Dans la Ligue des Pays de la Loire, l’US La Chapelle-d’Aligné (D3) et l’AS Le Bailleul/Crosmières (D2) ont disputé un premier tour haut en couleur. Un « clochico » entre villages voisins, entre « meilleurs amis et ennemis ». Entrez dans l’ambiance !
Le stade de France n’est dans aucune tête. Même en rêve. Treize tours les séparent de la finale de la coupe de France.
Ces footballeurs du dimanche 28 août disputent le premier tour, mais avant tout un derby, un « clochico » (le « classico » des campagnes, match opposant deux clochers rivaux).
Ce match, dans le sud-ouest de la Sarthe, on le surnomme même « l’Argancico », en référence à l’Argance, le ruisseau qui traverse les trois communes. Trois villages pour deux clubs : en 2021, la SS Le Bailleul et l’US Crosmières ont fusionné pour former l’AS Le Bailleul-Crosmières, en déplacement aujourd’hui chez les voisins de l’US La Chapelle-d’Aligné.
Le stade de la grange, situé route du Bailleul à La Chapelle-d’Aligné, accueille l’unique « Argancico » de la saison puisque les visiteurs ont terminé, la saison passée, en tête de la poule de D3 dans laquelle évoluaient les deux équipes. La plupart des joueurs se connaissent, ils se sont affrontés à de nombreuses reprises ; plusieurs d’entre eux ont même évolué dans les deux formations, notamment les deux coachs du jour.
« On est les meilleurs amis et les meilleurs ennemis. »
L’US Crosmières, finaliste de la coupe du District de la Sarthe en 2018, s’était retrouvée en grande difficulté à la fin de la saison en 2019. Pour faire face à l’effondrement des effectifs seniors, une demande de fusion avait été adressée au club voisin de La Chapelle-d’Aligné. Finalement, après le refus de l’USCA, la fusion a eu lieu avec l’autre voisin, Le Bailleul, vers qui une partie des effectifs de l’US Crosmières s’était tournée.
Chez les jeunes, les trois anciens clubs avaient formé une entente. En U15 et U18, les deux clubs font désormais partie de l’entente Anjou Sud Sarthe, avec deux autres voisins. Alors, c’est peu dire que tout le monde se connaît bien. « On est les meilleurs amis et les meilleurs ennemis. »
Les dirigeants se réunissent à la buvette avant le match, visiblement heureux de se retrouver et de s’affronter. Des supporters chapellois arrivent et saluent l’ancien président, aujourd’hui de corvée à la buvette. « Salut Nasser ! » Autour d’un café servi sur le bar, on fait le point sur les rencontres locales. « Ils jouent qui aujourd’hui Clermont ? » demande l’un. « Baugé, ça va être costaud cette année. T’as vu le recrutement qu’ils ont fait ?! »
Soudain, l’ancien président de l’USCA se rend compte qu’il y a un problème avec un filet. « Je dois avoir des rislans » répond un dirigeant adverse. Ouf ! « Faudra couper pour que ça ne se voit pas trop » rigole le dirigeant local.
Le filet réparé, on fume des cigarettes en regardant les échauffements des deux équipes sur le terrain qui pourrait servir de nuancier de vert-jaune, mi-sècheresse, mi-arrosage. On en profite pour faire le point sur les effectifs du jour.
Peu d’absents du côté des favoris. « Les gars ont vraiment joué le jeu, Il n’y pas eu besoin de les forcer. J’en avais 32 à l’entraînement vendredi. J’ai dû faire des déçus » commente l’entraîneur de l’ASBC avant d’affronter une équipe dont il a été l’adjoint il y a quelques années.
Du côté chapellois, les effectifs ne sont pas aussi garnis pour ce premier tour. V and B Fest’ (le festival qui se déroule dans la Mayenne voisine), vacances, manque d’entraînement, blessures, expliquent les absences. Le président doit enfiler ses Kaiser 5 pour étoffer le banc. L’entraîneur des jaunes et noirs peut néanmoins compter sur les jeunes recrues, issues pour la plupart des U18 Région du voisin fléchois. Un retour aux sources pour ces jeunes pratiquement tous du cru. « C’est un club particulier, sur 40 seniors, 30 viennent d’ici et les autres sont des copains des gars. » Ce qui explique sûrement le refus de la fusion.
