Le club de Dordogne, bien ancré en National 2, vit depuis trois ans une situation atypique où le père, Christophe Fauvel, préside, et le fils, Paul Fauvel, dirige. Témoignages croisés !
Dans la famille Kita, au FC Nantes, il y a Waldemar, le père (président) et Franck, le fils (directeur général). Un tel duo de dirigeants existe aussi au Bergerac Périgord FC où, la saison dernière, les Fauvel, père (Christophe, président) et fils (Paul, directeur-général) ont hissé leur club de National 2 en 1/4 de finale de la Coupe de France (élimination aux tirs au but face à Versailles), 4 ans après un premier 8e de finale perdu face à Lille. En championnat, ils sont passés à plusieurs reprises tout près de l’accession en National, comme en 2017, lorsqu’ils ont terminé à 3 points de Cholet, et surtout en mai dernier, quand ils ont loupé la dernière marche avant de mourir à 2 points du Puy-en-Velay. Rencontre avec ces deux amoureux de leur club, de leur ville, de leur territoire et de football !
« Une marque de club familial »
- L’adage « tel père tel fils » vous correspond-t-il ?
Christophe Fauvel : Oui je crois que cet adage nous correspond parfaitement ! Nous partageons beaucoup de choses avec Paul. Qualités et défauts ! Mais aussi beaucoup de valeurs autour du travail, de l’humilité, de la compétition et de la convivialité.
Paul Fauvel : Totalement! Je pense qu’on se ressemble sur les traits de caractère et notre façon de voir la vie. Nous sommes attirés par les projets et l’envie de toujours bien faire ! Après, je me démarque avec un côté plus « social », hérité de ma mère, psychologue.
- La dernière vanne que l’on vous ait sortie à propos de votre association familiale ?
Christophe : J’entends souvent ça « Tel père tel fils » justement, ou « Les chiens ne font pas des chats ».
Paul : On nous associe souvent à l’idée de « mafia du Bergerac Périgord FC » depuis 18 ans (bien sûr, c’est une blague!). J’avoue que ça ferait un téléfilm sympa, ça nous fait marrer. Ou alors, beaucoup de personnes m’appellent « président », alors je réponds souvent que j’en connais un qui ne serait pas content si on l’oubliait !
- A Bergerac, quand on voit le père, voit-on souvent le fils ?
Christophe : Oui c’est souvent le cas ! Même si nous avons nos propres trajectoires personnelles et professionnelles, le BPFC est un instrument qui nous rassemble beaucoup. Et je ne vous parle même pas des aventures en coupe de France !
Paul : De façon transparente, on sort de moins en ville car avec la très bonne saison dernière, beaucoup de personnes nous parlent de football. Et quand on en mange à longueur de semaine, c’est compliqué de toujours être efficace dans la discussion. Mais après une certaine heure, Bergerac me voit plus que mon père, ça s’est sûr.
- Qui décide vraiment : le père ou le fils ?
Christophe : Dans ma vie professionnelle je suis quelqu’un qui délègue beaucoup ! Pour le meilleur souvent et quelques fois malheureusement aussi pour le pire. Dans le football, c’est pareil. Paul a une latitude très large qui correspond véritablement à un poste de Directeur général. Il décide maintenant sur beaucoup de choses mais néanmoins me consulte régulièrement. Et le tout dans un cadre général que nous partageons tous les deux.
Paul : Je ne peux pas répondre moi car sinon je vais me faire fâcher ! Mais je vais quand même le faire. De façon opérationnelle, je prends les décisions au quotidien pour le bon fonctionnement du club. Pour les décisions qui impliquent l’engagement d’une somme d’argent un peu plus conséquente, là il y a concertation pour avoir l’aval dans la décision.
- Une anecdote concernant cette situation atypique du duo père-fils à la double tête du BPFC ?
Christophe : Quelques fois il y a des confusions entre les rôles de président et directeur !
Paul : Les plus belles anecdotes ont été écrites autour de la Coupe de France, les joies partagées sur le terrain, le voir les larmes aux yeux c’était trop beau! On a des photos communes qui illustrent ces moments et pour l’avenir, c’est magnifique! Notre article commun dans « L’Equipe », c’est la consécration d’une carrière peut-être. Le nombre de messages que l’on a pu recevoir… Certains croient que je suis le président du club alors que je bosse encore avec mon père. C’est souvent sympa de voir la tête confuse des gens quand je leur dis qu’il y a encore le président.
- Lequel des deux connaît le mieux le foot ?
