine d’années. Quand je l’avais quitté on était en 3e division. On avait joué la montée pour la 2e. Mais ça m’avait bien arrangé parce qu’il y avait déjà le Stade Brestois et la Ville, qui donnait de l’argent, ne voulait pas un deuxième club en professionnel. Mais ça reste un club formateur que j’ai repris à la demande d’anciens joueurs devenus dirigeants, ils sont venus me chercher pour que je reprenne la présidence. Je l’ai fait avec plaisir.

Vous aviez donc encore les deux pieds sur le terrain…
Oui. Et puis je sais faire ça. A Sochaux, j’ai la chance de tomber sur une bonne équipe dirigeante, avec un entraîneur tout à fait au-dessus de mes espérances. C’est un gars qui me va très bien.

« Oswald Tanchot pense comme nous. J’aime beaucoup ce type. « 

Avec le coach Oswald Tanchot

Justement, le coach Oswald Tanchot semble bien coller à l’identité locale alors qu’il n’est pas de la région…
Moi non plus je ne suis pas d’ici (rire). Ils ont l’habitude, ces gars-là. Ils voyagent pas mal. Il s’est trouvé là au bon moment. Il n’est peut-être pas en Ligue 2 mais je pense que ça doit être un révélateur plus important. Il est adulé par les spectateurs, ce qui nous arrange bien en ce moment. Il est tout ce qu’on veut : on est toujours un club formateur, je ne l’oublie pas. Contre Melisey (le 15 octobre en Coupe de France, qualification 4-0), il y avait huit ou neuf joueurs qui sortaient du centre de formation. J’ai été obligé de lui dire chapeau. Il pense comme moi, il pense comme nous. J’aime beaucoup ce type. Il est travailleur, je le vois faire. Je suis allé au match de la réserve, il était là. Il s’intéresse à tout. Le directeur sportif, Julien Cordonnier, aussi. Les kinés et le service médical je les connais, ils étaient déjà là.

Comme Freddy Vandekerkhove, l’intendant historique !
(Il soupire en souriant) Freddy, c’est moi qui l’ai embauché, alors… Quelle erreur j’ai faite (rire) ! Il jouait au foot avec mes fils à l’époque.

« Bonal, c’est la tour Eiffel, c’est l’ADN du club ! »

On a le sentiment que cette période compliquée a permis de faire ressortir encore plus l’identité locale et l’amour des gens pour le club.
Ça continue. Je ne peux pas faire deux mètres sans faire une photo. On a eu des bons souvenirs, on a fait des belles choses ensemble il y a quinze ans. Pour moi c’était fini, je suis revenu pour eux. Dieu sait si ma vie est bouleversée ! (rire) Je ne suis plus tout jeune, mais ça m’a donné un regain d’énergie. Je suis en forme, tout va bien. On fait face à tous les soucis qui tombent régulièrement. Ces gens-là ont failli perdre leur âme. Bonal, c’est la tour Eiffel. C’est les arènes de Nîmes. Les Nimois ne vont pas toujours aux arènes, mais si vous les cassez… Bonal, c’est l’ADN du club avec le centre de formation. C’est aussi pour ça qu’on s’est battu pour sauver le centre. Ceux qui jouaient le côté National 3 avec un dépôt de bilan, c’était la perte du centre de formation. Quand il y a des matchs en professionnel, les équipes viennent, prennent un hôtel, vous savez comment ça se passe. Comme les matchs en National se jouent à 19h, les gens vont manger au restaurant après. On a sauvé une partie de l’économie de ce pays, c’est pour ça que les pouvoirs publics nous ont aidés. Donc oui, il y a un engouement parce que c’est une identité. On a refusé l’argent qui vient pour nous déstabiliser. Aujourd’hui, il y a sans doute des actionnaires qui voudraient rentrer mais pourquoi faire ?