« S’ils ne viennent pas dans 30 secondes, c’est forfait ! »
Sur le papier, les conditions ne sont pas optimales pour l’USCA mais « on va vendre chèrement notre peau » prévient un Chapellois. Le coup d’envoi approche. L’arbitre siffle pour envoyer les deux équipes aux vestiaires. Les maillots noirs de l’ASBC ignorent le signal et continuent leur échauffement. « S’ils ne viennent pas dans 30 secondes, c’est forfait » entend-on au milieu des rires.
Le public se masse tranquillement le long de la main courante. Un public diversifié. Femmes, hommes, familles, jeunes, retraités. Les poignées de mains et les bises s’enchaînent. On raconte son été, ses vacances. Bref, ce premier tour, c’est la sortie du dimanche !
Les deux cent cinquante spectateurs sont en place avec, au milieu, les supporters locaux, entourés de chaque côté par les visiteurs. Les vingt-deux titulaires sont prêts eux aussi, tout comme les bancs et les arbitres bénévoles. L’arbitre central peut siffler le coup d’envoi du premier match de la saison 2022-23. Bienvenue au stade de la grange, pour la fête au village !
Les spectateurs demandent, dès les premières minutes, qui est l’attaquant local ou le milieu. C’est qu’il y a eu du mouvement à l’intersaison ! « Ah ! Mais c’est son fils ?! »
Faute, pas faute ? Quand les règlements font débat
Les visiteurs cherchent à repartir court et les joueurs de D2 dominent cette entame de match. Pourtant, c’est La Chapelle qui obtient un penalty à la demi-heure de jeu. Le numéro 10 local s’élance. Le ballon s’envole au-dessus de la lucarne gauche.
Les réflexions du public fusent, la galerie est en forme. « Pigeon ! », « Il croyait que c’était trois points ! » Des classiques qui amusent les autres supporters. La galerie, c’est ça. Elle commente, elle fait rire, elle chambre, elle amuse, elle cherche aussi à déstabiliser les adversaires et les arbitres. Et elle encourage aussi.
Un chapellois récupère le ballon dans la moitié de terrain adverse. Le public pousse. Il dribble un joueur, le public s’enflamme. Il en dribble un deuxième, WOW ! « Allez boom ! » Le ballon est finalement perdu.
Le public est partagé en deux. Un joueur écope d’un carton. Une partie hue, crie « c’est dégueulasse, il le touche pas » ; l’autre applaudit. Commence un débat, calme, sur les règles. Certains se contredisent et « avoue qu’il fait pas faute ». Un grand-père explique à sa famille qu’« il ne met pas le pied en avant donc il n’y pas carton ».
La mi-temps approche. « Elle dure combien de temps ?? C’est 45 minutes monsieur l’arbitre ! » Dans la dernière minute, un joueur de Le Bailleul-Crosmières élimine et réalise un tir tendu aux abords de la surface. Le gardien est battu ! Mais le cuir rebondit sur la barre. La déception des supporters visiteurs se fait entendre et laisse place au doute car le ballon retombe une deuxième fois sur le montant !
La mi-temps est sifflée, le flux se densifie devant la buvette. Sous le préau, près de la porte, ça bouchonne. Les plus assoiffés ou pressés avait déjà quitté leur emplacement avant la 45e minute. Ballons et bambins profitent de la pause pour investir le rectangle vert et les cages pendant 15 minutes par petits groupes.
« Il veut une mousse, l’arbitre ? »
Derrière la tireuse, Nasser n’a pas rien vu ou presque du match. « Il y a toujours quelqu’un à la buvette ! » C’est le rush. « Sept pressions, s’il te plaît. » On se serre la main, on parle des vacances, du travail, du canton. Mais, par petits groupes, on commente surtout la première période. « Les U18 de La Flèche, ils sont pas mal. Ils vont faire du bien cette année. »
On parle aussi beaucoup du penalty loupé, des règlements. « Il y a des prolongations ou pas cette année ? » Si vous vous posez la question, il n’y en aura qu’en finale.
