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Christopher Ibayi : « Quitter mon cocon corse m’a fait grandir »

Avec déjà 15 buts marqués, l’attaquant corse de 27 ans, non conservé l’an passé à Versailles, effectue une saison accomplie au FC Rouen, leader en National 2. S’il est aujourd’hui pleinement épanoui, il a dû surmonter beaucoup d’embûches dans sa carrière.

Photos Bernard Morvan.

Lors de l’épopée de Versailles en Coupe de France l’année dernière, le journal Le Parisien avait demandé à Oussama Berkak et Mickaël Gnahoré, deux anciens du groupe Versaillais, de dresser des mini-portraits de tous leurs coéquipiers.
Pour Christopher Ibayi, cela avait donné ça : « On le surnomme « métis-sucré ». C’est le beau gosse, fou de parfum haut de gamme. Un Corse fier de l’être qui nous fait souvent rire avec son accent. Son foot est académique, sans folie mais très efficace. »

A 27 ans, Christopher Ibayi, fils d’Edmond, un attaquant qui a marqué le foot amateur corse, est aujourd’hui apaisé et épanoui au FC Rouen. Avec déjà 15 buts marqués, le plus haut total de sa carrière jusque-là, il est l’un des artisans du beau parcours du club normand, leader du groupe A de National 2 avec 5 points d’avance sur le Racing, et qui pourrait donc retrouver le National la saison prochaine.

S’il est, aujourd’hui, un des attaquants de National 2 les plus côtés, rien n’a pourtant été facile pour lui. Une fin difficile au SC Bastia, un échec à Tours, une longue blessure qui l’avait fait se diriger vers la vie active en parallèle des matchs de N3 avec le Gallia Lucciana, avant le rebond inespéré à Granville, puis encore une aventure inachevée avec Versailles… Avec sincérité et sans concession sur ses erreurs, le Corse a raconté son parcours loin d’être rectiligne pour 13heuresFoot.

« Mon père m’a fait grandir en tant qu’homme et joueur »

En 1991, Edmond Ibayi, attaquant congolais alors âgé de 24 ans, débarque en Corse. Après avoir joué au CABGL (Lucciana), Ile-Rousse, Porto-Vecchio et à Bonifacio, il y a définitivement posé ses valises. Il est actuellement entraineur au JS Bonifacio, où il s’occupe désormais de la formation après avoir longtemps entrainé l’équipe première en R1.

De son union avec une Corse, est né le 18 juillet 1995 Christopher qui a rapidement suivi les traces de son père qui marqué l’histoire du foot amateur de l’Ile-de-Beauté.

« J’ai commencé le foot à 4 ans à Porto-Vecchio », sourit Christopher qui a également vécu quelques mois dans une autre Ile, la Réunion, où son père avait effectué une pige. « Mon père a été mon mentor. Il a toujours été là pour me conseiller et me reprendre. Il a parfois été dur avec moi mais il m’a fait grandir comme homme et comme joueur. Avec le temps, je suis devenu de plus en plus proche avec lui. J’ai mes parents tous les jours au téléphone. Quand la plate-forme Fuchs les diffusait, mon père pouvait regarder tous mes matchs. On les refaisait tous les deux. Ses retours et débriefing sont très importants pour moi. »

Après Porto-Vecchio et Bonifacio, Christopher Ibayi a rejoint le Pôle Espoirs d’Ajaccio puis le centre de formation du SC Bastia à l’âge de 13 ans.

« Mon rêve de signer pro dans mon club formateur, le SC Bastia, s’est brisé »

Son unique match en pro, avec Bastia, en coupe de France, à Quevilly.

A Bastia, l’attaquant était un cadre de la réserve. Mais il n’a pas pu y signer de contrat pro. « C’était les meilleurs années du Sporting en Ligue 1, il y avait une grosse équipe, j’ai juste été appelé plusieurs fois pour m’entrainer avec les pros mais c’est tout. J’ai des regrets sur ma dernière année. »

Il n’a effectué qu’une seule apparition avec le SCB, le 20 janvier 2015, lors d’un match de Coupe de France à Quevilly (CFA). Comme un présage, le match se déroulait au stade Robert Diochon où il brille aujourd’hui… Bastia s’était incliné aux tirs aux buts (4-2) et Ibayi était rentré au début de la prolongation pour 29 minutes. « J’avais montré de bonnes choses, j’espérais monter encore avec les pros ».