Christophe : Indéniablement c’est Paul, il a pratiqué ce sport de 6 à 22 ans ! Moi… à part un homonyme pro au stade Rennais qui crée le trouble de temps à autre, aucune rivalité sur le sujet !
Paul : J’ai l’avantage d’avoir été joueur (gardien notamment) donc d’avoir ce vécu du terrain contrairement à lui. Après, il s’est nourri des analyses des entraîneurs, dirigeants, conseillers qu’il a pu voir aussi, c’est riche également. Moi j’ai connu les U6 jusqu’à la N2, donc ça me donne une certaine transversalité dans les décisions à prendre. Et au poste de gardien, on a un recul nécessaire qui permet de guider au mieux les joueurs. Au poste de directeur, c’est un peu la même chose.
- La dernière fois que vous vous êtes engueulés à propos du foot c’était quand ?
Christophe : A cause de certains tweets que j’avais pu faire. Mais en fait, il râle surtout car c’est lui qui aurait aimé les écrire (rires) ! Il me fait de temps à autres des remarques à ce sujet mais en fait il est comme moi, voire pire !
Paul : Il n’y a pas forcément de grosses engueulades. Mais le sprint final de la saison dernière, entre mars et mai, a été tendu. On a eu quelques points de divergences sur des prises de parole internes à avoir (ou pas) ou bien des discours publics à tenir. Les tweets sont évidemment souvent critiqués, même si ça reste notre arme (plus trop) secrète. Il y a des divergences mais ça ne dure jamais, on expose nos arguments et on tourne la page. Même s’il n’aime pas avouer que j’ai raison (je blague bien sûr !).
« Notre vie tourne autour du football »
- Comment se passent les réunions de travail entre le père et le fils ?
Christophe : Autour d’une bouteille de rosé l’été – rouge l’hiver – et une belle planche de tapas ou/et charcuterie !
Paul : Ce ne sont pas vraiment des réunions, c’est plutôt généralement autour d’un repas au restaurant ou sur la terrasse de la maison familiale, avec des discussions tardives sur fond musical. Elles dérivent souvent sur des idées un peu folles ou des rêves inavouables en public, mais ça « brainstorme » fort généralement. Mais jamais de réunion officielle, ou alors vraiment quand c’est très sérieux.
- Arrivez-vous à ne pas parler de foot lors des réunions de famille ?
Christophe : Non c’est compliqué, et à cet égard il faut rendre hommage à notre famille – et surtout mon épouse – qui supporte les joies, les peines, les rythmes de déplacements, les vacances tronquées et surtout toutes les difficultés pour gérer un club comme le BPFC depuis 18 ans. L’arrivée de Paul n’a fait que renforcer le poids du club dans la famille tout en le faisant évoluer puisqu’il s’agissait d’un premier challenge professionnel pour lui.
Paul : Très compliqué… On fait des efforts devant ma mère car ça peut vite la gonfler. Mais au final, on attend que tout le monde aille se coucher pour attaquer fort la discussion. Même mon petit frère peut avoir son mot à dire quand il en a envie. Mais c’est vrai que notre vie tourne autour du football et du Bergerac Périgord FC, depuis 18 ans pour mon père et 19 ans pour moi.
- Votre association familiale peut-elle durer longtemps ?
Christophe : Dans le sport, elle est forcément limitée. C’est ma 18e année à la présidence de ce club et le temps va venir ou je vais céder la place. Paul aspire également à évoluer dans son parcours professionnel. Mais nous pourrons peut-être nous retrouver dans une autre aventure entrepreneuriale car il a ça dans les gènes et moi c’est ma vie ! Et pourquoi pas avec son jeune frère Tom ? Qui sait …?!
Paul : Elle dure déjà depuis 25 ans dans la vie personnelle, plus de 3 ans dans la vie professionnelle, donc c’est déjà pas mal. Mais il faudra qu’un jour nos routes se séparent, pour que je puisse personnellement m’épanouir ailleurs, dans un autre contexte que mon club, et prouver ma valeur. Puis pour lui aussi, passer la main au club à quelqu’un de confiance avec un projet sérieux.
« Le dernier relais, c’est le président, les joueurs le savent… »
- Comment les joueurs vivent-ils cette situation ?
Christophe : Le mieux serait de leur poser la question ! Je pense qu’ils y voient surtout une marque de club familial et plutôt bon enfant !