C’est la question à laquelle il n’est pas évident de répondre ?
Oh si, on sait quoi faire ! Moi, je suis obligé de respecter les quatre ou cinq qui ont permis de boucler le budget DNCG en trois jours. Les autres, je ne les méprise pas, mais ils sont arrivés après. On était au mois d’août, certains étaient en vacances. Mais les premiers, ce sont les grosses sommes et ils ont répondu présents au premier coup de téléphone. C’est ce qui a fait le noyau dur. Aujourd’hui, on a un beau tour de table mais on en est au stade où il faut pérenniser le club. Vous l’avez bien compris : je ne suis pas venu ici pour passer mon centenaire !

Il y a des régions plus ensoleillées pour ça…
Je m’en fous de ça. Je suis tellement heureux. Quand je vais à la sortie du stade et que je vois le plaisir que les gens peuvent avoir, qu’ils viennent te remercier. On a fait un truc dont tout le monde se souviendra très longtemps, surtout ici.

Qu’est-ce qui vous lie précisément à ce club, qui fait que c’est si fort en vous ?
C’est une période de ma vie exceptionnelle. Je n’étais pas destiné dans ma vie à présider un club de football de Ligue 1. En plus, ça a bien marché. Bien sûr que j’ai eu des problèmes, j’ai vu des « Plessis démission » dans les tribunes. Même quand ça marchait très bien. Le public est comme ça, il faut l’accepter, ça fait partie du jeu. Le football c’est comme une entreprise… sauf que ce n’est pas tout à fait une entreprise. Tous les samedis, tu as le résultat de ton travail. Et même si tu travailles bien, tout peut arriver. Aujourd’hui, j’ai le collier d’immunité mais je ne suis pas destiné à rester là très très longtemps.

« Le club a été martyrisé depuis 10 ans « 

Il s’agit du plus gros défi de votre vie ?
Oui. C’est plus qu’un défi, c’est une espèce de mission divine alors que je ne suis pas très croyant. Il y avait des obstacles, avec Pierre on devait les surmonter. On allait se coucher chacun dans son hôtel, on se disait que c’était foutu. Quand on a payé le club on avait encore 2,5 millions de dettes. On a pris des risques. Et puis, surtout, ce qui était dangereux et que je craignais le plus, c’est que quand les gens ont vu que je m’impliquais, ils ne se sont pas posés de question : c’était fini, on avait gagné. Quand on est arrivé, on a passé des nuits à regarder les comptes. Mais pour eux c’était fini, ils nous ont embrassé.

Il fallait rester lucide et froid !
Il fallait surtout leur dire que ce n’était pas gagné. Et tu te dis que si ça ne marche pas, non seulement tu vas foirer mais en plus tu leur as donné de l’espoir. Bon, ça a marché (sourire) !

Vous avez retrouvé le club que vous aviez connu ?
Oh oui. Parfois j’oublie les salons, j’ai du mal à les retrouver. Mais je retrouve la même chose, les anciens partenaires, les anciens supporters, les commerçants, les hôtels… Ce qui a sans doute changé, ce sont les choses qui sont plutôt de l’ordre des instances. Tout le monde voulait que Sochaux s’en sorte, mais tu ne pouvais pas ne pas respecter les instances. Il y a une grosse merde qui avait été faite ici quand même.

Il fallait rattraper une situation bien mal embarquée ?
(Il soupire) Et ce n’est pas fini ! 25 millions de pertes, c’est quand même quelque chose d’extraordinaire. Tout le monde ne s’est pas méfié parce qu’à chaque fois qu’il y avait une perte, Nenking payait. Mais cette fois, ils n’ont pas payé… On sait très bien que ça ne va pas très bien dans l’immobilier en Chine. Le club a été martyrisé depuis 10 ans. Il a tout eu : entre Li qui vendait des LEDS alors qu’on n’a jamais vendu une LED ici, les Basques qui sont venus, ensuite Nenking avec une direction un peu fantaisiste et un gars un peu… (Il s’interrompt et ne cite pas le nom de Samuel Laurent, ex Directeur général) Enfin, on ne va pas dire plus de mal de lui, tout le monde le sait. Il y a eu des choses qu’on n’explique pas, qu’on ne comprend pas. Les agents se sont aussi engraissés sur le club.

