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Geraldo Bina (Zürich City) : « À Chypre, un agent m’a envoyé dans un bourbier absolu »

D’Ivry au Zürich City SC en Suisse en passant par les Etats-Unis, Chambly et Montargis, le gardien franco-camerounais de 28 ans formé au RC Strasbourg a connu un parcours compliqué. Il a notamment vécu de grosses mésaventures à Chypre et au Danemark. De quoi nourrir quelques regrets sur ses choix de carrière.

Avec le Zurich City FC.

Agents véreux, dirigeants mafieux… À 28 ans, Geraldo Bina a été touché de plein fouet par les côtés les plus sombres du foot. Quand il évoluait en réserve à Chambly (National 3) et à Montargis (N3), le gardien franco-camerounais rêvait d’une place dans la liste du Cameroun pour la Coupe du Monde 2022 au Qatar. Alors, pour que le rêve se concrétise, il a tenté sa chance à l’étranger, à Chypre et au Danemark. Malheureusement, il y a connu de grosses désillusions, sans jamais y signer de contrat professionnel . « À Chypre, je suis tombé sur une bande organisée, ils m’ont fait perdre deux mois et ils m’ont mis dans la merde. »
Aujourd’hui, le joueur issu de la région parisienne a retrouvé une stabilité au Zurich City SC, qui évolue en « 2. Liga FVRZ « , le 6e échelon du championnat suisse. Même s’il s’est éloigné du haut-niveau, il n’a pas renoncé à ses rêves.

Repéré en jeunes à Ivry par Strasbourg

Avec le Zurich City FC.

« J’ai choisi d’être gardien parce que je n’étais pas fort dans le champ et on m’a mis derrière », raconte-t-il. Comme beaucoup de jeunes débutant à ce poste, Géraldo est devenu gardien dans le club de sa ville, l’US Ivry (Val-de-Marne). « J’y ai pris goût ».
En U13 DH, il tape dans l’œil des recruteurs du RC Strasbourg et de l’AS Monaco. « Ils étaient venus à mon match contre Evry, je m’en souviens comme-ci c’était hier. J’ai vu le recruteur de Strasbourg mais je ne savais pas que c’était lui. Pendant le match, je sentais un regard insistant. À la fin, il est venu me parler. Puis il a envoyé une lettre au club, il est venu chez moi rencontrer mes parents. Ma mère était réticente au début mais elle m’a laissé partir à l’essai. Au départ ça ce n’était pas fait; ça s’est fait 3-4 ans après. »
Après avoir effectué sa formation au RC Strasbourg, il était présent dans le groupe alsacien qui a connu la montée de National en Ligue 2 en 2016. Mais pour trouver davantage de temps de jeu, il rejoint Chambly en National, comme troisième gardien, en juillet 2017.

Un échec aux États-Unis

Avec le Zurich City FC.

Mais après seulement quelques mois passés entre le groupe National et la réserve en National 3, le Francilien s’envole de l’autre côté de l’Atlantique, au Spring Hill College. « J’ai eu l’opportunité de pouvoir partir aux États-Unis, étudier et continuer mon parcours sportif. J’ai vu la MLS, les États-Unis, le rêve américain… Donc pour moi, c’était inimaginable de rater une telle opportunité. »
Ce nouveau choix de carrière, Geraldo y repense de temps en temps avec quelques regrets. « Le premier gardien de Chambly s’était blessé, il n’y avait plus de gardiens, ils ont dû recruter. J’aurais automatiquement progressé dans la hiérarchie, j’aurais pu avoir du temps de jeu et avoir ma chance en National très tôt. Mais une carrière, c’est fait de choix… »

Aux États-Unis, il n’est pas allé au bout de son cursus scolaire (Bachelor). « Ce cursus- là n’est pas fait pour des joueurs qui ont joué en U17-19 Nationaux et qui peuvent prétendre à autre chose. Le cursus des États-Unis, selon moi, c’est pour des gens qui ont joué en DHR-PH. Eux peuvent se dire « j’y vais me donner une chance ». Mais pour ceux qui jouent en N2-N3 ça ne sert à rien. La différence entre le foot européen et américain est technique et tactique. Eux, ils sont plus athlétiques mais au niveau de la tactique, c’est compliqué. Leur jeu est axé sur le physique. On est vraiment plus forts en Europe. »