Paul : Les joueurs ont pris comme repère de traiter avec moi directement, comme l’ensemble des salariés, éducateurs, dirigeants et bénévoles du club. Je ne pense pas que traiter avec un directeur de 25 ans les gêne tant que ça. J’essaye d’être proche d’eux car je les apprécie humainement, mais je me dois de garder une certaine distance pour être professionnel. Ils le savent. Mais quand la situation ne trouve pas de solution, le dernier relais c’est le président, et ça, ce n’est pas bon généralement.
- Et le coach, Erwan Lannuzel, comment vit-il cela ?
Christophe : Idem, posez lui la question !!
Paul : Avec le coach, Erwan Lannuzel, on a une relation qui est particulière. J’ai été à l’origine de sa venue en étant le premier à discuter avec lui, en échangeant sur notre vision du projet et notre volonté de travailler un jour ensemble. C’est ensuite, après cette phase préliminaire, que le président a pu valider l’idée et avancer dans le bon sens. Mais avec Erwan, on travaille en direct et on partage nos décisions par la suite avec le président via un groupe de discussion partagé. La plus grande proximité d’âge aidant aussi (le coach a 34 ans), ça facilite nos échanges et nos repères de travail au quotidien pour être hyper alignés en toutes circonstances. S’il n’y a pas ce lien fort direction-staff, c’est là où les brèches peuvent apparaître.
- Si c’était à refaire, referiez-vous la même chose ?
Christophe : Ah mais totalement ! Je suis ravi du travail effectué par Paul qui a fait évoluer le club à travers des concepts « sociétaux » auxquels j’ai toujours adhéré mais jamais pu approfondir comme il l’a fait, faute de temps.
Paul : Absolument, sans hésiter même ! Je pense qu’il n’y a rien à changer dans tout ce qu’il s’est passé depuis 3 ans.
- Le foot vous a réuni, la politique peut-elle vous opposer ?
Christophe : Non, jamais de la vie ! D’abord nous sommes très proches au niveau des idées et même si ce n’était pas le cas, ce n’est pas une raison suffisante pour moi de distendre un lien filial !
Paul : A titre perso, ce n’est qu’un mini-épisode de ma vie (il est conseiller municipal dans l’opposition à la ville de Bergerac). Je souhaitais m’impliquer pour mon territoire, apporter des idées nouvelles d’un mec de 25 ans à un système vieillissant. Cela n’a pas tourné dans le bon sens. Mais on ne sera jamais opposé sur le sujet car je pense que l’on a la même vision de la politique : pas d’étiquette préférée mais un projet cohérent porté par une personnalité compétente.
- Lequel des deux a les meilleures relations avec la mairie de Bergerac ?
Christophe : Sûrement Paul avec sa position de conseiller municipal, même si c’est dans l’opposition.
Paul : Pas simple cette question. Je pense que je dois être le mieux placé étant élu au sein du conseil municipal. Je les côtoie deux à trois fois par mois, ça me permet de discuter, d’échanger avec eux. Avec ses mandats économiques, mon père a une autre influence que la mienne. Je suis un petit joueur à côté*.
* Christophe Fauvel est notamment président de la Chambre de commerce et d’industrie de Dordogne, président du Medef de Dordogne, le mouvement des entreprises de France, et dirigeant-associé à Noschool, une école de formation professionnelle pour les étudiants en assurance, banque, immobilier et Ressources Humaines à Mérignac, en Gironde. Il a aussi dirigé Fauvel-Formation, une entreprise qu’il a vendue en 2020, Ndlr).
- Le foot n’est-il pas trop envahissant chez les Fauvel ?
Christophe : Si ! Le foot a toujours pris une place très ou trop importante dans la famille ! Et lorsqu’il y à des épopées en Coupe de France, je ne vous parle même pas des rythmes à la maison. C’est matin, midi, soir et nuit !
Paul : Si bien sûr ! Mais c’est notre adrénaline à nous, ce qui nous fait avancer et ce qui nous réunit. Mais on ne regarde plus de match à la télévision, on sature à force.
- Le père et le fils partiraient-ils encore en vacances ensemble ?
Christophe : En vacances je ne sais pas, mais nous partageons souvent des week-ends ensemble avec Paul. Et dès que la planche de tapas est posée sur la table, la bouteille ouverte, devinez de quoi on parle ?
Paul : Ca fait déjà quelques années que l’on ne part plus en famille, ni même que j’habite chez mes parents d’ailleurs. Mais ça ne nous empêche pas de nous retrouver des week-ends sur la côte Atlantique pour profiter, en famille ou avec des amis. Histoire de décompresser et de penser à autre chose, le temps d’un week-end.