Une nouveauté ?
Ça, ça a changé. Les agents que je rencontre aujourd’hui n’ont rien à voir avec ceux que j’ai connus de mon temps. C’étaient des gars avec qui on travaillait en confiance, on gérait ensemble la carrière des joueurs. Aujourd’hui, la préoccupation c’est de faire de l’argent tout de suite. Et les familles s’en mêlent.

« A l’époque, on était à la limite de la Ligue des Champions »

Président de Ligue 1 et de National, c’est le même métier ?
Pour l’instant, c’est la même chose. Sauf que tu te sens un peu comme un parent pauvre du football, quand même. Ton club a brillé, tu as fait des coupes d’Europe, tu as gagné la coupe de France, la coupe de la Ligue… Quand j’ai été champion de France de Ligue 2 avec Sochaux, j’ai pensé que c’était la dernière fois que j’étais champion de France. Maintenant, on va essayer d’être champions de National (rire).

Vous n’êtes pas seulement un ancien président, mais celui des dernières années fastes…
Oui. Notre titre de gloire, quand même, c’est d’avoir gagné le même jour au même endroit la coupe Gambardella et la coupe de France, on a fait la totale (en 2007, face à Auxerre et Marseille) ! L’année d’après, je suis parti parce que j’avais l’âge, je ne voulais pas faire l’année de trop. On ne pouvait pas faire mieux. On était allé perdre à Panionios (Grèce). J’avais invité les joueurs devant l’Acropole, c’était magnifique mais j’avais du mal à encaisser l’élimination. C’est là que j’ai décidé que c’était le moment. Je voulais d’abord changer d’entraîneur parce qu’il ne convenait pas au club, c’était (Frédéric) Hantz. Je pense qu’il a prouvé après qu’il était sans doute un peu surfait. Mais, oui, c’était une belle période. J’ai toujours plaisir à voir mes anciens joueurs, certains étaient extraordinaires. On aurait même pu faire beaucoup mieux. On était à la limite de la Ligue des Champions à chaque fois mais ça m’allait bien. Je ne voulais pas qu’on fasse la Ligue des Champions, les gens tombent sur la tête après. Lens l’a payé presque de sa vie, ça… Quand je suis parti, j’ai dit aux gens « Vous ne vous rendez pas compte ! » A Sochaux, si on réussit, c’est parce qu’on a une formation, qu’on achète et vend des joueurs… C’est formidable ce qu’on vit, mais les gens ne sont pas toujours contents. Je disais aux supporters « Vous vivez peut-être la meilleure période de votre vie, profitez-en les gars ! » On était craint partout, on a passé une saison sans perdre un match chez nous (saison 2002-2003). Je n’étais pas fier, j’étais heureux.

« J’ai toujours respecté ma parole »

Les joueurs de cette époque ont marqué les supporters…
Bien sûr ! Je me fais insulter parce que je vends (Pierre-Alain) Frau et (Benoît) Pedretti la même année, mais je les vends parce que c’était un deal qu’on avait ensemble. Les gars, à 23-24 ans, ils veulent aller voir ailleurs. J’ai toujours respecté ma parole, aucun joueur ne peut dire le contraire. A ce moment-là, c’est à moi de les vendre le mieux possible. Mais avant de partir, ils ont apporté des titres. Ce sont des idoles ici ! Et puis on a trouvé des remplaçants. On a eu Ilan, c’était pas mal. Je rappelle qu’un de mes entraîneurs n’a pas voulu garder Miranda, qui était le capitaine de l’équipe du Brésil…
C’est souvent le nom qui revient avec celui d’Ivan Perisic, dans les grands joueurs passés par Sochaux sans s’y installer !
Perisic, c’est un scandale ! Avec Pierre, on était allé le chercher en Croatie, on avait donné un peu d’argent à son père pour son élevage de poules, on l’avait ramené… (Marvin) Martin l’a un peu bloqué, oui. Mais on l’a donné. D’ailleurs, on se fout de ma gueule avec ça dans toute ma famille, surtout mes fils qui sont très foot. Quand je le voyais après ça me faisait mal, je l’avais connu gamin, j’avais ramené sa mère… Il faut se battre. Autre exemple de l’époque : quand tu vas en Italie, tu as beau t’appeler Plessis ça ne dit rien à personne. Mais quand tu es avec (Bernard) Genghini, les anciens discutent, s’embrassent, se souviennent des matchs qu’ils ont joués… Et après on parle business. On avait fait un match en coupe d’Europe contre l’Inter Milan : Zanetti avait blessé Pedretti et était suspendu. Le club nous avait demandé de faire un rapport comme quoi c’était un accident. On l’avait fait. Quand on a voulu récupérer (Jérémie) Bréchet, le président a dit « Vous avez été correct avec moi, il est pour vous ! » On avait de très bonnes relations avec l’ensemble des autres dirigeants.