Une fois sur place, son rêve américain est confronté à la dure réalité. « Il y a un nombre de places extra-communautaires limitées. Ils préfèrent payer des Zlatan, Messi, Beckham pour ces places-là et prendre plus d’américains. A la fin de ton cursus, t’es obligé soit de rentrer, soit de te tourner vers la 2e ou 3e division et c’est vraiment autre chose. »

« Si je n’étais pas parti de Chambly, j’aurais eu ma chance »

Avec Chambly. Photo Eric Crémois.

De retour à Chambly, il dispute plusieurs matchs avec la réserve en N3 et décide de signer à l’USM Montargis (N3 désormais en R1) en juillet 2020. « Mon statut a changé à Montargis. Je suis passé de gardien remplaçant à titulaire. J’avais plus de responsabilités. L’équipe comptait sur moi et j’ai endossé ce rôle-là super bien. J’ai répondu présent par rapport à mes performances. J’aurais aimé avoir cette confiance là à Chambly ou au RC Strasbourg. Mais il y avait des gardiens d’expérience et je comprends parfaitement la position des coachs par rapport à ça. »

Avec la Covid-19, les championnats de N2 et N3 se sont arrêtés. En continuant de suivre son ancien club, Geraldo Bina ne peut pas s’empêcher d’avoir des regrets. « Quand je quitte Chambly, on est en Ligue 2. Un soir, je suis devant ma télé et je vois que Chambly a une pénurie de gardiens (Xavier Pinoteau, Simon Pontdemé, Killian Le Roy, Victor Gassman) étaient blessé. C’est le coach des gardiens (NDLR: Vincent Planté, 40 ans, ex-pro) qui a été contraint de jouer. Je regrettais mon choix d’être parti, parce qu’à tout moment, j’aurais eu ma chance d’évoluer en Ligue 2. »

« J’ai payé un agent, c’était la première fois »

Avec Chambly, au camp des Loges, face au PSG, en amical. Photo Eric Crémois.

En juillet 2022, le Francilien d’origine camerounaise espère avoir une chance de rejoindre le groupe de son pays d’origine pour la Coupe du Monde au Qatar. Après quelques échanges avec le staff de la sélection, il décide de quitter l’USM Montargis dans le but de trouver un club plus haut dans la hiérarchie, en France ou à l’étranger. Cependant, tout ne se passe pas comme prévu. Il est victime du football business : « Un agent m’a envoyé dans un bourbier absolu. Je suis tombé sur cet agent sur les réseaux sociaux, par le bouche à oreille. Il m’a promis de m’envoyer dans un club à Chypre mais pour cela, je devais le rémunérer 500 euros. C’est la première fois que je payais pour jouer mais j’étais prêt à tout. J’ai mis un peu de temps à trouver l’argent. Il m’a mis la pression. Une fois arrivé là-bas, je n’avais jamais vu ça dans ma vie… On était hébergé dans un appartement minuscule et sale. Lors de mon premier entraînement, j’avais fait l’une de mes meilleures prestations en séance spécifique gardien. Le coach principal n’était pas là parce qu’il s’en foutait. C’était une mascarade. On devait s’entraîner avec le club et on s’est retrouvé dans une détection avec une vingtaine de joueurs. J’ai vite compris qu’on était dans un bourbier et qu’il n’y avait aucune réelle opportunité. »

Après avoir quitté Chypre, Geraldo se rend au Danemark, dans un club de 2e division. Mais la chance ne lui sourit toujours pas. « J’arrive pour signer pro, le club fait faillite parce que le président était un mafieux. Il donnait des contrats pros à tout le monde. La semaine où j’arrive tout se passe bien. Au final, on se fait « envahir » par les journalistes, on ne comprend rien à ce qui se passe. On arrive pour jouer dans un club et on se retrouve dans les médias. Encore un bourbier… »

« La Suisse, un nouveau pays, un nouveau foot à découvrir »

