Frédéric Reculeau (La Roche Vendée) : « Je ne suis pas carriériste »

Après huit saisons en National, l’ancien coach de Luçon, des Herbiers et d’Avranches, connu pour son amour du beau jeu, a permis à La Roche-sur-Yon de retrouver, 20 ans après, le N2. Sans jamais se départir de ses principes. Sans jamais renier sa personnalité.

Photo Philippe Le Brech

De Frédéric Reculeau, l’on sait au moins une chose : il ne faut pas compter sur lui pour faire de la « com » ! A l’heure du tout digital, des réseaux sociaux, de l’image et du paraître, cela peut constituer un frein dans une carrière.

L’intéressé, qui ne sera jamais taxé de nomophobie, le confirme et assume. Cela lui a d’ailleurs peut-être coûté un poste en National cet été, où un projet sportif l’intéressait, moins celui de la communication, dont le club voulait faire un axe fort. Et ça, ce n’est pas son truc : « C’est vrai, je ne suis pas très téléphone, pas très média et tout ça, reconnaît-il. Même si je sais très bien que la communication, aujourd’hui, c’est important. Un club de National voulait aussi baser son projet là-dessus : je leur ai dit « attention, je ne suis pas non plus un entraîneur qui communique et s’exprime beaucoup sur les réseaux. J’ai préféré être clair et honnête. Je n’ai pas envie de vendre du rêve. Voilà, le projet m’intéressait, mais cela m’a sans doute coûté la place ».

Esthète et chantre du beau jeu

Photo Philippe Le Brech

Dans l’entretien que le Vendéen – il est né à Fontenay-le-Comte – de 51 ans nous a accordés, Frédéric Reculeau ne fait jamais de com’. L’on comprend très vite que, son truc à lui, l’esthète, le chantre du beau jeu, c’est le terrain, le jeu (si possible bien léché), le ballon.

Après plusieurs semaines de brefs échanges par SMS, le coach, qui avait immédiatement donné son aval pour cet entretien en visio avant d’être plus difficile à joindre (soyons francs, on lui avait dit que ce n’était pas pressé !), évoque le foot en Vendée et à La Roche-sur-Yon bien sûr, son nouveau club, qu’il a fait grimper de N3 en N2 au printemps dernier, un échelon que les habitués du stade Henri-Desgrange n’avaient plus connu des lustres. Depuis 20 ans ! Et encore, l’on ne vous parle pas de l’époque des années 80/90, lorsque la préfecture du 85 avait vu ses deux clubs – Le FC Yonnais et l’AEPB (Amicale des écoles publiques du Bourg-sous-la-Roche) – se croiser en Division 2, avant que le second n’absorbe le premier, pour devenir La Roche Vendée Football en 1989.

Luçon, la révélation

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Frédéric Reculeau revient aussi sur l’épisode douloureux des Herbiers, où il fut limogé en janvier 2018, quatre mois avant ce qui allait devenir l’un des plus grands exploits du foot amateur en coupe de France (le club herbretais, alors en National, s’est hissé jusqu’en finale, battu par le PSG, avant d’être relégué en N2 quatre jours plus tard, lors de l’ultime journée).

Il remue également le douloureux passé avec ce projet de fusion avorté en 2016 entre La Roche-sur-Yon et Luçon, cette petite bourgade de 9500 habitants qu’il avait contribuée, avec son père Michel, président, et ses joueurs, à placer sur la carte de France… Ce même père, au coeur du projet sportif aujourd’hui à La Roche (il est vice-président chargé des seniors) et qui l’a fait venir 2022 pour entraîner la N3.

Mieux encore, le Luçon Vendée Football s’était forgé une sacrée réputation : celle d’une équipe reconnue pour la qualité de son jeu, au point de se voir affûbler du surnom de « Barça du National » par Bruno Luzi, l’ex-entraîneur de Chambly, aujourd’hui en poste à Compiègne en N3.

Cette étiquette, celle d’un entraîneur esthète, qui aime les relances courtes à en mourir, il en parle avec d’autant plus de facilité que c’est son ADN. Sa raison d’entraîner. Reculeau se nourrit de beau jeu et de plaisir, au point de comparer ça à un « délire ». Au point, parfois, d’agacer ses dirigeants, comme son ancien président à Avranches, où il a passé quatre saisons en National. Après une défaite à domicile contre Sedan, en février 2022, voilà ce que Gilbert Guérin avait dit : « notre système de jeu est très ambitieux. Un système de jeu beau à voir et sans doute très efficace quand on est le PSG mais difficile à appliquer à Avranches… ».

