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Amine Boutrah : « Je n’ai pas toujours eu le bon comportement »

Lancé en équipe première à Bastia à l’âge de 16 ans avant de vivre des saisons difficiles, le lauréat du trophée de meilleur joueur de National du mois d’août, âgé de 21 ans, s’est totalement relancé depuis son arrivée à Concarneau l’an passé. Portrait .

Visuel FFF / Photo Tony Esnault – US Concarneau

Avec 49, 05 % des voix (journalistes, entraîneurs, capitaines et le public sur les réseaux sociaux), Amine Boutrah a été élu meilleur joueur du mois d’août de National. L’attaquant de Concarneau (21 ans) a devancé Karim Tlili (Martigues, 19,86 %), Anthony Beuve (Avranches, 16,84 %) et Damien Durand (Red Star, 14,16 %).

Percutant, explosif, ce petit gabarit (1, 70 m) semble avoir passé un cap depuis le début de cette saison. Vendredi soir lors de la 5e journée de National, Amine a été l’un des artisans du succès de Concarneau sur le synthétique de Borgo (4-2). Devant sa famille et ses proches, il a inscrit le 3e but de son équipe portant son total à 3 buts. « J’ai déjà dépassé mon total (2) de la saison dernière », sourit le Corse qui a grandi à Porto-Vecchio.

Posé, sans concession sur ses erreurs passées et avec un discours où transparait sa grande maturité, il a pris le temps de revenir sur sa jeune carrière qui avait débuté très fort à 16 ans avec le SC Bastia en National 3 avant de connaitre un gros coup d’arrêt. Mais sa signature à Concarneau à l’été 2021 l’a relancé et « l’a fait grandir à tous les niveaux ».

« Après le dépôt de bilan de Bastia, je me suis retrouvé sans rien »

Photo Tony Esnault – US Concarneau

Tout a commencé pour lui à l’AS Porto-Vecchio. « Tout petit, je jouais en bas de chez moi. J’ai grandi dans une famille de footballeurs. Mon père, mes frères jouaient aussi. Mon beau-frère a, lui, joué à Orléans en L2. »

Après avoir intégré le club de sa ville à l’âge de 9 ans, il est repéré en U13 par le Sporting Club de Bastia. Le centre de formation était alors dirigé par Ghislain Printant. « Mes parents faisaient la route de Porto-Vecchio à Bastia (143 km) deux fois par semaine pour m’emmener aux entraînements. Ils ont toujours été derrière moi. Le week-end, je restais au centre pour les matchs. »

A 15 ans, Amine intègre le centre de formation du SC Bastia comme stagiaire. Mais en juillet 2017, le club, déjà relégué sportivement en L2, doit déposer le bilan, plombé par une dette colossale et la légèreté de ses neuf actionnaires. Une catastrophe sportive, économique mais aussi humaine.

Le SC Bastia repart en National 3 et perd son statut professionnel. Le centre de formation ferme ses portes. « Comme beaucoup, du jour au lendemain, je me suis presque retrouvé sans rien. Je n’avais plus de club, plus trop de perspectives, donc je suis rentré chez mes parents à Porto-Vecchio. J’avais 16 ans et c’était très dur à vivre. »

« Je marque à 16 ans à Furiani devant 8 000 personnes contre l’ACA ! »

En septembre 2017, Amine reçoit néanmoins un coup de téléphone des dirigeants du Sporting. « Bastia m’a proposé de me reprendre. J’avais un contrat et un appartement. »

En National 3, le club corse est en totale reconstruction. L’équipe est composée de quelques anciens (Coulibaly, Cioni, Mary, Manset) et de nombreux jeunes corses.

Le 30 septembre 2017, Stéphane Rossi le lance lors des vingt dernières minutes sur le terrain de l’ES Cannet Rocheville (1-1). Deux semaines plus tard, c’est lui, à quelques jours de son 17e anniversaire, qui embrase le stade Furiani rempli par 8 000 spectateurs en égalisant face à la réserve de l’AC Ajaccio. Un but somptueux, plein de culot. Parti de son camp, il traverse tout le terrain, mettant dans le vent plusieurs défenseurs avant d’adresser une frappe aux vingt mètres. « Un moment magique ! Ce but, on m’en parle encore. Il a fait le tour des réseaux sociaux. Quand j’ai signé à Concarneau, la vidéo est ressortie. »

Voir le but d’Amine :

Pour sa première saison en équipe première, il participe à 9 matchs et inscrit 2 buts. En parallèle, il brille avec les U19. « J’ai marqué plus de 20 buts. On est monté en U19 nationaux. C’est moi qui marque le but de la montée à la 94e minute face à l’Etoile Filante de Bastia. Un grand souvenir aussi. »

« Plus jeune, je me suis comporté comme un petit merdeux »

La saison suivante, le SC Bastia a musclé son effectif avec plusieurs joueurs corses expérimentés : Poggi, Bocognano, Santelli, Vincent… Le club s’offre un cavalier seul dans la poule Corse-Méditerranée en championnat.

