Il a poli pendant 30 ans les plus beaux diamants du centre de formation de l’Olympique Lyonnais, dont certaines pépites comme Benzema, Giuly, Govou, Lacazette et Umtiti. Armand Garrido est désormais un retraité qui occupe ses journées avec … le FC Bourgoin-Jallieu (N3), où il est coordinateur sportif du foot à 11. Entretien.
Benzema, Giuly, Govou, Lacazette, Ben Arfa et Umtiti, entre autres, les footballeurs professionnels passées entre ses mains de formateur à l’Olympique Lyonnais, où il a oeuvré de 1989 à 2019, feraient pâlir bon nombre de directeur sportif à l’heure de former une équipe compétitive avec des « joueurs locaux ». Armand Garrido a officié pendant 31 ans à l’OL, dont 27 à la tête des U17 (vainqueur de la Gambardella en 1997, champion de France U17 en 1993, en 2013, etc). Il a aussi été adjoint en National 2 et superviseur pour la post-formation, avant de prendre sa retraite il y a 3 ans. Une retraite qu’il passe actuellement au FC Bourgoin-Jallieu, après une pige comme directeur sportif au FC Bords de Saône. Dans l’Isère, il occupe le poste de coordinateur sportif du foot à 11. L’ancien Gone, âgé de 66 ans, évoque les objectifs de son nouveau club : la montée en N2 et surtout la restructuration de la formation. On ne se refait pas.
A votre époque, à l’OL, dans les catégories de jeunes, comment appréhendiez-vous les matchs contre les clubs amateurs dans le processus de formation des jeunes ?
Il est facile de comprendre que quand on se déplace dans un club amateur, c’était l’événement de la semaine, même chez les jeunes, plus encore qu’un match de l’équipe A parfois. Nous, on s’entraînait six fois par semaine… Aujourd’hui, l’avantage, c’est que les clubs bien structurés parviennent à s’entraîner quatre voire cinq fois, même chez les jeunes, avec des aménagements d’horaires ou des sections sportives. Ce n’était jamais très facile car au-delà de ça, il y avait une sur-motivation et un environnement pas trop favorable. Chose qui changeait beaucoup lorsqu’on jouait à domicile où l’affluence était faible, hormis les familles. Et puis, ça nous permettait de faire du recrutement. A ce niveau, il y a automatiquement des joueurs de qualité en face. Donc c’était assez enrichissant. Jouer contre les amateurs n’a jamais été facile. Même si ça nous est arrivé de faire des gros écarts; dans l’approche il nous fallait prévenir les joueurs d’être rigoureux, sérieux, que ce n’était pas facile d’aller jouer contre le « petit » club de Mâcon, Pontarlier ou Jura Sud car il fallait s’attendre à souffrir. Et c’est tout aussi utile que de préparer un gros match contre un autre club pro.
Et pour les joueurs de CFA 2 ?
Vous avez constaté comme moi que les réserves de clubs pros, le peu qui restent en N2, ont des difficultés. Beaucoup sont en N3 d’ailleurs. La N2 est un championnat de plus en plus structuré avec des clubs presque semi-profesionnels, avec notamment des joueurs majoritairement issus des centres de formation à qui ils manquaient peu de chose pour qu’une carrière professionnelle s’ouvre à eux. Ça devient de plus en plus difficile. Autre facteur, on y envoie des gamins face à des hommes. C’était déjà un peu le cas avant mon départ de l’OL en 2019. Regardez la moyenne d’âge des clubs pros. Je l’ai pratiqué un an avec la réserve de l’OL et face à nous, on avait des joueurs expérimentés dans des conditions pas faciles. Il faut déjà, à cet âge, du caractère pour ne pas y aller en « chamalow » mais plutôt en costaud. S’y maintenir c’est déjà un exploit.
« On protège les jeunes, on les met dans des cocons »
Pourquoi ces équipes sont-elles de plus en plus jeunes ?