Interview

« J’ai haï la télé, la presse, tout le monde… »

Repro 13HF

Frédéric, quand on regarde l’historique agité du foot en Vendée depuis plus de 30 ans, on se croirait dans les Bouches-du-Rhône, non ? La Roche-sur-Yon, ce n’est pas un peu l’OM de l’Ouest ?
(Rires) Oui, c’était un peu ça ! Il y a eu des histoires de clubs en Vendée. Avec Les Herbiers, la notoriété du Puy du fou et un président connu (Philippe de Villiers). Avec Le Poiré-sur-Vie, le président Cougnaud et son entreprise : eux aussi ont loupé de peu l’accession en Ligue 2, comme Luçon, où c’était une une histoire d’hommes, avec mon papa, Michel, président, qui a cru à un projet et qui m’a mis en place comme entraîneur ; ça a pris, on n’est pas passé loin non plus de la Ligue 2. Et il y a eu Fontenay-le-Conte aussi en CFA (N2). C’est vrai que la Vendée est une terre de football, c’est ce qui fait sa force. Sa faiblesse est, peut-être, de ne pas s’être uni à un moment donné pour pouvoir créer quelque chose de fort.

Vous faites référence à la fusion avortée en 2016 entre Luçon et La Roche ?
Oui. Il y a 7 ans, avec Luçon, on a sollicité La Roche-sur-Yon pour se rapprocher parce que le maire de notre commune voyait que le cahier des charges en National devenait très compliqué, entre l’éclairage, la capacité d’accueil, les infrastructures, etc., Elle ne pouvait pas suivre. L’équipe technique de Luçon avait mis en place quelque chose de fort au niveau « sportif », qui fonctionnait bien, mais il manquait la structure et la capacité financière pour relever un défi, celui d’aller chercher le monde pro. On a voulu se rapprocher de La Roche Vendée Football, logiquement, parce que c’est LA ville et le club référence en Vendée, mais on s’est vu opposer un refus de la part des gens en place à La Roche, et qui sont d’ailleurs toujours en place aujourd’hui.

Repro 13HF

Vous parlez du président Christophe Chabot, celui qui, finalement, a fait venir votre papa et vous à La Roche ?
Oui, voilà, donc quand il est venu me chercher il y a un an et demi, c’était nos premiers échanges et forcément je lui en voulais. Parce que j’étais convaincu que, sportivement, l’on pouvait faire quelque chose de fort ensemble à l’époque. Surtout que le refus de se réunir, de mettre en place ce projet, n’avait jamais été clair à l’époque, on n’a jamais vraiment su pourquoi cela ne s’était pas fait, même si je sais que c’est une histoire d’hommes, parce que ça fonctionne comme ça dans le football. Nous, en tout cas, à Luçon, on était habité par ce projet. On était convaincu que c’était la solution. On voulait juste unir nos forces pour que la Vendée ait un club fort. Je lui en ai voulu. Bon, voilà, il m’a soumis ses regrets de ne pas avoir soutenu le truc à l’époque. Là, on essaie de repartir dans un projet vendéen, avec La Roche-sur-Yon. Cela faisait 20 ans que le club attendait de retrouver le National 2. On y est parvenu en un an. Maintenant, la difficulté, c’est de se maintenir, parce que le club est en construction.

« Un des chantiers, c’est le public »

Photo Philippe Le Brech

Ça veut dire quoi, un club en construction ?
Il y a beaucoup de travail. La Roche Vendée Football n’est pas prêt, actuellement, pour aller chercher le haut niveau. Mais le club a un vrai potentiel : il faut juste mettre les choses en place pour l’exploiter. Ici, il y a tout à faire, sans manquer de respect aux personnes qui étaient là avant. On sent une adhésion, une adrénaline qui se met en route. Quand on va voir les jeunes, les matchs, les clubs voisins, on sent une attente. Les gens ont envie de revoir un club vendéen au plus haut niveau. À un moment donné, on a cru que Les Herbiers seraient en capacité de le faire : ils n’ont pas réussi, et aujourd’hui, nous sommes au même niveau qu’eux. Donc on se donne la possibilité de mettre ça en place.

En National 2, vos joueurs s’entraînent le matin, comme en National ?
Oui et c’était ma volonté. La saison précédente (2021-2022), avec Charles Devineau, les joueurs s’entraînaient 3 ou 4 fois par semaine le soir. Moi, j’avais dit au président que, si je venais, je voulais faire mon métier, c’est à dire que l’on réussisse à avoir des joueurs en National 3 à disposition, afin de s’entraîner tous les jours et d’anticiper une éventuelle montée, de manière à ce que personne ne soit surpris en National 2. L’an passé, en N3, j’avais entre 14 et 18 joueurs tous les matins, et le groupe entier avec ceux qui travaillaient, sur un ou deux soirs à 17 heures. Là, cette année, on a mis en place toutes les séances le matin pour se projeter sur quelque fort de fort. Alors oui, on s’entraîne comme en National, mais je sais aussi qu’en N2, même s’il n’en reste pas beaucoup, il y a encore quelques clubs qui s’entraînent le soir.

