Fabien Lemoine (Versailles) : « En National pour l’amour du foot ! » 

Après plus de 500 matchs en pros, l’ancien milieu de terrain de Rennes, Saint-Etienne et Lorient ne se sentait pas prêt à stopper sa carrière. Il n’a pas hésité à passer de la L1 au National avec le FC Versailles qui affronte le Red Star mardi 2 mai lors de la 31e journée.

Alexandra, l’attachée de presse du FC Versailles, nous avait accordé une vingtaine de minutes pour l’interview. Mais Fabien Lemoine a, de lui-même, largement bouleversé ce timing. Ses réponses sont souvent riches et toujours argumentées.

A 35 ans, après plus de 500 matchs en pros avec Rennes, Saint-Etienne et Lorient, le milieu de terrain s’est offert une dernière danse en National avec Versailles, ambitieux promu qui vise la montée en Ligue 2. En toute simplicité et en toute humilité malgré un quotidien très loin des standards du monde professionnel qu’il a connus lors de sa longue carrière.
Ce dernier mois de championnat pourrait être aussi son dernier comme joueur.

En attendant, Versailles, qui n’a plus le droit à l’erreur s’il veut rester jusqu’au bout dans la course à la montée, va disputer un derby décisif contre le Red Star, ce mardi 2 mai (18 h 30 en direct sur Canal + Foot) au stade Michel Hidalgo de Saint-Gratien, le stade de l’Entente Sannois SG.

« Dans ma tête, je n’étais pas prêt à arrêter »

Fabien Lemoine n’est pas prêt d’oublier son dernier été. « J’ai vécu plusieurs semaines compliquées. C’était tempête dans ma tête », se souvient-il. A 35 ans et après une saison tronquée par une blessure à un mollet avec Lorient (21 matches de L1, 13 titularisations), le milieu de terrain à la chevelure grisonnante espérait prolonger le plaisir en L1 dans un rôle différent de « complément ».

Mais quand il revient de vacances, le nouvel entraineur lorientais, Régis Le Bris, lui annonce, quand il le reçoit le 6 juillet 2022, qu’il ne compterait pas sur lui. « Comme ma priorité était de rester à Lorient, je n’ai pas voulu jouer sur plusieurs tableaux. Au lieu du mois de juin, mon mercato a commencé le 14 juillet. On était proche de la reprise de Ligue 2. Beaucoup d’effectifs étaient déjà complets. »

S’il a discuté avec Guingamp (L2), c’est Warren Tchimbembé, prêté par Metz, qui a été recruté plutôt que lui. « On était en ballottage et au final c’est lui qui a été choisi. On était déjà en juillet. Je me suis donc demandé : on arrête sur Lorient ou pas ? Mais mentalement, je n’ai pas réussi à switcher. Je n’étais pas heureux. J’avais le sentiment de ne pas avoir encore fini ce que j’avais démarré il y a une petite vingtaine d’années. Il y a eu discussions collégiales avec ma femme et mes enfants. Mais égoïstement, j’ai tranché. Dans ma tête, je n’étais pas prêt à arrêter. J’ai aussi été en contact avec Nancy mais j’ai choisi Versailles. Les dirigeants m’ont tenu un discours très dynamique. La proximité avec la Bretagne était aussi un paramètre personnel très important. »

« J’ai fui les problèmes quotidiens pour finir ma petite aventure à Versailles »

Pour s’engager le 12 septembre 2022 avec l’ambitieux promu yvelinois, il a néanmoins dû effectuer des concessions sur le plan familial. Il s’est installé seul à Versailles, laissant sa famille en Bretagne. « J’ai fui les problèmes quotidiens pour finir ma petite aventure ici, à Versailles. Il y a le téléphone, mais avec trois enfants de 7 à 13 ans, la gestion du quotidien n’est pas toujours facile. Ce n’est jamais simple de vivre comme ça, surtout qu’on n’y était pas habitué. J’ai la chance que ma femme me laisse la possibilité d’essayer ce mode de vie pour me permettre d’être comme je pense être le mieux possible mentalement. C’est un sacrifice. Je rentre tous les week-ends, c’est pour ça que quand nos matchs sont programmés le lundi, comme souvent ces derniers temps, ça me fait vraiment ch… »

En signant en National, le milieu aux plus de 500 matchs pros a changé de monde. Mais même s’entrainer sur un terrain qui n’est pas vraiment un billard et où l’on entend les scolaires joyeusement chahuter à peine à quelques mètres de la séance dirigée par le coach brésilien Cris, ne le dérange pas.