En sports-études au lycée Jean Nicoli de Bastia, Amine joue surtout avec les U19 Nationaux et moins en N3 (5 matchs, 2 buts). Mais le 5 février 2019, il rentre en jeu lors du 8e de finale de Coupe de France face à Caen, alors en Ligue 1. Auteur d’un match magnifique, Bastia s’incline aux tirs aux buts (3-5, 2-2 lors du temps réglementaire. « Le stade était plein et c’était la première fois que je jouais un match retransmis en direct à la télévision. »

Mais alors que le staff bastiais souhaite le conserver pour le National 2, il n’arrive pas à se mettre d’accord avec les dirigeants. « Je n’avais pas un bon comportement à l’époque, j’étais assez petit merdeux (sic), avoue-t-il. Je voulais que ça aille très vite, je ne contrôlais rien, je marchais de travers. »

Il effectue quelques essais, notamment à Guingamp et Brest. « Mais ça ne s’est pas très bien passé. Avec Bastia, le contrat que me proposait le président ne me convenait pas. Ce n’étais pas une question d’argent mais il ne voulait plus me donner de contrat fédéral. Je l’ai pris comme un manque de confiance à mon égard. J’étais têtu, je n’ai pas écouté mes parents et Pierrick (Antonetti, son conseiller). J’ai vraiment eu un comportement merdique. Mais j’ai décidé d’arrêter avec Bastia. »

Une fois de plus, il retourne chez lui à Porto-Vecchio. « Vous savez comme c’est l’été, la plage et tout ça… J’étais bien avec mes proches. Niveau foot, je n’avais rien du tout. »

« Au Gallia Lucciana, je me suis forgé un caractère »

Ses conseillers, Pierrick Antonetti et Loïc Bensaïd (agence ASSIST & GOAL) activent leurs réseaux et lui propose de signer au Gallia Lucciana, un club corse évoluant en National 3. « Pierrick connaissait bien le directeur sportif, Jean Lorenzi. Il m’a dit : « Amine, tu vas faire des sacrifices mais tu n’as beaucoup d’autres choix »…»

Club familial, le Gallia est entrainé par une figure en Corse, Tchouki Corlija, un Serbe passé par l’Etoile Rouge de Belgrade arrivé sur l’Ile de Beauté il y a déjà une trentaine d’années où il a joué et coaché de nombreux clubs. Mais le fonctionnement du Gallia reste très amateur par rapport au SC Bastia. « En arrivant de Bastia, j’ai pris une grosse claque, reconnaît Amine. Même en N3, le Sporting avait gardé un fonctionnement pro avec des entrainements le matin et des personnes qui s’occupaient de nos équipements. Au Gallia, la plupart des joueurs travaillaient et ils venaient s’entraîner le soir après leur journée de boulot. Mais tout ça, ça m’a forgé un caractère. Je traînais avec des hommes (sic) qui bossaient dans la journée, j’ai compris ce que c’était la vraie vie. J’ai arrêté de faire mon petit merdeux. Cette aventure au Gallia m’a fait murir. »

Sur le terrain, tout se passe bien. Il est titulaire et inscrit 6 buts en 16 matchs. Mais le Covid et le confinement stoppent la saison en mars 2020. « Même si j’avais effectué une belle saison avant l’arrêt, cela n’a pas suffi. Je n’ai pas eu de contacts pour partir au-dessus. »

S’il était reparti sur des belles bases (2 buts en 4 matchs), la saison 2020-2021 s’arrête en octobre.

« Heureusement, on a continué à s’entraîner au club. Moi, j’ai aussi pris un préparateur physique. Même si tout le monde m’avait oublié, j’étais déterminé. Il n’y a rien qui pouvait m’arrêter. J’avais mangé mon pain noir et j’attendais juste la bonne opportunité pour le prouver. »

« Rendre à Concarneau ce qu’il m’a donné »

Photo Tony Esnault – US Concarneau

C’est donc en Bretagne qu’il va trouver le rebond. « Pierrick Antonetti connaissait l’ancien entraineur adjoint de Concarneau. Le staff a accepté de me voir. Je savais que c’était un peu ma dernière chance mais c’était de la bonne pression. »

S’il se montre convaincant lors des matchs amicaux, son essai a duré au total trois semaines.