La formation était déjà l’ADN…
Je me rappelle toujours, (Jean) Fernandez était entraîneur et appelle (Jean-Luc) Ruty (directeur du centre de formation) en lui disant « Écoute, j’ai besoin d’un milieu de terrain pour un match amical, envoie-moi le plus méritant. » Ruty l’a envoyé, il est rentré, il n’a jamais quitté l’équipe et il est devenu capitaine : c’était Pedretti. C’est un gars que j’ai toujours bien aimé. Quand je vois où il en est aujourd’hui comme entraîneur (à Nancy), je trouve que c’est dur parce que je suis sûr que ce sera un très bon entraîneur. J’avais aussi ramené (Teddy) Richert, un gardien exceptionnel. Il aurait dû jouer en Équipe de France. Franchement, par rapport à (Mickaël) Landreau… Bon, passons, pas de jugement (sourire).
Vous parliez de Perisic. Quand on va chercher un joueur en Croatie, l’étiquette FC Sochaux ne doit pas suffire…
Si ! Miranda, il vient quand ? Et Ilan ? Quand l’équipe était en Ligue 1, ça pouvait être un bon tremplin pour eux. Miranda était tout jeune. C’était un problème de défense à trois, chez nous il était paumé. (Guy) Lacombe, notre entraîneur à l’époque, n’était pas enthousiaste. Ça arrive.

« Si on descend, on est mort »

Revenons à la période actuelle, les supporters doivent être patients ou ambitieux ?
Patients. Les objectifs sont simples : ne pas descendre cette saison. Devant on marque des buts, mais on a une équipe très jeune. C’est vrai que les quelques anciens qu’on a pris ne répondent pas forcément présents. ça peut arriver. Il faut qu’on ait des résultats. Je ne pense pas qu’on va descendre, mais il faut peut-être compléter avec trois-quatre éléments plus âgés pour pouvoir monter.

Compléter cet hiver ?
Non, enfin peut-être un cet hiver si on a l’opportunité mais ce n’est pas l’objectif. On veut avoir le maintien avec ce groupe-là, que la DNCG nous libère peut-être du recrutement onéreux. Il nous faut sans doute quelqu’un derrière et un type devant, un peu comme un (Gaëtan) Charbonnier, qui fait jouer les autres.

Elle vous plaît cette équipe ?
Il y a quelque chose, des garçons comme (Alex) Daho qui vont exploser. J’en suis persuadé. Je suis allé voir la réserve, ça joue de la même façon. ça joue presque trop bien ! Il faut franchir le palier de l’efficacité, on ne l’a pas encore donc il faut s’accrocher. Le problème est simple : si on descend on est mort. Cette équipe a été faite de bric et de broc mais je trouve que les choix ont été bons. Il y a un très bon état d’esprit, des gars bien, polis. ça, ça me fait plaisir.

Ce qui n’est pas toujours le cas avec les sommes assez folles parfois évoquées dans le football ?
Ici, le salaire moyen est à moins de 7000 euros quand même. C’est bien pour le National mais on a bien diminué. A l’époque, des joueurs nous ont coûté plusieurs millions pour avoir joué trois matchs.