Christophe Fauvel : « Je suis un adepte du travail collectif »
Les avantages de travailler avec son fils ?
CF : On a à peine besoin de se parler, on se comprend tout de suite, on est sur la même longueur d’onde et on partage les mêmes exigences et besoins de performance !
Les inconvénients de travailler avec son fils ?
CF : La sphère « professionnelle » déborde largement sur nos rapports père-fils et peut être envahissante à certains moments !
Dans quelles circonstances vous a-t-on reproché d’avoir pris votre fils comme Directeur général ?
CF : Les cons et habituels rageux des réseaux sociaux ! Leur premier (et unique) argument a été d’imaginer que j’avais embauché Paul uniquement parce que c’était mon fils ! En occultant juste au passage qu’il connaissait le club par cœur pour y être depuis l’âge de 6 ans, y était très apprécié par les bénévoles et fidèles du club, qu’il est titulaire d’un diplôme bac + 5 de commercial et a effectué un stage de 6 mois très concluant chez Lagardère Sport, et en ayant aussi géré bénévolement (j’insiste sur bénévolement) plusieurs gros matchs de Coupe de France, etc. Bref des éléments d’appréciation difficiles pour le « beauf » de base, contemplatif depuis son canapé !
Le fait d’être le père du DG vous rend-t-il plus exigeant avec lui ?
CF : Je suis un adepte du travail collectif. On réussit ensemble ou on échoue ensemble. A partir de là, j’ai toujours été solidaire des décisions prises par mes DG, que ce soit dans le cadre professionnel ou en sport. Donc pas d’exigence supplémentaire, une exigence naturelle.
Pourriez-vous être président d’un club de foot ailleurs qu’à Bergerac ?
CF : A part aux Girondins de Bordeaux je ne vois pas non (sourire) !
Paul Fauvel : « Une relation passionnelle »
Les avantages de travailler avec son père ?
PF : Avoir une proximité relationnelle pour la prise de décision et le partage d’idée, avoir une source d’inspiration, « un modèle » à suivre depuis son enfance. J’ai surtout observé depuis 18 ans l’évolution du projet, ce qui a marché, ou un peu moins. C’est surtout s’appuyer sur l’expérience professionnelle et personnelle de façon directe et transparente !
Les inconvénients de travailler avec son père ?
PF : Peut-être l’image que ça peut renvoyer, sur le fait d’être « placé » à un moment ou un autre. C’est le jugement rapide que l’on peut faire sans me connaitre, sans nous connaître. Ensuite, ce n’est pas une relation professionnelle que l’on a, mais passionnelle ! Donc la vie professionnelle peut empiéter de temps en temps sur la vie perso.
Dans quelles circonstances vous a-t-on reproché d’être « le fils de » ?
PF : Quand j’étais joueur dans les catégories jeunes. Sauf que je jouais en équipe C à l’époque! Donc si vraiment être favorisé c’était de jouer en équipe C, pas sûr que ce soit un reproche si solide que ça !! Dans le rôle de directeur, c’est plutôt des cas isolés, des « rageux du web » qui peuvent sortir ces imbécilités. Mais le plus important, c’était d’avoir la caution en interne de ceux qui m’entourent. C’est ça qui me permet de gagner en légitimité.
Le fait d’être le fils du président vous met-t-il davantage de pression dans votre travail au quotidien ?
PF : Au départ, il y a surement plus à perdre qu’à gagner. Car si l’aventure tourne mal, ça peut nous être reproché. Si tout tourne bien, on peut dire aussi que c’est la continuité logique du projet. Mais à aucun moment je me suis levé un matin avec la trouille au ventre de ne pas réussir. Je n’aurais jamais accepté le challenge sinon ! Je ne suis pas jugé aux résultats sportifs mais plutôt financiers, c’est mon baromètre à moi.
Pourriez-vous être le DG d’un club de foot ailleurs qu’à Bergerac ?
PF : Ce n’est pas trahir un secret de dire que c’est même mon objectif dans ma vie professionnelle. L’étape Bergerac doit me servir de tremplin pour l’avenir afin de prouver ma valeur ailleurs que dans un contexte familial et affectif. Intégrer le monde professionnel, découvrir un système où le fonctionnement est déjà bien rodé, avec des moyens financiers et structurels au-dessus de Bergerac, j’avoue que ça me motiverait. Que ce soit au poste de directeur ou pas d’ailleurs.
Textes : Denis VERGOS / Mail : dvergos@13heuresfoot.fr / Twitter : @2nivergos
Photos : Bergerac Périgord FC