L’arbitre se présente à la porte du club house. « Il veut une mousse, l’arbitre ? » lance un supporter. La buvette rigole. La foule ressort progressivement, le match va reprendre. La causerie de l’ASBC s’est déroulée dehors, près du banc de touche. Un cri de guerre pour la motivation et c’est reparti pour une mi-temps de folie !
L’AS Le Bailleul-Crosmières ouvre le score quelques minutes après le début de la seconde période. Les favoris sont soulagés. Mais deux minutes plus tard, les locaux obtiennent une touche dans les 20 mètres adverses. « Pas de chichi », entend-on près du banc des Noirs, qui ne parviennent à dégager le ballon de leur côté droit : l’USCA égalise par l’intermédiaire de l’une de ses jeunes recrues. Le stade de la grange exulte. L’entraîneur de l’équipe de D2 est furieux: « Tout le monde se regarde ! » « Oh mais sérieux ! Faut la péter là », lance le remplaçant, en plein échauffement.
Les favoris semblent perdre la maitrise. Le match, plus intéressant, s’enflamme. On tente des frappes des 30 mètres pour se redonner de la confiance. Le ballon passe par-dessus le grillage et sort du stade. Le président de l’USCA se lève du banc pour aller le chercher dans le fossé ! Tout juste revenu, son équipe prend l’avantage sur une action collective. C’est la folie. « Vous voyez quand on fait le tour, ça marche » commente le banc.
L’action est encore partie du même côté. Le coach adverse remplace le latéral droit, rentré 20 minutes plus tôt. Celui-ci enlève son maillot et part en direction des vestiaires. Le match se tend.
Tirage de maillot et coup de coude
Sur le banc chapellois, on tente de calmer les joueurs. « Rentrez pas là-dedans. Soyez plus malins qu’eux. » Le gardien de l’ASBC fait de même. « Les Noirs, répondez sur le terrain, pas comme ça ! » Et l’ASBC répond en égalisant à la 65e : deux partout et on est encore loin du coup de sifflet final.
Le coach local tente de corriger : « Dès qu’on panique, ils le voient. S’il faut allonger, on allonge. » Mais le match bascule dix minutes plus tard. Un Chapellois tire le maillot d’un milieu de terrain adverse qui répond avec un coup de coude. Aucun coup de sifflet. Le Bailleul-Crosmières en profite et contre-attaque. Un joueur offensif fixe les défenseurs dans la surface et décale son coéquipier de l’autre côté, seul face au but. Mais le latéral de 40 ans, « de retour au club pour terminer sa carrière et jouer avec son neveu », le tacle par derrière pour l’empêcher de marquer. Carton rouge logique.
Le Chapellois perd son calme et pousse l’arbitre. « Et la première faute là-bas ? » Personne ne comprend vraiment le déroulement de l’action. Le match se tend davantage, l’arbitre semble avoir perdu le contrôle de son match. L’ailier du Bailleul-Crosmières se présente face au gardien chapellois à la 75e minute. Il transforme le penalty et chambre les adversaires avec une main derrière l’oreille. « Ils m’ont dit que je le mettrai pas. » Il écope d’une biscotte.
Le match a basculé à cet instant précis. « Il reste 20 minutes, je ne vais pas prendre de risques offensifs maintenant » explique l’entraîneur local à son banc. Un retour dans le match de La Chapelle d’Aligné semble mission impossible.
« De toute façon, on boit un coup après ! »
Les adversaires tentent de gagner du temps. Le gardien reste longtemps au sol après un contact. Du côté des supporters chapellois, on comprend. « On ferait la même chose. Il a raison. » L’arbitre est désormais une cible pour la galerie. Toujours vigilant sur les protocoles pour ce premier match de la saison, il s’adresse cette fois-ci au banc chapellois. « Il y a eu un carton rouge et vous êtes toujours autant sur le banc. » Le coach explique à l’arbitre qu’il a mal compté et qu’il s’est trompé. Un supporter s’adresse alors à l’homme en bleu. « Eh, monsieur l’arbitre, il faudrait peut-être être plus attentifs aux fautes qu’au nombre de personnes sur le banc ! » Au moindre carton on entend : « Oh ! Ça mérite rouge monsieur l’arbitre ! »
Le score n’évolue plus. Le jeune club de l’AS Le-Bailleul-Crosmières s’est qualifié pour la première fois de sa jeune histoire pour le deuxième tour de la coupe de France. La foule, toujours partagée, hue ou applaudit selon l’endroit où l’on se place. Les enfants investissent la pelouse. La foule et les joueurs se dirigent vers le complexe sportif.
