Le directeur général adjoint du groupe 6e Sens Immobilier et président du deuxième club lyonnais (National 3) mène de front une politique sociétale, avec de nombreuses actions en matière de citoyenneté, scolarité, culture, jeunesse, santé et emplois, et une politique sportive. Un choix assumé mais pas toujours simple dans le quartier le plus pauvre de la ville, où les infrastructures font cruellement défaut.
Président de Lyon – La Duchère depuis mai 2021, bénévole depuis une quinzaine d’années, Jean-Christophe Vincent fait bouger les lignes sur les hauteurs du IXe arrondissement après avoir succédé à Mohamed Tria il y a plus de deux ans à la tête du deuxième club de football de la ville rhodanienne. Ses ambitions politiques mises au placard, l’ancien numéro 2 du Parti socialiste à Lyon est revenu sur le devant de la scène dans un autre rôle.
Au travers un combat qui entremêle sportif et social dans « un des quartiers les plus pauvres de Lyon », le directeur général adjoint du groupe 6e Sens Immobilier, un des actionnaires du club, dépense une énergie inépuisable pour mener à bien ses projets.
A 53 ans, le Duchérois vise « l’excellence sportive et sociale » pour son club mais se retrouve, avec ses équipes, confrontés à des problématiques d’infrastructures majeures qui n’empêchent cependant pas les résultats. Pour 13 heures foot, le président du club du Plateau revient, avec calme et sérénité, sur la chronologie des faits, de sa prise de fonction jusqu’à des ambitions qui se veulent toujours plus étendues.
Interview
« Un projet d’envergure ne peut reposer sur un seul investisseur »
Quel rapports avez-vous avec le foot personnellement ?
J’ai toujours joué en foot en loisirs et je joue à 5 contre 5 encore aujourd’hui avec des potes et des amis de mon fils. Je n’ai jamais joué au foot de façon sérieuse car je n’avais pas le niveau aussi (sourires).
Bénévole au club de La Duchère depuis 2008, vous êtes aussi maintenant président depuis mai 2021.
Comment cela s’est fait ?
Mohamed Tria a pris la présidence et je connaissais bien son frère qui nous a présenté. J’habite le IXe arrondissement et j’allais voir des matchs de La Duchère. Je jouais aussi en 5 x 5 avec des anciens du club. De par mon métier de l’époque, je connaissais bien le milieu politique et Mohamed avait besoin d’aide pour s’occuper des relations extérieures, publiques et économiques du club. Il mettait aussi un projet social en place et c’est ça qui m’a intéressé. Je n’avais pas de regard sur l’aspect sportif.
Devenir président, vous ne l’aviez jamais imaginé ?
Pas du tout ! C’est vraiment un concours de circonstances. Je n’ai jamais eu l’ambition de présider le club de La Duchère mais quand Mohamed Tria est parti, ça semblait logique que ce soit moi qui reprenne la présidence.
Vous êtes également directeur général adjoint de 6e Sens Immobilier, un des actionnaires du club. Cette double casquette n’est-elle pas trop lourde à porter ?
J’ai deux boulots. Je travaille six à sept jours par semaine. Je ne me plains pas, j’adore mon travail chez 6e Sens Immobilier et j’adore m’investir pour le club de Lyon La Duchère. Il y en a qu’un seul qui me paye mais ça me va comme ça (sourires). Nicolas Gagneux (fondateur et patron de 6e Sens Immobilier) est totalement impliqué dans la vie du club et les choses se font tout à fait naturellement. Je n’ai pas d’emploi fictif (rires). Aujourd’hui, le club vit par 6e sens. Le patron de 6e sens est celui qui donne la ligne directrice de la stratégie globale. C’est celui qui paye qui décide, son président qui fait vivre le club. Même s’il y a d’autres partenaires. Il ne peut pas y avoir de divergence.
« Pour la L2, financièrement, sportivement et symboliquement, on a échoué »
Le club recherche forcément d’autres partenaires, non ?
Toujours oui. Il y a une fenêtre de tir assez incroyable compte tenu de l’état de l’Olympique Lyonnais et de l’état d’esprit aujourd’hui de ses actionnaires qui sont éloignés de ce qu’a été le club. Autour de Jean-Michel Aulas, des entrepreneurs locaux ont plus que soutenu un véritable projet de territoire, appuyé par Gérard Collomb, le maire de l’époque (décédé le 25 novembre dernier). Tout ce microcosme est en train d’être réduit à néant. L’exemple du LOU au rugby, c’est magnifique aussi. Des chefs d’entreprises locaux ont bâti le projet et l’ont repris depuis sa base pour en faire ce qu’il est aujourd’hui. On attend désormais qu’ils se tournent vers nous.