« C’est forcément différent de ce que j’ai connu, sourit-il. Mais ça fait presque huit mois que je suis là, et aussi bien sportivement que humainement, je n’ai jamais regretté mon choix de venir à Versailles. Je suis en National pour l’amour du foot, l’adrénaline et les émotions qu’il provoque. »

La 3e division, ce sont aussi des terrains pas toujours au top, des petits stades et des affluences souvent réduites. A Jean-Bouin, l’enceinte des rugbymen du Stade Français, Versailles joue ainsi devant à peine quelques centaines de spectateurs. Lemoine a dû s’accommoder à ce contexte. « Je n’ai jamais fait du foot pour la médiatisation et ses à-côtés. Bien sûr que quand tu es un joueur de L1, tu profites du système contractuellement et au niveau relationnel. On ne va pas se cacher que la vie est belle et simple. Mais moi, ce que je kiffe, c’est avant tout le terrain et la vie de groupe. Le National est un Championnat intéressant avec des bonnes équipes et des bons joueurs. Mais dans ma zone, j’étais plus tranquille en Ligue 1 qu’en National. En L1, on prend le temps d’élaborer le jeu, il y a davantage d’espaces. En National, il n’y a pas de phase calme. Il y a beaucoup de transitions, de volume de courses, un pressing quasiment tout terrain. Il a fallu d’adapter. Mais le foot, c’est de l’adaptation. »

« Quand tu n’es pas un joueur « bankable », il faut se battre en permanence »

Depuis ses débuts à Rennes, puis à Saint-Etienne et Lorient, Fabien Lemoine a toujours véhiculé l’image d’un joueur d’abord axé sur le collectif. Sur le terrain, il n’a jamais rien lâché. « C’est ça qui me rend le plus fier. J’ai réussi à durer en optimisant mes qualités intrinsèques de base qui n’étaient pas fantastiques. Ce n’est pas que je me dénigre. Mais j’ai compris rapidement qu’il fallait que je donne toujours plus pour pouvoir jouer. Je n’ai jamais été le joueur à avoir des notes de 8 ou des 9 dans les journaux. Mais des 2 ou 3, non plus. J’étais fiable, régulier et j’ai toujours réussi à m’intégrer dans un collectif. Des joueurs comme moi, il en faut deux ou trois dans une équipe. »

Sa force de caractère lui a aussi permis d’enchainer les saisons souvent pleines en Ligue 1. En novembre, il a dépassé la barre symbolique des 500 matchs pros. « Versailles m’a fait un joli cadeau avec un maillot portant ce chiffre 500. Je me suis toujours remis en question. Même si je sortais d’une saison à 40-45 matchs, je savais que je devais être au top dès la préparation. Quand tu n’es pas un joueur phare de l’équipe, pas « bankable », il faut se battre en permanence car une recrue pour qui le club a réalisé un gros investissement aura forcément toujours plus de crédit. J’ai donc toujours dû aller chercher des choses en plus pour que personne ne me passe devant. Sur mes plus de 500 matchs en pros maintenant, j’ai un gros pourcentage de titularisations, avec des saisons à 45 ou 50 matchs. J’ai tout vécu pleinement car j’ai toujours été un acteur majeur. »

« J’ai montré qu’on pouvait vivre avec et jouer à haut-niveau avec un seul rein »

Sa carrière aurait pu néanmoins pu brutalement s’arrêter en août 2010. Lors d’un match Nancy – Rennes, il est victime d’un gros choc qui lui a causé l’ablation du rein droit. Cet accident revient inévitablement lorsqu’on évoque son nom.