Le public adhère à La Roche ?
Le gros chantier, c’est le public aussi. Il faut retrouver une adhésion de la part des gens, pour les faire venir au stade. On a fait un petit millier sur nos premiers matchs. Mais par exemple, pour le match de la montée en N2 la saison passée, on a fait entre 4000 et 5000 spectateurs, donc le potentiel est là. Ici, c’est une terre de foot, le club a évolué en Division 2. Maintenant, il faut que les résultats soient là, que le club s’ouvre et inspire la sérénité aussi, parce que ça fait 20 ans que le foot, c’est compliqué à La Roche. Donc il faut remettre pas mal de choses en place. Il y a un vrai travail de fond et on sait bien que cela ne se fera pas en 6 mois. Déjà, il faut se maintenir. Ensuite, essayer d’aller chercher une division supplémentaire, pour faire revenir les gens au stade.

« Avec Stéphane Masala, il n ‘y a pas eu de retour… »

Photo Philippe Le Brech

Avec votre adjoint, Benjamin Guillou, vous avez une histoire en commun…
Oui, j’ai été son coach à Luçon ! « Benji » a ensuite été l’adjoint de Stéphane Masala aux Herbiers. C’est encore une histoire de vie : quand je l’ai appelé, cela n’a pas été simple pour lui. J’étais son coach, alors devenir mon adjoint… Sur l’homme, je n’avais pas de réticence, je le connaissais, je savais comment il était, ses valeurs me correspondaient. Sur la capacité à avoir le même message que le mien et ne pas en passer des différents aux joueurs, sur la même vision du foot, il fallait voir si cela allait fonctionner : très vite, on a compris qu’on pouvait faire des choses ensemble et se mettre au service de l’autre. On n’a pas eu de difficulté à se projeter. Je sais bien qu’il existe des staffs qui ne sont pas forcément en phase, mais pour moi, ce n’est pas possible, je ne le conçois pas. Il me faut quelqu’un en phase avec moi, surtout que je suis un peu « foufou » dans mon approche du foot, je suis quelqu’un d’un peu différent. Donc il fallait que l’adjoint adhère à ça.

Surtout que vous aviez eu l’expérience des Herbiers, avec Stéphane Masala…
Avec « Stef » aussi, on avait la même vision. C’est un garçon qui est venu d’abord en tant que joueur à Luçon et que j’ai tout de suite nommé capitaine. C’était mon relais. Et puis, très vite, le feeling est passé entre nous. On s’est rapproché. On est devenu des amis. En fait, lui n’était pas dans ce football-là : c’est d’ailleurs la différence entre nous. Il arrivait du monde pro, de Reims, et moi je ne connaissais que le monde amateur. Et cette différence, c’est justement ce qui a fait notre force. Avec sa vision très pragmatique du foot et ma vision, mes idées, ça a matché tout de suite et c’est ce qui a fait que l’on a fait de belles choses ensemble, après, il s’est passé ce qui s’est passé…

Photo Philippe Le Brech

Quand vous avez été débarqué des Herbiers, début 2018, le club était déjà qualifié pour les 16es de finale de coupe de France avant d’aller en finale : c’était dur ?
C’était très dur. C’était une période très compliquée. J’ai haï la télé, j’ai haï la presse, j’ai haï tout le monde. Mais je ne me disais pas « Je devrais être là », parce que mon licenciement, je vais être très honnête, je ne dis pas que je méritais ça, mais ce n’était pas anodin non plus, j’avais des problèmes personnels qui m’ont fait prendre des choix. Je n’ai pas délaissé mon métier d’entraîneur mais je sais qu’à un moment donné, j’étais moins dans la qualité parce que j’ai fait un choix de vie d’accompagner des gens… Forcément, ce licenciement… Forcément que j’en veux à … parce que je sais qu’il y a une raison, et avec l’histoire qui s’est passée après, avec la coupe de France, cela a été très compliqué. Avec « Stef » (Stéphane Masala, son adjoint aux Herbiers), on ne s’est pas revu depuis, donc, y’a ça aussi, y’a une histoire de vie, je suis le parrain de sa fille, ce n’est pas rien. C’est le contexte dans son ensemble : la coupe de France bien sûr, mais c’est surtout l’histoire d’hommes qui a été compliquée.

