Claude Dratel, le speaker était aussi chanteur !

Il a longtemps oeuvré au micro à Brest, à Rennes et aussi à Quimper, pendant les années 70/80, en première et en deuxième division; et il a même chanté et côtoyé le gratin du show-biz. A 84 ans, le Breton, ancien disquaire, est sorti de sa retraite pour rouvrir l’album des souvenirs et des photos.

Avec Zidane.

« J’ai eu plusieurs vies ». C’est Claude Dratel qui le dit lui-même en début d’entretien et c’est bien pour cela que l’on est venu le dénicher dans sa retraite de Guidel, à la « frontière » du Sud-Finistère et du Morbihan, à quelques plages de Lorient.
Toujours bon pied, bon oeil, à 84 ans, et surtout bonne voix… C’était son outil de travail quand il était le speaker du Stade Brestois (puis du Brest-Armorique) et du Stade Rennais en passant par le Stade Quimpérois de la belle époque (2e division).

Mais Claude Dratel n’a pas été « que » speaker. A Rennes, il a également été l’intendant du club et l’auteur de nombreuses interviews de joueurs pour le magazine « En rouge et noir ». Il a aussi été chanteur et l’ami d’artistes du music-hall et de stars du show-biz.

Et aujourd’hui, à micro ouvert pour 13 heures foot, ses souvenirs se ramassent à la pelle comme les feuilles mortes de Jacques Prévert que chantait si bien Yves Montand qu’il aurait pu croiser parmi toutes les autres vedettes figurant à son répertoire.

« Shababi Nonda avait ramené ses Doberman en stage ! « 

  • Stade Brestois, Brest Armorique (années 70-80) : le speaker fait reporter un match

J’avais une trentaine d’années et je travaillais à Brest dans un magasin de disques où je recevais d’ailleurs pas mal d’artistes. J’ai été sollicité par Michel Bannaire (un ancien président du Stade Brestois) et je me suis retrouvé avec un micro de speaker à la main. C’était inné sans doute et comme j’étais un mordu de foot, je baignais dans mon univers.

Au Stade Brestois, j’ai rencontré des joueurs extraordinaires comme le Paraguayen Roberto Cabanas, Drago Vabec, Bernard Pardo et Joël Henry, les deux compères, sur le terrain et en dehors, Yvon Le Roux, le colosse de Plouvorn comme on l’appelait, ou Patrick Martet, le goleador qui marquait des buts extraordinaires. Cabanas, avec l’orchestre Jean Valéry, on avait animé son mariage, et je me suis retrouvé sur la scène de Penfeld à faire le crooner en chantant du Sinatra et compagnie.

Avec Michel Denisot.

C’était une époque formidable avec des histoires qui ne pourraient plus arriver aujourd’hui. Par exemple, je me souviens d’un match contre le Stade Lavallois qui était entraîné à l’époque par Michel Le Millinaire. Brest jouait le maintien en première division et devait absolument gagner, Laval marque le premier but et moi je vais vers l’arbitre de touche pour lui faire signe qu’en raison du brouillard, il n’y avait plus assez de visibilité, d’un poteau de corner à l’autre, pour que le match puisse continuer. A la mi-temps, je vais vers le vestiaire des arbitres pour insister et je me fais logiquement rabrouer. La seconde période commence, j’avais mon micro HF qui dépassait de la poche, je retourne voir l’arbitre de touche que je harcèle un peu, l’arbitre principal intervient, et à un moment, il arrête le match en constatant qu’en effet il y avait du brouillard. D’où la fureur de Le Millinaire qui avait déclaré qu’en 40 ans de carrière il n’avait jamais vu un speaker arrêter un match! Il en a longtemps parlé après. Le match a donc été remis et on l’a gagné !

J’ai connu aussi François Yvinec (le président brestois qui était allé chercher Cabanas en Colombie à l’issue d’un transfert des plus rocambolesques) à l’époque de Raymond Kéruzoré. En 1988, lors d’un match contre Paris Saint-Germain, j’avais rencontré Francis Borelli, le président du PSG, qui m’avait dit que ce serait bien que je vienne à Paris.