Sans club, Geraldo est obligé de faire une croix sur la sélection et la Coupe du Monde. « J’ai enchaîné Chypre et le Danemark… Des mésaventures qui m’ont rendu fou. » Au chômage, le mental du camerounais en prend un coup. « Je suis resté quelques mois sans jouer. J’ai refusé plein d’offres, des 400 euros en Grèce, des 500 euros à Gibraltar. Tu préfères rester chez toi au chômage et attendre la bonne opportunité. Mentalement, c’était dur, parce que tu vois tes collègues reprendre et toi, t’es à la maison. J’allais à la salle mais je trichais un peu parce qu’en tant que gardien, on n’a pas besoin du même « cardio » que les joueurs. »

En janvier 2023, il reçoit un coup de fil. « Mon pote m’appelle et me dit « je suis dans un club ici en Suisse, le Président a de l’argent et il a un projet pour monter au plus haut niveau suisse dans les années à venir. C’est le train qu’il faut prendre maintenant. » Moi, je n’avais rien, alors je me suis dit que c’était un nouveau pays à découvrir, un nouveau foot, pourquoi pas. »

Le club en question ? Zurich City SC, un club récent, fondé en 2020, qui évolue actuellement en… 6e division Suisse. « Le club a payé le billet de train, la nuitée à l’hôtel. Je suis venu m’entraîner et j’ai tout retourné. Le coach est tombé amoureux de moi. Il a dit « je peux arrêter de faire venir les gardiens, j’ai mon gardien ! » Après on a parlé du contrat, des conditions et ça s’est fait comme ça. »

« C’est le foot qui me dirige »

Empreint d’un réalisme forcé par son parcours atypique, Geraldo se projette avec précaution sur son avenir. « L’objectif avec le club, c’est la montée. On est passés premier juste avant la trêve, on n’a plus le droit à l’erreur, il faut tout gagner. J’ai le statut de gardien titulaire et je ne compte pas le laisser de sitôt. Je reste ouvert à tout projet qui peut déboucher à quelque chose. Je suis un passionné et c’est le foot qui me dirige. Je pense toujours à la sélection mais je suis conscient que c’est compliqué car on a une sélection ultra-sélective avec des critères spécifiques. Je laisse ça entre les mains de Dieu. »

Geraldo Bina, du tac au tac

Avec Chambly, au camp des Loges, face au PSG, en amical. Photo Eric Crémois.

Meilleur souvenir sportif ?
Le match contre le PSG au Camp des Loges avec Chambly en préparation. J’ai pu rencontrer Gianluigi Buffon pour la première fois; il y avait Rabiot, Verratti, ça restera mon meilleur souvenir.

Pire souvenir sportif ?
Quand je pars de Chambly, on est en Ligue 2 et je vais à Montargis pour avoir du temps de jeu. Je vois qu’en Ligue 2 à Chambly, il y a une pénurie de gardiens. Vincent Planté, l’entraîneur des gardiens, a dû jouer. J’étais devant ma télé et je regrettais mon choix d’être parti car à tout moment j’aurais eu ma chance d’évoluer en Ligue 2.

Combien de clean sheets ?
Cette saison 6 en 12 matchs.

Plus belle boulette ?
Avec Chambly en Coupe, j’étais capitaine. Je reçois un ballon en retrait sur mon pied gauche, le terrain était catastrophique. Je m’apprête à dégager pied gauche, la balle rebondit, je tape et elle repart en arrière. L’attaquant suit et marque.

Plus bel arrêt ?
Je dirais contre Schaffhausen la saison dernière avec Zurich City sur un coup franc, je me décale sur la gauche, il tire sur la droite et j’arrive à la dévier du bout des doigts sur la barre.

Pourquoi avoir choisi d’être footballeur ?
Comme je suis un garçon c’est la première des choses qui s’offre à nous. Dans ma famille, on aimait tellement le foot que c’était une évidence.

Ton geste technique préféré ?
J’en ai deux. La volée couchée et le tour du monde !

Qualités et défaut sur un terrain ?
Qualités : fort sur ma ligne, jeu au pied, jeu aérien. Défauts : je peux paraître énervé, agacé par ce qui se passe devant moi et ça peut transparaître dans mon jeu.