C’est toujours cassé entre vous et Masala ?
(Silence). Ouep… Pour l’instant il n’y a pas eu de retour…

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Après avoir longtemps coaché en National (Luçon, Les Herbiers, Avranches), redescendre en N3 n’a-t-il pas été compliqué ?
Si. Il y a eu des moments de doute. Des moments où je me suis dit « ce n’est pas le même football, ce n’est pas la même vie ». Maintenant, en signant à La Roche, je revenais chez moi, aux Sables (d’Olonne), où j’ai un équilibre de vie, où je revois mes amis, où je revois ma famille, et c’est tout ça qui a compensé au départ. Et puis j’ai eu un groupe de joueurs hyper intéressant en N3, le feeling est passé rapidement. On s’entraînait le matin aussi, donc je faisais mon métier. Bon, c’est vrai que je sortais d’un club très structuré à Avranches et d’un niveau de compétition supérieur, mais le fait est que l’on a pris beaucoup de plaisir la saison passée. On avait ce défi de la montée à relever, je me suis mis ça en tête, et on tous partis là-dedans. Je n’allais pas passer mon temps à regretter mon choix, sinon, on n’aurait pas eu les résultats que l’on a eus. Avec « Benji » (Guillou), c’est vrai que parfois, dans certains stades, ça m’a fait bizarre, mais je savais ou je mettais les pieds, même cela n’a pas été simple les premières semaines. C’est sûr que quand je vois le National cette saison, avec 9 clubs pros, avec Sochaux, Dijon, Nancy, le Red Star, Le Mans, etc., c’est extraordinaire ! On fait ce métier aussi pour ça, pour les ambiances ! Je ne serais pas allé à l’autre bout de la France pour un projet de N3. Je ne l’aurais pas accepté ailleurs qu’en Vendée.

« Parfois, on a pris des tampons avec Luçon »

La particularité de la saison passée en N3, c’était les nombreux derbys aussi…
Pfff… C’était la grande difficulté de ce championnat et c’était aussi ce qui m’avait fait réfléchir, parce que j’avais vu que La Roche avait perdu beaucoup de points dans ces matchs-là auparavant. Cela a été un vrai point de réflexion, car ce sont des choses qui peuvent mettre à mal un projet. Parce que les derbys, on a beau les préparer, on ne les maîtrise pas. Ce sont des matchs différents, avec de la ferveur, et je savais que ces matchs-là allaient être compliqués. Mais voilà, revenir chez moi, face à des clubs vendéens, montrer que mon expérience allait me permettre de contourner cette adversité, que j’étais en capacité de réussir, c’était aussi un challenge pour moi. Heureusement, on y est arrivé !

L’équipe de La Roche Vendée 2022-23, championne de N3. Montage La Roche Vendée Foot

L’an passé, quand La Roche a perdu sa place de leader au profit du FC Challans, à trois journées de la fin, vous avez douté ?
Oui, sûrement, je ne sais plus ! En tout cas, on s’est remis en question. De toute façon, cette place de leader était difficile à tenir toute la saison, sur la durée. On savait très bien que Challans pouvait la récupérer et qu’ils pouvaient se relâcher ensuite, qu’ils n’allaient pas être en capacité d’assumer ce rôle-là, et c’est ce qui s’est passé. J’avais eu ensuite David Fereira, leur coach la saison passée, et il m’a dit « dès qu’on est passé leaders, au premier entraînement qui a suivi, mes garçons n’étaient plus dans le même état ». Mais j’avais pris des joueurs expérimentés, j’avais fait un recrutement par rapport à ça, avec des Romuald Marie, des Jason Buaillon, etc. On savait bien qu’on n’allait pas avoir 10 points d’avance toute la saison, qu’on pouvait se faire doubler mais que, sur l’expérience des joueurs et du staff, on pouvait retrouver cette première place, et c’est ce qui s’est passé. En fait, on avait anticipé le fait que cela puisse arriver. C’est pour ça que l’on n’a pas été perturbé, même si on a eu des doutes. Notre force a été de ne rien lâcher, et on a fait trois gros derniers matchs pour finir la saison, pendant que Challans a perdu quelques points, parce que, justement, la difficulté d’être leader…

« Mr Guérin m’a dit que j’étais têtu et obstiné »