  • Stade Quimpérois (1989-91) : le speaker à la double casquette

Le directeur du Leclerc Quimper m’avait dit que l’ambition était de créer un grand club à Quimper et de le faire monter en première division avec des grands joueurs comme Michel Ettore, Philippe Mahut, Robert Barraja ou Zivko Slijepcevic, et l’entraîneur Pierre Garcia. Je me suis retrouvé avec la double casquette de speaker à Brest et à Quimper mais ce n’était pas la bonne solution. Le club a failli monter en première division mais ça manquait de public à Quimper et après il y a eu malheureusement la dissolution. Et c’est triste ce qu’est devenu ensuite Quimper.

  • Stade Rennais (1991-2002) : le micro d’or du speaker

Avec Paul Le Guen.

Je suis né à Rennes et c’était donc un retour aux sources. J’avais toujours eu pour ambition de revenir au Stade Rennais. Avant, j’allais voir les matchs et j’avais vraiment été impressionné par les deux victoires finales en Coupe de France en 1965 et 1971. Et après, Bernard Lemoux, le président, avait fait venir un joueur exceptionnel, Laurent Pokou (1973-1977). Je me suis lié d’amitié avec lui. Il était extraordinaire.

Un jour, l’Olympique de Marseille vient jouer à Rennes, Pokou était au milieu du terrain, il avait fait passer le ballon au-dessus des têtes de Zvunka et de Trésor, et il était parti « le mettre » des six mètres hors de portée de Carnus.

Avec Yves Mourousi.

Bernard Lama (2001-02) aussi m’a marqué, Petr Cech (2002 à 2004) également, formidable, un des meilleurs gardiens du monde. A Rennes, contrairement à Brest et à Quimper, j’étais à temps complet : je n’étais pas seulement speaker, j’étais intendant des joueurs que je gérais de A à Z. Quand ils arrivaient, je m’occupais de leur logement et de leurs papiers, j’allais au moins deux fois par semaine à la préfecture de Rennes pour les visas et les APS (autorisations provisoires de séjour).

Shabani Nonda (1998 à 2000), je lui avais trouvé un super appartement à côté de TV Rennes, mais il avait acheté un rottweiler et un doberman qu’il ne sortait pas, alors il avait fallu lui trouver une maison mais là aussi ça avait posé d’énormes problèmes de voisinage et il avait fallu leur construire un chenil. Après, il voulait amener ses chiens partout. Une fois, on était parti en stage à Dinard, et il s’était ramené avec ses chiens dans une remorque.

Avec Gérard Depardieu.

C’est à Rennes, en 2000, que j’ai eu mon micro d’or qui récompensait le meilleur speaker de la saison en première division. C’est à l’époque où Dominique Arribagé était le capitaine. C’était une grande reconnaissance pour moi.

Au stade Rennais, je m’occupais aussi d’un petit journal, « En rouge et noir », avec des interviews de joueurs pour le programme des matchs. Et j’ai connu un grand moment avec Zinedine Zidane quand il était à la Juve. C’était lors du match de coupe Intertoto à Rennes (1999), ça a été tout un cirque car les dirigeants de la Juve ne voulaient pas que je l’interviewe, ils voulaient de l’argent. Alors je ne me suis pas dégonflé, j’ai pris mon micro, je suis allé sur le terrain où j’ai rencontré Zidane qui m’a sympathiquement répondu.

  • Le chanteur, les disques et le show-biz

Avec Jane Birkin.

J’étais allé faire un marathon de la chanson à Fougères et je l’avais gagné. Je travaillais alors chez un très grand disquaire, le plus grand en Bretagne, Monsieur Racine, rue Lafayette, à Rennes. Là-dessus, je reçois un courrier pour aller chanter au casino de Saint-Malo. J’ai fait la saison et je me suis retrouvé comme chanteur dans l’orchestre de Jean Valéry, on a fait le tour de Bretagne et on allait même un peu partout en France.