Jusqu’ici, vous avez contribué à « façonner » le club de La Duchère plutôt dans l’ombre…
Il y a eu un projet, à partir de 2018-2019, de faire de La Duchère un club de Ligue 2. On a été beaucoup à y adhérer et finalement, ça a échoué. Financièrement, sportivement mais aussi symboliquement : parce que le changement de nom a été mal vécu, avec cette nouvelle appellation, Sporting Club de Lyon. Il fallait repartir de la base et sur quelque chose de nouveau.
Quel regard posez-vous aujourd’hui sur la situation globale du club ?
Je dirais que la situation s’est assainie après une série d’ennuis judiciaires qui sont derrière nous. J’espère qu’il n’y en aura pas d’autres (sourires). On a eu un gros problème avec l’URSSAF notamment (le club de Lyon La Duchère a été sanctionné par la commission fédérale de contrôle des clubs de la DNCG en fin de saison dernière avant d’être rétrogradé de N2 en N3). Mais comme je le disais, il faut désormais qu’on arrive à convaincre les collectivités d’être plus que dans l’écoute.
« On refuse 400 à 500 gamins chaque année »
Vous accueillez 600 licenciés : comment cela se matérialise-t-il au quotidien ?
On dénombre 550 mineurs et une centaine d’autres licenciés. Ce dont on ne parle presque jamais, c’est qu’on refuse 400 à 500 gamins chaque année et pour moi, c’est un truc qui ne peut pas durer éternellement. Je ne cherche pas à avoir le club le plus gros de Lyon mais on pourrait accueillir beaucoup plus de monde.
Le club compte tout de même 32 équipes jeunes !
Et encore une fois, on pourrait en avoir beaucoup plus ! Quand on a créé l’équipe U17 B, nous avons été obligés d’arrêter nos vétérans. On ne peut pas faire de futsal non plus. On fait du foot adapté mais on le fait à Champagne-au-Mont-d’Or, juste à côté. On développe aussi le football féminin mais si les choses n’évoluent pas, les capacités du côté masculin seront forcément réduites…
Un comité de direction paritaire
La Duchère est pourtant un quartier qui a été entièrement rénové…
Oui mais les infrastructures sportives ont été oubliées. On parle tout le temps de la Halle Diagana mais elle n’aurait jamais dû être là. Il y aurait dû avoir un terrain de football à la place. Malgré ça, on est vraiment soutenu dans notre action quotidienne qui correspond à l’état d’esprit de la ville de Lyon. Il n’y a pas beaucoup de clubs qui ont un comité de direction qui est strictement paritaire par exemple.
Une égalité qui permet de proposer une multitude d’activités ?
On propose des accompagnements dans une multitude de domaines : la culture, l’emploi, la scolarité. On organise des forums. Des cours de soutien sont dispensés tous les soirs. Les plus jeunes effectuent deux stages avant celui de fin d’année en 3e. On s’occupe d’insérer les jeunes migrants aussi. Seulement, il manque des espaces et la ville de Lyon le sait et y travaille. Tout se joue là.
Un pôle de prévention des violences sexuelles et intrafamiliales, en partenariat avec l’association L’Enfant bleu, a été créé. En parle-t-on assez selon-vous ?
Le chiffre que tout le monde doit retenir aujourd’hui, c’est qu’il y a 1 chance sur 7 d’être victime de violence sexuelle avant ses 18 ans. C’est effrayant et je considère qu’on ne peut pas confier ses enfants à un club sportif sans être sûr des mesures prises pour éviter ce genre de drame. On a imposé des formations sur la prévention des violences aux enfants à tous les éducateurs du club de La Duchère et c’est un projet qu’on a porté aux niveau des collectivités locales. A l’avenir, les subventions publiques pour les clubs des villes comme Paris ou Lyon seront conditionnées par des formations effectuées pour une partie des éducateurs.
Les résultats dans le combat que vous menez sont-ils visibles ?
