Le coach de l’Amiens SC (Ligue 2) évoque les difficultés, les caractéristiques et l’évolution de son métier, qu’il a embrassé en 1997 à Louhans-Cuiseaux après une longue carrière de joueur dans son club de coeur, le FC Metz.
L’entraîneur d’Amiens, Philippe Hinschberger, est un enfant de Metz. Unique club fréquenté pendant sa carrière de joueur, le coach de 63 ans a aussi été à la tête de la formation messine comme tacticien, glanant une montée en Ligue 1, en 2016. Mais son parcours ne se conjugue pas qu’en grenat. Grenoble (2018-21), Laval (2007-14), Le Havre (2004-05) ou Niort (2001-04 puis 2005-07), ce sont de nombreuses équipes que le Lorrain, qui a commencé sa carrière de coach à Louhans-Cuiseaux en Division 2, a dirigées, souvent avec réussite. Entretien avec un entraîneur pas tout à fait comme les autres, disponible et sans langue de bois.
Quand on dit Philippe Hinschberger, souvent, on associe votre nom au FC Metz…
Je suis arrivé à Metz à 15 ans, j’en suis parti à 36 ans. 21 ans dont douze-treize ans en professionnel, puis comme responsable du centre de formation. Et j’y suis revenu après pour les faire monter en Ligue 1, et les maintenir en finissant 14e, comme entraîneur de 2015 à 2017. Ce n’est qu’après que je me suis fait virer à la 10e journée (saison 2017-18), ce n’est qu’à ce moment que ça a été difficile. Mais, oui, c’est mon club. C’est mon club. Je jouais beaucoup contre le FC Metz en jeunes, mon père vient du basket, mais il était sportif avant tout, et plutôt pour le FC Metz.
Et puis il y a Laval également, et forcément, sept saisons de 2007 à 2014, une montée en L2, plusieurs maintiens, deux nominations comme meilleur entraîneur de Ligue 2. Un autre club phare de votre carrière.
Je suis arrivé à Laval après Niort. Ils m’ont appelé, ils venaient de descendre en National un an auparavant, et j’y ai travaillé pendant 7 ans. Avec Philippe Jan comme président, un modèle de relation entraîneur-président, avec du respect, de l’amitié, mais sans jamais partager d’autre chose qu’un verre ou qu’un resto. A mon arrivée, on a mis deux ans pour monter, et puis on s’est maintenus pendant cinq ans. C’est un moment très riche de ma vie, d’autant plus que j’y ai rencontré ma seconde femme, avec qui je suis toujours.
Rester longtemps dans un club, ce n’est pas si fréquent pour un coach. Pourtant, on retrouve ça quasiment à chacun de vos passages…
En général, quand je suis dans un club, j’y suis bien, les gens m’apprécient plutôt, je suis quelqu’un de sympa, d’ouvert, de rond, pas chiant, je reste dans mon rôle. J’ai fait quatre ans à Louhans-Cuiseaux à mes débuts d’entraîneur, cinq ans à Niort (en deux fois ndlr), avec une montée en Ligue 2, où j’ai apprécié la région, et Grenoble, j’y suis resté trois ans, et j’y serais peut-être encore si Amiens n’était pas venu me chercher. J’ai l’habitude de rester assez longtemps dans un club. Pour bien travailler, on a besoin de deux, trois ans. Quand on arrive, le temps de comprendre l’effectif, comment le club marche, la saison est déjà passée. Pour moi, c’est aussi une fierté. Quand vous rester sept ans à Laval, ça veut dire que vous prolongez trois fois. Partout où je suis passé, j’ai prolongé, ça veut dire que les gens ne se lassaient pas de moi. J’en retire une certaine fierté.
Comment faire pour durer dans un même club et dans un même environnement, se réinventer de saison en saison, pendant aussi longtemps parfois ?
Quand je suis quelque part, je me donne à fond. Déjà, je n’ai pas du tout envie de repartir tout de suite à chaque fois. Je suis aussi passé par des plus petits clubs, où on a moins la pression des premières places, à Laval ou Niort. On est dans la difficulté en tant que coach, c’est vrai, on est toujours dans la machine à laver. Mais quand vous renouvelez un tiers de l’effectif chaque année, ce ne sont pas les mêmes saisons, la 3e année, vous avez changé tout l’effectif. La nouveauté crée aussi de la surprise, de l’émulation, des choses nouvelles. On a besoin de se renouveler en termes d’effectifs, sur les séances d’entraînement. Moi, avec mes adjoints, Francis De Percin à Amiens, je me libère presque complètement avec les années et je fais de moins en moins de séances, les joueurs se disent « tiens c’est quelqu’un d’autre qui dirige ». On évolue aussi. Aujourd’hui, on a aussi des gens autour de nous qui nous permettent de nous renouveler, avec des compétences, quand ce n’est pas toujours vous en première ligne, quand ensuite vous prenez la parole, ça a peut-être un peu plus d’impact.