Photo Philippe Le Brech

A l’époque de Luçon, Bruno Luzi, l’entraîneur de Chambly, avait dit de votre équipe qu’elle était « le Barça du National » : est-ce que cela vous a servi ou desservi ?
Cela m’a servi pour ma confiance en moi, pour garder ma projection sur ma vision du football, pour la confiance des joueurs aussi, parce que ça valorisait tout ce que l’on faisait à l’entraînement. C’est vrai qu’à l’époque, vouloir jouer dans l’excès, c’était critiqué : j’ai connu des entraîneurs et des présidents qui m’ont dit que mon football était de l’utopie, un football de rêveur, c’est pour ça qu’avec Luçon, on a raté de peu l’accession en Ligue 2. J’aurais voulu prouver que ce football-là n’était pas juste un football de rêveur. Mais cela nous a desservis face à certaines équipes qui se sont servies de ça, en disant « voilà, vous allez affronter des joueurs qui se prennent pour d’autres ». Quand on se déplaçait, je lisais toujours la même chose dans les journaux, qu’on était le Barça du National : forcément, certains en ont profité pour « monter » leurs joueurs contre nous, et ça nous a desservis sur certains matchs, où on sentait que c’était malsain. Mais nous, on n’avait rien demandé, on ne cherchait pas à avoir une étiquette, on était simplement Luçon, on voulait jouer, prendre du plaisir et gagner nos matchs à travers un projet de jeu, une philosophie. Sur certains matchs, on rentrait dans une opposition qui ressemblait à un conflit, et là, ce n’était plus du foot. C’était un rapport de force. On a pris des vrais tampons et on a passé des matchs pas vraiment sympas où on s’est fait secouer, où on sentait qu’en face, c’était plus une guerre de rivalité. Je ne fais pas du foot pour ça.

Photo Philippe Le Brech

Justement, cette réputation ne vous a-t-elle pas joué des tours ? Votre jeu était connu, au point même de fatiguer votre président, Gilbert Guérin, à Avranches ?
(Rires) Cela a été très compliqué de faire rentrer ce protocole de jeu dans sa tête mais quand il a vu aussi, surtout la deuxième saison, que les joueurs avaient adhéré, que son équipe était mise en avant, il a adhéré au truc, il a senti que ça fonctionnait et quelque part lui aussi s’est senti valorisé. Sur la première année, et sur la troisième année, avec un recrutement basé sur des prêts, ça a moins pris, il y avait moins de talent, il y a eu moins d’adhésion : forcément, là, il y a eu des réticences, le projet avait moins de sens, l’élaboration sur le terrain était moins visible et moins qualitative. C’est pour ça aussi que j’ai changé non pas mon projet de jeu mais mon approche, que j’ai demandé à certains joueurs de prendre moins d’initiative. Mais je sais que la majorité des joueurs que j’ai eus ont adhéré. Je ne suis pas fou non plus : si à un moment donné j’avais vu un vrai rejet de la part de mon équipe, j’aurais adapté mon discours. L’adhésion au projet de jeu, c’est une chose, la capacité à pouvoir le réaliser, c’est autre chose : de temps en temps, c’est vrai que la difficulté était là parce que la qualité des joueurs ne permettait pas de le mettre en avant. Certains présidents m’ont dit, « la patte Reculeau, OK, on en entend parler, mais tu as fait monter combien d’équipes ? » J’en suis conscient. Mon regret, c’est de ne avoir eu une équipe de pros et pour leur démontrer que j’étais capable de faire des choses avec un vrai groupe de qualité, pour leur montrer que ce football là, que ce que je prônais, ma façon de faire, pouvait amener des résultats. J’aurais voulu relever ce défi-là. Je ne suis pas passé loin à Luçon et même à Avranches la deuxième année.

« Je ne suis pas complètement con ! »

Mais votre football n’a-t-il pas ses limites ?
Il s’est passé plein de choses avec ce football-là et il existe à d’autres niveaux et avec plein d’autres entraîneurs. C’est vrai que Monsieur Guérin (président d’Avranches) m’a dit que j’étais têtu, obstiné à vouloir ne pas déroger à mon football, et je lui ai répondu que c’était ce que je faisais de mieux et que je maîtrisais le mieux, et que c’est pour ça que je voulais continuer. J’ai prouvé qu’on pouvait le faire mais comme je le disais, je ne suis pas idiot, de temps en temps je sais m’adapter face à des adversaires, face à des moments de saison où l’on est moins bien, je sais changer de système ou d’animation, je ne suis pas complètement « con » !

Photo Philippe Le Brech

Avec votre style, une équipe de National peut monter en L2 ?
Les équipes qui sont montées dernièrement, Rodez, Pau, avaient pour beaucoup d’entre elles un système à 5 derrière, et jouaient en 5-3-2 ou 3-5-2, ou 5-4-1. Elles étaient hyper rugueuses défensivement, rigoureuses, disciplinées… Alors c’est vrai, il y a très peu d’équipes joueuses qui montent, même s’il y a beaucoup d’entraîneurs qui ont envie de jouer. De tout cela, j’en était conscient. C’est pour ça, je me répète, que si j’avais eu des joueurs d’un vrai bon niveau, profilé, avec une vraie construction de groupe, un club plus structuré, avec plus de moyens, j’aurais eu des possibilités. On a prouvé avec des clubs comme Avranches, Les Herbiers ou Luçon qu’on pouvait le faire, qu’on n’était pas loin. Mais si on est frileux, et qu’on dit « je vais essayer pour voir », c’est sûr que là, c’est voué à l’échec. Si l’on est complètement investi, habité par son projet et que l’on y croit, on peut réussir. J’aurais voulu tenter ce pari-là. En National, c’est vrai que l’on dit que, soit on a une équipe joueuse avec un vrai potentiel de joueurs, et là, on peut jouer, mais que si on essaie de jouer mais que l’on est une équipe moyenne, alors, face aux équipes mieux disciplinées et hyper structurées, ça ne passe pas. Moi, il m’a manqué une structure complète pour pouvoir jouer le haut de tableau et imposer un fort projet de jeu.