« Sur 90 % de mes interview, ce sujet est évoqué. Mais ça ne me dérange pas car j’en parle facilement. J’ai 16 ans de carrière et seulement 10 buts marqués. On ne va pas se souvenir d’une de mes frappes (rires)… Donc même si ce n’est pas du football, c’est déjà bien qu’il y ait un truc pour lequel les gens retiennent mon nom. J’ai un seul rein mais je montre qu’on peut vivre avec et poursuivre une carrière de sportif de haut-niveau. »

Quatre mois et demi après cette grave blessure qui aurait pu avoir des conséquences vitales encore plus dramatiques pour lui, il était de retour en L1. Encore grâce à son fort caractère et une grosse détermination.

« Mon naturel est vite revenu. Je suis passé à côté d’un gros malheur. Au début, j’étais cramé en faisant 10 minutes de vélo. Quand je reviens en Ligue 1, je fais une passe décisive contre Valenciennes. Là, je me suis dit, c’est bon, c’est reparti. Et le match suivant, l’entraîneur Frédéric Antonetti me laisse sur le banc à Caen. Je me mets en colère. Antonetti me dit, « Comment tu peux te mettre dans un état pareil ? Tu as vu d’où tu reviens et tu fais la gueule parce que je te mets sur le banc « ? Le coach pensait que je n’étais pas revenu à 100 % alors que moi je pensais le contraire. Sur mon lit d’hôpital, j’étais capable de relativiser mais en retrouvant les terrains, je n’étais plus lucide, je croyais retrouver ma place comme ça… Il m’a fallu quelques semaines pour comprendre que ça n’allait pas se passer comme ça ! »

« Je ne me considère pas comme un vieux con »

A Versailles, qui conserve encore une infime chance de monter en L2, Fabien Lemoine s’était engagé pour un an. Il n’a pas encore décidé pour la suite. « Je pense déjà à finir le mieux possible individuellement et collectivement cette saison. Je prends beaucoup de plaisir et je suis très épanoui dans ce que je fais. Mais je devrai tenir compte des attentes du club, de la direction à mon égard, de ma situation personnelle. J’ai fait un an séparé, loin de ma famille. Est-ce qu’on est prêt à repartir dans ces conditions ? »

Qu’il continue ou pas un an supplémentaire sa carrière, il devrait retourner au FC Lorient lorsqu’il prendra sa retraite. Mais ça sera plutôt dans les bureaux que dans un staff d’entraineur. « Le sportif pur sur le terrain ne m’intéresse pas forcément. Je me vois plus dans un rôle autour de l’équipe, comme coordinateur sportif. Mais les places sont chères… Moi, je ne me considère pas comme un vieux con. Mais quand j’avais 18 ou 20 ans, il y avait une barrière avec les anciens. Un ancien, tu ne pouvais pas le « checker » comme ça… Certes, je ne suis pas dans leurs délires à l’extérieur. Mais j’aime bien venir discuter avec les plus jeunes. Comme ça, je reste moderne et quand je dois discuter avec eux, c’est plus naturel et plus fluide dans le cadre qui est le nôtre. Ce n’est pas moi qui vais leur apprendre à jouer au foot mais si je peux trouver le levier qui les fera progresser… Je suis fier quand 5 ou 10 ans après, je recroise un joueur avec qui j’ai évolué et qu’il me dise « Merci Fab »…»

Fabien Lemoine, du tac au tac

Votre meilleur souvenir ?
La victoire en Coupe de la Ligue avec Saint-Etienne en 2013 face à Rennes en finale. 1-0 but de Brandão.

Votre pire souvenir ?
La défaite (2-1) en Coupe de France avec Rennes en 2009 face à Guingamp qui était en Ligue 2.

Le joueur le plus fort avec qui vous avez joué ?
Mickaël Pagis à Rennes.

Le joueur le plus fort que vous avez affronté ?
Neymar. Je ressortirais aussi le milieu du PSG Thiago Motta-Verratti-Matuidi. Très très fort.