En tout cas, la méthode a fait ses preuves ! On a évoqué Metz, Laval, Amiens, mais vos lettres de noblesse ont commencé à s’écrire avant ça, à Niort, avec un titre France Football de coach de l’année de L2 en 2003. Et puis il y a Grenoble dernièrement, avec qui vous jouiez la montée…
Niort ce n’est pas compliqué. J’y suis resté trois ans, trois ans pour avoir l’effectif que je voulais. A Grenoble, avec Max Marty qui s’occupait du recrutement, j’avais un groupe de joueurs exceptionnels, que des bons mecs, avec qui on n’a jamais eu d’anicroches, des gars qui pouvaient presque s’auto-gérer. Quand vous avez des Monfray, des Nestor, des Maubleu, Mombris, Ravet, Benet… C’étaient des crèmes. Donc voilà.
Après, comment on se renouvelle, qu’est-ce qu’on fait… Chaque expérience est différente. Regardez à Amiens, l’année passée, saison difficile, vestiaire difficile, on a tout changé, la moitié du vestiaire, on n’a mis que des jeunes, et cette année à la 11e journée on était premiers. Il n’y a pas non plus de mystère, il faut que l’entraîneur puisse avoir les conditions dont il a envie. Moi, je n’aime pas avoir trente joueurs à l’entraînement, je ne suis pas bon. Vous me filez 24 joueurs, je suis meilleur, vous ne vous perdez pas en organisation, en choses qui ne devraient pas exister. L’an passé on avait beaucoup plus de talent que cette année, mais un groupe merdique. Il faut aussi que les planètes soient alignées. Elles l’étaient à Grenoble, sur la dernière année. La réussite, elle s’auto-crée, à vrai dire.
On se souvient d’une séquence « frissons » dans les vestiaires, en avant-match, lors des play-off d’accession contre le Paris FC (2-0, mai 2018), où l’un de vos adjoints avait apostrophé le groupe avant le combat, enjoignant les « Narvalos » à la chasse : « Allez les Narvalos, en chasse messieurs, bonne chasse ! »…
Oui, c’était Michaël Diaferia (préparateur physique), ça vient d’un stage de préparation, et on avait fait un jeu du loup-garou avec les joueurs, le jeu de rôles. Mika s’est mis cette routine de réunir les joueurs avant le match pour leur dire quelques mots, et on ne sait pas pourquoi, à la suite de cette histoire du loup-garou, c’est parti autour de ça, la meute, les loups, on a faim, on va leur mordre les mollets, et après les « Narvalos », c’est venu sur la fin de la saison, c’est un terme de Grenoble. C’était une super équipe, un groupe exceptionnel. Plus globalement sur ma venue, le GF38 m’avait appelé car ils sortaient de plusieurs années de disette. Je connais la région, Voiron, une très, très belle région. J’étais content que le club fasse appel à moi. On a fini deux fois 9e, et puis la dernière année a été une apothéose… Encore une fois, quand on laisse aux entraîneurs le temps de travailler, il n’y a pas de mystère, on peut faire les choses plus facilement. Aujourd’hui, tous les clubs marchent différemment par rapport à il y a vingt ans.
Quel est votre regard sur l’évolution du football et de la Ligue 2 depuis vos débuts en 1977 ?
L’évolution est énorme. Les clubs, les stades, les joueurs qui y évoluent, c’est extraordinaire, vous regardez les pelouses, certaines sont équivalentes à la Ligue 1, à Amiens on a un billard. On parle de clubs moins « reluisants » comme Pau, Rodez, mais attendez, les attaquants de Pau, on parle de mecs forts. Le spectacle est vraiment au rendez-vous, et il y a tellement de clubs aujourd’hui qui prétendent à monter ou le veulent, les Caen, les Le Havre, les Sochaux, et puis je ne parle même pas de Saint-Etienne, Bordeaux ou Metz. D’ailleurs l’un d’entre eux ne montera pas, mais bon c’est tant pis pour eux, ils n’avaient qu’à pas voter pour un championnat à 18 clubs ! (rires). Quand on voit les effectifs, non, c’est fantastique. Combien de joueurs de Ligue 2 vont grossir les clubs de Ligue 1. Quand vous vous dites qu’un joueur comme Gaëtan Weissbeck, qui est pour moi le meilleur joueur de Ligue 2, est à Sochaux, ça vous donne une idée de la Ligue 2.