Photo La Roche Vendée Football

Entraîner en pro, vous pensez que cela vous arrivera ?
Ce n’est pas une ambition. J’ai 51 ans. Je sais que cela peut encore se faire. A Nantes, ou ailleurs, je n’y suis pas allé par réflexion, par choix, par crainte aussi. Si je n’y vais pas, je ne me lamenterai pas sur mon sort.

Vous pensez que c’est plus difficile pour un coach comme vous, de toucher le monde pro ?
Par expérience, je vois que ceux qui y sont allés, ce sont ceux qui sont montés avec leur club, je pense aux Nicolas Usaï, Hervé Della Maggiore, par exemple, qui sont montés avec leurs clubs amateurs, de National en Ligue 2. Ils ont pu profiter de leur dynamique de de l’ascension de leur club, et c’est logique, car ils ont fait du bon travail. J’aurais peut-être pu avoir cette opportunité avec Avranches lors de ma 2e année là-bas, quand la Covid a stoppé la saison, mais je sais très bien qu’un club pro qui vient chercher un entraîneur amateur avec un CV « vide » de toute expérience dans le monde professionnel, c’est plus compliqué. J’en suis conscient.

Pourtant, en 2017, vous avez failli partir à Nantes : pourquoi est-ce que cela ne s’est pas fait ?
Nantes, ce n’était pas pour prendre les pros, mais l’équipe réserve. Je pense que j’aurais dû passer le cap, oui. On était deux à décider, avec « Stef » (Stéphane) Masala, mais bon, c’est comme ça. C’est un regret. Je suis resté aux Herbiers. Après, je ne dis pas ça parce que cela s’est mal passé ensuite aux Herbiers. C’est juste que c’était une vraie opportunité d’intégrer un club pro, de continuer mon apprentissage. Peut-être que cela m’aurait permis de faire évoluer ma carrière différemment. Mais ce n’est pas un regret dans le sens « carriériste », car je ne suis pas carriériste.

Frédéric Reculeau, du tac au tac

« Entraîneur, cela a toujours été une vocation »

Avec le président Christophe Chabot. Photo La Roche Vendée Football

Meilleur souvenir d’entraîneur ?
Le 16e de finale de coupe de France à La Beaujoire avec le Vendée Luçon football, contre Lyon (en janvier 2012).

Pire souvenir ?
Une blessure, quand j’étais joueur, à Luçon, en 32e de finale de coupe de France, contre le PSG, après un choc au ménisque au bout de 13 minutes.

La saison où vous avez pris le plus de plaisir sur un banc d’entraîneur ?
Quand on est monté de CFA en National avec Luçon. C’était une saison particulière. Je n’ai pas l’année, désolé (en 2013, Ndlr) !

Inversement, la saison où vous avez pris le moins de plaisir ?
C’est quand j’étais joueur à Luçon, quand j’ai vécu une descente, c’était compliqué là.

Un match référence avec vous sur le banc ?
J’ai pris beaucoup de plaisir avec toutes les équipes que j’ai dirigées, aux Herbiers aussi où j’ai fait deux 1/16es de finale de coupe de France même si ça s’est mal passé ensuite, on a éliminé deux équipes de Ligue 2 la première année. Quand j’ai été licencié, on était encore en 16e, mais je n’ai pas de match référence. Ma référence, c’était mon football et mon projet de jeu à travers l’équipe et les joueurs que j’avais au quotidien.

L’adjoint, Benjamin Guillou. Photo La Roche Vendée Football

Une erreur de casting dans votre carrière de coach ?
Oui, celle de ne pas accepter des clubs, par crainte, ou bien parce que je ne voulais pas sortir de ma zone de confort. A un moment, j’aurais peut-être dû y aller… Comme à Nantes.

Le club où vous rêveriez d’entraîner, dans vos rêves les plus fous ?
Honnêtement, je garde les pieds sur terre, je n’ai pas de folie comme ça ! C’est de l’utopie. Mais je suis admiratif, bien sûr, de certains clubs.

Un modèle de coach ?
Guardiola pour son football et Ancelotti pour son charisme. Ce sont deux coachs qui me parlent.