Le club ou l’équipe où t’as pris le plus de plaisir ?
Chambly avec l’épopée de la Coupe de France quand on est allés en demi-finale (2018). Même si je n’avais pas beaucoup de temps de jeu, le groupe vivait bien. Strasbourg également : j’étais dans l’effectif quand on a fait National – Ligue 2, tout en étant au centre de formation (2016).

Le club où tu rêverais de jouer dans tes rêves les plus fous ?
Le Real Madrid ou Manchester City.

Un match qui t’as marqué ?
L’année dernière, on jouait la montée et on jouait contre les premiers. On menait 1-0 mais on se fait égaliser sur deux erreurs, sur lesquelles je suis impliqué. On perd le match 2-1 et ça nous empêche de concourir pour le titre.

Un coéquipier qui t’as marqué ?
Denis Bouanga (Los Angeles FC). J’ai joué avec lui à Strasbourg. Je pourrais aussi citer Aissa Laidouni (Union Berlin) ou Anthony Caci (Mayence). Ce sont des coéquipiers qui ont bien réussi.

Le joueur adverse qui t’as le plus impressionné ?
Quand on a joué contre le PSG en amical, Rabiot était incroyable. Dans le match, il a eu zéro perte de balle, protection de balle incroyable, il voit tout avant les autres. On ne voyait que lui sur le terrain.

Un coéquipier avec qui t’aimerais rejouer ?
Johan N’zi (Spartak Varna, 2e div Bulgarie), c’est tellement fort, il peut faire des différences à tout moment.

Un coach que tu aimerais revoir ?
Alexander Vencel au RC Strasbourg parce que c’est lui qui m’a donné ma première expérience professionnelle; il a eu confiance en moi. Je pense que si j’avais eu la maturité à ce moment-là, j’aurais pu avoir une trajectoire différente.

Une causerie de coach marquante ?
Quand j’étais aux États-Unis (Spring Hill College), on jouait la montée. Le coach fait une vraie causerie en anglais et il met une musique des Black Eyed Peas « I got a feeling, tonight’s gonna be a good night. » Première action, 1-0 pour l’adversaire. On a perdu ce match-là mais on a tellement rigolé de la causerie après.

Une consigne de coach que tu n’as jamais comprise ?
Quand je quitte le RC Strasbourg pour Chambly, la première chose que mon coach me dit c’est « Geraldo, je ne veux pas que tu repartes de l’arrière. Envoie moi cette balle, même dans le champ là-bas, loin. » C’était bienvenu à l’échelon inférieur, je l’ai interprété comme ça.

Une anecdote de vestiaire ?
Aux États-Unis, ils sont très pointilleux sur les horaires. On avait entraînement le matin et les cours l’après-midi. On s’entraînait à 6 ou 7 heures du matin. Un jour il y a eu 2-3 retards. On s’est retrouvé à courir tout l’entrainement ! Un travail physique que je n’ai jamais vécu de ma vie.

Le joueur le plus connu de ton répertoire ?
J’en ai pas mal qui étaient à la Coupe du Monde au Qatar. Denis Bouanga, Aissa Mandi, Stephane Bahoken …

Une devise, un dicton ?
Force et Honneur.

Termine la phrase : tu es un gardien plutôt…
Moderne. Je n’ai pas de limites. Je suis en constante progression, je ne refuse pas d’apprendre.

Un modèle de joueur ?
Cristiano Ronaldo; même si je suis gardien, sa mentalité est incroyable.

Une idole de jeunesse ?
Gianlugi Buffon.

Un plat, une boisson ?
Poulet DG, Bissap , les camerounais comprendront !

Tes loisirs ?
Ma femme, ma fille, regarder la TV.

Un film culte ?
Boyz’n the Hood, je peux le regarder 100 fois dans l’année.

Le club de Zurich City SC en deux mots ?
Avenir et sécurité.

Le milieu du foot en deux mots ?
Statistiques et business.

Texte : Olesya Arsenieva – Twitter : @ArseneviaO

Photos : Eric Cremois et DR

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