Je travaillais toujours chez Racine mais ce n’était pas facile à gérer avec mes tournées. J’avais un chauffeur qui venait me chercher. Et c’est là que j’ai été sollicité pour tenir un magasin de disques à Brest, « Radio Sell » , où j’ai vu défiler Jane Birkin, Mouloudji, Serge Reggiani, Gérard Jugnot, Yves Mourousi, Johnny Halliday, Serge Lama, Coluche et j’en passe… J’ai tenu trois magasins de disques à Brest.

J’ai fait du show mode aussi dans la galerie « Super-Ouest » à la sortie de Brest, avec Denise Fabre, les cocogirls aussi (troupe de danseuses et de chanteuses créée par Stéphane Collaro), et Natty, la compagne de Jean-Paul Belmondo.
A Rennes, j’avais aussi connu Jacques Brel en 67. Je m’occupais de spectacles et je le vois arriver tout embêté car il venait pour faire le « raccord » mais il n’avait pas de sono. Je lui avais trouvé ça avec un orchestre du coin. Au casino de Saint-Malo, j’ai aussi rencontré Barbara qui m’avait écrit en dédicace « Chante longtemps encore. Barbara ». Tu te rends compte !?

Claude Dratel, du tac au tac

« Ma voix ne m’a jamais lâché »

Votre top de speaker ?
Le centenaire du Stade Rennais et ma rencontre avec Zidane.

Un flop ?
Ah oui, avec Gérard Depardieu. Il était venu à Rennes avec Auxerre et Gérard Bourgoin (président), et on avait prévu une petite réaction de sa part à la mi-temps. Mais quand je suis retourné le voir en tribune officielle, il n’a pas pu me répondre. C’était le fiasco.

Le meilleur président ?
Monsieur Pinault.

Le pire ?
J’en connais un… mais non !

Le meilleur entraîneur ?
J’ai beaucoup sympathisé à Rennes avec Paul Le Guen et Christian Gourcuff.

Le meilleur joueur ?
Shabani Nonda.

Le plus sympa ?
Makhtar N’Diaye, Bernard Lama, mais tous ont été sympas dans l’ensemble.

Les meilleurs supporters ?
Le Roazhon celtik kop. Je dialoguais beaucoup avec eux avant les matchs.

La meilleure ambiance ?
A Rennes.

Le plus grand match ?
La Juventus à Rennes en coupe Intertoto. Les derbys contre Nantes, et les matchs contre le PSG.

La plus grande fierté ?
D’avoir eu le micro d’or en l’an 2000.

Un rituel avant les matchs ?
La concentration. Et j’observais beaucoup l’échauffement des joueurs. Et quand j’avais la feuille de match, je vérifiais aussi la prononciation des noms.

Le plus bel hommage ?
La fête pour mon départ du Stade Rennais.

La plus grosse critique ?
Sur les réseaux sociaux, certains disaient que j’étais venu à Rennes pour l’argent, les autres répliquaient que j’étais leur seul speaker à avoir eu le micro d’or.

Un match qui vous a laissé sans voix ?
Non jamais. Ma voix ne m’a jamais lâché.

Le plus beau stade ?
Rennes. Un vrai stade de foot avec 30 000 personnes.

Le plus beau souvenir ?
Mes débuts avec le Stade Rennais en 91. Car là c’est un vrai métier à plein-temps. Un autre beau souvenir, c’est quand Raymond Kéruzoré m’avait demandé avant un match de lire un petit texte expliquant que malgré les sollicitations de l’OM, il restait breton et donc fidèle au Stade Rennais.

Le pire souvenir ?
La descente de Rennes en deuxième division en 1992.

Un mot sur les speakers d’aujourd’hui ?
On les entend moins en fait. Il y a une discipline maintenant, ils sont obligés de rester corrects alors qu’avant, il y en avait qui allaient un peu trop loin. Il ne faut pas critiquer l’adversaire, il faut rester fair-play. Ce qui n’empêche pas une part de chauvinisme.

Avec Serge Lama.
Avec Johnny Halliday.
Avec Jean-Jacques Goldman.
Avec Denise Fabre.
Avec Coluche.
Avec Thierry Roland.

Texte : Denis Vergos / Mail : dvergos@13heuresfoot.fr et contact@13heuresfoot.fr / Twitter @2nivergos et @13heuresfoot

Photos : DR et D. V.