Parmi les bons profils, il y a le local Kévin Hoggas, originaire de Besançon…
Oui. A mon époque, il y avait quatre ou cinq joueurs dont le père travaillait à l’usine. (Benoît) Pedretti, (Camel) Meriem, (Pierre-Alain) Frau, peut-être (Jérémy) Mathieu… ça donne du liant à l’équipe. C’est plus difficile maintenant. Le foot professionnel devient trop dur pour nos amis autochtones.

Jean-Claude Plessis, du tac au tac

« Foutre une branlée au Borussia Dortmund, c’était une histoire ! »

Le meilleur souvenir de président ?
(Il réfléchit) Je garde tout, mais la victoire en coupe de France et en coupe Gambardella le même jour (2007)… C’est un truc qu’on ne peut pas imaginer. Je ne sais même pas si ça m’avait fait plaisir, ça m’a grillé. Mes neurones étaient épuisés le soir. J’avais envie d’être seul. Je suis allé voir plein de finales de coupe de France mais je n’étais pas descendu sur le terrain avec le président (rire). C’est le moment le plus fort. Toutes ces finales à Paris, avec 30 000 Franc-Comtois qui venaient à chaque fois. Quand on se fait battre en finale de la coupe de la Ligue contre Monaco (2003), il y a un mauvais climat dans l’équipe et je leur dis « On a appris, on est venu au Stade de France pour la première fois, on y retournera et on la gagnera. » C’est un truc que j’ai dit comme ça, mais à chaque tour qu’on passait, Pedretti disait « On va y aller. » On y est allé et on a gagné (contre Nantes, en 2004, victoire en coupe de la Ligue, 1-1, 5-4 tab.).

La plus grande déception de président ?
(Direct) Panionios ! J’avais de très bons rapports avec le président et son épouse. On avait été reçu chez eux, c’était un héritier des colonels de l’époque. Sa propriété, c’était Versailles ! On le reçoit ici, tout se passe bien. On se fait battre (0-2) et on gagne chez eux (1-0) mais on est éliminé. ça m’a fichu un choc : je me suis rendu compte qu’il fallait que je vire mon entraîneur (Frédéric Hantz). On venait de gagner la coupe de France et on avait quatorze points à la trêve en championnat. On s’en était sorti relativement facilement après, ça veut dire qu’on avait les joueurs…

La plus grande fierté de président ?
Quand je revois les joueurs, ils ont toujours un très bon souvenir de moi. Ils me disent que j’étais juste, que je ne me laissais pas faire et que je ne leur ai jamais menti. Je ne suis pas un champion du téléphone, je ne les appelle pas tous les jours mais je sais qu’à chaque fois qu’on se rencontre c’est un sentiment fort. Avec les (Mickaël) Pagis, (Jérémie) Bréchet, (Maxence) Flachez… Plein de gens peuvent dire du mal de moi, mais les joueurs, en général, disent des choses gentilles. C’est important. Je pense que j’ai été un bon président, que j’ai réussi. J’ai fait avec un style qui fait que je peux me regarder dans la glace. Je passais beaucoup dans les médias et je parlais toujours de Sochaux et de la Franche-Comté. Je me rappelle, Cécile de Ménibus, que je ne connaissais pas, avait charrié Sochaux un jour. Je l’avais rencontrée à Paris, elle était devenue supportrice et ne parlait que de Sochaux. Je crois qu’elle a participé aux Sociochaux. Et puis, on faisait des fêtes terribles ici, après les matchs !

 » Je suis plutôt généreux, même ma femme le dit « 

Une qualité et un défaut dans la vie courante ?
Il faudrait que je demande à ma femme, elle a une liste ! Je suis un peu colérique, mais moins dans le travail que dans la vie. Pour la qualité, je suis plutôt généreux. Même ma femme le dit !