« Concarneau n’avait plus que deux contrats fédéraux à donner, c’était au départ réservé à des joueurs plus expérimentés donc ils ne voulaient pas se tromper avec moi. Au bout de deux semaines à Concarneau, Bastia-Borgo m’a aussi proposé de venir faire un essai. Stéphane Le Mignan, le coach de Concarneau, m’a dit : « reste faire encore une semaine avec nous mais je ne te garantis rien ». Donc, j’ai pris le risque de perdre à la fois Concarneau et Bastia-Borgo. Mais au final, j’ai pu signer à Concarneau. »

Avec le club du Finistère, Boutrah, qui marche à la confiance, a trouvé un cadre idéal pour s’épanouir. Sur le terrain, il s’est rapidement imposé (31 matchs dont 25 comme titulaire). « Ça m’a fait du bien de sortir de la Corse et de mon cocon familial. On a fait une belle saison et on a failli monter en Ligue 2 (4e). Personnellement, j’étais plutôt satisfait de moi, même si j’aurais dû avoir davantage de stats (2 buts marqués). »

Il était d’ailleurs nommé parmi les révélations de la saison aux Trophées du National. A l’intersaison, quelques clubs recommencent à s’intéresser à lui. Un retour au SC Bastia est même évoqué. « Moi, je n’ai jamais eu de contacts directs mais je sais que ça a parlé entre mes conseillers et les dirigeants. Je sais que Bastia continue à me suivre. Bien sûr que ça me plairait d’y retourner. Mais je suis d’abord focus sur cette saison avec Concarneau. Je compte bien rendre à ce club ce qu’il m’a donné. Je n’avais rien et ils m’ont accueilli en me permettant de me relancer. Je suis encore jeune mais je sens que mon statut a changé. Je ne vais pas dire que je suis un cadre mais je ne suis plus le petit qui arrive de N3. »

Son investissement a donc été récompensé par le trophée de meilleur joueur de National. « C’est magnifique, surtout d’où je viens. Ceux qui me connaissent savent ce que j’ai traversé… J’ai travaillé tous les jours pour ça. Mais ce n’est qu’une étape. La saison est encore longue. L’important sera d’être régulier et constant jusqu’au bout. »

Amine Boutrah, du tac au tac

Son meilleur souvenir ?
Mon but à 16 ans avec Bastia contre la réserve de l’AC Ajaccio à Furiani. Rien que de vous en parler, j’en ai encore des frissons. Il y a aussi ma signature à Concarneau. Mes proches savent combien j’avais galéré avant ça.

Son pire souvenir ?
Attendez, je réfléchis… Mais en fait, je n’en ai pas. J’essaye de ne retenir que le positif dans chaque situation.

Un stade ?
Furiani, bien sûr !

Un entraîneur ?
Il y en a deux. Stéphane Rossi qui m’a lancé et m’a fait confiance alors que je n’avais que 16 ans, alors qu’il avait la pression de faire remonter Bastia. Et Stéphane Le Mignan qui m’a fait beaucoup progresser depuis que je suis arrivé à Concarneau.

Le geste technique préféré ?
Le contrôle semelle… Je sais que certains vont rigoler.

Un modèle ?
Neymar

Une équipe ?
Ca va faire parler et rigoler mais j’assume… Le PSG (éclats de rire).

Le joueur le plus fort avec lequel il a joué ?
Lenny Pintor (aujourd’hui à Saint-Etienne) à Bastia. Et à Concarneau, Gaoussou Traoré (prêté par Amiens) qui a beaucoup progressé.

Ses amis dans le foot ?
Je suis resté proche d’Anthony Roncaglia que j’ai connu à Bastia. A Concarneau, je suis toujours avec Gaoussou Traoré et Faissal Mannaï.

Corse ou Bretagne ?
Corse et Bretagne (rires). J’aime bien Concarneau. Il y a la mer comme en Corse et c’est une ville tranquille qui a son charme. Je m’y sens bien.

Texte : Laurent PRUNETA / Twitter : @PrunetaLaurent / Mail : lpruneta@13heuresfoot.fr

Photos : Tony Esnault – US Concarneau