Mais un coup de sang va précipiter la fin de son aventure au Sporting, sept ans après son arrivée. « Mon rêve de signer pro dans mon club formateur s’est brisé, soupire-t-il. J’ai commis une erreur que j’ai payé cash. Malgré mes bonnes performances, j’ai été pénalisé. »

Lors d’un match avec la réserve, il avait reçu un carton rouge… lors de l’échauffement. « L’arbitre nous a dit de rentrer aux vestiaires. Mais il restait encore cinq minutes… Il nous a encore remis un coup de pression. Et moi, j’ai vrillé. Je me suis retrouvé tête contre tête avec lui. J’ai pris 4 matchs de suspension. Ghislain Printant (l’entraineur en L1) m’a convoqué. Il m’a dit : « Tu ne goûteras plus jamais au monde pro et tu n’as plus d’avenir au Sporting »…»

 

« J’ai arrêté le foot pendant 14 mois, j’avais lâché mentalement »

Avec le coach du FCR Maxime d’Ornano

Le coup est rude pour le Corse qui tombe de très haut. Il a 20 ans et un avenir en pointillé. Fin juillet 2015, il est à l’essai dans un club de Ligue Two (D4 Angleterre) quand il reçoit un appel de Fabrice Bertone, alors conseiller du président Jean-Marc Ettori à Tours (L2), deux corses. « En Angleterre, ça se passait bien mais ils voulaient me garder une semaine de plus à l’essai. J’ai donc choisi d’aller à Tours, pour la réserve en National 3. »

La saison se passe moyennement. « Je me suis blessé. Une déchirure à l’insertion des adducteurs. J’ai été arrêté 14 mois. J’ai lâché mentalement. »

S’il rentre en Corse et signe au Gallia Lucciana en Régional 1, il est diminué. « On est monté mais je n’ai pu jouer que deux matchs ». En parallèle, il a déjà mis un pied dans la vie active. Il travaille à la Capitainerie du port à Bonifacio puis dans la restauration. Mais Lucciana, promu en N3, le rappelle alors que la saison 2017-2018 a débuté. Comme Julien Maggiotti (Laval) et Amine Boutrah (Concarneau) après lui, il va trouver un tremplin à Lucciana. « J’ai mis 10 buts en 15 matchs, ça m’a reboosté. Mais je travaillais dans la restauration et j’étais bien dans ma vie en jouant en N3. »

« Granville m’a redonné goût au foot »

Avec son coéquipier « bastiais » comme lui Adrien Pianelli.

L’US Granville arrive pourtant à le convaincre de quitter la Corse. « Je n’étais pas dans l’optique de repartir sur le continent. Mais mon père m’a remotivé. Il m’a dit, « Ok c’est au fin fond de la Normandie mais donne toi deux ans et on fera le point après… » Il avait raison. Cette première saison à Granville m’a redonné goût au foot. C’était la première fois que je jouais National 2 et j’ai vu que je pouvais réussir à ce niveau. Humainement, je suis tombé sur des gens extraordinaires. L’entraineur Johan Gallon m’a fait beaucoup progresser. »

Avec Granville, il inscrit 11 buts puis 6 lors de la seconde saison, stoppée en mars 2020 par la Covid. Au mois de janvier, il avait connu une énorme désillusion. « En 32e de finale de la Coupe de France, j’ai pris un 3e jaune contre Versailles et j’ai été suspendu pour le tour d’après. » Granville tire l’OM, son club de cœur… « On était tous ensemble au club house pour regarder le tirage et quand j’ai vu qu’on prenait l’OM, j’en ai pleuré. C’est un très mauvais souvenir. J’ai raté le match de ma vie. »

Il l’avait déjà appris à ses dépens à Bastia. Les suspensions et les cartons ont souvent servi de (mauvais) fil rouge à sa carrière. « J’en suis pleinement conscient. Quand il y avait des matchs à enjeux, mes démons ressortaient. J’ai raté des matchs importants donc je ne veux plus commettre les mêmes erreurs. Avec l’âge, j’ai gagné en maturité. Je fais moins de fautes et de pétage de câbles… Mes suspensions, c’est davantage à cause des cartons jaunes. »

« La fin à Versailles a tout gâché »

Après ce rendez-vous raté en Coupe de France avec l’OM et l’arrêt prématuré de la saison, Ibayi choisit de quitter Granville. « J’avais fait un peu le tour et je voulais sortir de ma zone de confort. Direction le Périgord et Trélissac. »
Mais il se blesse lors de la préparation et ne peut que disputer que trois matchs de National 2 avant le nouvel arrêt des championnats fin octobre 2020 à cause de la Covid. « Je n’ai pas grand-chose à raconter sur Trélissac. Mais cette saison m’a servi mentalement. »

Il est ensuite contacté par Versailles. Racheté par le groupe immobilier City en mars 2021, le club des Yvelines a changé de dimension. « Le projet était intéressant, il y avait des moyens financiers, ça m’a décidé à rejoindre la région parisienne », explique l’attaquant.