Vous êtes un président plutôt… ?
Les journalistes me qualifient de président à l’ancienne. Je ne sais pas ce que ça veut dire. Si l’ancienneté c’est d’avoir été proche d’Aulas, de Martel, de Rousselot… A notre époque, on avait des réunions parfois épiques à la Ligue, on s’engueulait fort, mais quand la réunion était terminée c’était « On mange où ? » J’ai toujours gardé des contacts avec Jean-Michel Aulas et ces gars-là, même pendant ma retraite. Je parlais tout à l’heure de la radio, mais j’ai arrêté parce que je ne voulais pas être le radoteur. Même pour mes fils, j’étais déjà Toutânkhamon.

Un modèle de président ?
Je ne sais pas qui en est à la tête, mais pour moi, le modèle de club c’est le Bayern Munich. Au Bayern, c’est le club qui compte. Le club que je trouvais bien structuré, c’était Lyon. Aujourd’hui, je ne suis pas en admiration devant le grand club parisien et le grand club marseillais…

Un ami président ?
Jean-Michel Aulas et Gervais Martel. Avec Jean-Michel, on se voyait beaucoup. Ma femme était amie avec sa femme. Je le vois moins aujourd’hui, mais j’ai toujours trouvé que c’était le meilleur président. (Alain) Cayzac, à Paris, était un ami aussi. Un exemple de personne bien élevée.

Le président que vous n’avez pas forcément envie de croiser ?
Il n’y en a pas. Je ne connais pas les actuels, mais je suis surpris d’en voir certains (en poste). Quand je vois Longoria à Marseille, ça m’étonne toujours…

 » J’ai une faiblesse intense pour le Racing club de Lens « 

Un club, autre que Sochaux ?
Ce serait Lyon. Si c’est en général, c’est l’AS Brestoise ! (Quelques instants plus tard) Ah, non, j’ai oublié. J’ai une faiblesse intense pour le Racing club de Lens. J’aime son public, l’ambiance, quand ça chante les Corons j’ai la chair de poule… Quand tu traverses la ville en bus, tu les vois tous habillés pour Lens et ils vont au stade comme d’autres vont à la messe. C’est une équipe qui m’a toujours bouleversé.

Le stade qui vous a procuré le plus d’émotions, autre que Bonal ?
Le Stade de France, quand même. Quand tu y vas trois fois en quelques années, tu es chez toi.

Combien d’amis dans le foot ?
Oh, j’en ai plein. Je suis pote avec (Alain) Giresse, je suis pote avec (Michel) Platini, je suis pote avec Bernard Lacombe, avec d’anciens brestois… Je pense que les gens m’aimaient bien en général.

Un coach perdu de vue que vous aimeriez revoir ?
Jean Fernandez, peut-être. Mais je le vois parce qu’il vient discrètement. Guy Lacombe, j’aimerais le revoir. (Alain) Perrin, aussi. (Christophe) Galtier, je l’ai vu il n’y a pas longtemps, je suis admiratif de ce qu’il faisait (ex-entraîneur adjoint d’Alain Perrin à Sochaux).

Un coach que vous n’avez pas forcément envie de revoir ?
(Il réfléchit) Non, je ne le dirai pas (sourire).

 » On a tapé le contrat de Meriem pour Bordeaux après une soirée en boite, à 2 h du mat’

La décision de président la plus difficile à prendre ?
De laisser partir Pagis, qui ne s’entendait pas du tout avec Guy Lacombe. J’ai beaucoup aimé Guy Lacombe, mais ils avaient un problème d’hommes. Pagis, c’était un type que j’aimais footballistiquement. Un des plus beaux joueurs que j’ai jamais vu. Sinon, un gars avec qui j’ai de bons souvenirs, c’est (Stéphane) Dalmat. Il fait partie des plus beaux joueurs que j’ai vu jouer ici et c’était un type adorable.