Devant les vestiaires, après une courte explication avec l’arbitre, les deux coachs se félicitent. « Vous avez une belle équipe. Votre objectif, c’est la montée ?! Il te faut un projet si tu ne veux pas que les joueurs se barrent. » Ils écourtent la conversation. « De toute façon, on boit un coup après. »
Le technicien de l’ASBC invite ses joueurs, certains cigarette au bec, à rentrer dans le vestiaire. Il souligne la prestation de son équipe. « Un derby, ça se gagne et vous l’avez fait. » Joueurs, dirigeants, membres du club forment un cercle et entonnent leur chanson de la victoire, une reprise de Bella ciao à la sauce ASBC.
Des joueurs chapellois ne sont toujours pas rentrés au vestiaire et discutent avec les supporters, bière à la main, parfois accompagnée d’une clope, devant la buvette.
On refait le match aussi dans le club house ou sous le préau, avec une pression servie dans un ecocup USCA. Un jeune avoue qu’il a mal au crâne à force d’avoir fait des têtes pendant le match. « Ça sautait beaucoup les lignes. »
« On va essayer d’aller chercher les maillots au 4e tour »
Les membres des deux clubs se mélangent. Les tournées s’enchaînent. « On est voisins, ce serait con de se dénigrer. » Les anciens coéquipiers se retrouvent. Le numéro 6 de l’ASBC chambre son ancien coéquipier pour le penalty. « T’etais faible, la dernière fois que j’en ai tiré un ici, je l’ai tiré au-dessus du filet de protection ! » Un autre répond : « C’est bien pour ça qu’on l’a rehaussé ! »
On parle de l’évolution du foot, de la situation des deux clubs qui ont formé l’ASBC. « Il y a trois ans, on commençait la saison à 14 en me comptant dedans alors que j’avais 49 ans. Je crois que Le Bailleul n’avait jamais atteint le deuxième tour de la coupe de France, alors c’est une fierté » se satisfait le coach.
On parle entre anciens coéquipiers ou adversaires du football d’il y a dix ou vingt-ans, celui où on pouvait « commencer une saison à 40 et il n’y avait jamais d’absents ou presque. »
On parle des fusions, des recrues. On reparle aussi du match amical de l’été entre les deux clubs, avec un maigre effectif du côté chapellois, qui s’est terminé sur le score de 8-1 et du « chambrage ». Les tensions montent aussi vite qu’elles redescendent. La bonne humeur est au rendez-vous.
Les discussions à la buvette s’éternisent et se prolongent jusqu’au début de soirée entre les meilleurs amis et ennemis. On évoque aussi la suite. « Coach, je ne suis pas là la semaine prochaine, je serai en vacances mais je vais courir. Ne t’inquiète pas » prévient le numéro 10 du jour. « Donc on doit se qualifier pour que tu rejoues en coupe de France » ironise le coach. « On va essayer d’aller chercher les maillots ensemble ».
Car c’est bien de cela dont beaucoup rêvent en août, les maillots. Il faudra se qualifier pour le quatrième tour. Le week-end prochain, l’AS Le Bailleul-Crosmières affrontera Ruaudin, une équipe de Régional 3. Un beau défi mais cette fois-ci, ce ne sera pas un derby et ils ne seront pas favoris. « On veut faire un max de tours mais notre objectif est ailleurs. On jouera la coupe du District à fond. »
Et c’est peut-être lors de cette compétition qu’on pourra assister au deuxième « Argancico » de la saison !
Texte : Gilles Augereau / Mail : gaugereau@13heuresfoot.fr
Photos : Gilles Augereau