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Gilbert Guérin : « On ne doit pas changer de braquet »

Entretien réalisé en août 2022 / 13heuresfoot présente ses plus sincères condoléances à la famille, aux amis et proches de Gilbert Guérin, décédé des suites d’une maladie dans la nuit de jeudi 19 à vendredi 20 octobre 2023.

Le président de l’US Avranches Mont-Saint-Michel est une figure du championnat National. Un personnage au caractère bien trempé, qui ne laisse pas indifférent. Sa fierté ? Avoir placé son club dans le top 50 français, les jeunes et le nouveau centre d’entraînement. Son objectif ? Intégrer la future Ligue 3 en 2024. Rencontre.

Photo USAMSM

Gilbert Guérin, le président de l’US Avranches Mont-Saint-Michel, ne traite jamais ses joueurs de peintres ou de bourrins. Pourtant, il en connaît un rayon sur les deux sujets. Il a longtemps dirigé une entreprise de peinture – « Je l’ai vendue mais je suis resté actionnaire, elle compte 110 salariés et fonctionne bien » – et possède des chevaux de course. « J’ai des bons chevaux aujourd’hui ! J’en ai eu des très bons, j’en ai eu aussi des moyens, raconte-t-il, comme s’il parlait… de ses joueurs ! Je fais souvent un parallèle avec le football, j’en parle avec les entraîneurs parfois : un cheval, quand il revient de blessure, il fait toujours une première course « sous la fraîcheur » comme on dit, et puis la deuxième est plus moyenne. Dans le foot, c’est pareil. Un garçon qui revient, il est bon au premier match avec l’envie, et au deuxième, il accuse souvent le coup, il n’a pas le rythme. Avec les blessures, c ‘est pareil : un cheval blessé pendant 6 mois, il mettra 6 mois à revenir. »

Un caractère bien trempé

Gilbert Guérin a aussi un un caractère bien trempé. C’est justement ce qui en fait un des personnages attachants et incontournables en National, un championnat où sa voix porte et où son club, qu’il préside depuis 1989, entame sa neuvième saison d’affilée, la treizième au total à cet échelon. Pas un record, mais pas loin : l’USAMSM était déjà là en 1993, à la création de cette « D2 bis », jusqu’en 1997 : « A ce moment-là, le National est passé de deux poules à une poule unique, mais nous n’avions que des joueurs amateurs, qui travaillaient, et ce n’était pas possible d’y évoluer ». Une époque révolue.
Aujourd’hui, il ne cherche pas les records, d’autant moins qu’avec la future Ligue 3 (en 2024 ?), le National, qui a entamé vendredi sa 30e saison (succès d’Avranches 3-1 à Cholet !), va disparaître : il sera donc impossible de battre les champions de la division, Créteil et le Paris FC, qui cumulent 17 saisons à ce niveau, juste devant Pau et ses 16 saisons.

« On est rien, on est tout petit »

Gilbert Guérin n’a pas non plus la langue dans sa poche. Il le sait. Parfois, ça lui joue des tours : « J’en suis conscient. Mais une fois que j ai dit les choses, je suis libéré, parce qu’il y a certains présidents de clubs de L1 qui m’exaspèrent. Y’a des types biens, comme Jean-Michel Aulas (Lyon), Marc Keller (Strasbourg) ou Jean-Pierre Caillot (Reims), et puis y’en a d’autres, ceux qui ont été bons à l’école et qui, grâce à ça, sont devenus présidents d’un club de foot. Moi je pense que cela ne suffit pas d’être bon à l’école pour être président. Il faut un peu de moral, un peu d’éducation même s’ils en ont forcément autant que moi, mais ils n’ont pas ce petit « plus ». Ce sont des directeurs, pas des présidents. Je suis président bénévole. Je ne suis pas persuadé qu’ils auraient réussi à faire ce que j’ai modestement fait à Avranches en 30 ans. Aujourd’hui, avoir une ville de 10 000 habitants à ce niveau, quasiment à la 50e place française, c’est une performance. Bien sûr, Noël Le Graët a fait mieux avec Guingamp : il est monté en L2, en L1, il a joué en coupe d’Europe, mais lui, je le mets de côté, il est trop fort, il doit marcher à l’EPO ou au chouchen, je plaisante bien sûr. Mais derrière Guingamp, notre performance est notoire. »
Une performance pas toujours reconnue à sa juste valeur, selon lui : « Oui, mais d’un autre côté, la communauté avranchinaise n’a pas vraiment besoin du foot pour faire parler d’elle car elle a le Mont-Saint-Michel qui est la 8e merveille du monde, qui est une fierté internationale. Nous, on est petit à côté de ça, mais on participe à la communication du Sud Manche. On est rien, on est tout petit. »