Avec une montée en National, une épopée en Coupe de France qui ne s’arrête qu’en demi-finale à Nice (2-0), la saison est plus que réussie. Petit bémol : un nouveau carton rouge en quarts de finale de la Coupe à Bergerac… Mais Christopher Ibayi affiche aussi des « stats » individuelles plutôt intéressantes : 11 buts en championnat et 6 en Coupe de France. C’est le meilleur buteur de l’équipe. Pourtant, il va tomber de très haut au mois de mai. « J’ai été reçu parmi les premiers, un vendredi. Il étaient trois : Youssef Chibhi (l’entraineur), Marc Mohamed (directeur administratif) et Jean-Luc Arribart (directeur général). Il faut savoir qu’à la trêve, des clubs du dessus voulaient me faire signer mais que j’étais resté à Versailles. Chibhi me dit que j’étais une priorité, que je serai prolongé. »

Trois jours plus tard, le discours du coach a pourtant changé. « Cette fois, on était seuls avec lui, moi et mon agent. Là, il m’annonce que je ne suis pas gardé. Sans trop d’explications à part qu’il a déjà Djoco, Brun et Touré sous contrat et qu’il va faire venir des attaquants du dessus. »

Dans son contrat d’un an figurait une option de prolongation automatique s’il disputait 18 matchs comme titulaire. « J’en étais à 16 et il en restait encore 3 à disputer… Forcément, Chibhi ne m’a plus jamais fait débuter. Bien sûr que je lui en veux. Il m’a empêché de connaître ma première saison en National. Cette fin a tout gâché. »

Le Corse tient aussi à préciser certaines choses : « On a voulu me faire passer pour un mec trop gourmand financièrement qui voulait prendre un billet en plus. Mais c’est faux. Ma première volonté, c’était de m’inscrire dans le projet de Versailles. »

« J’ai envie de rendre au FC Rouen ce qu’il m’a donné »

Sur le marché malgré-lui, Christopher Ibayi était suivi en L2 et National. Mais sans vraiment de concret. « J’étais le 2e ou 3e choix. Il fallait attendre. Sincèrement, après la saison que j’avais faite, je m’attendais à avoir davantage de demandes. J’ai le sentiment d’avoir été négligé en National… »

Rapidement, le 15 juin, il a choisi de s’engager pour deux ans avec Rouen. « C’est après que j’ai eu des propositions en National. Mais c’était trop tard. Je suis un homme de parole et je n’allais pas revenir là-dessus. Mais je ne regrette rien. Avec le recul, je me dis même que quitter Versailles pour Rouen était un mal pour un bien. »

A Rouen, il avoue se sentir « heureux et épanoui ». « J’ai envie de rendre à ce club ce qu’il m’a donné. On ne m’a pas donné la possibilité de grimper en National, je veux le faire avec Rouen. Je suis aussi un peu revanchard. J’ai envie de montrer à ceux qui m’ont laissé sur le côté ou négligé que j’étais un joueur régulier, capable d’enchaîner des saisons à plus de 10 buts, ce qui n’est pas un hasard. »

A bientôt 28 ans, Christopher Ibayi peut aussi juger de son évolution. « J’ai pris en maturité. Avant, j’avais la tête dure. J’étais moins à l’écoute. Mon parcours est un peu atypique. J’ai pas mal bougé. Mais avoir quitté mon petit cocon en Corse m’a fait grandir. Je me suis retrouvé un peu livré à moi-même et j’ai dû me débrouiller seul à mon arrivée sur le continent. Tout cela, ça forge. Je n’ai pas encore signé de contrat professionnel mais chaque jour, je m’en donne les moyens. Je suis professionnel dans ma manière de travailler et j’y prends beaucoup de plaisir. »

Christopher Ibayi, du tac au tac

Première fois dans un stade comme spectateur ?
Le stade Claude Papi de Porto-Vecchio. Je devais avoir 2 ans. C’était pour voir jouer mon père.