Pour en revenir à vous, vous êtes donc passé de joueur à dirigeant du centre de formation à Metz. Vraiment le parcours d’une autre époque…
On était quatre ou cinq je pense, à avoir fait toute notre carrière dans un seul club, comme Claude Puel, on n’avait pas d’agents, pas de raison de changer. Chez les entraîneurs c’est la même chose, des Guy Roux, des Jean-Claude Suaudeau, c’est fini. Aujourd’hui vous restez quatre-cinq saisons, c’est un miracle. Obligatoirement il y a des coups de moins bien, vous perdez des matches, vous voyez le truc. Quand j’ai arrêté ma carrière de joueur, j’ai été directeur du centre de formation, mais je ne me voyais jamais partir ! Mais quand vous embrassez la carrière d’entraîneur, vous êtes obligés de bouger, si vous voulez trouver du boulot. Mon premier départ de Metz, ça a été un crève-cœur, je ne pensais jamais m’en remettre. Mais aujourd’hui j’ai une maison sur L’île de Ré, j’ai connu Grenoble avec ses montagnes, sa neige et son soleil, je suis allé à Laval, dans l’ouest, alors que je n’avais jamais été plus loin que Troyes, mes enfants sont à Niort et à Poitiers et nés à Metz, c’est une grande richesse je pense.
Avec le recul, maintenant que vous êtes également coach, quel regard portez-vous sur votre carrière de joueur, globalement ?
Incroyable. Je n’étais pas forcément programmé pour être footballeur professionnel, j’ai passé mon bac, j’ai fait une école, des études, j’ai signé pro à 21 ans. La longévité, c’est le fait d’avoir fait chaque année 30-35 matches, d’avoir toujours eu la confiance des coaches, voilà. J’ai fait quelques matches sur le banc jeune, mais après j’étais toujours titulaire, chaque jour de l’année, il fallait être présent, répondre aux exigences du coach, du public, et c’est ça ma grande fierté. J’ai fait presque 500 matches pour le FC Metz, ce qui est quand même énorme. Cette longévité, c’était une autre époque. J’ai commencé à jouer, on était un effectif de quinze joueurs et deux gardiens, j’ai revu une photo d’effectif l’autre jour, avec quatorze joueurs pour la saison (rires) ! A Metz, on était un effectif, allez, de vingt, avec dix-huit Lorrains. C’était une autre mentalité, un autre jeu. Quand j’ai commencé, notre entraîneur, c’était Marcel Husson, l’entraîneur adjoint c’était René Moura, lui était prof de sport au lycée sport études, et donc il n’était pas là tous les jours là, car il avait cours, et notre entraîneur des gardiens, il travaillait à la boucherie du supermarché, non, mais je ne déconne pas ! Quand je vous dis que ça a évolué… Quand on jouait contre le Paris Saint-Germain, on s’échauffait à Metz, vous n’avez pas connu, mais sur le terrain rouge, en schiste, car les terrains étaient fragiles, on n’avait pas le droit avant le match. Quand on jouait contre Marseille avec Jean-Pierre Papin ou Chris Waddle, non mais écoutez-moi, j’allais taper une bise à mes parents qui étaient au bord de la courante, pendant l’échauffement, entre deux passes ! Les gens étaient sur le terrain, pas de sécurité, ils nous parlaient, ils nous regardaient, aujourd’hui ce ne serait pas possible. On est trop cons dans le foot !
Rassurez-moi, vous prenez encore du plaisir dans le football, même sans ce charme-là ?!
La carrière de joueur, c’était vraiment un grand plaisir. Celle d’entraîneur, c’est dur. Il faut une passion de tous les jours, avoir la foi, le feu, l’étincelle, la moelle à transmettre à vos joueurs quand vous avez perdu plusieurs matches. Ce métier est très sympa quand on gagne, mais il est horrible quand vous perdez. Horrible. Horrible. Tout le monde donne son avis, le machin, le bidule, le joueur qui tire la gueule, il faut savoir se détacher tous les matins de la victoire comme de la défaite, mais dès fois, ce métier, ce n’est pas possible. Les gens qui expliquent comment faire jouer l’équipe, alors que pas un seul n’est entraîneur; et alors, ils ne veulent pas passer le diplôme ?! Bosser les samedis, les dimanches, rentrer tard le soir ? Par contre ils veulent bien votre salaire !
Philippe Hinschberger, du tac au tac – le joueur
Quel est le meilleur souvenir de votre carrière de joueur ?
Il y en a beaucoup, mais forcément, la coupe de France 1988 avec Metz, qu’on remporte contre Sochaux aux pénaltys, avec le péno de Madar, et où j’étais capitaine.
Votre pire souvenir ?
Il y a un 9-2 encaissé à Saint-Etienne, pour le dernier match de Michel Platini avec les Verts. Mais il y a aussi deux 7-0 contre Monaco, là-bas et à Saint-Symphorien (Metz), bizarrement en tant que joueur, puis comme entraîneur plusieurs années après… Ce n’est quand même pas commun, je ne suis pas sûr que cela soit déjà arrivé à quelqu’un d’autre !