L’entraîneur qui vous a le plus marqué ?
Je me suis bien entendu avec tous. Quand tu es dans le haut de la pile, c’est magnifique, tout roule. Mais quand tu es dans le bas de la pile et même parfois sous le bureau, c’est un peu plus compliqué… Si je devais en ressortir un, je dirais Christophe Galtier à Saint-Etienne. C’est lui qui m’a fait le plus progresser, changer de niveau.

Le président qui vous a le plus marqué ?
J’ai toujours eu des bonnes relations avec mes présidents. Celui, que j’ai le plus connu, c’est Roland Romeyer à Saint-Etienne. Celui avec qui j’ai le plus échangé, y compris contractuellement, c’est Loïc Féry à Lorient.

Le club où vous auriez pu signer et que vous regrettez ?
J’aurais déjà pu signer à Lorient en 2016. Mais Saint-Etienne m’avait dit non. Et y’a cette dernière année qui s’est moyennement passée pour moi à Saint-Etienne. J’ai eu des regrets mais j’étais sous contrat, donc pas décideur.

Le club où vous vous êtes senti le mieux ?
Dans tous les clubs que j’ai fait, il n’y en pas un où je ne me suis pas senti bien, que ce soit sur le plan professionnel que personnel. Rennes, c’était mes débuts, c’était mon club, celui de ma ville car je viens de Fougères. Tout était simple. A Saint-Etienne, j’ai adoré le club, le stade, les gens… J’ai adoré la mentalité du Forez. Et Lorient, c’est le must au niveau du cadre de vie. J’ai adoré le cadre. J’ai posé mes valises là-bas. C’est là que je vais vivre.

Vos amis dans le foot ?
Romain Hamouma que j’ai connu à Saint-Etienne, qui est un très bon ami. Paul Baysse, aussi. A Lorient, je suis en contact régulier avec Vincent Le Goff. On avait une super bande avec Julien Laporte, Umut Bozok, Jérôme Hergault, Paul Nardi, Pierre-Yves Hamel, Laurent Abergel… C’était notre team Lorient. On a passé beaucoup de temps ensemble. A Saint-Etienne, j’ai côtoyé beaucoup de bons mecs comme Loïc Perrin, Renaud Cohade, François Clerc, Jérémie Clement, Benjamin Corgnet, Jessy Moulin… La chance que j’ai eu, c’est d’avoir été dans des groupes où il avait beaucoup d’affects. Quand tu restes 5-6 ans dans un club, c’est facile à créer. On est toujours ensemble en matchs, en déplacement et durant la semaine, quand tu organises un truc, les femmes et les enfants viennent. Ça devient limite ta petite famille.

Le milieu du foot en deux mots ?
Deux mots, c’est court… Je vais développer un peu (sourire). Ok, le foot c’est un business, une industrie où il y a de l’argent. Mais c’est aussi beaucoup de passion et d’adrénaline. Chaque semaine, ton club, tes joueurs changent de gap. On peut aussi changer de stratégie en cours de saison. Dans le foot, tu es toujours sur le qui-vive. L’adrénaline est toujours liée au résultat. Dans le foot, les hommes changent d’une semaine à l’autre en fonction de ta locomotive qui est l’équipe pro. Tu prends 4-0 le samedi, tu arrives le lundi, tout le monde est dépressif… Nous, en tant que joueur, on a le meilleur rôle. On est acteur, on est toujours proche du sportif. Quand tu es joueur, tu te remets en question, tu te demandes juste « Est-ce que le week-end prochain, je serai titulaire ou non ? » C’est tout. Pour un entraîneur ou un salarié du club, c’est plus compliqué. Un salarié va dépendre de nos résultats. Lui, il n’est pas acteur, il peut juste espérer que les joueurs feront leur travail sur le terrain. Emotionnellement et humainement parlant, je trouve que c’est énorme.

Championnat National – mardi 2 mai 2023 : 31e journée / FC Versailles (5e, 51 points) – Red Star (4e, 51 points), à 18h30, au stade Michel Hidalgo, à Saint-Gratien. En direct sur Canal + Foot.

Textes : Laurent Pruneta / Mail : lpruneta@13heuresfoot.fr et contact@13heuresfoot.fr / Twitter : @PrunetaLaurent

Photos : Philippe Le Brech et FC Versailles