Meilleur joueur entraîné ?
(Rires !) Je vais mettre le feu là (rires) ! Le dernier, c’est « Azz » (Azzedine) Ounahi (OM), forcément, avec Avranches, j’ai eu plein de joueurs talentueux, avec des profils différents, Mohamed Larbi aussi, ce sont surtout des garçons qui ont pris leur saison à Avranches ou à Luçon comme un tremplin pour repartir vers le monde pro.

Lors du dernier match face à Saumur. Photo La Roche Vendée Football

Pourquoi avez-vous choisi d’être entraîneur ?
Cela a toujours été une vocation. Dès mes 14 ou 15 ans, j’étais éducateur, accompagnant. J’avais cette volonté de vouloir entraîner. À 16 ou 17 ans, j’encadrais des équipes de jeunes. C’était une logique de vie.

Un coach marquant ?
Oui, Vincent Bracigliano, qui a fait une pige à Luçon. J’étais impressionné par son charisme, sa sérénité et sa façon de voir le football. J’en ai beaucoup qui m’ont inspiré mais c’est vrai que lui, j’aimais sa façon d’être posé, de parler aux joueurs, de faire passer des messages. Vincent m’a marqué.

Un coach perdu de vue que vous aimeriez bien revoir ?
Vincent, justement ! Faire un repas avec lui, ce serait l’occasion de ressasser pas mal de souvenirs, ce serait agréable de parler football et de passer du temps avec lui.

Un coach que vous n’avez pas envie de croiser ?
Ah ! Si je le dis, là, je vais mettre le feu. Il est à Luçon, je le croise le moins possible… Je n’ai pas envie de le voir.

Lors de la victoire inaugurale face à Bourges, cette saison, en N2. Photo La Roche Vendée Football

Combien d’amis entraîneurs ?
J’entretiens des relations avec quelques-uns que j’ai côtoyés en National, ceux que j’ai côtoyés au BEPF aussi et qui m’ont beaucoup appris et aidé, mais ce sont des « connaissances football », je ne peux pas parler d’amis. J’ai beaucoup de respect pour eux, pour un garçon aussi comme Mickaël Landreau. Je suis capable de prendre mon téléphone, de l’appeler en cas de besoin ou autre, je sais qu’il sera toujours bienveillant à mon égard.

Un style de jeu ?
J’aspire à avoir une équipe joueuse. À Luçon, je sais que l’on avait atteint un niveau de jeu et une étiquette qui me collaient parfaitement. Qui me correspondaient. Avec les joueurs, on était arrivés à aller chercher un plaisir « hors norme ». On avait la volonté et la capacité de vouloir donner du plaisir aux spectateurs. Et ça embêtait nos adversaires. On était rentré dans un délire peut-être excessif, d’ailleurs, certaines personnes jugeaient notre football un peu provocateur, mais ce n’était pas de la provocation, mais simplement une envie d’éclater. On a su faire parler de nous par rapport à ça, on a fait de belles choses et j’en suis assez fier, parce qu’emmener une équipe de 20 ou 25 joueurs à suivre son entraîneur dans ce délire-là, ce n’est pas simple. C’était un vrai plaisir.

Un adversaire qui vous a impressionné ?
Avec Luçon, en National, je me souviens de certaines équipes comme Strasbourg, Amiens aussi, c’étaient des machines, construites pour monter en Ligue 2. On rivalisait mais on sentait malgré tout que cela restait des poids lourds.

Un président marquant ?
Non. J’ai beaucoup de respect pour les présidents que j’ai côtoyés. J’ai ce respect de la hiérarchie. Pour moi, cela reste des patrons, avec leurs qualités et leurs défauts. Je les apprécie. Après, je n’ai pas eu beaucoup de présidents, le tour est vite fait ! J’ai eu mon père donc… J’ai gardé des relations avec le président d’Avranches, Gilbert Guérin. Forcément, avec celui des Herbiers de l’époque (Michel Landreau), avec un licenciement au bout, c’est plus dur de garder des relations…

Le joueur ou l’entraîneur le plus connu de votre répertoire téléphonique ?
David Bettoni, que j’ai connu au BEPF, qui était l’adjoint de Zidane au Real Madrid, Mickaël Landreau donc… En joueurs, Azz (Ounahi), Ludo Ajorque, et d’autres.

Votre meilleure recrue, c’était qui ?
Par rapport à mon cursus, j’ai toujours eu des clubs avec des fonctionnement entre guillemets « de clubs amateurs moyens ». On faisait du bricolage, des coups, des paris, comme avec « Momo » Larbi, des prêts, comme Youssef Maziz de Metz, « Azz » de Strasbourg, Ludo Ajorque d’Angers, etc. On était des clubs tremplins pour eux. Par rapport au football proposé, cela leur permettait de rebondir, de se relever ou de continuer leur ascension. Ce sont plus des paris qui ont fonctionné que des recrutements.