Joueur le plus fort affronté ?
Alors il y en a pas mal, j’ai joué le Marseille de Waddle, Papin… Mais sans aucun doute, Georges Weah, il était impressionnant, très impressionnant.
Le coéquipier le plus fort fréquenté ?
Bernard Zénier, meilleur buteur avec 17 ou 18 buts en 1987, pendant longtemps le plus petit total pour un meilleur buteur. Il était très fort, un sens du jeu et du but énormes.
Le coéquipier perdu de vue que vous aimeriez revoir ?
Il y en a plusieurs, pas forcément un en particulier, c’est plus un groupe, la bande de l’épopée de 1988 avec Metz. Michel Ettorre, Frédéric Pons, Jean-Louis Zanon… Toute la clique de 88 ! Carlos Lopez, Vincent Bracigliano…
Un président marquant ?
Carlo Molinari, un deuxième père pour moi, un père sportif.
Un entraîneur marquant ?
Chaque entraîneur. Mais il y a ceux qui donnent une direction, comme Marcel Husson, le coach de la coupe de France 88. Il y a Joël Müller aussi.
Un souvenir de causerie mémorable ?
Les plus remarquables étaient celles d’Henryk Kasperczak. Henri était Polonais ne parlait pas très bien français, donc il donnait des consignes avec son accent, on éclatait de rire, il ne comprenait pas pourquoi. Un jour il a dit « aujourd’hui il faut jouer comme monolithe », on s’est dit « mais putain qu’est-ce qu’il raconte ? », il a sorti « Pourquoi vous rire, pourquoi vous rire ?? ». Quelqu’un a regardé dans un dico, en polonais monolithe veut dire bloc, il voulait dire qu’on devait jouer en bloc. On était explosés de rire, mais ce n’était jamais méchant, il ne maîtrisait juste pas la langue.
Le club où vous avez failli signer ?
Aucun. Nantes s’était renseigné plusieurs fois sur moi je crois, mais non, pas du tout, il n’y a pas de club où j’aurais pu signer.
Un stade marquant dans votre carrière ?
Il y a Saint-Symphorien à Metz, logiquement, mon stade de cœur. J’ai vu son évolution depuis toutes ces années, les tribunes construites ou reconstruites. Et puis même si j’adore Le Parc des Princes, il y a Le Vélodrome. C’est un stade, woaw, il y a une ambiance avec ces 60 000 personnes.
Du tac au tac – L’entraîneur
Votre meilleur souvenir en tant que coach ?
La montée en Ligue 1 avec Metz, à Lens en 2016, alors que j’avais 57 ans. Mais c’est aussi mon pire souvenir ! Car sur ce match je fais un mini-ulcère, avec des ennuis gastriques les jours suivants.
Le meilleur joueur entraîné ?
Sans hésitation Robert Pires quand j’étais au centre de formation de Metz, il arrivait de Reims. Et aussi Romain Hamouma.
Un collègue entraîneur qui vous a impressionné ?
C’est plus une idée, mais j’ai toujours été impressionné par ces coaches qui s’adaptent à mon équipe. Je ne sais pas faire ça personnellement, mais voilà, un entraîneur adverse qui arrive et sait changer son système pour contrer son adversaire, ça m’impressionne. C’est aussi quelque part une fierté, qu’un autre change ses plans pour me contrer.
Un modèle de coach ?
Le Lorient de Christian Gourcuff, en 4-4-2.
Quelle est votre philosophie de jeu ?
Un jeu à une touche au sol, basé sur un jeu de passes, avec une philosophie offensive.
Le match où tout a roulé pour vous (performance, consignes, plan de jeu…) ?
Il y a plusieurs matches où il y a eu l’aboutissement de ce qu’on veut faire. Peut-être Laval-Beauvais il y a plusieurs années. On perd 3-0 au bout de 20 minutes, je fais plusieurs changements avant la mi-temps. En seconde mi-temps, tout se passe bien, on gagne 4-3 avec un dernier but à la 94e minute.
Vous êtes un coach plutôt ?…
Posé, avec de l’expérience maintenant.
Vos passions en-dehors du foot ?!
La guitare, que je pratique depuis que j’ai 15 ans. La musique et la guitare c’est une des passions de ma vie. Je la sors quand je fais des soirées entre potes, je joue et je chante, un répertoire français principalement, du Francis Cabrel, etc… Et puis j’aime la cuisine aussi, les bonnes choses, le pinard, les planchas en été. Alors attention, je cuisine des choses simples, sans prétention.
Texte : Clément Maillard / Mail : contact@13heuresfoot.fr / Twitter : @MaillardOZD
Photos : Amiens SC