Meilleur souvenir de joueur ?
Le parcours en Coupe de France avec Versailles la saison dernière et l’aventure en Gambardella avec Bastia en 2014. On avait atteint les quarts de finale (élimination 2-1 par Laval).

Pire souvenir de joueur ?
Mon carton rouge à Bergerac en quarts de finale de la Coupe de France la saison dernière.

Une manie, une superstition ?
Avant de rentrer sur le terrain pour l’échauffement, 5-10 minutes avant, j’écoute une chanson corse, Sò Elli du groupe l’Arcusgi (C’est la musique d’entrée du SC Bastia à Furiani avant le coup-d’envoi).

Le « So Elli » par L’Arcusgi en direct du Stade Armand-Cesari

Le geste technique préféré ?
Je ne suis pas un gars qui dribble… Mais j’adore faire des enroulés.

Qualités et défauts sur un terrain ?
Je ne lâche jamais rien, j’ai la culture de la gagne. Mon défaut, c’est l’impulsivité.

Sous le maillot de Versailles, la saison passée, entre Benzia et Pianelli, ses futurs coéquipiers au FC Rouen !

Votre plus beau but ?
C’est récent. C’était contre la réserve de Caen cette saison (22 octobre). On était mené 0-2, on revient à 2-2 et je marque le but du 3-2 sur un coup-franc alors que j’avais des crampes et que je devais sortir. Le stade Diochon avait explosé.

Avancez jusqu’à 2 minutes et 47 secondes pour voir le but sur coup franc de Christopher

Le joueur le plus fort que vous avez affronté ?
Chez les jeunes, Anthony Martial. En Coupe de France avec Versailles, Branco van den Boomen contre Toulouse et Jean-Clair Todibo contre Nice.

Le joueur le plus fort avec qui vous avez joué ?
Je me suis juste entrainé avec eux, mais je dirais Ryad Boudebouz et Florian Thauvin à Bastia.

L’ entraîneur ou les entraîneurs qui vont ont marqué ?
Il y en a quelques-uns… Je vais citer Antoine Pireddu au Creps espoirs d’Ajaccio, Benoit Tavenot, Mickaël d’Amore et Ghislain Printant au centre de formation de Bastia; et Johan Gallon à Granville.

Le président qui vous a marqué ?
Dominique Gortari à Granville.

Une causerie marquante d’un coach ?
Celles de Johan Gallon à Granville. Il savait transcender et emmener ses joueurs.

Le club où vous vous êtes senti le mieux, où vous pris le plus de plaisir ?
Rouen, actuellement. C’était naturel et une évidence de signer ici pour moi. Le club m’a mis dans des bonnes conditions et le public de Diochon m’a adopté. Il n’y a pas de secret. Quand on se sent bien à l’extérieur, on est bien sur le terrain.

Le club qui vous fait rêver ?
En France, je suis un supporter de l’OM. En Espagne, le Barça. Un grand club.

Vos joueurs ou vos joueurs préférés ? Un modèle ?
Aujourd’hui, je n’en ai pas. Mais plus jeune, Thierry Henry m’a fait rêver.

Un stade mythique ?
Le Vélodrome à Marseille et le Nou Camp à Barcelone. Et forcément Furiani à Bastia. C’est particulier.

Le joueur le plus connu de votre répertoire ?
Wahbi Khazri.

Vos occupations en dehors du foot ?
Je suis assez casanier, donc la musique, les séries, les films. Je m’entretiens aussi beaucoup physiquement. J’ai mes appareils à la maison.

Si vous n’aviez pas été footballeur pro ?
Je vis et je m’entraîne comme un pro mais je n’en ai pas le statut… La nuance est importante pour moi. Après, si je n’avais pas fait du foot à ce niveau, je me serais lancé à fond dans le tennis. Je n’ai pas toujours vécu du foot. En Corse, j’ai travaillé, à la Capitainerie du port, dans la restauration. Au centre de formation, j’avais passé un BEP vente puis un diplôme d’animateur.

Le milieu du foot en deux mots ?
Cruel et beau.

La Corse où vous avez grandi, la Dordogne, la région parisienne ou la Normandie où vous avez joué ?
La Corse, bien sûr !

Texte : Laurent Pruneta / Mail : lpruneta@13heuresfoot.fr et contact@13heuresfoot.fr / Twitter : @PrunetaLaurent

Photo de couverture : Bernard Morvan

Photos : Bernard Morvan