Il y a deux ans, on a postulé pour le prix de la fondation du foot autour d’un projet sur les menstruations. On a eu le grand prix et notre initiative a été diffusée dans de nombreux clubs en France. L’année suivante, on a présenté notre pôle de la prévention pour les violences faîtes aux enfants et on a été parmi les 4 lauréats pour le prix final. Grâce à ce pôle, nous avons recueilli la parole de 40 enfants. Depuis, 10 sont suivis et 3, victimes de violences intrafamiliales, ont été placés après signalement au procureur… C’est dire l’efficacité de notre action ! Nous n’avons pas « gagné » car un autre projet a requis plus d’attention : un club avait planté autant d’arbres que de matchs gagnés, soit 32 !! Une aberration ! On est à des années-lumière de la prise de conscience.
« Le monde sportif est aveugle »
Vous avez été touché personnellement par ce genre de problématique. En quoi le foot peut-il être le vecteur de tous ces combats ?
Le foot aujourd’hui, c’est de loin le sport qui draine le plus de licenciés devant le tennis qui en compte environ un million. Il y a le foot et le reste des sports et la FFF est certainement la plus ringarde sur le sujet de la question de la protection de l’enfance. Je dirais même que le monde du sport est complètement aveugle.
Un engagement quelque peu freiné par des problématiques d’infrastructures majeures…
Exactement. La Duchère n’a pas été portée politiquement par le passé et il n’y a jamais eu de volonté de nous permettre d’avoir les infrastructures nécessaires. Quand on prend l’exemple du FC Lyon, projet porté par Thierry Braillard à l’époque, ils ont 7 ou 8 terrains. Il faut qu’on en ait au moins trois dans les années à venir. On accueille de plus en plus de jeunes filles, on est demandeurs, on a baissé les tarifs de 25% mais on est confronté à des problématiques de créneaux horaires. On a 120 filles et 410 garçons et, à l’avenir, on aimerait avoir 550 filles et 550 garçons !
« On demande une réflexion sur les années à venir »
Quels liens entretenez-vous avec les collectivités ?
On travaille avec la Ville de Lyon, avec la Métropole aussi, et nos relations avec les collectivités se passent très bien. Le dialogue est simple, régulier et on sait qu’il faut des investissements majeurs en infrastructures, que ça ne peut pas se faire d’un claquement de doigt. Ce qu’on demande, c’est une réflexion sur les années à venir pour accueillir comme ils se doit nos licenciés.
Des catégories du club doivent être forcément lésées…
Clairement ! Nos jeunes, à partir de 16 ans, vont jouer à la Plaine des Jeux de Gerland, soit une heure de trajet aller-retour trois fois par semaine en plus de mener une scolarité. La mairie de Lyon vient de refaire le stade de la Sauvegarde, le stade Balmont sera converti en synthétique courant 2025 et on pourra passer à peu près 80 heures par semaine dessus. C’est une avancée mais on explore d’autres pistes. On discute avec le groupe Alliade Habitat, bailleur social, et aussi la Métropole de Lyon car il y a des terrains non utilisés. Je pense à celui quartier des Sources, qu’on pourrait convertir en terrain synthétique et il faut interpeller la collectivité qui pourrait vouloir y construire un immeuble. Nos besoins, ce sont aussi leurs besoins. Nous accueillons les gamins des personnes qui sont ou seront logés ici.
Qu’en est-il du stade Balmont dont les travaux de rénovation s’imposent ?
Dans ma tête, j’y pense forcément (rires) et j’avais imaginé un partenariat public/privé, en lien avec la municipalité, pour pouvoir financer ces travaux. C’est une idée car le plan pluriannuel d’investissement de la collectivité, prévu de 2020 à 2026, ne prévoyait pas de rénovation. Je demande à ce qu’une budgétisation soit faite dans les années à venir car on ne peut pas faire rêver les gens tant qu’on n’en a pas les moyens. Le stade Balmont est le dernier qui existe sur la ville de Lyon et ça serait terrible qu’il s’effondre (sourires).