Les jeunes, sa fierté

Autre performance qu’il aime mettre en avant : les jeunes et le travail de formation des éducateurs diplômés, dont certains sont des anciens joueurs de l’USAMSM en National. « On est les seuls en France à avoir une équipe en National, une réserve en N3 et des Nationaux en U17 et U19. »
Gilbert Guérin, 70 ans, a donc presque passé la moitié de sa vie (32 ans) dans ce club qu’il a su faire évoluer au fil du temps, marche après marche. Ses derniers faits d’armes ? Les retours de Damien Ott à la tête de l’équipe de National, après des expériences à Bourg-en-Bresse (FBBP01) et à Troyes, et de Xavier Gravelaine au poste de directeur sportif.
Mais c’est sur le plan des structures que le club a pris, en 2021, un virage avec l’ouverture de ce qu’il compare à un centre d’entraînement de « bas de Ligue 2 » : « Ce centre de 7 hectares, avec notamment 5 terrains (4 en herbe, 1 en sythétique), 950m2 de vestiaires, des salles de musculation avec cryothérapie, restera. On l’a bâti pour l’avenir. On n’a pas construit de stade pour la L2 mais on a construit pour les jeunes. »
Comprenez qu’il n’entend pas faire n’importe quoi à n’importe quel prix, sous prétexte d’une hypothétique accession en Ligue 2 dont il rêve, bien sûr. « Ceux qui y sont, ils ont de la chance, ils sont souvent dans des grandes villes, ils ont les droits télé qui leur tombent du ciel, alors que nous, on doit tout aller chercher, on doit tout fabriquer, et en plus de cela, on leur donne des joueurs ! Bien sûr que j’aimerais goûter un jour à la L2 ! Mais on fait comment pour le stade ? Il faut l’anticiper. Regardez ce qui est arrivé à Chambly avec leur stade tout neuf, ils ne jouent pas dedans. Inversement, par le passé, on a vu des clubs descendre en N2 ou en N3, comme Le Mans ou Sedan, et « traîner » leur stade, payer une location. C’est l’histoire du chat qui se mord la queue, dans un sens comme dans l’autre. »

« Si Nancy avait su qu’ils allaient descendre… »

Si Guérin, qui manie souvent l’ironie, enrage envers certains clubs pros, c’est parce qu’il trouve qu’ils jouent leur carte perso : « Je lisais l’autre jour dans L’Equipe que Azzedine Ounahi, qu’on a vendu y’a un an 70 000 euros à Angers, valait aujourd’hui 7 millions d’euros ! Je ne demande pas grand-chose, mais si le SCO Angers le vend 7 millions, peut-être qu’il pourrait nous donner un tout petit peu d’argent, c’est une demande informelle, mais je trouve que l’on n’est pas respecté. Bien sûr, Azzedine n’a pas tout appris chez nous, mais en un an, sa valeur a été multiplié par 100… On a déclenché le truc, il est en équipe du Maroc. Aujourd’hui, dans notre équipe, on a 4 ou 5 joueurs qui iront certainement en L2 ou en L1. En 5 ans, on en a 23 qui sont allés en Ligue 2. On a aussi 4 joueurs qui sont en Ligue 1 (Jonathan Clauss, Azzedine Ounahi, Mickaël Malsa et Michaël Barreto). »

Il enrage aussi envers certains présidents qui oublient d’où ils viennent quand ils accèdent de National en Ligue 2 ou, pour ceux qui sont déjà en Ligue 2, n’imaginent jamais qu’ils vont descendre : « Demandez à Nancy, qui vient de descendre en National, s’ils n’ont pas envie de changer d’avis, eux qui ont voté contre la Ligue 3 ! Aujourd’hui, leur vote aurait peut-être changé s’ils avaient su qu’ils allaient descendre, poursuit celui qui préside aussi l’amicale des présidents de clubs de National depuis sa création voilà 6 ans; j’ai des amis présidents qui sont montés en Ligue 2 et qui ont voté contre la Ligue 3, c’est ça qui est décevant, je ne comprends pas ».

« Notre objectif, c’est la Ligue 3 »

La Ligue 3 professionnelle. Eternelle arlésienne. Depuis le temps que l’on en parle… « Elle va se faire, c’est écrit, assure Guérin, qui ne cache pas qu’intégrer cette division est l’objectif de son club; J’ai eu Vincent Labrune (président de la Ligue), qui est un de ses partisans. Pour des clubs comme le nôtre, ça va être de plus en plus compliqué mais on va essayer de réussir ce challenge. Avec six descentes en N2 cette année et six l’an prochain, ça va être terrible. On doit être capable de le faire. On ne doit pas changer de braquet. On doit aussi saluer la FFF qui joue le jeu, qui aide les clubs amateurs. On voit dans le foot amateur ce qui se passe dans la société, où le gouvernement, qui a toutes les misères du monde, donne des aides sociales pour faire face à la crise. Mr. Le Graet ne nous a pas laissés tomber : quand ça va bien, il faut le dire aussi. »

En attendant, le retraité qui ne tient pas en place pendant les matchs de son équipe, se contente du National, un championnat où il dit « prendre son pied ! » : « Y’a des gens qu’on rencontre avec plaisir, d’autres moins, mais en général ça se passe bien, on se respecte, grâce à l’amicale qu’on a créée y a 6 ans. On s’appelle, on se rend des services. Par exemple, avec Villefranche, on va les chercher à l’aéroport de Rennes et inversement, quand on va chez eux, ils nous prêtent des mini-bus. Y’a des échanges. Et des histoires de prêts aussi : quand on est monté en 2014, c’est nous qui avons relancé les prêts et maintenant tout le monde en demande ! » Précurseur l’USAMSM.