Pour l’avoir vécu, vous n’emmenez pas un joueur pro joueur n’importe où. J’ai le souvenir de Mapou Yanga-Mbiwa (arrivé en 2015 à l’OL, envoyé en réserve en 2017), lui le faisait. C’était un super mec, il était investi à l’entraînement, faisait les déplacements. C’est très rare. Le joueur de Ligue 1 ne vient plus. A une époque, il faut reconnaître qu’il venait. Bon, il tirait un peu la gueule, on doutait de son investissement, on discutait de son rendement quand on le voyait à l’échauffement car on avait l’impression de le faire venir sur le terrain en lui tirant les cheveux. Quand vous déplacez un joueur qui touche 200 000 euros par mois dans un club amateur, voyez l’accueil qu’il reçoit. C’est difficile pour lui aussi. Après, il y a ceux dans l’ascenseur. Ceux qui sont en train de passer pro, mais qui ne le sont pas encore complètement. Ceux qui ont besoin de temps de jeu, car ils ne font que s’entraîner avec les pros donc on les redescend. Ce n’est pas évident pour eux, parce que chaque retour en équipe réserve pour un match est une remise en question.
A quel moment a eu lieu cette bascule du « rajeunissement » ?
C’est tout un ensemble de choses. Aujourd’hui, on fait signer des contrats pros à des joueurs de plus en plus jeunes pour les rassurer et surtout se rassurer au niveau du club, parce qu’on a peur de se les faire piquer. La famille, les agents, tout l’entourage, font monter les enchères et il faut couvrir le joueur. Quand tu signes un contrat pro, même à 17 ans, il faut donc que ton joueur soit dans le championnat le plus près des pros, au plus haut niveau possible, donc la N2. Avant, ça ne se passait pas comme ça. J’ai connu des joueurs à l’OL qui ont fait des grandes carrières, et bien à 21 ans, ils étaient encore en réserve. Mais c’était à une époque où les clubs, même les meilleurs, sortaient un joueur par saison. Aujourd’hui, on a l’impression que tout le monde signe pro. Tout le monde ne joue pas en équipe une, mais par contre on les protège, on les met dans des cocons. Actuellement à Lyon, Caqueret s’est imposé, Malo Gusto commence à enchaîner, Lukeba aussi. Mais les autres ? Ils font des apparitions et ils repartent.
Est-ce que dans le processus de formation, ces matches contre les adultes étaient ciblés ? Par exemple, privilégier de faire jouer un élément un peu tendre contre les clubs amateurs plutôt que les réserves ?
Oui, toutes les stratégies sont faisables. Après, il faut rester dans ce championnat donc on ne peut pas se permettre de faire trop de tentatives. Une année, on était premier au bout de six matches. Il a été décidé de nous retirer mes trois meilleurs joueurs pour suivre un programme spécifique. Vu qu’ils avaient vocation à intégrer le groupe professionnel rapidement, ils devaient faire de la musculation pendant six semaines. Ils ont très peu touché le ballon, ne faisaient plus de match car l’objectif était de les préparer à jouer en pro et donc de plus travailler sur l’aspect physique. D’ailleurs, ils sont tous les trois professionnels aujourd’hui. N’oublions pas que dans un centre de formation, tout est organisé pour que le joueur atteigne l’équipe première. C’était un défenseur, un milieu et un attaquant. Alors forcément, ça vous plombe un groupe et cela se ressent au niveau des résultats. On n’a pas gagné un match pendant six semaines. Mais il fallait respecter le plan de formation dans l’intérêt de leur carrière.
« De plus en plus difficile de former des joueurs de niveau Ligue des Champions »
Est-ce que vous vous basiez sur un niveau référence ?
Oui, le niveau Ligue des Champions. Govou, Gonalons, Umtiti, Tolisso devaient avoir ce niveau pour qu’on les mène au groupe pro. En arrivant à l’entraînement avec Essien, Juninho, etc, je peux vous dire que les joueurs avaient le niveau et qu’ils n’étaient pas mauvais avec leurs pieds ou leur réflexion tactique. Aujourd’hui, on voit que c’est un peu plus difficile de sortir des joueurs de niveau LDC. La preuve, l’OL n’arrive plus à y aller. Ça se rapproche plus du niveau Ligue 1. Pas sûr que les joueurs d’aujourd’hui auraient intégré le groupe pro de l’époque mais également parce que c’est de plus en plus difficile de former des joueurs de niveau LDC.
Former un Karim Benzema, c’est donc devenu plus compliqué ?