« Notre action sociale est valable si on a une locomotive sportive »
Malgré tout, on a vu une belle fête au 7e tour de la Coupe de France face au SC Bastia (Ligue 2), avec de nombreux jeunes venus garnir les tribunes…
Oui, d’ailleurs il y avait autour de 1000 personnes pour cette rencontre (l’équipe de Lyon – La Duchère a signé l’exploit en se qualifiant sur le score de 4-1). Notre action sociale est valable si on a une locomotive sportive. Si les jeunes se mobilisent autour de ce qu’on fait, si on les fait rêver avec du sport, on peut les emmener sur plein d’autres choses. Plus notre équipe première performe, plus les autres équipes suivront. C’est ça qu’on essaye de faire. Promouvoir une excellence sportive et sociale et ça passe par ce genre de moments !
Pensez-vous que l’excellence sportive peut être compatible avec l’excellence sociale ?
Oui, on a un modèle qui n’existe pas ailleurs. Aujourd’hui, la responsabilité sociétale des entreprises est un critère majeur et nous sommes le seul club en France à mener une véritable politique sociale, qui plus est dans le quartier le plus pauvre de Lyon. On a mené 75 actions l’année dernière et on est capable d’avoir de bons résultats sportifs tout en étant complètement intégré dans notre territoire. Et surtout on contribue à l’évolution des jeunes qui y vivent. Nous avons la conviction que le foot peut mobiliser des centaines de jeunes et avec une certaine exigence, on peut s’ouvrir sur le reste du monde.
Le club va vivre encore une étape en Coupe de France face à Thonon-Evian Grand Genève (N2) : qu’attendez-vous de ce 8e tour ?
Je pense qu’il sera beaucoup plus compliqué pour nous d’affronter Evian (samedi 9 décembre à 16h au stade Balmont), qui a pour ambition de retrouver le monde professionnel. Quand vous affrontez Bastia avec trois niveaux d’écart, vous n’avez rien à perdre et ça s’est vu il y a une dizaine de jours. On a continué à attaquer alors qu’on menait 2-1. Je me souviens, contre Saint-Etienne il y a deux ans, c’était un peu la même chose. C’était la première de Pascal Dupraz sur le banc et ce n’était pas passé loin (défaite 1-0, but de Khazri). On avait fait un super match mais on était tombé avec les honneurs.
« On peut devenir un Paris FC ou un Red Star »
La dynamique sportive est au beau fixe pour aborder cette nouvelle échéance !
Ca sera un match compliqué pour Thonon aussi car si tout se passe bien d’ici-là, on se présentera avec le statut d’invaincu (Lyon La Duchère, qui se déplace ce week-end à Limonest, est actuellement en tête de sa poule en National 3 avec 5 victoires, 4 nuls et aucune défaite). On a un groupe jeune, qui peut très bien jouer comme moins bien par moments. Mais c’est un groupe qui sait ne pas perdre, qui sait aller chercher la victoire ou conserver le match nul quand il ne peut pas gagner. Je ne sais pas combien de temps ça durera mais ça se passe très bien pour le moment !
Lyon – La Duchère est retombé en N3 cet été. Comment a été vécu cet épisode ?
On ne s’attendait pas à vivre ce début de saison et on sent que le staff inspire vraiment confiance, travaille avec sérieux, en toute transparence et avec franchise. Les jeunes sont très bien encadrés par Karim Bounouara, Ludovic Assémoassa et Habib Sisbane mais attention, il suffit de deux défaites pour que la dynamique s’inverse. L’an dernier, en National 2, on pouvait jouer la montée à trois journées de la fin, on a été leader après la mi-championnat et finalement on a tout perdu en terminant 5e. Il y a des moments clés comme là où on va affronter Limonest et Hauts Lyonnais, deux candidats qui sont juste derrière nous, en parallèle du match de Coupe de France.
Pour conclure, le constat qui se fait est qu’aucun club professionnel n’émerge réellement dans la région derrière l’OL. Que vous inspire un club comme le Paris FC ?
Je pense qu’on a tout à fait notre place pour devenir un Paris FC ou un Red Star. Pour ça, comme je l’ai évoqué, il faudrait que des chefs d’entreprises locaux aient envie de mener un projet d’envergure car il ne peut pas reposer uniquement sur un seul chef d’entreprise (Nicolas Gagneux). Aujourd’hui, vu ce que proposent les nouveaux propriétaires de l’OL, ça ne parle pas à des investisseurs locaux et il y a une vraie fenêtre de tir pour nous dans le IXe arrondissement de Lyon.
Texte : Joël PENET / Twitter : @PenetJoel
Photos : Lyon-La Duchère
Vidéo : « Inside » Lyon La Duchère en coupe de France face à Bastia :
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