 

Gilbert Guérin du tac au tac

L’interview « Président »

 

  • Meilleur souvenir de président ?

Le quart-de-finale de Coupe de France face au PSG au stade d’Ornano, à Caen (avril 2017).

  • Le pire souvenir ?

La descente en CFA2 en… je ne sais plus quelle année (1998, Ndlr).

  • Meilleur joueur passé sous les couleurs avranchinaises ?

Jacques Philip, il a joué à Caen, à Laval, à Lyon, puis il est venu chez nous (1990-1994).

  • Joueur le plus emblématique ?

Jonathan Clauss (aujourd’hui international et joueur à l’OM), qui a joué lors de la saison 2016-2017.

  • Le coach qui a marqué le club ?

Bernard Maccio, c’était y’a 30 ans : il a pris le club en DH en 1986 et l’a monté jusqu’en National en 1993 à l’époque. Il est parti en 1997 avant de revenir entraîner les jeunes et la réserve un peu plus tard.

  • Le match mémorable ?

A Kourou en Guyane en Coupe de France en Outre-mer au début des années 90 (victoire 3-0).

  • Le pire match ?

En Guyane également, toujours en coupe de France, on est éliminé aux penalties, triste…

  • Votre plus grosse colère de président ?

A Vannes en coupe de France (décembre 2016) : à la mi-temps, on est mené 1-0, j’ai donné des coups de pied dans la poubelle, j’ai claqué la porte : j’ai bien fait car on a gagné 2-1 après !

  • Plus grande joie de président ?

La journée mémorable, c’est quand on élimine Strasbourg en coupe de France (mars 2017) et que, quelques heures après, au tirage au sort, on hérite du PSG.

  • Le président de club le plus sympa ?
Gilbert Guérin ici en compagnie de Jacques Piriou, son homologue de Concarneau (Photo : D. V.)

Mon copain Jacques Piriou à Concarneau. Son club aurait mérité de monter en Ligue 2 la saison passée. Ils ont un beau petit stade à l’anglaise, ils ont du monde, il faut dire qu’ils ont beaucoup de buvettes !

  • Pourquoi ne mettez-vous pas plus de buvettes au stade René-Fenouillère à Avranches, alors ?

Bonne question…

  • Le président avec lequel vous n’irez pas en vacances ?

L’ancien président de Boulogne-sur-Mer, Jacques Wattez.

  • Un club de coeur ?

Le FC Nantes, pour le football qui a fait rêver ma jeunesse

  • Pas le Stade Malherbe de Caen ?

Caen aussi évidemment. J’ai fait partie du comité directeur du Stade Malherbe de Caen au début de l’aventure en D1, en 1988, c’est vrai. Et le match de coupe de l’UEFA Caen-Saraggosse a 30 ans cette année, c’est celui qui a permis à Xavier Gravelaine, que j’ai connu à ce moment-là, d’intégrer l’équipe de France et de signer au PSG.

  • Un stade ?

D’ornano à Caen.

  • Un modèle de président ?

Marc Keller (RC Strasbourg)

  • Une négociation difficile ?

Le jour où, en CFA, j’ai un président de club qui voulait à tout prix qu’on le laisse gagner, c’était y ‘a très longtemps ! Je me suis battu verbalement avec lui. Demander à des garçons de ne pas courir pour avoir une prime, c’est impensable.

  • Votre plus grosse prime de match ?

Oh, simplement doublée, et c’est pas souvent ! On est des gens humbles et modestes.

  • Votre plus grande fierté de président ?

Les jeunes du clubs, qui sont en 17 ans Nationaux et 19 ans Nationaux et aussi ceux qui sont en National 3. C’est simple, aucune équipe à Avranches ne peut monter chez nous, sauf l’équipe fanion de National. Y’a pas mieux sur le marché français. En 16 ans et 15 ans, on est devant le Stade Malherbe de Caen et Le Havre. Nos 17 ans Nationaux ont terminé 4e derrière trois grosses écuries. On est plutôt fier. Y’a beaucoup de bon boulot qui est fait. On a de bons éducateurs.

Textes : Anthony BOYER / mail : aboyer@13heuresfoot.fr

Photos DR (sauf mentions)