Une bonne causerie, elle dure combien de temps ?
Malheureusement les miennes sont longues. Parce que je suis habité par mes causeries. Je vais être très pragmatique, entre 10 et 12 minutes, c’est ce qu’on dit dans les livres, moins de 5 minutes pour une petite causerie, mais c’est vrai que généralement, les miennes font plus de 15 minutes.

Lors de la reprise de la saison 2023-24, en N2. Photo La Roche Vendée Football.

Une devise ?
J’en ai une qui ne plaît pas aux joueurs : on joue comme on s’entraîne. Il y a des joueurs qui ne l’acceptent pas. Je déteste entendre « Je suis un joueur de match ». Je m’appuie beaucoup là-dessus car je crois à ça, même si ce n’est pas une vérité. Je fais même beaucoup de retours auprès des joueurs, quand je sens qu’il y a un relâchement, pour leur faire comprendre qu’il faut s’entraîner et s’investir. Des joueurs d’entraînement ? Oui, ça existe, après, peut-être que ceux-là manquent de confiance et n’arrivent pas à se libérer en match. J’ai envie de leur faire comprendre que ce n’est pas une vérité. Il faut bien s’entraîner. Si un garçon pense qu’en s’entraînant moins il sera meilleur en match, non : s’il ne travaille pas la semaine, il sera capable d’être performant certes sur quelques matchs mais pas sur la durée. Ce ne sera pas viable. Il faut habituer son corps à travailler, à s’investir.

Un sportif de haut niveau que vous admirez ?
Je suis branché sport collectif, ou tennis, alors c’est plutôt un sportif ou une équipe qui fait l’actualité, quand ils brillent. Forcément que la coupe du Monde rugby, ça me plaît, Dupont est un joueur hors-norme qui me fascine, mais je suis un spectateur lambda, qui suit l’actu, qui aime bien suivre nos champions Français, au Tour de France, à Roland-Garros.

Un match de foot de légende ?
Je ne sais pas pourquoi, le match France – Allemagne 1982, en demi-finale de la Coupe du monde, m’a marqué, avec ces images de Battiston et Schumacher, ce scénario… Bien sûr, il pourrait y avoir des match beaucoup plus récents, avec le Barça de Xavi, Iniesta et Messi, qui m’a fait dresser les poils, mais c’est comme ça, ce match-là revient régulièrement dans ma tête, alors que j’avais 10 ans, et que je ne suivais pas cette équipe…

Un joueur de légende ?
C’est Maradona.

Le joueur de légende de La Roche-sur-Yon ?
Petit, même si je n’étais pas loin, à 30 kilomètres seulement de La Roche-sur-Yon, je ne suivais pas trop cette équipe. Mais c’était Abdou Founini, je ne l’ai pas vu jouer souvent mais voilà, longiligne, technicien, le genre de joueur qui me plaisait. Mon papa m’emmenait à Nantes, à Saupin (stade Marcel-Saupin), c’est pour ça que j’ai toujours été proche de Nantes.

Vos passions en dehors du foot ?
Je suis très famille. Je suis papy de deux petits enfants.

Vous avez été papa à 20 ans ?
Oui, j’ai connu mon épouse quand j’avais 17 ans, et très rapidement je lui ai demandé que l’on se marie et que l’on ait des enfants. Je n’avais pas tout à fait 20 ans, oui. C’était une volonté. Je voulais vivre avec mes enfants, profiter d’eux.

Choisissez un stade : Jean-de-Mouzon (Luçon), Massabielle (Les Herbiers), Henri-Degrange (La Roche) ou René-Fenouillère (Avranches) ? De Mouzon.

Terminez la phrase : La Roche Vendée est un club ….?
En construction.

Vos qualités de défauts ?
Je suis quelqu’un de compliqué, qui garde beaucoup les choses pour moi, qui n’échange pas beaucoup même si maintenant je le fais un peu plus. J’ai la capacité à m’ouvrir mais aussi à me fermer. Après, je suis honnête, généreux, compréhensif. Mais je n’aime pas l’hypocrisie et les menteurs : avec moi, il faut que cela soit très clair, c’est pour ça que je vous dis, dans le football, je ne m’y retrouve pas trop, et c’est peut-être aussi pour ça que le monde pro ne me manque pas trop, parce que je sais que dans ce monde-là, il faut être en capacité d’avaler beaucoup de couleuvres, de faire passer beaucoup de messages qui ne sont pas forcément vrais ou honnêtes, et ça ne me correspond pas. Je ne suis peut-être pas en phase avec tout ça.

Le milieu du foot, en deux mots ?
Compliqué. Pas honnête. C’est mon côté pessimiste qui ressort là.

 

Texte : Anthony BOYER / aboyer@13heuresfoot.fr / Twitter : @BOYERANTHONY06

Photos : Philippe Le Brech (sauf mentions)

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