C’est un joueur exceptionnel qui a eu la chance d’intégrer un club exceptionnel dans lequel il a pu se mettre en valeur. C’est pas toujours facile d’avoir cet alliage entre club et joueur. Au-delà de ça, le niveau de la Ligue des Champions est plus élevé actuellement. Aujourd’hui, un Hatem Ben Arfa, je ne suis pas sûr qu’il soit sollicité pour entrer dans un club pro, alors qu’on s’est tous battus pour le faire venir sportivement parlant.
Pourquoi ?
Beaucoup de nouveaux éléments entrent dans la réflexion et, en plus, cette réflexion est différente. C’est l’évolution de la société dans sa globalité. L’aspect humain, social, rentre de plus en plus en compte dans la sélection. La pédagogie est également différente, que ce soit en mieux ou en moins bien.
Le joueur qui vous a le plus marqué durant votre carrière ?
La carrière de Karim est extraordinaire, donc elle me marque. Surtout quand je repense au travail fourni ensemble, le temps passé sur le terrain en rab. Ludovic Giuly, quand je l’entraînais, il faisait un mètre et des poussières, jamais, et je dis bien jamais, une personne aurait mis une pièce sur lui. Il y a une complicité qui se crée dans le travail. Je me souviens encore le voir grimper sur les plus grands pour prendre un ballon de la tête. J’ai envie de citer Jérémie Bréchet aussi çar il a fourni un travail extraordinaire et incommensurable pour réussir sa carrière. Mais si je vous dis l’attaquant Roland Vieira (devenu coach au Puy-en-Velay, actuellement en National), ça vous dit quelque chose ? Et ben moi, il m’a marqué. C’est lui qui, au bout d’une demi-heure, passe dans les buts en finale de la Coupe Gambardella 1997 remportée contre Montpellier car notre gardien Cyril Clavel se blesse, car à l’époque il n’y avait pas de gardien remplaçant, on n’était que 13 sur la feuille de match. Et Roland Vieira nous fait deux arrêts extraordinaires dans la séance de tirs au but qui nous font gagner, je n’ai pas peur de le dire.
« Je n’ai plus rien à faire sur un terrain à mon âge » !
Parlons du présent désormais. Pouvez-vous définir votre nouveau poste à Bourgoin-Jallieu (N3) ?
Je suis coordinateur du foot à 11. Je cherche à mettre en place un projet sur trois ans avec une section sportive et une organisation pour former des joueurs du niveau de notre équipe réserve à minima et pour l’équipe A pour les meilleurs.
Le terrain ne vous manque pas ?
J’arrive à un âge ou je n’ai plus rien à faire sur un terrain. Il faut laisser la place aux jeunes. Je vais sur le terrain pour conseiller, apporter des idées, encadrer et aiguiller. Il y a plein de nouvelles méthodes dont se nourrissent les jeunes coaches, de mieux en mieux formés, c’est à moi de les aider à faire le tri, les adapter pour qu’il se créent leur propre voie, leur plan de jeu, leur planification annuelle. J’aimerais bien avoir vingt ans de moins pour retourner sur le terrain, mais ce n’est pas possible.
Quel objectif pour votre équipe première ?
Comme tous les ans, on souhaite monter. L’an passé, on est tombé sur une équipe de Thonon Evian qui était en avance sur nous et était déjà prête pour la N2. On a fait quelques efforts de recrutement cet été, mais on n’est pas les seuls à vouloir monter et en avoir les capacités.
Ça commence bien pourtant avec cette victoire 4-0 contre la réserve de Lyon La Duchère…
C’est vrai mais ce n’est qu’un match. On a un nouvel entraîneur (Eric Guichard a remplacé Jérémy Clement). Il arrive avec toute sa maturité, son expérience et ses idées. Je ne vais pas faire mon Guy Roux, mais avec la refonte des championnats, on va surtout assurer notre maintien d’abord. Parce que six descentes, c’est énorme et ça va créer des surprises.
Justement, en ce début de saison, ce qui prime dans les têtes, c’est plus la crainte de descendre ou l’envie de monter ?
La crainte de descendre avec l’espoir de pouvoir monter, si je peux résumer ainsi. Mais pour cela, il ne faut pas se faire décrocher, contrairement à l’an dernier ou Thonon Evian a vite caracolé en tête. La clé, c’est d’être prudent, construire sa saison. Le moindre point perdu sera regretté à un moment donné.
Texte : Alexandre Plumey / Mail : contact@13heuresfoot.fr / Twitter : @Alex_Plums