Une négociation difficile ?
Toutes (rire). Le plus drôle qui soit arrivé, c’est le transfert de (Camel) Meriem à Bordeaux. On n’arrivait pas à se mettre d’accord avec les agents, ça durait, ça durait… Il y avait trois agents, le temps tournait. Au moment où on trouve un accord, il est 22h. On veut signer le contrat tout de suite parce qu’on sait qu’on va se fâcher le lendemain. Mais on n’avait personne pour le taper. A l’époque on n’avait pas les outils qu’on a maintenant… On est coincé, on n’a pas de secrétaire, on ne sait pas la joindre. Et vers minuit on trouve la solution : Pierre Wantiez se souvient que son ancienne secrétaire, quand il était à la Ligue de Franche-Comté, fait des extras dans une boite de nuit pas très loin. On l’appelle, elle est d’accord pour venir taper le contrat mais elle ne sera pas libre avant 2 ou 3 heures du matin, à sa sortie. On va donc boire un coup dans la boîte. Mais quand tu vas dans une boite à nos âges, ce n’est pas pour draguer. On y va pour picoler, donc on picole sec. Et à 2 heures du matin, la secrétaire finit par sortir et on tape le contrat. Vers 3 heures il est signé et Meriem part à Bordeaux. On n’a pas lâché !

Une consigne de coach que vous n’avez jamais comprise ?
Je dirais plutôt la plus difficile à prendre pour un coach : quand Perrin n’a pas pris (Michaël) Isabey pour la finale de la coupe de France (2007). On a gagné quand même mais le gamin a été meurtri, c’était très dur pour lui. C’était un type que j’aimais beaucoup, Isabey.

Une anecdote de vestiaire jamais racontée ?
Non, je ne veux pas la raconter. (Il marque une pause) Oh, puis je m’en fous ! Une fois, on avait perdu plusieurs matchs de suite, toujours à cause de conneries. Mes joueurs africains m’ont fait croire qu’on avait été marabouté. Donc ils ont insisté pour qu’on fasse venir un marabout pour nous démarabouter (rire). Genghini, qui était superstitieux, m’a dit « Président, il faut le faire ! » J’ai dit « Ok mais je ne veux pas voir ça et surtout c’est un secret, on va avoir l’air de quoi si ça sort ? » Il y en a un qui est venu, il a démarabouté le vestiaire et on a gagné le match d’après. C’est une histoire de fou. Le gars il avait mis le paquet : la fumée, le gri-gri…

« La mort de Stéphane paille m’a bouleversé »

Une devise ?
Oh non, j’en n’ai pas.

Des rituels avant un match ?
Non. Ce que j’ai souvent, c’est la liste des partenaires à aller voir mais je n’ai pas de superstitions. ça me rassurerait si j’en avais.

Le joueur de légende de Sochaux ?
C’est difficile à dire. Stéphane Paille, c’est un type que j’ai adoré au-delà du football. Sa mort m’a bouleversé (en 2017). Il a rencontré des démons. J’ai trouvé que c’était un des plus beaux joueurs, comme Henri Michel dans sa jeunesse.

Le match de légende de Sochaux ?
(Il réfléchit) Oh si, Borussia Dortmund (coupe de l’UEFA 2003)! Leur foutre une branlée là-bas et une deuxième ici, c’était quand même une histoire (2-2 en Allemagne alors que Sochaux menait 2-0, succès 4-0 au retour à Bonal). ça restera ! Il y avait une belle équipe en face.

Le milieu du foot ?
J’ai aimé le milieu du foot du côté des présidents et des instances à l’époque. Aujourd’hui je connais moins les présidents, mais il y a toujours un accueil sympa. Ce que je regrette, c’est les règlements qui favorisent les transferts des jeunes joueurs. 20 ou 21 ans, ça me semble pas mal. Aujourd’hui à 16 ans, ils sont déjà surveillés par des gars qui passent, qui sont agents ou non…

Le FC Sochaux ?
C’est un vieux club qui a toujours brillé par sa jeunesse. C’est toujours sa jeunesse qui l’a fait briller et je pense que c’est comme ça qu’il survivra.

Le championnat de National ?
Je suis très surpris par la qualité. Il y a des équipes qui jouent bien, je vois des bons matchs, on ne s’ennuie pas. Mais il faudrait que ça devienne la troisième division.

Texte : Vivien Seiller / Twitter : @VSeiller

Photos : V. S. et FCSM

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